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La résolution administrative des litiges est considérée comme une anomalie

La résolution des litiges est une activité normale de l’administration. Il s’agit d’une fonction courante qui ne méconnait pas les principes de l’organisation du pouvoir. Or, la lecture de la majorité de la doctrine s’intéressant à des manifestations de l’activité contentieuse de l’administration montre, au contraire, qu’elle est considérée comme une situation étrange, une véritable anomalie au sein de l’activité administrative, ayant parfois des effets bouleversants. Ces positions contrastent avec des systèmes juridiques comme celui des États-Unis d’Amérique où la résolution des litiges est considérée comme une

87 Le terme « procès » est traditionnellement réservé à la juridiction.

88 Charles DEBBASCH et Jean-Claude RICCI, Contentieux administratif, op. cit., p.318 et suiv.

89 René CHAPUS, Droit du Contentieux Administratif, 13e éd. op. cit., p. 186 et 400 et suiv. Le professeur CHAPUS

utilise l’expression des recours juridictionnels, op. cit., p. 373.

90 Bernard PACTEAU, Traité de contentieux administratif, op. cit., p. 16.

91 Francesco BOCCHINI, Contributo allo studio del processo amministrativo non giurisdizionale, Edizioni

fonction essentielle de l’administration92. La compréhension des différentes façons d’aborder une bizarrerie (Sous-section 1), demande une analyse des causes des préjugés doctrinales (Sous-section 2) à l’égard de l’activité contentieuse de l’administration.

Sous-section 1. Les différentes façons d’aborder une bizarrerie

L’absence de définition actuelle de l’activité contentieuse de l’administration ne signifie pas qu’il s’agisse d’une situation complètement ignorée par la doctrine. Même s’il n’est pas possible de considérer l’administration contentieuse comme « une de ces routes à

grande circulation doctrinale »93, il existe des auteurs qui, d’une façon plus au moins approfondie, se sont consacrés à l’étude d’une partie de la résolution administrative des litiges. D’une façon générale, les approches adoptées ne sont pas dénuées de préjugés, les conditionnant à la formulation de critiques plus au moins virulentes à l’égard de l’activité contentieuse de l’administration. Les reproches oscillent entre l’inexistence d’un niveau de processualisation équivalent à celui des juridictions les plus protectrices et, l’existence même de fonctions qui, par leur nature, devraient aux yeux de la doctrine, être confiées à des juridictions.

L’acceptation presque unanime de l’exclusion de l’activité contentieuse de l’administration du contentieux oblige à découvrir cette activité avec suspicion. Le règlement administratif des litiges est, dans ce contexte, une méconnaissance du principe moderne de la juridictionnalisation du contentieux, défiant, de façon inacceptable, les bases du système juridictionnel de droit administratif.

Trois procédés d’étude sont classiquement adoptés pour envisager le règlement administratif des litiges : tout d’abord, l’activité contentieuse de l’administration est examinée comme une réminiscence (§1) des époques, aujourd’hui révolues. Ensuite, elle est envisagée comme un facteur de mutation (§2) de la nature de l’autorité l’exerçant. Et, enfin, elle est regardée comme un hybride (§3) indéfinissable par les catégories actuelles.

§1. Comme une réminiscence

La résolution des litiges était une responsabilité courante des administrations monarchiques, françaises94 et espagnoles de la Nouvelle-Grenade95. Cette situation qui ne

92 «(…) ce qui peut s'expliquer soit en raison d'un retard dans le développement historique du droit

administratif et de sa composante justicialiste, (on doit entendre, contentieuse) soit en raison des différentes façons de concevoir l'administration elle-même et dans ses relations avec le pouvoir judiciaire », Barbara

MARCHETTI, Pubblica amministrazione et Corti negli Stati Uniti, Milano, CEDAM, Università di Trento, 2005, p. 276.

93 Jean R

IVERO, Préface à Le pouvoir discrétionnaire, (Jean-Claude VENEZIA), L.G.D.J., 1959, p. I.

