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Les apports du positivisme juridique en droit international La protection des modes de vie minoritaires et autochtones est une norme qu

existe au sein de différentes sphères de normativité : éthique, politique, morale ou autres. Nous n’entendons pas démontrer l’existence de telles normes « pré- juridiques ». En revanche, la démonstration de sa juridicité, en droit positif, demeure à entreprendre. La conséquence de cette démonstration est importante : une nouvelle norme formellement « juridique » au sens du droit positif s’imposerait aux États du globe, qui se verraient dès lors transformés en débiteurs d’obligations en faveur des peuples autochtones, des minorités et de leurs membres. Par ailleurs, l’intérêt de

58 Selon les écrits de Santi Romano, Guy Rocher, Roderick Macdonald, Sally Engle Merry, Sally Falk Moore.

conduire cette étude en intégrant le positivisme juridique est de permettre la qualification et la définition d’un concept, celui de mode de vie.

Le positivisme juridique représente une approche avant toute chose59. Selon Bobbio, le juriste doit se préoccuper du droit réel, du droit tel qu’il est. Il s’agit alors d’un « mode d’approche du droit « caractérisé par une distinction nette entre le droit réel et le droit idéal… entre le droit tel qu’il est et le droit tel qu’il devrait être » […] »60. Autrement dit, le droit positif correspond à l’« ensemble des règles de droit (droit objectif) en vigueur dans un pays donné [ou au sein d’un ordre juridique donné tel que l’ordre juridique international] à un moment donné, par opposition au droit naturel (ou idéal) et à un droit révolu (aboli ou abrogé) reçu dans le passé (Ancien droit) »61. Cette approche sera pertinente afin de circonscrire l’état du droit en matière

de protection juridique des modes de vie minoritaires et autochtones, ainsi que pour trancher la question de la juridicité de la norme62.

Le positivisme juridique représentant le premier élément de ce cadre théorique, il faut en justifier plus avant l’utilisation (I.). Néanmoins, cette application de l’approche positiviste ne peut se faire que de façon souple. La discipline de référence de cette recherche étant le droit international public, il s’agit là d’un ordre juridique en gestation quant à son rapport aux peuples autochtones. Partant, celui-ci diffère des ordres juridiques internes (II.).

I. Justification de l’emploi du positivisme juridique

Afin d’observer et de mieux cerner notre objet d’étude, nous avons choisi de porter des « lunettes » positivistes. Pour les fins de cette étude, le positivisme

59 Notre étude n’a pas pour objectif de conduire une analyse de fond sur les conceptions du positivisme juridique. Nous allons donc uniquement en préciser les modalités de l’utilisation qui en sera faite pour les fins de cette recherche et en tant qu’outil d’analyse.

60 André-Jean ARNAUD (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, L.G.D.J., 2eme édition, p. 461.

61 Gérard CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, 8ème édition, Paris, P.U.F., 2007, p. 695. 62 C'est-à-dire le caractère juridique ou non de la norme.

juridique est d’abord conçu en tant qu’approche et, exceptionnellement, comme théorie63.

Une approche positiviste paraît incontournable pour deux raisons. En premier lieu, la protection juridique des modes de vie minoritaires et autochtones est issue de l’interprétation de sources formelles du droit international public – en l’espèce, des décisions des juridictions régionales, des communications du Comité des droits de l’homme et de conventions et déclarations internationales et régionales en droit des droits de l’homme, droit des minorités et droit des peuples autochtones64. Toutes sont des sources reconnues comme ayant un caractère juridique par les États liés par elles. Bref, il s’agit de droit positif, principalement appréhendé à partir d’un point de vue interne. Cependant, ignorer le contexte d’adoption de ces sources serait hasardeux, d’autant plus que cette recherche est conduite en droit international.

En second lieu, en tant qu’approche, le positivisme juridique est approprié lorsque le juriste veut circonscrire l’état du droit sur une question, indiquant quelles sont les normes juridiques en vigueur au sein d’un ordre juridique, à un moment donné. Il propose des critères relativement précis afin de distinguer la norme juridique de celle qui ne l’est pas. Plus précisément, il est un guide afin de déterminer la nature, les contours, la force juridique et la valeur de la protection ; en somme, son statut juridique. Il contient un certain nombre de paramètres afin de déterminer les caractéristiques intrinsèques de la norme juridique et d’éclaircir la forme de celle-ci65. Par conséquent, il permet d’atteindre l’objectif préliminaire attribué à cette recherche, qui est de décrire l’évolution du droit positif sur la question. Cet objectif

63 Celle-ci peut se définir ainsi : « Théorie du droit, selon laquelle : a. il n’y a pas de droit naturel et seul le droit positif existe (A. Ross) ; b. le droit est un ensemble de règles, qui sont des commandements, un produit de la volonté humaine, ou de l’autorité (« auctoritas non veritas facit jus ») ; c. ces commandements émanent du Souverain ou de l’État (Austin) ; d. ils sont assortis de sanctions, qui garantissent l’application du droit par la force ; e. ils forment un système fermé, complet et cohérent ; f. l’activité des juges est une activité logique car toute décision peut être déduite des règles préalablement émises par le Souverain, sans référence à des fins sociales ou des règles morales ». Nous adhérons aux troisième et sixième thèses ci-dessus énoncées, qui nous semblent être les plus pertinentes pour les fins de notre recherche, dans A-J. ARNAUD (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, préc., note 60, p. 461.

