• Aucun résultat trouvé

Du rôle de l’entreprise dans le processus de continuation des contrats

SECTION II DU FONDEMENT DE LA RÈGLE DE LATRANSMISSION UNIVERSELLE DE PATRIMOINE

B. Du rôle de l’entreprise dans le processus de continuation des contrats

155. De la consécration juridique de l’entreprise- L’analyse de touts ces textes nous permet de dire que l’« entreprise » justifie, très certainement, la continuation des contrats. Et ça ne sera pas l’absence de son officielle définition juridique qui lui empêchera

de jouer ce rôle, comme le pensent certains255. Cette absence de définition légale ne constitue aucunement pas un obstacle au rôle que joue l’entreprise et à sa place en droit commercial. D’ailleurs, le législateur lui-même, même s’il ne l’a pas légalement déterminée, lui a toutefois donné, de manière indirecte, une certaine « personnification ». Par exemple l’article 26 de la loi du 25 janvier 1985, devenu article L.621-16 du Code de commerce, évoque l’idée de la conservation « des droits de l’entreprise ». L’article 27 de la même loi, devenu L.621-18 toujours du même Code, quant à lui, parle de l’inventaire et de l’apposition des scellés « des biens de l’entreprise ». Il existe une discipline qui est allée plus loin, et qui a tout simplement donné à l’entreprise un statut de véritable sujet de droit. Il s’agit du droit communautaire de la concurrence qui érige purement et simplement l’entreprise comme un véritable sujet de droit, en le jugeant digne d’être titulaire de droits256. Or, en droit, il est notoirement connu que seuls des sujets de droit peuvent être titulaires de droits ou de biens. Ces textes ci-dessus, même s’ils relèvent d’un autre domaine que les fusions et les scissions, ne s’en trouvent pas moins porteurs d’une signification profonde, celle de la preuve de la consécration législative de la notion d’entreprise, de la place qui lui revient.

156. L’entreprise, un sujet de droit- Par ailleurs, nous pensons qu’il convient de se faire une analyse réaliste de l’entreprise. En d’autre termes, au travers de tout ce qui précède, on devrait se faire une perception pragmatique257 de l’entreprise qui la révèle, certes, beaucoup plus comme une réalité économique que juridique. Mais, pour autant, le juridique n’est pas totalement absent. Et dans cette perception pragmatique, l’idée d’une personnification de l’entreprise n’est pas totalement absente, contrairement à ce qu’on voudrait faire croire258. D’ailleurs, le législateur, lui-même, la considère indirectement comme un sujet de droit259. Ceci montre, un certain pragmatisme chez le législateur qui, même s’il ne le dit pas officiellement, reconnaît tout de même à l’entreprise la place qui lui revient de droit. Aussi,, au lieu de continuer de spéculer sur la recherche d’une définition

255 V. notamment COQUELET, op.cit.

256 V. ARCELIN L., « Notion d’entreprise en droit interne et communautaire de la concurrence », Juris-cl. Commercial,

concurrence-distribution, fasc. 35, n° 3 cité par Sophie ALMA-DELETTRE, L’entreprise, cadre de protection de l’emploi, Droit Ouvrier-juillet 2002, p. 337.

257 On retrouve cette même perception pragmatique de la notion d’entreprise au niveau du droit de la concurrence. En

effet cette branche du droit des affaires, de l’avis d’une certaine doctrine, est indifférente aux structures juridiques. Pour le droit de la concurrence, « est une entreprise toute entité, quelque soit son statut : Voir MALAURIE-VIGNAL Marie, Droit de la concurrence,2è éd. Armand Colin, 2003, p. 47, n° 82.

258 Cf. COQUELET, op. Cit.

juridique de l’entreprise260, il conviendrait, à notre avis, d’adopter un comportement in

concreto. Le juriste ne devrait-il pas, dans un souci d’être logique avec lui-même et

efficace dans ses analyses et constructions juridiques, se baser avant tout sur la réalité socio-économique dans laquelle il vit ? Le droit, a t-on coutume de dire, est un fait social. Un auteur261, au travers d’une analyse pragmatique, voit en l’entreprise une entité juridique autonome. Pour cet auteur, l’entreprise262 est nécessairement une entité juridique autonome mais non personnifiée. Elle constitue un ensemble homogène économiquement important qui mérite d’être sauvegardée. C’est par cette analyse pragmatique que le Professeur SERLOOTEN a, lui aussi, reconnu l’existence juridique de l’entreprise263. Reconnue

