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Section I. La vision juridictionnelle du contentieux en France

A. Les origines de la théorie

La distinction des pouvoirs est un sujet qui intéresse différents auteurs, depuis l’Antiquité.

6 Il s’agit du « (…) modèle libéral qui considère les trois fonctions comme attribuées en quasi-monopole à trois

pouvoirs distincts », GiovanniBOGNETI, La divisione dei poteri, 2e éd., Giuffré, Milan, 2001, p. 66.

7 Léon DUGUIT, « La séparation des pouvoirs et l’Assemblée nationale de 1789 », Revue d’économie Politique, L.

Larose, Paris, 1893, p. 2.

8 Adhémar E

Cela ne signifie pas, pour autant, que la différenciation des pouvoirs puisse entraîner nécessairement leur séparation. ARISTOTE distinguait ainsi l’assemblée générale délibérant sur les affaires publiques,

le corps des magistrats (fonctionnaires), touchant le pouvoir de commandement et de contrainte, et le corps judiciaire9. Pour ARISTOTE, ce qui est important dans la différenciation, c’est d’établir un régime conforme aux caractéristiques de chacun des trois pouvoirs10 ; toutefois, son but ne consiste pas à établir une assignation de fonctions fondée sur trois objets différents. Les idées d’ARISTOTE ne

semblent pas vraiment influer sur la conception séparatiste du pouvoir11 car, en réalité, si ARISTOTE distingue les trois pouvoirs, il maintient leur confusion12.

Concernant l’anglais LOCKE, il distinguait entre le pouvoir législatif – transitoire -, l’exécutif - permanent - et le fédératif, fruit de la conversion du « pouvoir naturel » dans la société qui consiste en la faculté de faire la guerre ou la paix et de passer des accords avec d’autres États. Pour lui, le législatif et l’exécutif sont fréquemment séparés13, tandis que l’exécutif et le fédératif sont normalement réunis même s’ils « sont certes réellement distincts

en eux-mêmes »14. La séparation entre le législatif et l’exécutif ne constitue qu’un constat, car il n’affirme pas la nécessité de sa séparation. La théorie de LOCKE, davantage qu’une séparation

des pouvoirs, vise à une subordination des différents pouvoirs au législatif, à son tour dépendant de la « communauté », qui dispose, perpétuellement, du « pouvoir suprême »15. LOCKE n’étudie pas d’autres pouvoirs, qu’il considère comme dérivés et subordonnés, car il

envisage cette étude comme une tâche inutile.

La théorie la plus réputée, néanmoins, de la différenciation des pouvoirs, est attribuée à MONTESQUIEU qui, en réalité, n’emploie jamais l’expression séparation des pouvoirs alors qu’il

essaie, en réalité, de décrire un « gouvernement tempéré »16. Les idées de MONTESQUIEU, présentes dans le livre XI, chapitre VI de L’esprit des lois, portant sur la Constitution de l’Angleterre, décrivent l’existence de trois puissances : le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif des choses relatives au droit de gens et le pouvoir exécutif des choses qui dépendent du droit

9 ARISTOTE, Politique, t. II, Livre IV, Traduction de Jean AUBONNET, Les Belles Lettres, Paris, 1971, p. 177.

10 « Quand tous ces pouvoirs sont bien établis, le régime est nécessairement bien établi et les constitutions

diffèrent entre elles d’après les différences de chacun d’eux »,ARISTOTE, Politique, T. II, Livre IV, op. cit. p. 177. 11« Théoriquement, en effet, on peut faire remonter l’idée de séparation des pouvoirs aux classiques grecs et

romains (…) Toutefois ce type de généalogie peut paraître aujourd’hui comme quelque peu abusif car il ne s’agit pas de la transmission continue d’un modèle doctrinal, faute d’une continuité historique suffisamment probante

en matière institutionnelle » Jean-Louis SEURIN, « Les origines historiques de la séparation des pouvoirs », in Études

offerts à Jean-Marie Auby, Dalloz, Paris, 1992, p. 651.

12 « Il est donc inexact de soutenir, comme l’a fait M. Barthélemy Saint-Hilaire (Préface de la Politique d’Aristote,

p. LXXXV, s., CII, CV et p. 32-342, note 1), que Montesquieu a emprunté à Aristote le principe de la séparation des

pouvoirs », Antoine SAINT-GIRONS, Droit public français. Essai sur la séparation des pouvoirs dans l’ordre politique,

administratif et judiciaire, Larose, Paris, 1881, p. 17, note 4.

13 « Le pouvoir législatif est celui qui possède le droit de déterminer la manière dont la force de la république sera

employée pour la préservation de la communauté et de ceux qui en font partie (…) ce serait tenter la fragilité humaine, qui est prompte à l’ambition, que de confier le pouvoir de faire exécuter les lois à ceux-là mêmes qui détiennent le pouvoir de les faire ; car ils pourraient par là s’exempter de l’obéissance aux lois qu’ils font eux- mêmes (…) elles ont besoin qu’on les exécute et qu’on les assiste de façon perpétuelle ; par conséquent, il est nécessaire qu’il y ait un pouvoir qui soit toujours en exercice, et qui veille à l’exécution des lois qui ont été faites et qui demeurent en vigueur. Ainsi, le législatif et l’exécutif en viennent fréquemment à être séparés » John LOCKE, Le

second traité du gouvernement. Essai sur la véritable origine, l’étendue et la fin du gouvernement civil, trad. Jean-

FabienSPITZ, P.U.F., Paris, 1994, p. 105. 302 p. 14 Ibidem, p. 107.

15 Ibidem, p. 108.

civil. Ce dernier pouvoir de l’État est aussi appelé judiciaire par MONTESQUIEU. Or, MONTESQUIEU

ne se prononce pas en faveur d’une séparation des trois pouvoirs, mais de deux : il faut que les pouvoirs législatif et exécutif soient séparés.

À partir d’une lecture isolée de la sentence que prononce MONTESQUIEU : « tout serait

perdu si le même homme ou le même corps exerçait ces trois pouvoirs », la doctrine a formulé

une théorie d’une séparation des pouvoirs, et non d’une simple différenciation des pouvoirs, constituant par là l’interprétation classique de la séparation des pouvoirs. Or, même si ce ne sont pas les idées de MONTESQUIEU qui ont inspiré l’article 16 de la Déclaration de 178917, c’est

normalement à lui qu’il est fait référence pour comprendre l’étendue de l’idée. MIRABEAU

qualifiait MONTESQUIEU d’aristocrate, tandis que LANJUINAIS disait à la Constituante : « Loin d’ici

le sentiment de l’inconséquent de Lolme et de ce Montesquieu qui n’a pas su se soustraire aux préjugés de sa robe»18. LANJUINAIS faisait référence à Jean-Louis deLOLME qui avait écrit un livre sur la Constitution de l’Angleterre, paru à Amsterdam en 1771 et où il expliquait comment, en Angleterre, à la place d’une séparation des pouvoirs, le « pouvoir exécutif » et la « puissance

législative » se trouvaient imbriqués et limités par une dépendance mutuelle qui garantissait la

liberté19. Cette référence montre comment le chapitre « De la Constitution de l’Angleterre » de MONTESQUIEU ne peut pas fonder l’interprétation classique de la séparation des pouvoirs.