94 Pierre LEGENDRE, Histoire de l’administration de 1750 à nos jours, P.U.F. Paris, 1968, 580 p. 277 ; Jean-Louis

MESTRE, «Intendants et contentieux administratif au XVIIIe siècle », Revue administrative, 1, Novembre, 2004,

s’est pas arrêtée à la Révolution de 1789 et qui est devenue très marginale à l’indépendance de la Nouvelle-Grenade96, est, pourtant, entendue différemment après la Révolution.

En France, les fonctions contentieuses de l’administration ont été expliquées par la théorie des administrateurs-juges97 tandis qu’en Colombie, la doctrine n’a pas eu l’opportunité d’adopter une telle théorie car l’influence du constitutionnalisme américain des États-Unis avait emporté l’idée de l’exclusion de la fonction contentieuse de l’administration. Les fonctions contentieuses de l’administration active française, considérées comme juridictionnelles, étaient d’une telle importance qu’il était habituel de réserver à son étude une partie des ouvrages portés sur le droit administratif98.

Or, l’abandon de la théorie des administrateurs-juges99 a été compris, non comme la négation de cette fâcheuse façon d’interpréter l’activité contentieuse de l’administration; mais, comme l’exclusion de l’administration « active » de la fonction contentieuse. Ainsi, le Conseil d’État devient « (…) juge de droit commun en premier ressort en matière

administrative»100. Désormais, deux types de conséquences seront établis : d’un côté, l’établissement d’une obligation générale de l’exercice préalable des recours administratifs tel qu’il existe en Colombie où la théorie de l’administrateur-juge n’a pas existé et est craintivement tenu comme une forme de rétablissement de la figure du « ministre-juge »101. De même, la jurisprudence s’attache à la collégialité des juridictions afin d’éviter de ressusciter le ministre-juge, et, par conséquent, elle nie aussi le caractère juridictionnel aux

95 Eduardo GARCÍA DE ENTERRÍA, « La formación histórica del principio de autotutela », Moneda y Crédito, n° 128,

1974, p. 65.

96 La Colombie a connu, malgré l’indépendance et la formulation de la séparation des pouvoirs, des autorités

administratives disposant des fonctions de résolution des litiges. Notamment, la Constitution de l’État de Tunja de 1881, disposait à l’art 1-2 « du pouvoir judiciaire », que les affaires contentieuses de l’administration seront tranchés en premier ressort par le Gouverneur, sous l’avis de l’intendant gouverneur.

97 Adèle-Gabriel-Denis BOUCHENE-LEFER, « Les Ministres sont-ils juges ordinaires du Contentieux

administratif ? », Revue pratique de droit français, R.P.D.F. 16 avril et 1er mai 1863. 98 M

ACAREL justifie son ouvrage dans le besoin de faire connaître la jurisprudence administrative aux autorités

administratives «( …) investies du pouvoir de juger (…) », Louis-Antoine MACAREL, Éléments de jurisprudence

administrative extraits des décisions rendues par le Conseil d’État en matière contentieuse, 2 vol., t.1, Dondey-

Dupré, Paris, 1818, p. V. Aussi, l’étude des tribunaux administratifs qu’il réalise, inclut-il des autorités administratives, notamment le préfet, le maire et le Ministre : Louis-Antoine MACAREL, Des tribunaux

administratifs, ou introduction à l’étude de la jurisprudence administrative, J.-P. RORET, Paris, 1828, p. 104 et

suiv. De même : Louis Marie DE CORMENIN, Droit administratif, 5e éd. t. I, Gustave Thorel, Paris, 1840, p. 168 et

suiv.

