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L’analyse du processus de production de la norme nouvelle, dans le cadre du positivisme juridique, se confronte à trois types de limites. D’abord, cette approche produit une définition restrictive du processus d’élaboration de la norme (I.). Ensuite, elle se satisfait de la recherche du caractère juridique de la règle sans se préoccuper du sens de celle-ci (II.). Enfin, elle impose une conception du droit de laquelle cette recherche se détache. En effet, l’épistémologie proposée ne correspondrait pas avec ce cadre théorique si le positivisme juridique était la seule lunette à travers laquelle observer notre objet d’étude (III.).

I. Limite quant à la définition du processus d’élaboration de la norme Dans une acception stricte, l’approche positiviste exclut de l’étude du processus d’élaboration de la norme juridique l’analyse des conditions sociopolitiques ayant permis son émergence. Cette approche n’envisage pas non plus ce processus sous un angle dynamique, celui qu’elle privilégie se limitant à l’examen du caractère juridique de la norme et de l’état du droit.

Se cantonner à cette approche ne permet pas d’appréhender toutes les facettes de la norme nouvelle. L’analyse de son émergence est nécessaire afin d’en préciser les contours. Bien qu’étant juridique, cette norme est issue d’autres sphères de normativité qui imposent également des normes de comportement. Certaines sont des règles de vivre ensemble et de bien-être collectif. La protection juridique des modes

75 À ce titre, lire René-Jean DUPUY, « Droit déclaratoire et droit programmatoire : de la coutume sauvage à la « soft law » », dans SOCIETE FRANÇAISE DE DROIT INTERNATIONAL, préc., note 67, p. 132-148.

de vie minoritaires et autochtones en est issue. Comment concevoir un vivre ensemble et un bien-être collectif équitable si les valeurs et le mode de vie majoritaires étaient tout puissants ? Néanmoins, les autres sphères de normativité ont été impuissantes à protéger le choix en faveur « d’un mode de vie distinct », l’absence de neutralité des États étant trop ancrée. Pourtant, en ces temps de mondialisation et d’intensification des communications, la nécessité de sauvegarder l’existence d’un libre choix en matière identitaire se fait de plus en plus forte. C’est une des raisons qui pourrait justifier la tendance actuelle de la sphère juridique et positive, de favoriser la sauvegarde de « considérations élémentaires d’humanité »76 ou de « principes de morale les plus élémentaires »77. En effet, le droit positif est encore symbole de sécurité et de sûreté des droits. Pour sa part, le droit international continue à lier les États. Or, « [d]ans certains cas, encore très rares et dont le plus notoire est celui des règles d’humanité, le fondement moral donne à la règle juridique un caractère absolu n’autorisant aucune dérogation conventionnelle »78. Par ailleurs, la mobilisation de la sphère juridique et positive pourrait aussi marquer l’ouverture du droit positif et étatique aux intérêts et aux discours minoritaires et autochtones, impulsée par les requérants membres de ces communautés. Par conséquent, en droit international, l’examen de l’émergence est tout aussi important que l’étude du caractère juridique de la norme :

« Les sources matérielles préparent l'éclosion d'une règle juridique et en informent la substance, tandis que les sources formelles formulent ce contenu et en permettent l'introduction dans le droit positif. L'étude des sources formelles est importante mais sans doute insuffisante. Elle fournit des indications sur un phénomène d'ensemble, dont elle est une manifestation, le processus de formation du droit. Les sources matérielles, parfois difficilement saisissables tant elles peuvent se révéler diffuses, participent au processus de gestation du droit positif et influencent les procédures juridiques conduisant à l'adoption ou l'apparition des sources

76 Détroit de Corfou, arrêt, (9 avril 1949), C.I.J. Recueil 1949, p. 22, (C.I.J.), en ligne : http://www.icj- cij.org/docket/files/1/1644.pdf (consulté le 22 septembre 2008).

77 Réserves à la Convention sur le Génocide, avis consultatif, (28 mai 1951), C.I.J. Recueil 1951, p. 23, (C.I.J.), en ligne : http://www.icj-cij.org/docket/files/12/4282.pdf (consulté le 22 septembre 2008). 78 P. REUTER, « Principes de droit international public », préc., note 68, p. 482.

formelles. Les sources formelles et matérielles agissent et rétroagissent les unes sur les autres »79.

