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UNE PRÉSENTATION DE L’ÉTAT DU DROIT

Section 1 Les fondements juridiques de la norme nouvelle

La protection juridique des modes de vie minoritaires et autochtones résulte de l’interprétation de dispositions conventionnelles supranationales, telles que l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, protégeant le droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile136, les articles 1er, 23(1) et 27 du

Pacte international relatif aux droits civils et politiques, sur le droit des peuples à

136 Convention européenne des droits de l’homme, article 8 : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ».

disposer d’eux-mêmes, sur la famille et sur le droit d’avoir sa propre vie culturelle137, et des articles 4, 5 et 21 de la Convention américaine des droits de l’homme, sur le droit à la vie, le droit à des traitements humains et le droit de propriété138. Autant dire que cette norme se fonde sur des dispositions générales initialement adoptées pour l’ensemble des justiciables des États membres des trois organisations supranationales – à savoir le Conseil de l’Europe, les Nations Unies et l’Organisation des États Américains. En cela, il s’agit d’ancrages communs, qui n’avaient pas pour objectif de départ de réglementer les droits des minorités ou ceux des peuples autochtones, encore moins leur droit à un mode de vie propre.

N’apparaissant pas du néant, cette norme dispose de fondements conventionnels bien établis qui circonscrivent en partie la norme nouvelle et qui encadrent les revendications des acteurs minoritaires ou autochtones, ainsi que l’interprétation qu’en donnent les juges.

137 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, article 1er : « 1. Tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.

2. Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui découlent de la coopération économique internationale, fondée sur le principe de l'intérêt mutuel, et du droit international. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance.

3. Les États parties au présent Pacte, y compris ceux qui ont la responsabilité d'administrer des territoires non autonomes et des territoires sous tutelle, sont tenus de faciliter la réalisation du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, et de respecter ce droit, conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies ».

Pacte international relatif aux droits civils et politiques, article 23(1) : « La famille est l'élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l'État ».

Pacte international relatif aux droits civils et politiques : article 27 : « Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue ».

138 Convention américaine des droits de l’homme, article 4(1) : « Every person has the right to have his life respected. This right shall be protected by law and, in general, from the moment of conception. No one shall be arbitrarily deprived of his life ».

Convention américaine des droits de l’homme, article 5(1) et (2) : « 1. Every person has the right to have his physical, mental, and moral integrity respected.

2. No one shall be subjected to torture or to cruel, inhuman, or degrading punishment or treatment. All persons deprived of their liberty shall be treated with respect for the inherent dignity of the human person ».

Convention américaine des droits de l’homme, article 21 : « 1. Everyone has the right to the use and enjoyment of his property. The law may subordinate such use and enjoyment to the interest of society. 2. No one shall be deprived of his property except upon payment of just compensation, for reasons of public utility or social interest, and in the cases and according to the forms established by law. 3. Usury and any other form of exploitation of man by man shall be prohibited by law ».

Ces fondements conventionnels ont été adoptés par les États dans le but d’être identiquement appliqués à tous. À l’époque de la ratification des Conventions et traités les accueillant (1950, 1966, 1969), la question de la coexistence avec des minorités ou des peuples autochtones était largement ignorée par le corpus juridique des droits de la personne.

Pour autant, le choix de ces dispositions, qui sont adaptées de manière novatrice au cas des Roms et des peuples tribaux ou autochtones, n’est pas le fruit du hasard. Celles-ci accordent à l’individu et protègent juridiquement un espace géographique ou social au sein des sociétés contemporaines et réglementent l’exercice de pratiques socioculturelles. Il s’agit, par exemple, du domicile ou du lieu d’expression et de pratique de la vie privée, dans le cas de l’article 8 de la Convention européenne139, mais aussi de la propriété dans celui de l’article 21 de la Convention

américaine. Premièrement, en étant interprétées de manière adaptée au cas des Roms ou des Autochtones, ces dispositions deviennent efficaces à l’égard d’un nombre de bénéficiaires plus étendu. Deuxièmement, cette interprétation pourrait réglementer de façon plus juste la cohabitation entre minorités, peuples autochtones et majorités au sein des sociétés contemporaines. Malgré le caractère imprévu des interprétations récentes proposées par les diverses juridictions analysées, celles-ci sont enracinées dans une logique congruente. La compréhension du raisonnement sous-jacent au choix du fondement juridique donne du sens à la norme émergente.