99 Cet abandon a été possible grâce aux revirements jurisprudentiels qui ont démonté le régime juridique sur

lequel se fondait la théorie du ministre-juge. Par exemple, le Conseil d’État admet le recours omisso medio la décision du Ministre, lorsque la décision ministérielle a été rendue par défaut : C.E.f. 21 mai 1852, Compagnie

française de filtrage, Rec. Mac. 1852, p. 171 ; 5 janvier 1854, Couret, Rec. Leb., 1854, p. 13 ; 10 déc. 1857, Martin et Bastide, Rec. Leb. 1857, p. 802 ; 4 fév. 1858, Frèche, Rec. Leb. 1858, p. 107. Dans ces espèces une

décision unilatérale du Ministre aurait du être contesté directement sans l’obligation de « première instance » ministérielle. De même, la jurisprudence admet que les décisions ministérielles ne doivent pas être objet d’opposition, lorsqu’elles ont été rendues par défaut, ce qui aurait confirmé son caractère juridictionnel : C.E.f. 20 fév. 1880, Carrière, Rec., p. 187, concl. GOMEL.Ce processus a atteint son sommet par l’arrêt Cadot : C.E.f. 13 de déc. 1889, Cadot, Rec., 1148, concl. JAGERSCHMIDT ; S. 1892, III partie, 17, note HAURIOU.

100 Maurice H

AURIOU, « note » sous C.E.f. 29 avril 1892, Wotting c/Ville de Limoges, S. 1892, III partie, p. 17. 101 Jean-François BRISSON, Les recours administratifs en Droit public français, contribution à l’étude du

contentieux administratif non juridictionnel, thèse, Bibliothèque de droit public t. 185, L.G.D.J., Paris, 1996, p.

sanctions prises par une autorité individuelle102. D’un autre côté, l’impossibilité par le juge administratif d’être saisi directement des faits, sans l’intermédiaire d’une décision administrative préalable, est justifiée techniquement par le besoin de lier le contentieux103. Cependant, la liaison du contentieux ne serait possible que par des recours juridictionnels contre l’acte104, ce qui voudrait dire que le contentieux est nécessairement juridictionnel.

La nature contentieuse des recours administratifs serait neutralisée par un régime juridique laissant à la volonté de l’administration de trancher le litige ce qui justifierait, d’une certaine façon, la définition des recours administratifs soit comme une voie à l’amiable, soit comme une conséquence du principe hiérarchique. Or, une nouvelle vague de l’activité contentieuse de l’administration est introduite par les autorités administratives indépendantes. Devant cette situation, à raison de l’indépendance qui exclut la hiérarchie, le principe hiérarchique ne pouvait pas expliquer, voire cacher, les fonctions contentieuses de l’administration, comme elle l’avait fait pour les recours administratifs. En conséquence, une certaine doctrine est conduite à lancer un cri d’alarme à l’égard du rétablissement des administrateurs-juges105. Ainsi, concernant une autorité administrative indépendante cumulant de fonctions différentes, notamment la fonction contentieuse, il a été dénoncé que : « (…) le principe de la séparation des pouvoirs n’est pas respecté, pourtant seul

véritable garant des libertés individuelles. Le spectre de l’institution réprouvée de l’administrateur-juge, irrespectueux des droits de la défense, plane sur sa légitimité »106. De même, à plusieurs reprises, la doctrine plaide en faveur de la juridictionnalisation de ces fonctions, notamment par la création d’une magistrature économique107.

102 Le Conseil d’État nie le caractère juridictionnel aux sanctions prononcés par le Recteur d’académie : C.E.f.

Sect., 20 nov. 1970, Bouez et UNEF, Rec, p. 690 ; A.J.D.A.1971, p. 519 concl. THERY et p. 483, note CHEVALLIER. « (…) on peut comprendre que le Conseil d’État ne veuille se prêter en rien et même soit résolument hostile à

toute restauration du système de l’administrateur-juge » : René CHAPUS « Qu’est-ce qu’une juridiction ? La

réponse de la jurisprudence administrative », in Recueil d’études en hommage à Charles Eisenmann. Ed. Cujas, Paris, 1975, p. 268.

103 Cette obligation est aussi inexistante en Colombie où il est possible exercer une action cherchant à la

« réparation directe » des préjudices (art. 140 C.P.A.C.A.), d’où la thèse de la liaison du contentieux comme une justification simplement apparente de la nécessité de la décision préalable.

