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SECTION I DE LA NOTION DE LA TRANSMISSION UNIVERSELLE DE PATRIMOINE

I. La notion de patrimoine social

87. Précision préliminaire- Dans les développements qui suivront, il s’agira, non pas de parler de la philosophie ou de l’histoire du patrimoine mais, de dire ce qu’est, en fait, le patrimoine de la société. En d’autres termes ses différentes composantes. L’expression « patrimoine » provient du latin patrimonium127. C’est une notion largement usitée. Ainsi entend-on parler de patrimoine génétique, patrimoine moral, patrimoine culturel ou encore patrimoine mondial de l’humanité. Mais, au fait que recouvre cette notion ? Le patrimoine est parfois défini comme l’ensemble des biens et obligations qui appartiennent à une personne physique ou morale, d’où l’appellation de biens patrimoniaux par opposition aux biens extrapatrimoniaux.

88. Signification du patrimoine- Le patrimoine stricto sensu, objet de notre analyse, sera celui relevant du domaine économique et non du domaine physique ou psychique de la personne caractérisé par son aspect d’extrapatrimonialité. Et cette coloration économique du patrimoine se révèle par le truchement de certaines dispositions légales128. Elle se retrouve également exprimée chez un certain nombre d’auteurs129. Dire

126 Paul DURAND, Préface à La tendance à la stabilité du rapport contractuel, L.G.D.J 1960. 127 V. SERIAUX A.,

128 V. par exemple les articles 1844-4, al.2 et 1844-5, al.3.

129 « On appelle patrimoine l’ensemble des droits et des charges d’une personne appréciables en argent, envisagé comme

formant une universalité de droits » : M Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, t.3, les biens ; « Le patrimoine est l’ensemble des droits et des obligations d’une personne qui ont un caractère économique et pécuniaire » : G. Marty et P. Raynaud, Droit civil, t.1, Introduction générale à l’étude du droit, 2è éd. Sirey, 1972, n°287 ; « Le patrimoine est l’ensemble des droits et des obligations d’une personne qui sont appréciables en argent » : P. Robino, Rép. Civ. Dalloz v° Patrimoine, n°1.

que la société personne morale dispose d’un patrimoine, c’est reconnaître qu’elle est propriétaire de l’ensemble des biens apportés par les associés ainsi que de ceux qu’elle a acquis après sa constitution. Et sur cet ensemble de biens, les associés n’y ont aucun droit direct. D’où l’idée selon laquelle le droit de l’associé sur le patrimoine social n’est qu’un bien meuble alors même que la société possèderait des immeubles130.

89. Le patrimoine : une universalité juridique- - Les éléments du patrimoine forment un tout. Ils sont liés entre eux et, constituent à ce propos ce qu’on appelle, généralement, une universalité juridique. Ils sont reliés entre eux par un lien de cohésion fondé sur la personnalité du titulaire du patrimoine d’après la théorie d’Aubry et Rau. Pour ces auteurs, le patrimoine, en tant qu’universalité, est une émanation de la personne131. Si pour les personnes, il ne fait aucun doute que le patrimoine est attaché à la personne, il est permis, aujourd’hui, d’en douter s’agissant des personnes morales, plus particulièrement encore des sociétés commerciales. La théorie personnaliste132 du patrimoine, on le sait, s’oppose à une vision fonctionnelle de celui-ci qui permettrait à une personne ou à un groupement de constituer un ensemble de biens permettant d’atteindre certains objectifs.

90. Le patrimoine d’affectation- Mais, cette théorie, en dépit du respect qu’elle inspire ne correspond pas aujourd’hui à la réalité. Si, le patrimoine est le contenant de droits et d’obligations, on remarquera que les droits et dettes attachés à la personne ne font pas parties du patrimoine. N’entrent dans celui-ci que les biens et dettes pouvant faire l’objet d’une transmission. Et en passant du patrimoine de l’individu à celui de la personne morale alors, l’aspect fonctionnel du patrimoine est mis en évidence. Il s’agit essentiellement pour celle-ci d’isoler une masse de biens pouvant servir à ses propres créanciers mais, aussi et surtout, de constituer le fonds nécessaire à la réalisation des objectifs qui ont présidé à la création de cette personne morale, de cette entreprise. C’est ici d’ailleurs que l’unité du patrimoine prend toute son ampleur. On peut relever que presque tous les contrats de la société participent de sa cohésion patrimoniale. On ne peut concevoir une société qui soit fonctionnelle normalement sans contrat. Pour preuve avant

130 V. art. 529 C. civ.

131 D’où le fait que toute personne a nécessairement un patrimoine même si elle n’a rien comme fortune et, toute

personne n’a qu’un seul patrimoine.

132 Il s’agissant de la théorie qui considère que le patrimoine ne trouve son essence et sa raison d’être que dans la

même sa naissance beaucoup de contrats sont signés à son nom, contrats qu’elle reprendra dès lors qu’elle aura acquis la personnalité juridique. Enlever certains de ces contrats risquerait fort de bouleverser toute l’économie de l’entreprise.

