• Aucun résultat trouvé

L’optimisation de la capacité des juridictions

Section I. La remise en cause de la vision juridictionnelle du contentieux

B. Les réformes dans le système juridictionnel

1. L’optimisation de la capacité des juridictions

Pour mieux gérer les flux d’affaires arrivant aux juridictions existantes, il a été fait recours, tout d’abord, à la réorganisation du travail (a) ; ensuite, à l’engagement de nouveaux agents (b) et, enfin à des mesures cherchant la rationalisation de l’accès au juge (c).

a. La réorganisation du travail

Considérant qu’une des causes de l’encombrement est une mauvaise gestion des affaires, les mesures d’aménagement du système juridictionnel consistent en la réorganisation du travail des juridictions afin de potentialiser leur capacité d’évacuation du contentieux29. En prenant acte de l’encombrement du Conseil d’État français, la loi du 26 octobre 1888 créa une section temporaire du contentieux chargée de juger les affaires fiscales et électorales, à côté

27 Réforme constitutionnelle introduisant le système de collaboration entre les branches du pouvoir qui autorise

les fonctions juridictionnelles de l’administration.

28 Pour Gaston J

EZE, la réponse à l’encombrement devait rester toujours dans la vision juridictionnelle du

contentieux : « (…) créer de nouvelles juridictions administratives, assigner une partie du contentieux des Conseils

de préfecture aux juridictions judiciaires ou interdire l’appel de certaines décisions des Conseils de préfecture afin d’éviter la surcharge du Conseil d’État », Gaston JEZE, « Le Conseil d’État au contentieux et les projets de

modification des règles de compétence administrative », loc. cit., p. 64. L’esprit des réformes proposées par LAFERRIERE était aussi à l’intérieur du système juridictionnel : « (…) nous ne voyons en définitive qu’un remède ; la

réorganisation de la juridiction administrative », Julien LAFERRIERE, « Chronique législative, 2e étude », loc. cit., p.

163. « Réorganisation du Conseil d’État, réforme des conseils de préfecture, création des juridictions

administratives spéciales, attribution aux tribunaux judiciaires d’une partie du contentieux administratif (…) »,

Julien LAFERRIERE,« Chronique législative 1re étude », loc. cit., p. 557.

29 « Le Conseil d’État dépérit de faire de la haute couture là où, devant l’afflux croissant des affaires, il faudrait du

prêt-à-porter », Alain MARION, « Du mauvais fonctionnement de la juridiction administrative et de quelques

de la section ordinaire du contentieux30. Cette loi s’est montrée utile ; mais, ses effets anti encombrement étaient limités. Dès lors, l’art 24 de la loi de finances du 13 avril 1900 a donné la possibilité de diviser la section du contentieux en deux sous-sections31. À son tour, la loi du 17 juillet 1900 a augmenté le personnel de la section temporaire et elle a permis aussi de la diviser en sous-sections32. Ces réformes ont donné naissance à quatre sous-sections chargées du « petit contentieux »33. En Colombie, l’article 133 de la réforme constitutionnelle du 16 février 1945 a disposé la division du Conseil d’État en deux sections ; mais, la réforme cherchait à séparer les fonctions contentieuses des fonctions non contentieuses34. Cinq sections spécialisées existent à l’intérieur du Conseil d’État colombien, comme une mesure visant à garantir une bonne gestion des affaires35. En France, les derniers exemples de ce genre de mesures d’aménagement de la fonction consistent en l’assignation de certaines décisions au juge unique, notamment en matière de référés (loi du 8 février 1995)36, ainsi qu’en la possibilité de décider rapidement par ordonnance, les « séries » d’affaires dont un modèle de décision suffit à être appliqué à toute la série37. En Colombie, l’article 115 de la loi n° 1395 du 12 juillet 2010 a autorisé les juges à décider en priorité les affaires sur lesquelles il existe déjà un précédent jurisprudentiel précis, sans avoir à respecter l’ordre d’arrivée de l’affaire. En 2011, le gouvernement a présenté un projet de réforme constitutionnelle visant le désencombrement des juridictions, par la voie, notamment, de l’attribution de compétence aux fonctionnaires juridictionnels pour adopter des ordonnances dans le procès, ne touchant pas au fond de l’affaire38. Or, bien que la meilleure distribution du travail contribue indiscutablement à retarder l’encombrement juridictionnel, il s’agit d’un « palliatif » 39 sans effets durables, car il n’affecte en rien la source du contentieux.

30 La commission du contentieux avait été créée par l’article 24 du décret du 11 juin 1806. Après plusieurs

modifications et changements d’appellation (1814, 1828, 1831, 1839 et 1849), c’est en 1852 qu'est née l’actuelle section du contentieux.

31 L’alinéa 2 de l’art. 24 dispose « La section du contentieux peut être divisée en deux sous-sections qui ont les

mêmes pouvoirs que la section elle-même ».

32 L’art. 1er de la loi du 17 juillet 1900 a modifié la loi du 26 oct. 1888 qui avait créé la section temporaire du

contentieux afin d’augmenter son personnel et donner la possibilité d’être divisée en deux sous-sections. Le commentateur de la loi annotait « Depuis longtemps déjà, les pouvoirs publics, comme les justiciables, se sont

émus du long retard apporté par le Conseil d’État dans le jugement des affaires contentieuses soumises à son appréciation (…) La création de cette section temporaire ne fut malheureusement pas suffisante pour permettre d’arriver à juger tous les pourvois en souffrance qui s’accumulaient toujours dans des proportions inquiétantes »,

Jean-Baptiste DUVERGIER, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements et avis du Conseil d’État, t. 100, Larose, 1900, p. 365.

33 François B

URDEAU, Histoire du droit administratif, P.U.F., Paris, 1995, p. 209.

