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DIFFICULTES NOUVELLES POSEES PAR LES SPIRES 80

Dans le document Inner tension of informational cohesion (Page 81-86)

Chapitre 3 S'ORIENTER VERS LE DEUX, EN SUSPENS 66

3.4 DIFFICULTES NOUVELLES POSEES PAR LES SPIRES 80

4. Puisque les spires modélisent la suspension avant tout jugement, on ne peut parler d’égalité entre elles, ni d’identité, car celles-ci supposent un rapport. Platon, dans le dialogue du Parménide, utilise beaucoup le terme de semblable, et c’est cette similitude qui peut s’appliquer aux spires. Cette similitude s’effectue notamment dans les fibres (avec la même projection sur une flèche).

Les spires se projettent sur des flèches, mais cette projection est elle-même un ternaire ; les liens en suspens seraient alors une apparition fugace entre des objets bien

posés. On peut à l’inverse décrire un jugement comme rapport entre des perceptions comme l’a fait Merleau-Ponty. Le jugement sera donc modélisé en trois spires. Plus généralement, on peut soutenir la vue que les objets, les actions proviennent de liens en suspens.

3.4.1 Égalité ou similitude de spires

Deux spires sont dites semblables si elles se projettent sur la même flèche et correspondent au même pôle. En termes d'actions, deux gestations peuvent aboutir au même résultat en fonction d'une même valeur, mais ces gestes semblables ne sont pas identiques.

On ne peut dire que deux spires sont égales, en raison de leurs extrémités indéfinies, pas plus que l'on ne peut dire que deux perceptions sont identiques. Affirmer l'identité de deux perceptions est un jugement, et la perception n'est que la moitié du jugement. Dire le mur est jaune revient à comparer la perception présente avec le souvenir du jaune et les propriétés associées.

Une déclaration mathématique (statement) est une affirmation et Mac Lane [98:31] indique qu'elles sont équivalentes à une équation. Mais une équation, qui repose sur une égalité, n'entraîne-t-elle pas un jugement ? Lorsque l'on écrit (ou pense) A = B, il y a bien perception, c'est-à-dire construction du sens de A et du sens de B, puis perception de l'égalité, qui produit un jugement : l'égalité est-elle vraie ou fausse ? L'on retrouve, à ce sujet, la composition de deux perceptions qui forment une perception puis donnent naissance à un jugement, telles deux spires qui se composent et se projettent sur une flèche. Le formalisme des spires est donc bien cohérent avec la distinction perception / jugement introduite par Jung dans les Types psychologiques [Jung 93-3].

On pourrait supposer que deux spires sont égales si elles donnent, en se composant avec d'autres spires, des composés égaux, mais celles-ci sont des spires !! Ce qui constitue un cercle vicieux.

La loi de composition des spires est associative, elles peuvent se décomposer et donner le même produit.

(s1 ° s2 )° s3 = s1 ° (s2 ° s3) associativité

s'1 = s1 ° s2 ⇒ s'1 ° s3 = (s1 ° s2 )° s3

Quel sens donner à ces égalités ? Non celui d'une égalité de perception, mais celui d'un isomorphisme.

Isomorphisme

Des flèches sont isomorphes si elles donnent les mêmes produits dans une composition à droite ou à gauche (mono et épi morphisme). [Mac Lane 98:19]

Soient m : a  b, 2 flèches f1, f2 : d  a m° f1 = m ° f2 ⇒ f1 = f2 (mono morphisme)

m est un monomorphisme si on peut le supprimer à gauche.

Soit une flèche h: ab et g1, g2 : b c g1 ° h = g2 ° h ⇒ g1 = g2 (épi morphisme)

h est un épimorphisme et on peut le supprimer à droite. Les mêmes propriétés sont valables pour les spires. Similarité

Des spires peuvent être dites similaires si elles se projettent sur la même flèche, on dit aussi qu'elles sont sur la même fibre au-dessus de cette flèche, et qu'elles ont le même pôle, on dira au § 4.4.1 qu'elles ont la même visée.

Des spires similaires sont utiles pour caractériser des gestes semblables (que ce soient des requêtes ou des études) ou des perceptions.

