• Aucun résultat trouvé

L’absence de statut de tiers chez la société bénéficiaire en droit des fusions et des scissions

SECTION II L’EXCLUSION PRINCIPIELLE DU CONSENTEMENT DU COCONTRACTANT A LA CONTINUATION DU CONTRAT

II. L’absence de statut de tiers chez la société bénéficiaire en droit des fusions et des scissions

252. La notion de tiers- Si le cessionnaire d’un contrat est obligé d’être agréé par le cédé, pour que la continuation du contrat soit efficace, c’est parce qu’il représente un tiers au regard du cédant. Mais, que signifie cette notion ? En donnant un « coup de torche » aux dispositions du Code civil, pour reprendre l’expression du Professeur Christian GAVALDA, on constatera que seuls quelques textes évoquent cette notion sans la définir412. C’est donc la doctrine qui a tenté de la cerner. Sans entrer dans les débats doctrinaux413, on admet que le véritable tiers est celui qui serait totalement étranger au contrat ou à l’une des parties414, c’est-à-dire l’ayant cause à titre particulier. Ce qui n’est pas le cas de la société absorbante, ayant cause universel.

253. La société bénéficiaire, ayant cause universel- Il faut peut être rappeler que l’ayant cause universel ou à titre universel représente le successeur de l’une des parties au contrat, décédée ou dissoute. A ce titre, le successeur, personne physique a vocation à recueillir l’ensemble du patrimoine de son « auteur » dont il continue la personne, et cela, en vertu d’une fiction légale. La personne morale bénéficiaire, elle aussi, en tant que successeur, recueille le patrimoine de la société dissoute. Au même titre que l’héritier, elle est également censé continuer la personne de l’entité dissoute415 en vertu de la même fiction légale. Toutefois, au regard de la spécificité du sujet de droit disparu, la société bénéficiaire est censé en outre continuer celle dissoute, en vertu d’une certaine réalité, en l’occurrence l’activité sociale recueillie. Aussi, continuateur tant de la personne que de l’activité de l’entité dissoute, l’ayant cause universel que représente la société bénéficiaire, dans le cadre des fusions et des scissions, ne saurait être identifiée à un tiers.

412 C’est notamment le cas des articles 1120, 1121 et 1122 du Code civil.

413 V. notamment C. GUELFUCCI-THIBIERGE, De l’élargissement de la notion de partie au contrat…à l’extension de

la portée du principe de l’effet relatif, RTD civ. 1994, p. 275 ; J.-L. AUBERT, A propos d’une distinction renouvelée des parties et des tiers, RTD civ. 1993, p. 263 ; F. BERTRAND, L’opposabilité des contrats aux tiers, thèse Ronéot, Paris II, 1979 ; J. LIMPENS, De l’opposabilité des contrats à l’égard d’un tiers, Contribution à l’étude de la distinction entre les droits réels et personnels, in Mlges Roubier, t. 2, p. 89.

414 V. Ph. MALAURIE et L. AYNES, Obligations, t. 2, op. cit., p. 238, n° 397. 415 V. infra n° 126 et s.

254. La société absorbante n’est pas un tiers- Contrairement au cessionnaire, la société absorbante est bénéficiaire, non pas d’un bien déterminé, mais au contraire, d’une dévolution globale d’un patrimoine, c’est-à-dire d’une universalité. Si la cession permet à un tiers de devenir partie à un contrat, la transmission universelle de patrimoine, elle, implique une certaine continuation de la qualité de contractant. Ce qui n’est pas la même chose. Acquérir une qualité et continuer celle-ci constituent deux choses distinctes. En effet, dans le cadre de la cession, la poursuite de la qualité de contractant se fait avec discontinuité, caractérisée par la création d’un nouveau contrat entre le cédant et le cessionnaire. En revanche, dans le cas de la transmission universelle de patrimoine, la poursuite du contrat s’opère sans discontinuité. Car, la société bénéficiaire, est continuatrice de plein droit de la société absorbée : c’est l’essence même de ce mode de transmission originale qui est à la fois globale et simplifiée. A ce titre, elle n’apparaît pas comme tiers au contrat, mais comme partie, car elle continue cette qualité de la société absorbée, figurant dans le patrimoine reçu. C’est dire donc que l’ayant universel, dont notamment la société bénéficiaire en l’espèce, « est assimilée à la partie qu’elle

continue416 ». Dans sa brillante thèse, portant sur « le tiers à l’acte juridique 417», M.

Philippe DELMAS SAINT-HILAIRE faisait aussi remarquer que les ayants cause universels ne sont pas des tiers et que, par conséquent, ils continuent les contrats signés par leur auteur. La société bénéficiaire n’étant pas tiers, la continuation de plein droit du contrat exclut, par principe, toute consultation du cocontractant. Cette analyse est à la fois conforme au principe de la transmission universelle qu’à l’évolution du droit commun en général.