91. Fonction du patrimoine- Rappelons que le patrimoine social est constitué de l’ensemble des biens et droits nécessaires au fonctionnement de l’entreprise. En d’autres termes, de l’ensemble des biens immobiliers et mobiliers, corporels et incorporels lui permettant de réaliser son objet social, dès lors que ceux-ci lui sont affectés. Certes, cette idée d’affectation ne se révèle pas au travers de la lettre des dispositions du Code civil de 1804. Mais, pour autant, cela ne signifie nullement que ce même législateur aurait été forcément contre l’idée fonctionnelle ; par ailleurs, aujourd’hui, le patrimoine n’a plus les mêmes fonctions que celles qui lui ont été attribuées en 1804. En plus, il ne faudrait pas avoir du Code civil une lecture aussi restrictive. Ceci parce que le fondement même du patrimoine social, sa cause, c’est de permettre à la personne morale, notamment la société, de satisfaire ses besoins, de réaliser ce pourquoi elle a été créée. Ce qui d’une certaine manière rejoint la théorie fonctionnelle133. Et ceci n’est pas expressément défendu. A notre connaissance d’ailleurs, nulle part il n’ a été envisagé d’interdire au patrimoine de remplir cette fonction.

Le patrimoine étant caractérisé par la cohésion qu’il établit entre tous les éléments dont il est formé, il est, dès lors, légitime de se demander ce qui adviendrait au cas de disparition du titulaire. Le patrimoine, pour causer son unité, a été considéré comme une émanation de la personne, analyse chère à Aubry et Rau. Son unité n’est donc autre que celle du sujet des droits et des obligations134.

92. Dissolution de la société absorbée ou scindée- Lorsqu’une personne morale est dissoute, s’impose logiquement la liquidation de son patrimoine135 par un partage de l’actif réalisé entre ses membres, et ce, après avoir désintéressé les créanciers. C’est la solution qu’exige le droit commun136 dont on peut se demander si elle est transposable aux cas des fusions et scissions ? Même si la logique juridique veut qu’on y réponde

133 On retrouve d’ailleurs, ce même aspect des choses chez la personne physique. En effet, le patrimoine de celle-ci a

pour but essentiel de lui permettre de satisfaire aussi ses besoins.

134 Il faut dire que nous ne partageons pas totalement cette opinion. Car, si la personne est unique physiquement, elle l’est

moins dans ses activités qui sont, par ailleurs, diverses. Une personne peut avoir plusieurs activités sociales, ce qui est plus fréquent lorsqu’il s’agit d’une personne morale.

135 V. article 1844-3 du code Civil.

136 En effet conformément à l’article 1844-8, al. 1, la dissolution d’une société entraîne du coup sa liquidation, exclusion

négativement, il faut dire que pendant longtemps la loi n’a donné aucune réponse satisfaisante. Ce vide juridique a, comme il fallait s’y attendre, entraîne certains auteurs137 par un raisonnement syllogistique138 à une conclusion contraire à la vraie nature des fusions. Ils partent du postulat que toute dissolution d’une société entraînant nécessairement sa liquidation ; que la fusion d’une société n’impliquant pas partage de son actif, c’est-à-dire absence de liquidation ; donc, par conséquent, la société absorbée n’est pas dissoute. Pour ces analystes, la dissolution doit supposer au préalable la liquidation, en d’autres termes le partage de l’actif entre les associés et par suite le paiement des dettes.

93. Absence de liquidation de la société absorbée- Appliquer ce principe, serait contraire à l’esprit du régime juridique des fusions et des scissions et porteur de graves conséquences sur les opérations de restructuration de grande envergure que constituent celles-ci. Cette situation d’incertitude sur fond de danger qui guette ces opérations a tout naturellement poussé le législateur à modifier139 les dispositions en la matière, modification exprimée dans l’article 1844-8 du Code civil. Dès lors, il n’y a plus de liquidation de la société qui fusionne ou qui se scinde. Cet article dispose, en effet, que « la

dissolution de la société entraîne sa liquidation, hormis les cas prévus à l’article 1844-4140 et au troisième alinéa de l’article 1844-5 »141. En combinant les articles 1844-4 et 1844-5, alinéa 3, il est permis de constater que les opérations susmentionnées ne comportent pas de liquidation alors même qu’elles entraînent dissolution d’au moins une des sociétés participantes. Ce qui signifie que lorsque survient une opération de fusion ou de scission, le patrimoine des sociétés en cause n’est pas liquidé mais, au contraire, transmis à la ou aux sociétés bénéficiaires de l’apport : c’est la conséquence du principe de transmission universelle de patrimoine qui découle desdites opérations. Si l’on admet, dès lors, que les fusions et les scissions impliquent transmission universelle de patrimoine. Et par conséquent transfert des contrats des sociétés qui disparaissent aux sociétés bénéficiaires étant donné que ceux-ci constituent un des éléments du patrimoine ; la place et l’importance du contrat au sein du patrimoine social restent posées.

137 CHEMINADE Y., Nature juridique de la fusion de sociétés anonymes, RTD Com. 1970, p.18. 138 C’est nous qui soulignons.

139 Ces modifications ont été apportées par la loi du 5 janvier 1988.

140 L’article 1844-4 dispose que « une société, même en liquidation, peut être absorbée par une autre société ou

participer à la constitution d’une société nouvelle, par voie de fusion.

Elle peut aussi transmettre son patrimoine par voie de scission à des sociétés existantes ou à des sociétés nouvelles ».

141 L’alinéa 3 de l’article 1844-5 dispose : « En cas de dissolution, celle-ci entraîne la transmission universelle du

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