Soit la relation S de similarité et la projection P de spires sur des flèches s1 S s2 ⇔ P s1 = P s2

Les termes de semblable, pareil abondent dans les dialogues de Platon; des choses semblables sont du même type, et le Même s'applique donc à une notion plus générale que la perception transitoire, éphémère, ce qui s'illustre par le fait que la spire se dessine en un trait ouvert, non posé. La pensée philosophique est donc ici voisine de cette épure mathématique.

Le Même dans le temps

Le retour au Même pose un problème qui est implicitement résolu. Ainsi lorsque l’on écrit A = A, on admet que le membre de gauche est identique au membre de droite, pourtant il n’a pas été lu au même moment ni à la même position. On admet donc l’invariance de la grandeur représentée par un signe. Ce phénomène est plus délicat dans le temps, comme l’a noté Marcel Proust : comment se fait-il que je me réveille le même qu’hier, alors qu’il y a des millions d’individus. On admet alors qu’il existe un transfert de contenu et de mémoire pour identifier l’exemplaire concerné et pour le dire le Même.

Le langage des catégories suppose des objets qui sont identiques à une boucle identité. Si cette boucle est supposée induire un mouvement, - ce qui est le cas dans la pensée et dans le graphisme – alors le Même se retrouve dans le temps. Et on peut admettre qu’il puisse en être de même pour les spires. Une spire qui se projetterait sur une boucle identité décrirait un retour au Même.

R3.9 Une spire, qui se projette sur une boucle identité, décrit un retour au Même.

On pourrait objecter sur ce retour au Même et dire au sens strict qu’il s’agit d’un retour au Semblable. Ce retour au Semblable a un avantage car il singularise la spire.

Mais cette restriction s’appliquerait aussi à l’égalité entre des signes ou à la continuité dans le temps. Cette invariance implicite – qui est la norme - justifie donc que l’on puisse parler, pour la suspension, de retour au Même.

Transition vers le ternaire

Les spires ont été définies en dépointant les arêtes d’un graphe donc en supposant une projection sur des flèches. Au sein du graphe, la description est passée des arêtes aux spires (du ternaire au Deux), mais la projection reste un ternaire. L’emploi du ternaire est usuel, qu’on les appelle fonctions ou morphismes et il est donc aisé de les utiliser. Mais la suspension reste alors fugace, éphémère ; toute chose est amenée à se poser ou à disparaître. Une autre possibilité est de montrer que le ternaire est issu du Deux, que le posé (et le posant) est généré par la suspension, que celle-ci subsiste au sein de la transition. C’est ce qu’a esquissé Merleau-Ponty et nous allons développer cette genèse : le jugement n’est pas la base, mais la conclusion de l’exploration.

3.4.2 La genèse du jugement

Jugement et perception constituent deux polarités qu'a mises en évidence (après Jung [93-1:63, 93-2:323]) Isabel Myers [Myers 62]. La perception concerne la captation d'informations alors que le jugement concerne les choix. Cette polarité sert à établir des profils psychologiques, c'est-à-dire que certains valorisent davantage la perception, alors que d'autres privilégient le jugement. Certains lecteurs peuvent donc être plus gênés que d'autres face à ces idées.

Dans un premier temps, a été avancée l'idée que deux perceptions (modélisées par deux spires) se projettent sur un jugement (une flèche d'une catégorie). La projection de deux spires sur une flèche reste une transition entre deux états, donc relève du Monde du Trois, là où les choses se définissent, est-il possible d'aller plus loin ? De préciser cette genèse du jugement et de rester dans le monde du Deux ? C'est-à-dire que la flèche soit l'aboutissement de spires, sans saut abrupt d'un ensemble sur une autre ? Est-il possible que les spires se développent et se posent en une flèche ? En termes philosophiques, comment la suspension se pose, comment la perception se pose-t-elle en jugement ou en proposition, selon le terme de Michel Meyer [10:12] ?

Un jugement, tel que "c'est du bois" ou "la paroi est en verre", se généralise en une égalité A= B. On constate ici une perception du passé récent désignant le fait particulier en cours et l'appel à un référentiel; dans les exemples, le fait particulier se dit "ceci" et le référentiel est une notion désignée par un terme du langage "bois" ou verre" qui fait appel à un nœud de compréhension. À ces deux phases s'ajoute la perception plus abstraite ou plus actuelle, qui unit les deux, telle la copule dans la langue '"est" ou symboliquement "=".

