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LA SIGNIFICATION DE LA NORME JURIDIQUE

Section 1 Les caractères structurant et construit des modes de vie

La définition du concept de mode de vie que nous retenons pour les fins de cette recherche associe les caractères structurant et construit de l’identité, car ce concept tel qu’il se manifeste sur le plan social, les polarise tous les deux, si bien qu’il est impossible d’en privilégier l’un au détriment de l’autre. Le faire rendrait la définition incomplète. Toutefois, nous n’emploierons pas la notion de structuration dans le même sens que l’ont fait les structuralistes. Notre objectif, en effet, n’est pas d’encadrer le concept de mode de vie par le principe de l’invariabilité de la culture ou par des règles universelles313. Le recours au caractère structurant du mode de vie n’a pas non plus pour but de réduire ce concept à une structure inconsciente, car ce dernier, issu du donné ou du transmis, est équilibré par une maîtrise relative du mode de vie par l’individu qui l’exerce.

Ainsi, le mode de vie est-il un cadre ou un modèle social organisant la vie en collectivité. Il se construit et continue à s’établir en fonction des divers besoins du groupe et de ses membres, qui l’alimentent au fil des générations. Il est à la fois le

312 Telles que celles de Jean-François Gaudreault-DesBiens, Jeremy Webber, Sébastien Grammond ou Ghislain Otis, voir Jean-François GAUDREAULT-DESBIENS, « Angoisse identitaire et critique du droit. La « critique juridique identitaire américaine » comme objet et source de réflexion théorique », (2003) 50 Revue interdisciplinaire d’études juridiques, p. 1-79 ; J-F. GAUDREAULT-DESBIENS, « Identitarisation du droit et perspectivisme épistémologique. Quelques jalons pour une saisie juridique complexe de l’identitaire », préc., note 56, p. 33-74. Sébastien GRAMMOND, Identity Captured by Law. Membership in Canada’s Indigenous Peoples and Linguistic Minorities, Montreal and Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2009, p. 4-16.

Ghislain OTIS et André EMOND, « L’identité autochtone dans les traités contemporains : de l’extinction à l’affirmation du titre ancestral », (1996) 41 McGill Law Journal, p. 543-570.

313 Denis CUCHE, La notion de culture dans les sciences sociales, Paris, Éditions La découverte, 1996, p. 43-45.

produit et la structure de l’action et des rapports sociaux314, en ce qu’il est transformé par eux et en ce qu’il les encadre. En tant que convoyeur de règles sociales et culturelles, il structure les façons d’être, d’agir, de penser, de croire et de concevoir la vie, au sein d’institutions particulières. En ce sens, il est une institution socioculturelle porteuse de valeurs et de normes315.

Son caractère structurant se retrouve au sein de toutes les sociétés. Dans la perspective autochtone, il peut se faire sentir ainsi :

« Les modes de vie développés par les peuples autochtones ont prospéré en codant la viabilité biologique dans le corps de pratiques, de mythes et d’interdits transmis des parents aux enfants. Ces pratiques, mythes et interdits se sont répétés pendant de nombreuses générations, ils constituent donc des habitudes bien établies »316

Parmi ces pratiques, mythes et interdits transmis ou répétés, certains émergent alors que d’autres s’éteignent. Le caractère structurant n’empêche donc pas un possible renouveau du mode de vie.

Ce dernier consiste en un schéma socioculturel transmis de la collectivité à l’individu. Il participe à la socialisation, au conditionnement des personnes et devient ainsi partie intégrante de leur identité, mais non pas source définitive de « condensation identitaire »317.

Concevoir son caractère structurant selon un schéma rigide, serait en effet dangereux et réducteur, puisque la capacité de l’individu à maitriser sa propre vie, à être autonome et à faire des choix indépendants serait totalement négligée. Prendre acte de cette autonomie relative s’avère nécessaire afin de concevoir les modes de vie de manière réaliste.

314 Selon Guy Rocher, « [L]’action sociale […] c’est toute manière de penser, de sentir et d’agir dont l’orientation est structurée suivant des modèles qui sont collectifs, c’est-à-dire qui sont partagés par les membres d’une collectivité quelconque de personnes », Guy ROCHER, Introduction à la sociologie générale, Montréal, Éditions Hurtubise HMH, 1992, p. 42.

315 Henri MENDRAS, Éléments de sociologie, 4ème édition, Paris, Éditions Armand Colin, 1996, p. 79- 81.

316 Nadia BELAIDI, « Le modèle des conceptions cosmiques : apport de la vision du monde des peuples autochtones à la question environnementale sous l’angle juridique », dans J-C. FRITZ, et alii, La nouvelle question indigène. Peuples autochtones et ordre mondial, préc., note 28, p. 412.

317 J-F. GAUDREAULT-DESBIENS, « Angoisse identitaire et critique du droit. La « critique juridique identitaire américaine » comme objet et source de réflexion théorique », préc., note 312, p. 1- 79.

Les caractères structurant et construit impliquent que la définition de ce concept prenne en compte trois éléments : le milieu (§ 1), l’action du groupe et de ses membres (§ 2) et les contextes collectifs d’appartenance (§ 3).

Paragraphe 1 : Le milieu

Comme l’affirme Guy Rocher, le milieu social renvoie à la question des

« […] « dynamiques de groupes », c'est-à-dire la façon dont un groupe, assez restreint pour que ses membres soient en contact direct les uns avec les autres (ce que l’on appelle en anglais « face-to-face relationships »), s’organise, se structure, s’articule et évolue, en d’autres termes constitue un véritable microcosme social »318.

En ce sens, le milieu prodigue un contexte spatio-temporel et social spécifique, qui est source de conditionnement.

Le mode de vie se forge au sein d’un milieu environnemental, géographique et climatique propre à un espace, qui donne lui-même naissance à un milieu social, culturel et philosophique spécifique. Des normes et des valeurs en émanent319. Défini ainsi, le milieu représente l’assise du mode de vie, puisqu’il produit, aux côtés de la composition du groupe, des actions et des interactions entre individus, son conditionnement. Il est une composante du « donné ». Néanmoins, il ne produit rien à lui seul et n’est pas un élément isolable. C’est pourquoi la prise en compte de l’action du groupe et de ses membres est d’une grande importance.

318 G. ROCHER, Introduction à la sociologie générale, préc., note 314, p. 155-161.

319 Nous adoptons une définition des modes de vie dans laquelle les approches holiste, structuraliste et interactionniste convergent, et où les points de vue microsociologique et macrosociologique cohabitent. Ceci n’est pas forcément le cas de tous les chercheurs. À ce propos et pour une définition différente, voir I. ROY, Vers un droit de participation des minorités à la vie de l’État ?, préc., note 223, p. 46-52. Nous tenons cependant pour trop restrictive la définition proposée par cette auteure, dans la mesure où elle n’intègre dans « les particularités du mode de vie » que « le mode d’établissement géographique » de la communauté et « les besoins et aspirations » de la communauté. Or, le mode de vie se forme en fonction d’un milieu physique, géographique, climatique, historique, culturel et social.

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