104 « La liaison du contentieux est donc l’acte, ou l’ensemble d’actes juridiques, à partir duquel on peut dire

qu’un procès est né et qu’un tribunal est saisi de ce procès, qu’il devra juger, à moins d’un désistement du plaideur », Marcel WALINE, Précis de droit administratif, Montchrestien, Paris, 1969, p. 157.

105 Sur le recours obligatoire en matière fiscale : « L’assimilation de la procédure devant le directeur à une

véritable instance juridictionnelle se heure cependant à des objections trop sérieuses pour qu’on puisse, en l’admettant, célébrer sans nuances les progrès d’une théorie du " ministre-juge" », Bernard CASTAGNEDE, note

sous C.E.f. Ass. 31 octobre 1975, Société Coq-France, A.J.D.A. 1976, p. 317.

106 Sylvie THOMASSET-PIERRE, L’autorité de régulation boursière face aux garanties processuelles fondamentales,

L.G.D.J., Paris, 2003, p. 70.

107 « Il n’est que temps aussi de réfléchir à la réhabilitation d’une véritable magistrature économique dont les

autorités de régulation ne sont qu’un succédané contestable», Jean-François BRISSON, « Les pouvoirs de sanction des autorités de régulation et l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme à propos d’une divergence entre le Conseil d’État et la Cour de cassation», A.J.D.A. 1999, p. 859 ; M. DE LEYSSAC

demande aussi la juridictionnalisation du Conseil de la concurrence mais pour des raisons pratiques, notamment les problèmes qui conduit la séparation des compétences entre le Conseil et la Cour de Paris et, « dans une perspective plus ambitieuse, on pourrait songer à créer une grande juridiction économique de

premier degré qui opérerait la fusion de divers organes pour l’instant intermédiaires dans le creuset de la juridiction consulaire», Claude LUCAS DE LEYSSAC, « Faut-il faire du Conseil de la concurrence une juridiction ? »,

R. J. comm., 1992, p. 277 et 281 ; « on en vient alors à se demander si, pour préserver l'indispensable légitimité

de l'Autorité des marchés financiers, il n'aurait pas été préférable de ne pas lui confier un pouvoir qui demeure l'apanage naturel du juge», Yann PACLOT, « Remarques sur le pouvoir de sanction administrative de la future

Regarder l’activité contentieuse de l’administration comme un retour aux époques du ministre-juge n’est, pourtant, la façon la plus courante d’examiner le contentieux réglé par l’administration. Souvent, elle est présentée comme un facteur de mutation de l’autorité chargée du contentieux.

§2. Comme un facteur de mutation

Deux éléments ont été considérés comme étrangers à l’administration : la procédure108 et le contentieux, notamment après l’arrêt Cadot en date du 13 décembre 1889. Même si, en réalité, la véritable portée de l’arrêt Cadot détermine une impossible assimilation du contentieux à la juridiction, la condamnation de la théorie de l’administrateur-juge a été interprétée comme l’exclusion de tout contentieux devant l’administration109. Contentieux et procédure sont alors deux critères classiques dans l’identification de la juridiction. Lorsque l’un ou l’autre se trouve présent dans l’administration, la jurisprudence et la doctrine pressentent la présence d’un facteur potentiel anormal de mutation de l’autorité administrative110 en un organe juridictionnel111. Afin de comprendre cette façon d’exclure l’activité contentieuse de l’administration, il ne convient pas de se référer seulement à la prétendue incompatibilité entre le contentieux et l’administration. Il est nécessaire aussi de prendre en considération l’exclusion de la procédure de l’administration112. Ainsi, la doctrine a nié le caractère juridictionnel d’un organe qui tranchait un contentieux, « faute d’une procédure légalement

organisée»113. La jurisprudence a confirmée cette nature, en dépit des indices linguistiques des normes114. Dans d’autres cas, la jurisprudence a organisé une procédure car l’autorité

108 Le travail de LANGROD des années 40 consiste d’abord à montrer l’incompatibilité qui existait entre

Administration et procédure, ainsi que son exclusivité juridictionnelle, ce qui était « inconcevable » : Georges LANGROD, « Procédure administrative et droit administratif », R.D.P. 1948, p. 552.