Par ailleurs, selon une approche positiviste, la production de la norme se limite à l’existence de son caractère juridique et obligatoire. Or, dans la formule de Gérard Timsit, cette recherche soutient qu’

« [i]l peut y avoir de la juridicité sans normativité, de la signification sans obligation : les actes dits « recommandations » en sont un exemple. […] Il y a en sens inverse de la normativité sans juridicité – de l’obligation sans signification ou seulement avec une signification très vague ; en témoigne cette disposition du Préambule de la Constitution française de 1946 : « la Nation assure à l’individu les conditions nécessaires à son développement » »80.

L’analyse du processus d’élaboration ne saurait donc se limiter à la démonstration du caractère juridique de la norme, car celui-ci ne fournit aucune indication sur son utilité sociale ou sur son efficacité81. Or, la question de l’élaboration de la protection juridique des modes de vie minoritaires et autochtones exige que l’on se questionne sur son statut juridique, mais aussi sur son applicabilité, ses apports et sur son utilité sociale. En ce sens, elle doit aussi œuvrer suffisamment à la consécration de son objectif, en l’espèce, laisser place à la liberté et à la diversité des choix de vie des groupes et membres des groupes minoritaires et autochtones, notamment en fonction des attentes de ceux censés en être les bénéficiaires. Elle est également censée produire du sens et des effets concrets. Il convient donc d’ajouter aux critères d’élaboration de la norme, au-delà de sa simple juridicité, des critères de signification, d’applicabilité et d’utilité sociale.

79 Rostane MEHDI, Cour de droit international public, Faculté de droit d’Aix-en-Provence, années 2003-2004, en ligne : http://pagespro-orange.fr/ceric/enseignements/archives.htm, (consulté le 02 février 2007).

80 Gérard TIMSIT, « La surdétermination de la norme de droit : questions et perspectives », dans Andrée LAJOIE, Roderick A. MACDONALD, Richard JANDA et Guy ROCHER, Théorie et émergence du droit : pluralisme, surdétermination et effectivité, Montréal, Éditions Thémis, 1995, p. 101.

81 Le concept d’efficacité ou d’efficience (efficiency en anglais) est employé en tant que synonyme de gain, au sens de Pareto. Ce concept incite à « formuler des règles juridiques de manière à ce qu’elles soient efficaces », c'est-à-dire à ce qu’elle maximise les gains conjoints ou minimise les coûts conjoints dans les interactions humaines, Ejan MACKAAY et Stéphane ROUSSEAU, Analyse économique du droit, Éditions Thémis et Dalloz, 2008, p. 59.

II. Les limites quant à l’absence d’évaluation du sens de la norme juridique

Cette seconde limite résulte de la première. L’approche positiviste ne s’arrête qu’à l’analyse du caractère juridique et obligatoire de la norme, c’est-à-dire de sa forme, et non à sa substance. Ceci ne permet pas de conduire une recherche complète, vu l’importance de connaître le sens d’une norme pour définir précisément ce sur quoi porte l’obligation qu’elle contient.

III. Limites quant aux choix épistémologiques

L’état du droit sur la question de la protection juridique des modes de vie minoritaires et autochtones est encore flou. Cette recherche en précisera les orientations et déterminera son sens à partir d’une interprétation de la jurisprudence de certaines juridictions internationales et régionales, qui se fondent elles-mêmes sur la législation supranationale, sur un contexte spécifique et sur des revendications de requérants. Dans ce champ, le droit est donc encore « en chantier », et l’interprétation que nous en proposerons participera inévitablement à sa construction.

L’épistémologie privilégiée est donc de type constructiviste ou post- positiviste82. Cela signifie que le droit n’est pas tenu pour déjà objectif, mais est en quête d’objectivation et qu’il est conçu comme étant relativement indéterminé. Partant, la recherche conduite sera en quelque sorte émancipée, c'est-à-dire qu’elle n’hésitera pas à se distancier de la « science normale » lorsque ceci semblera approprié.

En raison de l’existence de ces trois types de limites, l’adoption d’un cadre uniquement fondé sur l’approche positiviste et les sources formelles du droit international serait lacunaire. Par conséquent, d’autres théories complèteront les apports du positivisme juridique, même conçu « souplement ».

82 A-J. ARNAUD (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, préc., note 60, p. 463.

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