64 Les traités et la jurisprudence apparaissent tous deux comme des sources formelles du droit international au sein de l’article 38 du Statut de la C.I.J., en ligne : http://www.icj- cij.org/documents/index.php?p1=4&p2=2&p3=0 (consulté le 22 septembre 2008).

premier peut sembler peu ambitieux, mais il représente une étape obligée face au peu d’écrits juridiques portant sur l’appréhension par le droit des modes de vie minoritaires ou autochtones. Les apports de l’approche positiviste sont toutefois insuffisants si l’on veut résoudre la question de la production de cette norme juridique internationale. Avant d’en évoquer les limites, penchons-nous d’abord sur la spécificité de l’élaboration des normes en droit international. Cette spécificité justifie l’adoption d’une version « souple » du positivisme juridique.

II. La spécificité de l’élaboration de la norme en droit international

Le droit international est un ordre juridique contraignant66. Cependant,

l’élaboration des normes juridiques qui le composent, sont soumises à un processus distinct du droit interne. De plus, son rôle et son objectif sont différents. Il a pour but de régir le comportement des États et parfois d’individus. La pluralité de ses sujets est un élément marquant, qui conduit souvent à l’adoption de normes minimales. Deux caractéristiques pourraient ainsi le définir, la souplesse et la mouvance67.

En outre, et ceci découle de la spécificité de cet ordre juridique, l’étude du droit international public est nécessairement « ouverte » sur d’autres disciplines, au nombre desquelles on compte la politique, l’éthique et la morale68. C’est également un droit fragmenté, expliquant la multiplicité des juridictions saisissables et des systèmes régionaux.

Par ailleurs, son fondement classique est la volonté des États. Ainsi, selon une approche réaliste, une norme serait juridique à partir du moment où l’État y aurait consenti. Dans le cas de la protection juridique des modes de vie minoritaires et autochtones, l’existence du consentement des États se révèle de deux manières. Cette norme se fonde soit sur des conventions internationales et régionales ratifiées par ces

66 Prosper WEIL, « Le droit international en quête de son identité », (1992) 237 VI R.C.A.D.I., p. 9- 370.

67 Voir SOCIETE FRANÇAISE DE DROIT INTERNATIONAL, L’élaboration du droit international public, Paris, Pedone, 1975, 224 p.; Michel VIRALLY, Le droit international en devenir. Essais écrits au fil des ans, Paris, P.U.F., 1990, 504 p. ; P. WEIL, préc., note 66, p. 9-370 et p. 53.

derniers ; soit elle a pour fondement la décision d’une juridiction69 qui est compétente en vertu du consentement donné par l’État pour résoudre le litige. Celle-ci a alors le devoir de statuer et de combler les vides juridiques si ceux-ci existent, puisque la volonté de l’État est donnée a priori.

Néanmoins, tout un pan du droit international serait ignoré si l’apparition, dans le courant du XXème siècle, aux côtés des États, d’une communauté internationale qui gagne en puissance n’était pas évoquée. Par conséquent, le droit international n’est plus uniquement issu de leur volonté pure et simple, même si celle- ci conserve une grande importance. Elle peut être contrainte, de même que la souveraineté étatique, notamment dans le domaine des droits de l’homme70. De plus, bien que l’existence des juridictions supranationales71 soit issue de la volonté des

États, en tant qu’institutions internationales, elles se voient néanmoins appliquer un principe d’autonomie. Dans l’application et l’interprétation des textes qui leur sont soumis, elles ne sont pas contraintes par la volonté initiale des États parties72. De fait, le consentement de ceux-ci n’est plus le seul critère d’élaboration de la norme juridique73, ces acteurs primaires du droit international ayant en quelque sorte perdu le monopole de son élaboration74. Le fondement classique de la norme juridique supranationale – la volonté de l’État – est en ce sens limité. Il reste néanmoins primordial en matière de mise en œuvre des normes, ce qui constitue une étape différente de leur émergence.

Actuellement deux visions cohabitent et se limitent l’une l’autre, les visions classique et contemporaine. Leur coexistence tend à expliquer une double tension entre, d’une part, l’apparition de normes nouvelles imposées par les juridictions supranationales aux États, et d’autre part, la difficulté d’imposer, pour les requérants

69 Pour la définition de ce concept, voir supra, note 40.

70 Quant à ce basculement, lire Karim BENYEKHLEF, Une possible histoire de la norme. Les normativités émergentes de la mondialisation, Montréal, Éditions Thémis, 2008, p. 116-251.

71 C’est-à-dire les juridictions régionales et internationales.

72 Antonio Augusto CANÇADO TRINDADE, « International Law for Humankind : Towards a New Jus Gentium », (2005) 316 R.C.A.D.I., p.159 et 160.

73 Id., p. 169.

et juridictions pourvoyeurs de normes nouvelles, leur propre vision du droit75. L’élaboration contemporaine d’une protection juridique des modes de vie minoritaires et autochtones est totalement pénétrée par ce contexte. Le fait que cette norme apparaisse en droit international explique beaucoup de son statut actuel, de sa nature et de ses limites potentielles, de même que du flou dans lequel elle se situe.

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