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Réflexions 121

Dans le document Inner tension of informational cohesion (Page 122-124)

Chapitre 4 STRUCTURATION CONCEPTUELLE 89

4.5 EXEMPLE D'UN PROJET 118

4.5.2 Réflexions 121

Auto-construction et micro-perceptions

Peut-on mettre en évidence dans le projet les moments où le projet s'est construit, où les "objets" se sont définis ? Cela montrerait la présence du monde de la réflexion dans l'exemple. Deuxième question : Y a –t-il des micro-perceptions ? Perception d'une partie de l'esquisse ou perception du fond (selon les termes de Merleau-Ponty), sur lequel se détache l'esquisse ? Ces deux questions sont abordées ensemble, car sujet et objet disparaissent plus aisément dans un bref instant. Plus précisément, pour que se dissocient sujet et objet, il faut du temps et une opération psychologique, celle-ci a plus de chance de se produire pendant un cycle long.

Revenons sur la couverture. Les blocs de texte dans les différentes langues se sont alignés et construits de manière à s'équilibrer. L'action est une suite de cycles itératifs où l'œil et la main (sur la souris) fonctionnent de concert. Ces perceptions des parties s'élargissent en une perception du tout : sur la page, l'attelage œil - main continue d'opérer. L'équilibre entre le fond (graphique) et les blocs de texte s'établit par un jeu successif d'essais et erreurs. Nous avons parlé ici des blocs de texte, mais le même procédé a fonctionné pour la taille du titre, sa hauteur, sa couleur et celle du texte, la nuance du fond. Si l'on peut rester avec l'opérateur qui ajuste son œuvre (le ternaire acteur, action, et résultat sont alors dissociés), on peut dire aussi que celle-ci s'élabore en coopération avec son auteur en un processus commun, donc passer du monde du Trois au Deux.

La navigation dans le DVD s'est aussi construite, grâce à la recette de prototypes; il s'est agi d'un cycle qui renvoie à lui-même. Les micro-perceptions ici comprendraient la prise en compte de l'état de l'art : menu d'entrée, crédits, bonus …

La recette s'est aussi définie progressivement. Un certain nombre d'essais sur des lecteurs d'ancienneté et de marques différentes étaient prévus, mais l'interruption du son a obligé à élargir le nombre de lecteurs, ainsi le chef de projet s'est rendu chez Darty et a demandé à lire le DVD sur un lecteur en vente, et le vendeur de Darty a accepté un essai de 10 minutes. La recette s'est ainsi construite au fur et à mesure, pour garantir la stabilité du produit, et elle s'est construite à l'aide de gestes exploratoires : recherche d'amis ayant des lecteurs de DVD, interrogation sur leurs anciennetés, sur les marques … L'équipe projet s'est assemblée progressivement : s'il y a eu intention au départ, les réponses des diverses personnes ont réduit nombre de langues et façonné l'œuvre finale. Ce sont les principales langues occidentales et, si l'on écarte le chinois, l'hindi et l'arabe, les langues les plus parlées au monde; mais, sur ces trois langues, aucun correspondant ne pouvait se trouver à l'époque. Ainsi le résultat final satisfaisait les intéressés. A contrario, imaginons que les canadiens n'aient pas répondu positivement, il est clair que d'autres anglophones auraient été recherchées, car l'anglais était nécessaire pour un DVD multilingue. L'équipe s'est constitué grâce à des échanges ponctuels, qui sont autant de gestes.

Ainsi, ces exemples montrent que l'auto-construction s'accompagne de perceptions et gestes. Est-ce une loi générale ? N'est-ce pas une illustration de la cohésion ? Le tout renvoyant aux parties et réciproquement selon la phrase de Pascal.

Description systémique classique

Le projet a été décrit jusqu'ici en décrivant les acteurs, leurs valeurs, les décisions, mais aussi des gestes, perceptions et visées. On pourrait décrire le même projet avec une ontologie plus classique : acteurs, interactions, propositions, enjeux et choix. Cette ontologie ne fait appel qu'à des éléments objectifs :

- risques et enjeux étant chiffrés sans mettre en doute l'action de chiffrage - critères de choix, les critères étant fixés et visibles de tous.

Décrivons donc le projet avec cette ontologie classique.