comme étant, dans une certaine mesure, sujet de droit, il est normal que les contrats en cours subissent le même sort que celui de l’activité sociale. Celle-ci étant transmise, du fait de la fusion ou de la scission, rien n’empêche, par principe, que les contrats rattachés à cette activité soient, à leur tour, transmis à la société bénéficiaire. Aussi, peut-on se demander, dans ces conditions, pourquoi cette insistance de vouloir toujours refuser à l’entreprise sa véritable place ?

157. Explications du refus de reconnaître à l’entreprise la qualité de sujet de droit- On ne peut comprendre cette attitude de la doctrine dominante à vouloir dénier à l’entreprise ce rôle de sujet de droit dans la transmission patrimoniale, sous prétexte qu’elle n’ait pas de définition juridique. Il faut se rappeler, en effet, que la France, contrairement à

260 Il faut savoir que la tentative de définition juridique de l’entreprise est constante en doctrine : CATALA, L’entreprise

in Traité de droit du travail, Dalloz 1980, p.3 ; DESPAX, L’entreprise et le droit, LGDJ, 1957 ; DIDIER, Esquisse de la notion d’entreprise, Mélanges Voirin, p.66 ; FRIEDEL, A propos de la notion d’entreprise, Mélanges Roblot, LGDJ, 1984, p. 97 ; LAMBERT, Introduction à l’examen de la notion juridique d’entreprise, Mélanges KAYSER, Aix 1979, t. 2, p. 77 ; LE CANNU, La notion juridique d’entreprise : Petites affiches 14 mai 1986, p. 19 ; DURAND, La notion juridique de l’entreprise, in Trav. H. Capitant, t. III, D. 1947.45 ; R. SAINT-ALARY, Essai sur la notion juridique d’entreprise agricole, RTD civ. 1948.129 ;etc.

261 V. SAINT-ALARY-HOUIN C., Variations sur le plan de cession d’une entreprise en difficulté, Mélanges Claude

CHAMPAUD, p. 544.

262 Ce raisonnement même s’il a été tenu dans le cadre du droit des procédures collectives, est aussi valable pour le droit

des fusions et des scissions.

263C’est en analysant la nouvelle loi sur les entreprises en difficulté, que le Pr. SERLOOTEN s’est interrogé sur la

reconnaissance de l’entreprise en tant que sujet de droit, étant donné que jusque-là elle était considérée comme objet de droit. Il établit alors un parallèle entre les dispositions de la loi du 25 janvier 1985 et celles de la loi du 11 juillet 1985, qui a créé l’EURL. Il en constate que le législateur a indifféremment utilisé les termes d’entreprise et ceux de débiteur. De ce constat, l’auteur conclut et reconnaît que l’entreprise est désormais un sujet de droit : V. P. SERLOOTEN, L’entreprise pendant la période d’observation, Ann. Univ. Sc. Soc. 1986, p. 27. D’autres auteurs ont également, à leur tour, tiré la même conclusion. Ils partent du constat qu’on remarque que de plus en plus nombre de législations sont axées sur l’entreprise. Pour eux, ces diverses législateur, loin de se limiter à décrire l’entreprise, lui permettent au contraire d’accéder à la reconnaissance juridique qui lui manquait. L’entreprise devient, dès lors, un sujet de droit en abandonnant son statut d’objet de droit : V. notamment P. LE CANNU, La notion juridique de l’entreprise, P. A., 14 mai 1986, p. 19 et s ; DERRIDA-GODE-SORTAIS, Redressement et liquidation judiciaires des entreprises, Dalloz, 3è éd., 1991, n° 6.