255. Mutation du droit commun- En effet, la détermination de la portée d’une convention, à notre avis, ne devrait pas qu’uniquement tenir compte des seules personnes présentes au moment de sa création. Le mandant, par exemple, est obligé par le contrat parce qu’il en est partie alors même qu’il n’était pas présent à sa conclusion. Autrement dit, en dépit de son absence physique pour échanger son consentement avec le cocontractant, il n’est pas pour autant considéré comme un tiers. Ceci montre à quel point, il est aujourd’hui erroné de se placer au jour de la formation d’un contrat pour déterminer sa portée. La même conclusion est tirée par une certaine doctrine autorisée qui affirmait, à juste titre, qu’ « il ne suffit pas de se placer au moment de sa conclusion et de désigner

416 V. Ph. MALAURIE et L.AYNES, ouvrage préc., p. 239, n° 399.

comme parties les personnes qui échangent leur consentement, et comme tiers toutes les autres418 ». Elle propose ainsi de se placer au moment où la convention produit ses effets

pour déterminer qui sont réellement parties et tiers. Les qualités de tiers et de parties étant des notions extrêmement variables, un auteur a même proposé de revoir leur distinction, qui est devenue, selon lui, classique419. C’est dans cette optique que le Professeur Jacques GHESTIN proposait de considérer que « sont parties toutes les personnes liées avec leur

consentement effectif, quels qu’en soient la forme ou le moment, par les effets obligatoires du contrat. Sont tiers toutes les autres personnes y compris celles qui sont liées par les effets obligatoires du contrat dès l’instant où elles n’ont pas consenti à cet effet obligatoire »420.

256. On remarque, en définitive, que la notion de tiers autant que celle de partie a évolué. La partie contractante n’est plus seulement la personne qui est intervenue au jour de la conclusion du contrat. Que cette qualité est aussi valable pour certaines personnes intervenant au stade de l’exécution du contrat. C’est particulièrement le cas de l’héritier qui continue le contrat figurant dans le patrimoine recueilli et qui, par conséquent, ne saurait, être considéré comme un tiers. Il en est de même de la société, bénéficiaire d’une transmission universelle de patrimoine, suite à une fusion ou scission. Tous les deux, continuateurs de la personne disparue, sont, par principe, assimilés à des parties. Par conséquent, la société absorbante ou nouvelle, ayant cause universel, continue de droit les contrats figurant dans le patrimoine reçu, et cela, sans qu’il soit nécessaire de requérir, par principe, l’accord du cocontractant. Si les contrats de la société absorbée sont de droit destinés à se poursuivre, cela n’en invite pas moins à s’interroger sur les effets de cette règle de continuation des contrats.

418 V. Ph. MALAURIE et L. AYNES, op. cit., p. 238, n° 398.

419 V. J.L. AUBERT, A propos d’une distinction renouvelée des parties et de tiers : RTD civ. 1993, p. 263.

420 V. J. GHESTIN, Nouvelles propositions pour un renouvellement de la distinction des parties et des tiers : RTD civ.

Conclusion du chapitre II :

257. La question de l’ « utilité » du contrat en cours révèle l’une des différences de cette notion en droit des fusions et des procédures collectives. Dans la première matière, la seule caractéristique qui vaille du contrat en cours est, assurément, celle de la persistance de l’existence d’obligations à la charge des parties au jour de l’opération de fusion ou de scission. On peut donc remarquer que la notion de contrat en cours s’identifie, ici, à celle du droit commun. Elle se distingue de celle appliquée en droit des procédures collectives. Dans cette matière-ci, la seule persistance d’obligations ne conduit pas forcément à prendre en compte le contrat en cours dans toute son ampleur. Encore, faudra-t-il que l’administrateur veuille le continuer et ce dans l’hypothèse où ce contrat présenterait un intérêt pour la sauvegarde de l’entreprise. Cette faculté réservée à l’administrateur, en droit des procédures collectives, fait défaut à la société bénéficiaire en droit des fusions et des scissions, caractérisées par le principe de la transmission universelle de patrimoine. Il en résulte donc qu’en droit des procédures collectives, contrairement au droit des fusions et des scissions, la mise en œuvre de la notion de contrat en cours conduit, dans une certaine mesure, à méconnaître des droits nés de la convention dont le cocontractant aurait pu s’en prévaloir. Ceci se comprend aisément, car en procédures collectives, le contrat en cours continué s’entend du contrat nécessaire à la sauvegarde de l’entreprise.

Outline

Documents relatifs