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De la consécration législative de l’importance de l’entreprise

SECTION II DU FONDEMENT DE LA RÈGLE DE LATRANSMISSION UNIVERSELLE DE PATRIMOINE

A. De la consécration législative de l’importance de l’entreprise

150. Du rôle essentiel de l’entreprise- Reconnaissant le rôle important que joue l’entreprise, en tant qu’acteur de la vie économique et sociale, le législateur a décidé, dès lors, à notre avis, de lui accorder une certaine attention. Et celle-ci se traduira, de manière synthétique, au travers de trois grandes lois. Les deux premières furent les lois n° 84-148 du 1er mars 1984243, relative à la prévention et au règlement amiable des difficultés des

240 V. DESPAX M., L’entreprise et le droit, thèse Toulouse, LGDJ, 1956, p. 56. Pour le droit social, l’entreprise est un

groupement de travailleurs exerçant une activité commune sous l’autorité d’un même employeur. De cette définition, on peut remarquer que plusieurs sociétés juridiquement distinctes peuvent, au regard du droit social, constituer une seule entreprise commune. Le droit comptable a, lui, voulu définir l’entreprise d’une manière plus réaliste. Ceci a abouti à une vision, à notre avis, simpliste. En effet, selon le droit comptable, l’entreprise n’est rien d’autre qu’un ensemble d’éléments patrimoniaux d’actif et de passif. Ainsi, si pour le droit du travail l’entreprise est une collectivité humaine, elle est, pour le droit comptable, un ensemble patrimonial.

241 Cf. Cl. CHAMPAUD, « Le pouvoir de concentration des sociétés par actions », Sirey, 1967 et J. PAILLUSSEAU,

« La société anonyme, technique juridique d’organisation de l’entreprise », Sirey, 1967.

242 On peut ainsi constater que le droit communautaire et le droit interne de la concurrence n’ignorent pas la notion

d’ « entreprise ». Le premier, par exemple, vise de manière explicite dans les articles 81 et 82 du Traité de Rome, le comportement d’ « entreprises » et non pas de sociétés. Quant au droit interne de la concurrence, dans le cadre de la réglementation relative à l’abus de position dominante, ce n’est pas la notion de société qu’elle retient mais, au contraire celle d’entreprise.

entreprises et n° 85-98 du 25 janvier 1985, relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises244. Et la troisième loi sera celle du 5 janvier 1988, relative au développement et à la transmission des entreprises, loi qui a, par ailleurs, réformé et modernisé le régime juridique des fusions et scissions. Le premier constat que l’on pourrait faire et qui constitue le dénominateur commun de ces lois, c’est qu’elles ont toutes pour objet ou disons pour finalité, l’entreprise. En effet, l’entreprise représente leur épicentre. On constatera également que l’émission de toutes ces lois n’est pas accidentelle et donne l’occasion d’une conception renouvelée de la notion d’entreprise. Toutes ces lois ne parlent pas de sociétés mais, au contraire de l’« entreprise ».

151. Les traductions législatives de l’importance de l’entreprise- Prenons tout d’abord la loi du 1er mars 1984. Elle constitue un corps de règles, comme d’ailleurs son décret d’application, qui ont pour objet non pas un individu, un débiteur, mais bien l’entreprise dont il faut prévenir les difficultés ou les régler, et ce, de manière amiable. On voit ainsi le souci de protection qui anime le législateur vis-à-vis de l’entreprise. Ce même souci se retrouve au niveau de la loi du 25 janvier 1985. Ici, il ne s’agira plus de prévenir ou de régler amiablement les difficultés de l’entreprise mais, traiter celles-ci. Ce traitement aura pour but d’aboutir à la sauvegarde de l’entreprise. Il convient de remarquer que ce n’est pas toujours que la prévention ou le règlement amiable réussissent ; dès lors que faudra-t-il faire en cas d’échec des remèdes prescrits par la loi du 1er mars 1984 ? Devra-t- on en conclure et admettre que l’entreprise est condamnée avec tout ce que cela comporte comme conséquences économiques et sociales désastreuses ? Le législateur a, par cette loi du 25 janvier 1985, répondu négativement. Pour lui, tout doit être fait pour sauver l’entreprise245. Et cette ambition est annoncée dès l’article 1er alinéa 1 où il est mentionné que cette loi a pour objectif de permettre « la sauvegarde de l’entreprise (…) ». Une telle affirmation de volonté du législateur nous autorise à rappeler la situation antérieure.

152. Prise de conscience de l’intérêt de l’entreprise- Avant la loi de 1985, le but premier, en cas de cessation de paiements, c’était de protéger les intérêts de ceux qui ont apporté leurs capitaux à l’entreprise, c’est-à-dire les créanciers. L’intérêt du débiteur, en d’autres termes de l’entreprise, était relégué au second plan. Ce qui aboutissait à la

244 Cette loi, il faut le préciser, résulte d’une importante refonte du droit de la faillite symbolisée par la loi n° 67-563 du

13 juillet 1967 et de l’ordonnance du 23 septembre 1967.

