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La volonté dé-subjectivée de Schopenhauer 61

Dans le document Inner tension of informational cohesion (Page 62-64)

Chapitre 2 UN – MULTIPLE, LA GENESE DES NOMBRES 44

2.4. TENSION INTERNE 59

2.4.2 La volonté dé-subjectivée de Schopenhauer 61

La tension interne à la cohésion est une notion très proche de la Volonté, ainsi le Monde comme Volonté de Schopenhauer doit être étudié. La tension s'inscrit-elle dans le courant du Monde comme Volonté ? L'approche de Schopenhauer est-elle utile pour étayer notre thèse ? Les objections à Schopenhauer peuvent-elles nous guider ? C'est ce dont nous allons traiter maintenant.

Schopenhauer nous intéresse parce qu'il reconnaît la représentation ou connaissance au sens usuel, mais complète par la volonté qui est une tendance, donc un mouvement de relation, qui sort du ternaire de la transition entre deux états. Il valorise la volonté et celle-ci s'exprime en tension, sa volonté dé-subjectivée semble donc très proche d'une tension interne.

Vincent Staneck, dans son ouvrage résumant la doctrine de Schopenhauer, souligne le glissement entre Ma volonté et la volonté universelle, qui est dite "dé-subjectivée"." "L'objectivation désigne … ce processus par lequel la Volonté devient objet." [Staneck 02:64] "À partir du §21 … il sera de plus en plus question de la Volonté comme essence de la nature tout entière. S'amorce donc la "désubjectivation" de la Volonté" [idem:71]. Cette absence de sujet nous évite l'écueil de distinguer sujet et objet, comme le fait la phénoménologie, elle évite aussi l'écueil de traiter de la psychologie, et d'une approche purement introspective qui était le mode d'exploration au 17ème siècle (Descartes), au 18ème siècle (Kant) et 19ème siècle (Hegel). D'ailleurs Vincent Staneck adresse deux critiques importantes à l'auteur : le psychologisme et le mangue de rigueur dans la définition des termes ou le manque de suivi d'un chapitre à un autre. Il remarque que la présentation de la volonté diffère d'un livre à l'autre et que de nombreuses questions restent sans réponse, comme le passage de la volonté individuelle à la volonté universelle.

Schopenhauer est remarquablement moderne sur certains points :

- Le corps est l'objectivation de la volonté, on peut dire que le corps est une trace de la volonté et que celle-ci se révèle dans un acte déclenchant le mouvement. - Une volonté désubjectivée est aussi très moderne, c'est Schopenhauer qui a

souligné (à l'instar de Hegel) l'importance de la non séparation sujet – objet. Reprenons les avantages du "Monde comme Volonté".

1/ Ce qui fonde l'existence est présentée ici comme volonté. Il s'agit de l'arrière-plan, de l'accord originel ou du fait que l'être sourd d'un fond originaire, ce que Deniau et Heidegger ont mis en évidence. La représentation qu'utilise la connaissance est une re – présentation, un écho dans ce fond originaire ; la phénoménologie a repris cette idée de Schopenhauer; la représentation est une notion seconde, les ontologies, le point de vue de notions posées, existantes ou données à l'avance sont justement des représentations, alors que Schopenhauer insiste sur le flux fondateur.

2/ La volonté est désubjectivée ou impersonnelle. La volonté personnelle montre à l'introspection que le mouvement, le choix (arbitrage) s'extériorisent dans un acte du corps. On note au passage que l'acte est le levier qui aboutit au corps, et la physique moderne - par le quantum d'action - a une grandeur fondamentale qui est l'action. Schopenhauer semble en inférer que tout corps ou tout objet résulte d'une volonté analogue. Cette inférence lui permet de postuler une volonté universelle, qui s'exprime à divers degrés dans des objets ou phénomènes.

Nous avons préféré la notion d'INTENSION à celle d'INTENTION, pour éviter l'aspect conscient ou lucide, psychologique, de ce qui entraîne l'action (cf. § 1.1.5). De fait, la tension interne dans le titre de cette thèse s'inscrit dans la droite ligne du "Monde comme volonté et comme représentation".

3/ "Le corps est condition de la connaissance de ma volonté" [idem:62] Cet appui sur le corps préfigure la remarque de Husserl sur le penseur lors des méditations cartésiennes. La pensée s'inscrit sur un corps et le mouvement d'enlever tout présupposé, laisse le corps intact et le suppose. Alain Badiou, dans sa Logique des mondes, traite du corps dans un chapitre entier. Le corps est aussi l'ancrage de la volonté, ce qui reste; en ce sens, la trace dessinée lors d'une pensée ou le modèle associé à une structure mathématique est un ancrage ou corps.

