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Les législateurs supranationaux, la communauté internationale et la société civile internationale

UNE PRÉSENTATION DE L’ÉTAT DU DROIT

Paragraphe 4 Les législateurs supranationaux, la communauté internationale et la société civile internationale

Les législateurs supranationaux sont les États membres des organisations internationales131 qui participent à la création de la norme conventionnelle et générale au sein des ordres juridiques supranationaux. Ils élaborent et adoptent les normes supranationales dans un contexte où communauté132 et société civile133 internationales sont actives et influencent les travaux des législateurs. Toutefois, dans quelle mesure ces trois types d’acteurs interviennent-ils dans le processus d’élaboration du droit au respect des modes de vie minoritaires et autochtones ?

Ils disposent d’un rôle en amont de la construction des normes et en aval. En amont, les législateurs supranationaux créent un contexte plus ou moins favorable à l’intégration des revendications des minorités et des peuples autochtones à leurs modes de vie et à l’émergence du droit que nous étudions, puisqu’ils sanctionnent la législation en vigueur. La Déclaration et le programme d’action de

Vienne adoptés en 1993 par la Conférence mondiale sur les droits de l’homme, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, la Convention n°169 relative aux peuples indigènes et tribaux de l’Organisation

mesures en question visaient à faire exécuter des dispositions de contrôle de l'aménagement destinées à protéger le bien-être économique du pays, l'environnement et la santé publique. Cet argument a eu un poids certain dans le refus de la Cour de mettre en œuvre l’obligation positive précédemment reconnue dans le cas d’espèce. Selon cette juridiction, la protection des droits d’autrui par la défense de l’environnement constituait un but légitime. Par conséquent, les juges européens ont joué un rôle important dans la circonscription de la norme, puisqu’ils définissent ce qu’est un but légitime. Voir Chapman c. Royaume-Uni, préc., note 42, § 68, 71, 72 et 80-82.

131 Plus précisément, les États qui siègent au sein de l’Assemblée générale de l’Organisation des États Américains, de l’Assemblée parlementaire et du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe ainsi qu’à l’Assemblée générale des Nations Unies.

132 La communauté internationale se compose des différents législateurs nationaux et supranationaux. 133 La société civile internationale se compose de l’ensemble des acteurs non étatiques qui influencent la création de la norme internationale et régionale tendant à la protection des modes de vie minoritaires et autochtones par leurs actions et pressions. Cela comprend notamment les lobbies, les entreprises multinationales (notamment les multinationales d’exploitation minière, forestière et de ressources naturelles), les organisations non gouvernementales ou les associations et entités représentant les peuples autochtones et les minorités.

internationale du travail, la Convention-cadre sur les droits des minorités nationales du Conseil de l’Europe, l’article 8j de la Convention sur la diversité biologique, la

Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, les

articles 1 et 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le projet de Déclaration Américaine relative aux droits des peuples autochtones ainsi que le projet de Convention nordique samie constituent un socle favorable à la naissance d’une protection des modes de vie minoritaires ou autochtones au sein de ces ordres. L’existence même de ces textes procure une légitimité à l’émergence de la norme nouvelle.

La société civile dispose également d’un rôle important dans son processus d’émergence. Elle participe à la création d’un consensus sur l’attribution de droits aux Autochtones ou aux minorités qui favorise l’acceptabilité par les États de la norme nouvelle et qui renforce sa légitimité. En la matière, les représentants étatiques se positionnent en fonction de leur électorat et de la société civile, c'est-à-dire des citoyens, des organisations non gouvernementales et des lobbies. Dans un système démocratique, si ces derniers ont une position majoritairement défavorable à l’égard des objectifs que vise la norme, il est peu probable que l’État se situe autrement. Il rejettera donc son adoption ou, à défaut, tentera de la retarder ou d’en diluer le contenu et d’en limiter la portée.

Or, le positionnement des lobbies et de la société civile est le résultat d’intérêts stratégiques, mais aussi de préjugés. Par exemple, en Europe, l’impopularité de la question rom auprès de la majorité des citoyens a pour effet de ralentir l’adoption par les États et les organisations régionales de normes qui assurent le respect de leurs droits. Les préjugés, stéréotypes ou « images manipulées »134 ont des conséquences concrètes sur le droit. La Cour européenne, pour sa part, éprouve des difficultés à trancher clairement la question des espaces de stationnements pour les membres du peuple Rom, en l’absence de consensus des États135.

134 « […] ce sont les aspects les plus négatifs de l’image qui sont réactivés. Roms, Voyageurs, Tsiganes sont considérés comme voleurs, bruyants, sales, immoraux, trompeurs, asociaux, ne travaillant pas. On les dit « enseigner des choses diaboliques »; leur art de devin attire et fait peur tout à la fois », J-P. LIÉGEOIS, Roms en Europe, préc., note 124, p. 159, voir aussi cet ouvrage p. 160-169.

Quant à leur rôle en aval, les États membres d’organisations régionales ou internationales, ont le pouvoir de cristalliser ou de transformer le droit au respect des modes de vie minoritaires ou autochtones en norme conventionnelle, alors que les acteurs non étatiques peuvent influencer favorablement ou défavorablement ce processus, en faisant pression sur les États.

Adhérant à une conception élargie de la production des normes juridiques supranationales, nous venons de présenter les divers acteurs impliqués dans l’émergence du droit au respect des modes de vie minoritaires ou autochtones. Nous nous sommes également concentrés sur les implications et les apports de chacun d’eux dans ce processus. Il en ressort une vision construite de la norme examinée qui se différencie d’une vision statique ou « préétablie ». Celle-ci a le mérite de mettre en contexte la production de la norme juridique internationale qui émane des contentieux, pour en percevoir les sources, la signification et les effets.

Avant de développer ces éléments, nous nous arrêterons sur l’exercice par les juges régionaux et experts du Comité des droits de l’homme, de leur rôle en matière d’objectivation de la norme. Même si les juges jouent un rôle que nous avons qualifié de « secondaire », dans la mesure où leur intervention est conditionnée à la saisine des requérants, ils disposent d’un pouvoir fondamental en matière de concrétisation juridique et de circonscription de la norme. Ils participent donc directement à l’établissement de la norme en déterminant, en quelque sorte, son degré de juridicité. Même si les requérants minoritaires ou autochtones impulsent l’émergence de la norme juridique en amont, en la délogeant du néant à travers l’expression de leurs revendications, ce sont les juges et les experts qui, en définitive, disposent du pouvoir capital de la consacrer en droit.

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