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L’entreprise, facteur de cohésion du patrimoine, vue comme une universalité de droit

SECTION II DU FONDEMENT DE LA RÈGLE DE LATRANSMISSION UNIVERSELLE DE PATRIMOINE

A. L’entreprise, facteur de cohésion du patrimoine, vue comme une universalité de droit

222 En ce sens voir notamment : CHAMPAUD Cl., RTD Com., 1967, p. 527 ; F. WAREMBOURG-AUQUE, « La

succession aux biens des personnes morales de droit privé », thèse préc. Pour la doctrine moderne, ce qui fonde la transmission universelle dans les opérations de fusion et de scission n’est autre chose que la continuité de l’entreprise.

223 Cf. GAZIN H.,“ Essai critique sur la notion de patrimoine dans la doctrine classique“, Thèse Dijon, 1911, p.259-

262 ; TERRE F., « Droit civil : Introduction générale au droit », Précis Dalloz, 2è éd., 1994, n°308, p.268 cités par COQUELET, op. cit.

224 PERCEROU R., « La personne morale de droit privé, patrimoine d’affectation », Thèse, Paris, 1951 ;

141. Proposition d’une définition du rôle de l’entreprise par la doctrine moderne- Pour la doctrine moderne, chercher à définir le patrimoine de la personne morale, en l’occurrence celui de la société commerciale, en prenant comme seule référence la personnalité même du titulaire serait faire preuve d’irréalisme. D’après les auteurs modernes le patrimoine de la société commerciale se définirait plutôt comme un ensemble de biens, droits et obligations dotés d’une certaine vie et ce indépendamment de la personne de son titulaire. Mieux, ces biens et droits seraient réunis entre eux et marqués par la commune affectation au même but économique.

Cette théorie dite objective détache, convient-il de le noter, le patrimoine de la personne de son titulaire, ce qui rompt avec l’analyse des auteurs classiques pour qui, le seul facteur d’unité des éléments patrimoniaux, reste et demeure la personne du titulaire. Avant de rétablir le sens véritable de la théorie objective(2°), exposons, en premier lieu, les griefs qui lui sont reprochés (1°).

1°. Analyse des critiques faites à la théorie objective

142. Des implications de la théorie objective- La naissance de cette théorie n’a pas, comme on s’y attendait, laissé la doctrine classique indifférente. D’abord, certains auteurs225 lui reprochent d’entraîner, dans un premier temps, des conséquences diamétralement opposées à la doctrine classique du patrimoine. Ceci parce que désormais le patrimoine ne se définit plus par rapport à la personnalité du titulaire d’une part et, d’autre part, parce qu’on reconnaît dorénavant à une personne de posséder au moins deux patrimoines226. Il faut dire que cet argument aussi séduisant soit-il n’est pas des plus convaincants s’agissant des personnes morales sociétés commerciales. Les choses ne sont plus ce qu’elles étaient il y a un demi siècle. Il est évident aujourd’hui qu’une personne, même physique, peut avoir au moins deux patrimoines : un qu’on pourrait qualifier de droit commun et un autre professionnel c’est-à-dire lié à l’activité que la personne exerce. Le premier se trouve chez tout individu. On ne peut nier cette évidence. Le droit, faut-il le mentionner, n’est pas un phénomène qui tombe comme par enchantement du ciel. Il n’est pas une création ex-nihilo. C’est un fait social. Le droit naît de la réalité sociale, de la

225 COQUELET, op. cit., p.112.

pratique. Or, c’est une réalité de nos jours qu’une personne, surtout morale, peut posséder un ensemble de biens et droits affectés à une activité donnée. On ne peut de ce fait continuer de déterminer le patrimoine rien que par rapport à la personnalité de son titulaire. Un autre facteur doit nécessairement entrer en ligne de compte. En d’autres termes, le patrimoine peut également être déterminer par la fonction sociale ou économique qui a présidé à sa constitution.