4/ Schopenhauer utilise des idées dans un sens de l'école platonicienne (mais non de Platon) pour unir la multiplicité des phénomènes, les reprendre en leur généralité et les associer à la Volonté. "la multiplicité de ses manifestations [de la Volonté] est-elle compatible avec son unité métaphysique ? Ne risque-t-elle pas de la disloquer ? La question revient à se demander quel peut bien être le "principe d'individuation", susceptible de rendre compte de la multiplicité des phénomènes ?" demande Vincent Stanek [idem:77] : "Le concept d'Idée chez Schopenhauer a précisément pour fonction de constituer un intermédiaire entre la multiplicité des phénomènes (c'est-à-dire l'objectivation en général) et l'unité de la Volonté. La solution consiste donc à soutenir qu'il y a "différents degrés de l'objectivation de la volonté : les Idées" [idem:78]

Vincent Stanek développe : "quel est le type de réalité de l'Idée ? Possède-t-elle une existence séparée de celle des choses sensibles ? C'est ce que Schopenhauer semble suggérer quand il fait des idées les "prototypes des choses dont ces dernières sont seulement des images" [idem:78, MVR §25 p 174-175]. Ceci est très proche des formes ou modèles de Platon, nous l'avons vu ; nous retrouverons ces formes sous le terme de pôles ou archétypes.

Les objections adressées par Vincent Stanek au livre de Schopenhauer sont aussi instructives :

1/ Schopenhauer se base sur une intuition empirique qui revient très près de l'empirisme, alors qu'il fait l'éloge de Kant et de sa Critique de la Raison pure. Notamment "Schopenhauer prétend proposer une méthode où les théorèmes géométriques apparaîtraient de façon évidente" [idem:48]. Il évite la logique car elle traite d'éléments non compris suivant une démarche formelle, c'est-à-dire extérieure à son objet, et il préfère l'intuition qui saisit le sens. Il nous semble retrouver à nouveau la distinction soigneusement établie par Jung [93-2] entre les extravertis et les introvertis ; ce pourrait être aussi une préférence pour la fonction Intuition plutôt que pour la fonction Pensée [idem:377, 394].

2/ Stanek reproche plusieurs fois le manque d'aboutissement de la pensée de Schopenhauer. Celui-ci a ajouté des suppléments à des paragraphes et la ligne directrice de son œuvre apparaît existante, mais non étroitement structurée. Les définitions manquent et un terme peut renvoyer à un autre, traité des paragraphes plus loin.

Il nous semble que l'exigence formelle, après les travaux axiomatiques du 20ème

siècle, a grandi et que le philosophe suit surtout un mouvement d'ensemble plutôt qu'il ne veut construire un système comme l'a fait Hegel. Ce peut être perçu comme un déficit, mais le mouvement si estimé par Bergson et Renaud Barbaras est à réintroduire dans la pensée, ce déficit apparent peut être plus proche de l'intention originelle de l'auteur.

3/ Les idées sont hiérarchisées et exclusives, l'idée dominante étant l'espèce humaine [idem:83]. Cela a conduit Schopenhauer à refuser l'évolution des espèces, puisque la thèse de Lamarck était arrivée jusqu'à lui. Schopenhauer situe l'espèce humaine au sommet des idées, car elle est capable de représentation abstraite [idem:92], de manier des concepts fournis par la raison. Cet argument est regrettable pour quelqu'un qui veut développer le monde comme volonté; la volonté humaine est-elle remarquable ? Rien ne semble le montrer, sa volonté politique ? Mais qu'est-ce que c'est ? On a vu des loups se ronger une patte pour s'extraire d'un piège qui s'était refermé sur cette patte ; on a vu des chattes aller dans un incendie pour en sortir leurs petits.

Si l'humain est remarquable par sa capacité de représentation abstraite, alors cela conforte la grande importance des représentations. Stanek conclut en disant que l'humain permet la prise de conscience de la volonté. Mais dans ce cas, l'humain est remarquable par sa conscience, qui permet à sa volonté d'anticiper, de se déployer dans un temps assez long. Faut-il postuler que la volonté humaine pourrait avoir le tout comme but ? Vouloir pour le tout, pour l'Un, ou le Bien Général ? Cette hypothèse repose sur son ampleur de vue, celle-ci découle-t-elle de sa volonté ? Cela ne répond que partiellement à l'urgence de valoriser l'humain s'il a une grande importance. L'autre solution est, à la suite d'Heidegger notamment, d'aller vers l'universel et ne pas singulariser l'être humain, donc de prôner une volonté impersonnelle, dé-subjectivée, et

donc une tension d'être qui sous-tend l'attention (ou tension à), aux objets, vers le monde.

Au final, le parallèle entre la volonté de Schopenhauer et la tension est marquant :

R2.7 La tension sous-jacente au mouvement est proche de la volonté dé-subjectivée de Schopenhauer.

Dans le document Inner tension of informational cohesion (Page 62-64)