245 Mentionnons que la loi du 25 janvier 1985 résulte d’une profonde refonte du droit de la faillite que symbolise la loi

liquidation de la plupart des entreprises avec son corollaire de conséquences sociales246, économiques247 et nationales248. C’est pourquoi à l’époque on parlait beaucoup plus de

« droit de la faillite ». Désormais, sous l’empire de la loi nouvelle, l’intérêt de l’entreprise

passe en premier249. Il s’agit comme nous l’avions déjà relevé de sauvegarder celle-ci. L’intitulé même de cette loi est assez parlant puisqu’il commence par le mot « redressement…de l’entreprise » ? C’est pourquoi, lorsqu’une entreprise fait l’objet d’une ouverture de procédure de redressement judiciaire, il est défendu de payer les créances antérieures et que les contrats en cours sont également maintenus. En incluant la continuation des contrats en cours, le législateur sait plus quiconque que ceux-ci participent de l’essence même de l’entreprise, c’est-à-dire de son activité. Sans contrats, pas d’activité et, donc, pas d’entreprise. Mieux, dans le cas d’une entreprise en difficulté, sans continuation des contrats en cours, seront compromis tant le maintien de l’activité sociale et de l’emploi que l’apurement du passif, qui constituent les trois finalités hiérarchisées que comporte la loi du 25 janvier 1985250. Ceci dénote de la prééminence accordée par le législateur à l’ « acteur » économique qu’est l’entreprise ainsi que la marque de l’orientation du droit des faillites vers un droit économique des entreprises en difficulté251. Car une entreprise qui disparaît est susceptible, avec ses conséquences économiques néfastes, de se traduire en drame social252.

153. Interdépendance et continuité de l’entreprise et pérennité des contrats- Or, la sauvegarde de l’entreprise et le maintien de son activité sont synonymes de sauvegarde de ses relations contractuelles, fussent-elles marquées d’intuitus personae, comme les contrats de crédit253. L’importance de l’environnement contractuel pour l’entreprise n’est plus à démontrer254. Il faut dire qu’elle acquiert non seulement très souvent son siège social grâce à un contrat, le contrat de bail, mais qu’elle se finance et s’approvisionne également par des instruments juridiques que sont les contrats. Par ailleurs

246 Notamment les licenciements du personnel.

247 Car entraînant par exemple la disparition d’unités de production et de distribution.

248 Il faut souligner que ces conséquences sociales et économiques ne sont pas sans influence sur l’ordre public.

249 Ce souci de toujours prendre en compte l’intérêt de l’entreprise se révèle encore aujourd’hui avec la nouvelle loi sur

les procédures collectives qui est en examen devant le parlement.

250 Il faut préciser à cet effet que la réforme apportée par la loi n°94-475 du 10 juin 1994 n’a en rien modifié les trois

finalités qui restent toujours les axes autour desquels se coordonne le droit des entreprises en difficulté.

251 V. F. AUBERT, « Les finalités des procédures collectives » in Dialogues avec M. JEATIN, p.371, Dalloz, 1999. 252 L’actualité du mois de janvier 2003 est riche en exemple, en l’occurrence les fermetures des usines « Métaleurop » de

Noyelles-Godault qui avait 830 salariés et l’usine « Daewoo-Orion » qui, elle, employait 550 personnes. On peut rappeler qu’à son temps la presse audio-visuelle avait parlé de « drame social » concernant la fermeture de ces usines.

253 V. les deux arrêts de la chambre commerciale que voici : Banque 1988.96 ; RTD Com. 1988.97 254 Cf. D. LEDOUBLE, « L’entreprise et le contrat », thèse, Litec, 1980, Bibl. dr. ent., t.II.

ses rapports avec la clientèle sont encore une fois gérés par des contrats. On comprend dès lors le souci du législateur pour la sauvegarde de l’entreprise qui ne peut se faire que grâce à la sauvegarde de ses éléments fondamentaux que sont les contrats, en l’occurrence ceux nécessaires à la continuation de l’activité entrepreneuriale.

154. La réforme du 5 janvier 1988- La troisième intervention législative s’est exprimée au travers de la loi du 5 janvier 1988. Il faut dire que cette loi qui a réformé le régime juridique des fusions et scissions marque le début d’une volonté législative de modernisation du droit des sociétés en France. Il faut par ailleurs signaler qu’elle s’inscrit dans une certaine continuité de la reconnaissance de la place qui revient à l’entreprise. Pour le législateur, celle-ci constitue un maillon capital de l’économie nationale au regard de ses conséquences économiques et sociales navrantes qu’elle peut engendrer lorsqu’elle est sujette à difficultés. D’où l’impératif de promouvoir sa pérennité. On peut remarquer à ce propos le caractère révélateur de l’intitulé de la loi. La loi du 5 janvier 1988 s’intitulait, en effet, loi relative « au développement et à la transmission des entreprises ». Or, comment peut-on imaginer faciliter le développement et la transmission de l’entreprise tout en la privant de ses éléments essentiels que constituent les contrats. En effet, ceux-ci constituent les instruments juridiques et les moyens par lesquels elle naît, s’exprime et se développe. La survie ou le développement d’une entreprise passe par le maintien de son environnement contractuel. La transmission d’une entreprise s’opère donc avec l’ensemble des contrats en cours à son actif. Le contrat, pourrions-nous dire, est ici aperçu comme un bien essentiel de l’entreprise qu’il convient de préserver. Il en constitue sa moelle épinière. Donc sauvegarder la pérennité de l’entreprise revient nécessairement à sauvegarder son environnement contractuel. Ce qui a d’ailleurs amené le législateur à imposer expressément la continuation des contrats en cours, en affirmant, explicitement, la transmission du patrimoine de la société absorbée tel qu’il est à la date de la réalisation définitive de l’opération.

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