d’autres nations264, est un pays où l’écrit occupe une place importante tant dans la conception que la rédaction du droit. On comprend, alors, que les individus se trouvent désemparés devant une situation non définie par les textes. Et, c’est le cas de la notion d’entreprise. Un auteur faisait, en ce sens, un constat pertinent en écrivant que : « …nous

sommes dans un pays de droit écrit et nous avons besoin d’un "guide" textuel265 ». Or, il

est, aujourd’hui, nécessaire pour les juristes d’avoir une vision différente, une vision qui soit conforme à l’évolution de l’environnement socio-économique qui les entoure. Le droit des affaires n’est-il pas un droit dont une partie essentielle vient de la pratique ? Et c’est vrai qu’il est opportun, dans un domaine particulièrement évolutif que l’est le droit des affaires d’avoir, à propos de l’entreprise, une vision beaucoup plus pragmatique266. M. MERCADAL disait à ce propos : « bien qu’elle (entendre par là l’entreprise) ne soit pas

une personne juridique, l’entreprise est incontestablement prise par les diverses dispositions qui s’y réfèrent comme une entité autonome correspondant à une réalité juridique »267. Ceci explique, semble-t-il, le fait que la jurisprudence ait une approche de la cession judiciaire d’entreprise qui échappe au droit commun de la vente268. On peut donc dire que l’entreprise est susceptible d’être considérée comme un fondement à la transmission universelle des contrats dans les opérations de fusion et de scission comme elle l’est d’ailleurs dans le cas du redressement judiciaire. L’entreprise étant perçue par le législateur comme une entité tant économique que sociale et juridique à préserver.

158. Prise en compte par le droit de la notion de l’entreprise- Il faut rappeler que la notion d’« entreprise » est restée longtemps ignorée des spécialistes en droit. La notion ne s’est véritablement imposée, comme concept juridique, qu’après la deuxième conflagration mondiale, le courant tant doctrinal, jurisprudentiel que législatif qui l’a consacré étant connu sous le nom d’ « École de Rennes »269. Au plan doctrinal, la paternité du concept revient à Paul DURAND dont les idées s’inscrivent dans celles du doyen RIPERT et du Professeur DESPAX. La thèse de celui-ci, soutenue en 1957, est d’ailleurs intitulée « L’entreprise et le droit ». La doctrine de l’ « Ecole de Rennes » a ainsi pendant

264 Il s’agit des pays de droit anglo-saxon.

265 V. SOINNE Bernard, L’ « entreprise » et les lois de 1984 et de 1985, Rev. proc. Coll., n° 4, mars 2000, p. 12. 266 V. SOINNE B., op. cit., p. 12.

267 MERCADAL, « La notion contemporaine d’entreprise », in Mélanges offerts à J. DERRUPE, p. 12. 268 Cf. SAINT-ALARY-HOUIN C., op. cit., p. 546.

longtemps milité pour la reconnaissance de l’entreprise270. CHAMPAUD disait dans ce sens : « l’entreprise existe. La cécité, la mauvaise foi ou l’ignorance, pas plus que les

arguties ou les ratiocinations, ne sauraient ni la créer, si elle n’existait pas, ni la supprimer si elle existe271. » Et, aujourd’hui son appel semble être entendu puisque, outre

les divers textes qui érigent l’entreprise au rang de sujet de droit, les juges, non plus, ne sont pas en reste. En droit communautaire, par exemple, une jurisprudence constante de la Cour détermine l’entreprise comme « toute entité, indépendamment de sa forme juridique

et de son mode de financement, qui exerce une activité économique 272». Ceci, encore une

fois, que l’entreprise est véritablement un sujet de droit.

159. Pérennité de l’entreprise et continuation des contrats- L’entreprise étant un nœud de contrats, on ne peut vouloir la « sauvegarder », la « développer » ou la

« transmettre » sans préserver au préalable ses instruments juridiques par excellence que

constituent les contrats. Ainsi, l’impératif de sauvegarde de l’entreprise, au travers de son développement et de transmission, et la préservation des contrats sont donc inséparables. En définitive, la continuité de l’activité économique, comme celle de la personne de l’entité dissoute, fonde aussi la préservation des contrats en cours dans le cadre de la transmission universelle du patrimoine. La question, dès lors, serait de savoir quels sont les critères de transmission universelle des contrats dans le cadre du droit des fusions et des scissions.

270 Certains ont même commencé à parler d’« analyser le comportement juridique de l’entreprise », LEDOUBLE préc.,

p. 4.

271 Cf. CHAMPAUD op. Cit., p. 42.

272 V. CJCE, 23 avril 1991, HÖFNER, aff. C. 41/90 : Rec. CJCE, p. I-1979; CJCE, 21 septembre 1999, Albany

Outline

Documents relatifs