Par ailleurs, ces fondements lui procurent divers encadrements, eux-mêmes pourvoyeurs de sens. En Europe, par exemple, le droit au respect des modes de vie minoritaires ou autochtones a pour fondement l’article 8 de la Convention européenne

des droits de l’homme. Ceci implique qu’il s’agit d’un droit individuel. Cela pourrait

aussi signifier que sa portée se limite à l’espace privé, en opposition à la sphère publique de la vie. Néanmoins, cette interprétation n’est pas celle qui est privilégiée à ce jour. En effet, dans l’affaire Connors c. Royaume-Uni, la Cour indique que l’article

139 Ce fondement avait, dans un premier temps, été limité au droit au respect du domicile, par la Cour européenne, dans l’affaire Buckley c. Royaume-Uni, préc., note 130. Il a ensuite été élargi à la vie privée et familiale dans les affaires Chapman c. Royaume-Uni, préc., note 42 et Connors c. Royaume

Uni, requête n°66746/01, arrêt, (27 mai 2004) Cour E.D.H., en ligne :

http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?item=8&portal=hbkm&action=html&highlight=&sessionid =8916432&skin=hudoc-fr (consulté le 22.09.08).

8 « protège des droits d’une importance cruciale pour l’identité de la personne, l’autodétermination de celle-ci, son intégrité physique et morale, le maintien de ses relations sociales ainsi que la stabilité et la sécurité de sa position au sein de la société »140. De fait, cette interprétation ne restreint pas la notion de vie privée à l’intimité, mais permet, au contraire, un décloisonnement entre les deux notions de vie privée et de vie publique, favorable à l’autonomie et au libre choix en matière identitaire141.

Ce fondement implique également que les limites de l’article 8(2) de la Convention européenne s’appliquent. Ainsi, toute mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui pourra venir limiter la portée du droit au respect des modes de vie minoritaires ou autochtones.

En ce qui concerne le fondement de la norme devant le Comité des droits de l’homme, l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques reconnaît des droits aux individus appartenant à des groupes minoritaires et non à des groupes en tant que tel. Il s’agit donc d’un droit individuel, mais dont l’exercice présuppose une collectivité142. De même, l’article 27 du Pacte protège des « cultures

140 Connors c. Royaume Uni, préc., note 139, § 82.

141 Sur le contexte interprétatif imposé par l’introduction du droit au respect des modes de vie minoritaires ou autochtones à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et donc au sein de la notion de vie privée et familiale et de domicile, voir J. RINGELHEIM, Diversité culturelle et droits de l’homme. La protection des minorités par la Convention européenne des droits de l’homme, préc., note 29, p. 227-232 et François RIGAUX, La protection de la vie privée et des autres biens de la personnalité, Bruylant, Bruxelles, L.G.D.J., Paris, 1990.

142 Helen O’Nions indique sur ce point qu’il existe un double effet : « The final version of Article 27, following an amendment by a British delegate, refers to ‘members of minorities’ rather than the minority itself as the right bearer. […] A collective dimension is added however, by the phrase ‘in community with the other members of their group’. Although the intention of this addition appears to have been to avoid a concern that any individual could claim the benefits of the rights for minorities, the effect is to recognize that the rights of members of minorities are not independent and can only be fully realized within the security of the group. Thus, Article 27 can be described as having a ‘double- effect’ which establishes collective goods realization through individual rights. The HRC General Comment recognizes that the protection of minority identity is dependent on recognition of the group. The double-effect approach however is limited by the failure to recognize a collective right of petition under the optional protocol of 1976 […] This raises a further problem in that there is no obligation on member states to recognize minorities legally, despite the argument that the allocation of resources may depend on such recognition by the state. In delineating his desirable criteria for a minority