109 JacquesCHEVALLIER, « Réflexions sur l’arrêt "Cadot" », Droits, 1989, n°9, p. 88.

110 « (…) mais il arrive aussi que la fonction crée ou modifie l’organe, certains actes du chef de l’État, parce que

leur nature est essentiellement juridictionnelle, transformant momentanément celui-ci en un juge, bien qu’elle ne soit pas d’avance une juridiction organisée», Maurice HAURIOU, Les éléments du contentieux, Extr. du Rec. De

lég. de Toulouse, Ed. Privat, 1905, p. 8.

111« La procédure devenant ainsi le critère du passage de la voie administrative à la justice, de l’action

administrative au Contentieux, à la juridiction (…) », GuyISAAC, La procédure administrative non contentieuse,

op. cit., p. 25.

112 C’est précisément cette excision ce qui a engendré l’expression procédure administrative non contentieuse,

dans le sens de procédure non juridictionnelle. M. AUBY forge la notion de procédure administrative non contentieuse, sous l’équivalence entre contentieux et juridiction : « (…) les problèmes de la procédure

administrative non contentieuse avaient été généralement négligés par la doctrine française (…) et que seuls certains de ses aspects donn-aient lieu à des développements séparés dont quelques-uns sont assez paradoxalement rattachés aux matières contentieuses», Jean-MarieAUBY, « La procédure administrative non

contentieuse », loc. cit., p. 6. Elle est le résultat de l’acceptation du fait que la procédure pouvait se trouver dans l’administration; mais, non ainsi le contentieux. Cette assimilation est aussi présente chez ISAAC : Guy ISAAC, La procédure administrative non contentieuse, op. cit., p. 25.

113 Sur le Conseil supérieur de l’électricité et du gaz : « Les décisions prises sur ces conflits par le Conseil

supérieur doivent être considérées comme des décisions administratives exécutoires susceptibles de recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État et non comme des décisions juridictionnelles, faute d’une procédure légalement organisée», Jean L’HUILLIER, « commentaire à la loi du 8 avril 1946 », Recueil Sirey, 1946,

p. 351.

114 C.E.f. 27 mai 1955, Électricité de France, C.J.E.G., 1955, Doct., p. 44, concl. CHARDEAU ; R.D.P. 1955, p. 721,

remplissait des fonctions contentieuses. Cependant, pour établir cette procédure, la jurisprudence a découvert au préalable, la nature juridictionnelle de l’organe115. De cette manière, la jurisprudence a garanti le lien entre procédure et contentieux ; mais, plus encore, elle a garanti le lien entre le contentieux et la juridiction116.

Malgré l’acceptation de la processualisation de l’administration, le contentieux devant l’administration continue d’être perçu comme un facteur gênant, interprété comme véritable agent de juridictionnalisation. Souvent le législateur, en évitant de qualifier l’autorité de juridiction ou d’administration, prévoit une procédure car l’autorité est conduite à trancher un contentieux117. Or, cette situation génère une discussion et certains tribunaux administratifs se sont déclarés incompétents vis-à-vis des décisions de cet organe car ils y voyaient une décision juridictionnelle. Et, même lorsque la jurisprudence nie le caractère juridictionnel de cet organe118, qui tranche un contentieux de façon contradictoire, la doctrine insiste sur le fait qu’en remplissant des fonctions

« juridictionnelles » 119, cet organe est une juridiction.