143. Evidence du patrimoine d’affectation- D’ailleurs, la doctrine moderne ne nie pas l’existence d’un certain lien entre patrimoine et la personnalité de son titulaire. Ceci a été relevé par un auteur qui pourtant défend la théorie classique227. Une chose est sûre, c’est qu’une personne ne peut avoir qu’un seul patrimoine général, c’est-à-dire ce qu’on appelle le patrimoine de droit commun, car elle n’a qu’une seul personnalité. Sur ce, nous sommes d’accord avec AUBRY et RAU. A ce propos, les exemples du mineur, du nouveau né qui sont titulaires d’un patrimoine en constituent de parfaites illustrations. Ils possèdent tous les deux un patrimoine, alors même qu’ils n’ont aucun actif ou passif, car ils sont dotés de cette aptitude à être titulaire de droits et débiteurs d’obligations, aptitude qui est liée à la personnalité. Par contre, s’agissant des sociétés commerciales, on ne peut continuer de nier encore aujourd’hui, que les éléments constituant son patrimoine sont plus liés à leur affectation commune qu’à leur personnalité juridique même. Si un contrat de bail, un contrat d’assurances sont conclus par une société, c’est essentiellement dans le but de lui permettre d’exercer son objet social, c’est-à-dire l’activité pour laquelle elle a été créée. De même si elle nouait des relations juridiques avec des fournisseurs, c’est toujours dans le dessein de l’exercice de son activité. On en conviendra qu’il en sera autrement pour le père de famille qui acquiert une maison ou une voiture.

144. De la fronde à l’égard du principe de la continuité d’entreprise, comme fondement de la transmission universelle- Autre critique adressée au principe de la continuité de l’entreprise qui est un corollaire de la première c’est que, semble-t-il, elle autorise, du vivant du titulaire, la transmission de son patrimoine228. A notre avis, ceci n’ a

rien de choquant lorsqu’il s’agit de personnes morales, en particulier des sociétés

227 Mme COQUELET disait : « sans nier totalement les relations que le patrimoine entretient avec la personnalité, les

auteurs du début du siècle ont proposé de le définir comme un ensemble de biens et de droits existant par eux-mêmes, indépendamment de la personne de son titulaire,… », op. cit., n°190, p.112.

commerciales. Prenons, à ce titre, l’exemple d’une société « mère » qui dispose de plusieurs filiales qui, on le sait, constituent de sociétés à part entière. Pourtant, même si cela est juridiquement discutable, on peut dire que ces filiales, détenues à 100 % par la société holding, font tout de même parties du patrimoine de celle-ci229.. Et rien n’interdit à la société « mère » de se séparer d’une partie de son patrimoine, en cédant une de ses filiales. Mieux, c’est qu’une société peut, aussi, directement se séparer d’une partie de son patrimoine en transmettant, par exemple, un de ses secteurs : c’est le cas, en particulier, de l’apport partiel d’actif, expressément reconnu par la loi230. Ces exemples montrent à quel point la personne morale, contrairement à la personne physique, peut tout à fait se séparer d’une partie de son patrimoine, alors même qu’elle n’a pas encore disparu. Ainsi, en dépit du fait que la société mère n’ait pas perdu sa personnalité juridique, c’est-à-dire ne soit pas

« décédée », elle peut tout de même transmettre une quote-part de son patrimoine. Or, ceci

n’est pas concevable chez la personne physique à propos de son patrimoine général. Elle ne peut en aucun cas, de son vivant, transmettre ou céder tout ou partie de son patrimoine puisque celui-ci est lié à sa personne.

Il est, en outre, reproché, à la conception objective d’entraîner comme conséquence logique la révision de l’étendue de l’obligation à la dette dont est tenu le successeur231. Toutes ces critiques, comme nous allons le montrer, sont plus que contestables.

2°. Le rétablissement du sens réel de la théorie moderne

145. Fondement des critiques faites à la théorie objective- Au soutien de toutes les critiques, précédemment citées, la doctrine classique s’appuie sur une argumentation qui, appliquée aux cas des fusions et des scissions, s’avère discutable. Elle affirme que c’est pour éviter à l’héritier d’être tenu ultra vires successionis qu’on a recouru à la succession aux biens et de continuer que, puisque dans la théorie moderne le patrimoine est déterminé, non par rapport à la personne mais, par rapport à l’activité économique exercée. Que par conséquent, cette théorie constitue une succession aux biens ; d’où la conclusion que le successeur est un successeur aux biens qui ne peut être tenu ultra vires mais à concurrence de l’actif reçu232. Ce qui n’est pas vrai dans l’hypothèse des fusions et des

229 Pour preuve, on a l’obligation qui lui est faite d’établir, en une telle hypothèse, des comptes consolidés 230 V. C. Com., art. L.236-22.