propres ». Cela pourrait signifier que la compréhension du concept de mode de vie est restreinte à la portée d’un droit culturel. Que penser de l’affirmation selon laquelle « […] l'un ou l'autre des droits consacrés dans cet article [l’article 27] - par exemple, le droit d'avoir sa propre vie culturelle - peut consister en un mode de vie étroitement associé au territoire et à l'utilisation de ses ressources »143 ? Cette assertion confirme le fait que l’assise de la protection des modes de vie minoritaires ou autochtones se situe dans l’article 27 du Pacte, que les concepts de culture et de mode de vie sont interreliés et tous deux de nature sociale, économique et spirituelle. Néanmoins, on peut aussi se demander s’il n’y a pas une confusion possible entre culture et mode de vie. Certaines déclarations du Comité nuancent cette hypothèse, dans la mesure où cet organe évoque parfois les deux concepts indépendamment l’un de l’autre144. Par

ailleurs, dans son observation générale, le Comité indique à propos de cet article qu’il vise « à assurer la survie et le développement permanent de l'identité culturelle, religieuse et sociale des minorités concernées »145. Il met alors l’accent sur la proximité et sur l’interconnexion, plutôt que sur la fusion, entre les concepts de culture, de mode de vie et d’identité, le second impliquant nécessairement les deux autres.

Enfin, la Convention américaine des droits de l’homme impose également un cadre au droit au respect des modes de vie autochtones, dont la rigidité est moins importante. Les juges interaméricains interprètent ses dispositions de manière plus flexible, consacrant des droits collectifs et reconnaissant aussi un droit collectif de

Convention, Roth regards the recognition of minorities as the fundamental ‘linchpin’ to rights recognition. Jackson-Preece observes that giving states the right to determine whether minorities ‘existed’ allowed them to redefine national minorities to avoid the international obligations », H. O’NIONS, Minority Rights Protection in International Law – The Roma of Europe, préc., note 49, p. 195. Pour une analyse de l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques voir P. THORNBERRY, International Law and the Rights of Minorities, préc., note 28 ; H. O’NIONS, préc., note 49, p. 193-203.

143 C.D.H., Observation générale no23, Les droits des minorités (article 27), 08 avril 1994, § 3.2.

144 Par exemple, lorsqu’il indique que « [l]es inégalités historiques mentionnées par 1'État partie et certains faits plus récents menacent le mode de vie et la culture de la bande du lac Lubicon et constituent une violation de l'article 27 tant qu'ils n'auront pas été éliminés », Le chef Bernard Ominayak et la bande du lac Lubicon c. Canada, communication n°167/1984, (10 mai 1988) C.D.H., en ligne :

http://www.unhchr.ch/tbs/doc.nsf/(Symbol)/750d146488937439c1256ac50051a3d3?Opendocument (consulté le 22.09.08), § 33.

propriété qui va au-delà de la lettre du texte, dont ils se détachent davantage. Le cadre proposé par la Convention américaine ne semble donc pas conditionner autant que dans les deux autres cas la norme nouvelle.

Ce cadre conventionnel participe à l’émergence directe ou indirecte de la norme et fonde son établissement, corollairement à l’interprétation qu’en font les juges. Il y participe moins en tant que source de la norme qu’en tant que justification juridique de la démarche, ces fondements conventionnels faisant l’objet d’une instrumentalisation plus ou moins grande. Ceux-ci et les contextes sociopolitiques nationaux ou régionaux donnent lieu à des mécanismes d’objectivation de la norme de deux formes, qui sont explicites ou implicites.

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