Les acteurs sont les mêmes et le projet a pour enjeu de publier un DVD sur un peintre peu connu. Les Suédois pressentis considèrent l'enjeu trop faible. Les Allemands ne répondent pas. Selon le chef de projet, la participation des Russes est un risque, c'est-à- dire un enjeu négatif, ils sont donc écartés de l'appel.

Les voix sont enregistrées, certaines ne satisfont pas aux critères de qualité attendus. Ces critères correspondent à l'enjeu, mais celui-ci ne peut être décrit directement par ces critères; ainsi, la voix doit être nette, bien timbrée, clairement audible, pour que tous les hispanisants, par exemple, apprécient les poèmes dits par cette voix. La négociation s'engage sur le fait que l'action proposée est utile, qu'elle ne coûte pas trop cher, avec un équilibre charge / utilité faible. C'est le même genre de négociation qui est menée avec le monteur pour la navigation du DVD et pour les interruptions du son.

Le choix des couleurs de la couverture provient, dans cette vue, d'une négociation implicite entre les divers acteurs nationaux, chacun défendant ses couleurs au sens propre.

Lors du calage de la couverture, a lieu une négociation tacite entre l'opérateur et le client de l'imprimerie à qui l'on fait une faveur : celle de venir voir la machine et l'action. Aucun autre facteur n'est nécessaire. Le critère est celui de la charge ou attente du BAT (Bon à Tirer signé).

Limites de l'ontologie classique

Certes, un projet dans le monde bancaire ou industriel facilitera la reconnaissance des enjeux chiffrés, même si certains enjeux sont des décisions stratégiques ou managériales et échappent au chiffrage. De même, les gains qualitatifs rencontrent des difficultés, et même l'amortissement de l'investissement dans l'installation d'un logiciel est malaisé à calculer : sur quelle période calculer le ROI ? Sur 3 ans, 5 ou 7 ans ? Comment chiffrer la confiance accrue des clients ? Le gain en facilité d'emploi ? Beaucoup d'études supposent ces chiffres connus, alors qu'ils relèvent de la théorie des jeux. Rappelons que la fréquentation d'un parc d'attraction tel que Eurodisney a été estimée par des analystes financiers et que ces chiffres étaient largement faux les trois premières années.

Esquissons le diagramme de classes d'une telle ontologie

Figure 4. 20 Méta-modèle du ROI d'un projet

Conflit entre des valeurs ou choix

Les critères de choix évoquent la participation des formes sensibles aux Idées platoniciennes. Il s'agit donc de comparer des perceptions, de souligner ou rappeler des valeurs et demander un effort pour ces valeurs. Qui dit effort dit tension. Et l'on osera demander ou insister en fonction de deux valeurs stables : le réalisme et le perfectionnisme qui reflète, on l'a dit, une tension entre le réel existant et l'effort vers une valeur à réaliser. Mais la tension n'apparaît pas comme un obstacle, surtout si le réel existant est lui-même le fruit d'une tension qui fonde l'existence. Et si cette tension créatrice s'arrêtait ? Le projet mourrait.

Comparer des perceptions suppose une écoute et du discernement qui est la base du jugement. C'est dans ma perception que je peux choisir et c'est en fonction de ces perceptions que je peux conduire l'autre à choisir.

Est-il possible de mettre en évidence dans l'exemple un lien suspensif ? Une relation aux brins indéterminés avec un contenu ? Oui, avec les gestes, interrogations et

Acteur Interaction Négociation Enjeu Proposition Action Critère

perceptions. Oui, car la perception de la Beauté, de l'intérêt du DVD, du choix des couleurs, de la justesse du son, est mise en évidence dans l'exemple.

Il a été plus facile de mettre en évidence les valeurs qu'une visée et qu'un objet se définissant. Les valeurs et les objets semblent des notions existantes, avec un contenu, même si les valeurs ne sont pas dans le même espace que les objets ou actions, elle se repèrent aisément. Au contraire, le mouvement des choses qui se définissent, la suspension perd de son intérêt dès que le mouvement se pose, et nous avons une longue habitude de ne garder que ce qui demeure : livrables, coût, délai. Plus le mouvement de création s'éloigne, plus la suspension et le mouvement disparaissent.

Dans le document Inner tension of informational cohesion (Page 122-124)