34 « Le Conseil d’État sera divisé en chambres ou sections afin de séparer ses fonctions en tant que Tribunal

suprême du contentieux administratif des autres fonctions que la Constitution ou la loi l’attribue », art. 133, al. 1er

de l’acte de réforme de la Constitution n° 01 du 16 fév. 1945.

35 Art. 36 de la loi n° 270 du 7 mars 1996 ; art. 110 du C.P.C.A. 36 C.c.f. Décision n° 95-360 DC, 2 fév. 1995 ; Claudie B

OITEAU, « Le juge unique en droit administratif », R.F.D.A.,

1996, p. 10.

37 Art. 1-3 du décret du 28 juillet 2005, (C.J.A. : art. R. 122-12-6 ; R. 222-1-6 ; R. 742-2).

38 L’art. 2 du projet de révision de la Constitution, n° 2 de 2011, modifiant l’art. 116 de la Const. dispose : « (…) La

loi pourra attribuer la fonction juridictionnel dans des matières précises à des employés judiciaires. Ils ne pourront pas adopter des sentences ou des décisions mettant fin aux procès », Projet de révision de la Constitution n° 07 de

2011, Gaceta del Congreso, XX, n° 566, 4 août 2011, p. 8.

39 Julien L

b. L’engagement de nouveaux agents

L’encombrement des juridictions peut signifier que les agents dont elles disposent s’avèrent insuffisants face au travail à fournir. Ainsi, les schémas juridictionnels ont fait appel à l’engagement d’agents supplémentaires40. En 1981, Jean-Marie WOEHRLING décrivait la situation de la juridiction administrative comme une « crise de croissance » montrant qu’elle était, non seulement débordée ; mais, aussi archaïque41. Pour lui, la solution se trouvait dans le recrutement de nouveaux agents, ce qui éviterait la thrombose juridictionnelle, tout en garantissant la qualité de la justice42. La Colombie, quant à elle, comme le reste des États d’Amérique Latine, a aussi eu recours plusieurs fois à l’augmentation du personnel attaché aux services juridictionnels et même si les résultats ne sont pas satisfaisants à l’égard de l’encombrement43, le vice-président de la chambre administrative du Conseil Supérieur de la Judicature a affirmé en juin 2009, que la stratégie du Conseil à l’égard de l’encombrement c’est encore de recruter davantage d’agents44.

Les mesures de redistribution du travail et l’engagement d’agents, bien que nécessaires compte tenu de la croissance de la demande juridictionnelle, se sont toujours montrés insuffisants à l’égard de la crise du modèle.

c. La rationalisation de l’accès au juge

La rationalisation de l’accès au juge correspond à l’hypothèse selon laquelle les juridictions ne sont pas seulement occupées par des procès méritant l’intervention juridictionnelle45. À cette hypothèse, la France a répondu par des moyens de limitation d’accès au prétoire. Afin de rationaliser l’accès au prétoire, en considérant que la juridiction ne peut pas être instrumentalisée par des recours abusifs, une amende sanctionnant cette pratique a été instaurée46. De plus, les juges ont été investis du pouvoir de rejeter des recours en appel,

40 Comme des mesures contre l’encombrement, « On a également créé des emplois, non seulement de juges; mais,

aussi d’assistants de justice et de personnel administratif (…) », Bruno ODENT et Didier TRUCHET, La justice

Administrative, Que sais-je ?, P.U.F., Paris, 2004, p. 116. Par exemple, la loi du 17 juillet 1900 a augmenté, pour

cette motivation, le personnel du Conseil d’État français, conseillers et maîtres des requêtes.

41 Jean-Marie, W

OEHRLING, « Réflexions sur une crise : la juridiction administrative à la croisée des chemins », in

Mélanges R.-E. Charlier, éd. de l’Université et de l’enseignement moderne, Paris, 1981, p. 341.

42 « La juridiction administrative est ainsi confrontée à une alternative : ou bien subir une dégradation sensible de

la qualité des jugements rendus, ou bien s’engager dans une réorganisation profonde », idem., p. 344-345.

43 Carlos G

REGORIO, “Gestión Judicial y reforma de la Administración de justicia en América Latina”, in www.iabd.org/sds/doc/sdg-Doc13-s.pdf, consulté le 15 déc. 2009.

44 Ricardo H. M

ONROY-CHURCH déclare que le désencombrement va ainsi par le bon chemin: « Descongestión de

procesos requiere planes de avanzada », in Corporación excelencia para la Justicia, 23 juin 2009,

http://www.cej.org.co, p. 1, consulté le 15 déc. 2009.

45 En Colombie, par exemple, l’art. 113 de la loi n° 1395 du 12 juillet 2010, portant des mesures contre

l’encombrement des juridictions, a autorisé les notaires à recueillir des preuves pouvant être utilisées ultérieurement lors d’un procès juridictionnel. Notamment, une personne est autorisée à convoquer devant le notaire une autre afin de recevoir son témoignage. Auparavant, cette procédure se déroulait nécessairement devant un juge.

46 Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, art. R. 88 et décret du 30 juillet 1963, art

57-2, amende pour recours abusif au Conseil d’État, aujourd’hui prévue article R. 741-12 du Code de justice administrative et avec une portée générale et plafonnée en 3000 euros.

considéré d’emblée comme « manifestement » voué à l’échec47. De même, comme mesure de restriction d’accès au prétoire48, certaines affaires sont privées de l’appel, les assignant à des juges uniques de premier et dernier ressort. De plus, la dispense d’avocat en appel a été réduite ostensiblement49 en rendant, par là, plus difficile l’accès au juge du deuxième ressort, en même temps que la qualité juridique des pourvois serait améliorée50.