L’approche préférée de la doctrine à l’égard de l’activité contentieuse de l’administration consiste, par conséquent à savoir si l’autorité disposant des fonctions contentieuses est une juridiction120. Cette approche de la doctrine se justifie aussi par le fait que, le rappel à l’ordre d’un contentieux échappant aux juridictions, avait été utilisé par la jurisprudence, en faisant recours à la découverte prétorienne des juridictions

l’ensemble des « arbitrages » que sur des « conflits » réalise « en dernier ressort » le Conseil Supérieur de l’Électricité et du Gaz, afin de justifier tant la décision du Conseil d’État, que l’absence d’une procédure « légalement organisée », Jean L’HUILLIER, note sous C.E.f. Ass. 27 mai 1955, Électricité de France, D. 1956, p.

310.

115 Même si dans les textes régissant la Commission nationale des accidents de travail, ils étaient absents « (…)

le caractère contradictoire de la procédure et l’obligation de motiver et l’usage de la formule exécutoire, qui sont les traits essentiels de la procédure et de la décision juridictionnelle» (Conclusions de M. GUIONIN, D. 1951,

p. 335.), le Conseil d’État reconnaît le caractère juridictionnel de la Commission (C.E.f. 12 janv. 1951, Union

commerciale de Bordeaux-Bassens, D. 1951, 335). En reconnaissant le caractère juridictionnel de la

Commission, le Conseil d’État a pu exiger la motivation des décisions de la Commission, ce qui, en l’espèce, avait été respecté.

116 L’arrêt de Bayo confirme le lien entre le contentieux et la juridiction car la « nature de la matière », en

l’espèce, l’inscription au tableau de l’ordre des vétérinaires, n’a pas une nature juridictionnelle, qui serait propre à la sanction disciplinaire prononcé par le même organe : C.E.f. Ass. 12 déc. 1953, de Bayo, A.J., 1954, 2, p. 138, note DE SOTO.

117 Par exemple, l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, relative à la liberté des prix et de la

concurrence a créé le Conseil de la concurrence sans préciser sa nature juridique, tout en l’assignant des fonctions contentieuses et en précisant à l’art. 18 que « L’instruction et la procédure devant le Conseil de la

concurrence sont pleinement contradictoires ».

118 C.c.f. Décision n° 86-224 DC, 23 janvier 1987, §17. « Considérant que, si le conseil de la concurrence,

organisme administratif (…) ».

119 Le Conseil de la concurrence « (…) va qualifier chaque cas sous la règle, et au résultat de cette qualification

dire le droit, avec l’autorité de la chose jugée», RaymondMARTIN, « La fonction juridictionnelle du Conseil de la concurrence », J.C.P. I, 1990, 3469. De même, la Cour de cassation affirme dans son rapport annuel de 1992, qu’il s’agit d’ « organismes indépendants dotés de véritables pouvoirs juridictionnels, tel le Conseil de la

concurrence», Rapport annuel de la Cour de cassation - 1992, La documentation française, p. 19.

120 Delphine COSTA, « L’autorité des marchés financiers : Juridiction ? quasi-juridiction ? pseudo-juridiction ? A

propos de l’arrêt du Conseil d’État du 4 février 2005, société G.S.D. Gestion et M. YX», R.F.D.A., nov.-Déc. 2005. p. 1178. Cécile VERDEAUX, Les autorités administratives indépendantes à caractère économique et

financier sont-elles des juridictions ?, Mémoire du Master 2 recherche Justice et droit du procès, Université de

administratives spécialisées, par des décisions relevant de la « politique

jurisprudentielle »121.

Lorsque le lien entre le contentieux, la procédure et la juridiction est rompu, la doctrine avoue son malaise122 et qualifie l’activité contentieuse de l’administration comme une bizarrerie, « ni chèvre ni chou »123¸ ni contentieux ni non contentieux ni juridiction ni administration.

Une fois que la doctrine a renoncé à encadrer l’activité contentieuse de l’administration dans des catégories passées (le ministre-juge) ou, présentes (juridiction administrative spéciale), elle finit par avouer qu’il s’agit d’une situation actuellement indéfinissable et préfère alors aborder l’activité contentieuse de l’administration comme un hybride.

§3. Comme un hybride

Pour construire une catégorie hybride, la doctrine doit partir de la perfection