231 Cf. COQUELET, op. Cit., p. 112. 232 V. M.-L. COQUELET, op. cit., idem.

scissions. En effet, la société bénéficiaire n’est pas qu’uniquement successeur à la personne233. Elle est également successeur aux biens, en ce sens qu’elle continue une activité transmise. Et ceci n’enlève en rien au fait que le successeur soit tenu ultra vires tant que cela n’a pas été exclu du contrat de fusion ou de scission. Ce n’est pas parce que la société issue desdites opérations n’est pas successeur à la personne que pour autant elle ne sera tenue des dettes de la société disparue qu’à hauteur de l’actif reçu. Étant ayant cause universel, c’est-à-dire bénéficiaire de l’universalité du patrimonial social reçu, elle est également tenue de toutes les dettes, même virtuelles, de la société dissoute sans liquidation. En effet, tant que cette situation n’a pas été clairement spécifiée dans la convention de fusion, l’ayant cause sera tenu de l’ensemble des obligations contenues dans le patrimoine transmis. C’est cela même le principe de la transmission universelle du patrimoine. Il est intéressant de relever, à cet effet, que c’est ce qu’expriment les articles 371, 372-1 et 381 de l’ancienne loi du 24 juillet 1966. N’oublions pas que l’article L.236- 3, alinéa 1er du Code de commerce dispose que la fusion et la scission entraînent la transmission universelle du patrimoine de la société qui disparaît au profit de la société bénéficiaire « dans l’état où se trouve le patrimoine ». Ainsi, le fait que la transmission universelle soit fondée sur la continuité d’entreprise n’enlève en rien à l’étendue de l’obligation de la société bénéficiaire. Et puis, par ailleurs, qui dit transmission universelle, dit transfert global du patrimoine sans distinction a priori et sans limitations tant que celles-ci ne résultent de la loi ou d’une manière expresse de la convention des parties.

146. Nécessité de prendre en compte la spécificité de la personne morale- A notre avis, il serait prudent de ne pas exagérer dans la comparaison entre personne physique et personne morale. Certes, celle-ci a été reconnue ou disons sa personnalité juridique a été calquée sur celle de la première. Mais, cela ne signifie nullement que les deux sujets de droit sont parfaitement identiques. L’entreprise commerciale peut très bien s’analyser comme un patrimoine d’affectation car comportant les caractéristiques requises pour une telle qualification234. Et ce n’est pas pour autant qu’en cas de fusion et de scission, la société bénéficiaire de l’apport ne serait tenue du passif qu’à hauteur de l’actif reçu. Admettre de principe une telle hypothèse dans le cadre des sociétés commerciales

233 Cf. F. WAREMBOURG-AUQUE, op. cit. , n° 229 et s.

234 Il faut dire que le patrimoine d’affectation est la théorie selon laquelle, à l’inverse de celle d’Aubry et Rau, le

patrimoine ne serait pas lié à la personne mais au but auquel il est destiné. L’intérêt de cette théorie, comme on pourrait s’y attendre, est d’autoriser qu’un même sujet de droit puisse avoir plusieurs patrimoines différenciés par la diversité de leurs affectations.

serait contraire au principe de la transmission universelle de patrimoine. M. Guinchard235 ne relevait-il pas, qu’en dehors de l’existence d’une affectation de l’actif et du passif à l’exploitation d’une activité économique, il est permis de constater que l’entreprise génère également un intérêt collectif tant de l’employeur que des salariés qui justifie la nécessaire corrélation entre cet actif et ce passif. Nous désapprouvons ainsi, comme cet auteur, l’analyse selon laquelle l’ayant cause universel n’est tenu des dettes qu’à hauteur de l’actif reçu. Ceci étant contraire à l’essence même de la transmission universelle. Dès lors qu’il y a transmission universelle, le bénéficiaire c’est-à-dire le substituant est tenu de toutes les dettes de la même façon qu’il recueille tout l’actif236. Ce qui est logique puisque le

patrimoine se détermine comme étant l’ensemble des biens, droits et obligations de son titulaire. Aussi, tous les contrats en vigueur au jour de l’opération de fusion ou de scission sont-ils transmis de plein droit à l’ayant cause universel. Celui-ci bénéficiera de tous les droits issus du contrat mais également sera tenu de toutes les obligations contractuelles. Il y va de l’intérêt de la continuité de l’activité de l’entreprise et de celui de son cocontractant.

B. L’entreprise, facteur de cohésion vue comme objet d’organisation des

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