L'action de juger est proche du jeu éducatif où l'enfant prend une pièce triangulaire et cherche à la placer dans l'ensemble des formes réceptrices. La pièce triangulaire est ceci,

les formes réceptrices sont les notions représentées par des termes du langage, et le jeu de l'enfant assemble l'un à l'autre.

Une spire modélise la perception du passé récent :"ceci". Qu'en est–il de la récognition, ou de "la projection de souvenirs" selon le terme utilisé par Merleau-Ponty [45:43] ? Celle-ci recherche des propriétés mémorisées, elle reconstitue l'esquisse d'objet selon des souvenirs, qui sont les propriétés perçues mentalement, ainsi la perception d'une tache verte fait-elle référence à une notion telle que herbe ou feuille, et la perception sensorielle, actuelle, s'affine pour valider ou infirmer cette hypothèse. La récognition de Merleau-Ponty s'enracine dans la vision bien antérieure d'Epicure

"pour Epicure, l'anticipation naît du souvenir des sensations antérieures" dit Pierre Aubenque [Châtelet 93:208]

Rappelons qu'il s'agit, dans cette récognition, de l'esquisse car l'objet n'est pas encore posé, de manière imagée mais grossière, c'est comme un enregistrement dont toutes les rubriques ne seraient pas saisies.

Description en deux spires

On peut donc décrire cet ensemble comme deux spires, l'une sensorielle et l'autre mentale qui se conjuguent. On peut schématiser ces deux moments comme se succédant, mais ces moments peuvent aussi s'imbriquer, car un élément sensoriel conduit à une perception mentale qui suscite une autre recherche sensorielle. La saisie d'un objet serait alors rendue par deux spires et le jugement apparaît alors en résulter.

Figure 3.20. Genèse du jugement avec deux perceptions

Le lien entre la spire de perception et celle de récognition semble aller de soi, alors qu’il s’agit bien d‘un lien qu’effectue le jet de l’attention. Cherchant à repérer le cohésion en train de s’effectuer, il est important de ne pas négliger ce qui lie des actes ensemble.

Description en trois éléments

On peut ainsi distinguer trois moments dans cette saisie. Merleau-Ponty [45:60] écrit "le jugement est perception d'un rapport", ainsi le rapprochement de deux spires s'ajoute à celle-ci. La langue énonce d'ailleurs : "c'est une feuille" et le verbe être sert de copule, de liaison entre ceci et le prédicat qui, lui, est général, abstrait, réducteur par rapport à la richesse de l'impression. Ce verbe exprime la poussée persistante de l'attention et affirme la conclusion : c'est donc bien l'être persistant qui s'énonce dans la copule reliant ceci et la notion retenue "une feuille".

Cette structure ternaire est commune à la plupart des langues indo-européennes, le russe remplaçant le verbe par un trait d'union; ces langues ont donc structuré l'expression en trois éléments. Mais la langue n'est pas un argument fort pour comprendre ce qui se passe, le graphisme s'ajoute à cet argument.

Car si l'on distingue deux spires qui se succèdent, l'intériorité de la première doit se lier à celle de la seconde et aboutir à un "résultat" commun. Le troisième élément du graphique associe la recherche sensorielle et la recherche mentale : la recognition, cet élément se termine verticalement en posant la conclusion : l'être s'affirme ce qu'il perçoit.

Figure 3.21. Genèse du jugement en 3 spires

Ce troisième élément poursuit l'inscription de la trace et manifeste l'acceptation de l'altérité, deux courbes convergent.

Cette possibilité d'unir deux spires ensemble est la garantie que les spires peuvent se lier en nombre (et non seulement par succession) et engendrent ainsi la cohésion.

Nous obtenons donc le résultat suivant :

R3.10 Le jugement, comme rapport de perceptions, se modélise par deux ou trois spires.

Limites possibles

Est-il possible de décrire ces spires d'une manière plus habituelle en termes de couches ? Il est aisé de le faire, avec une couche de sensation, une couche de récognition et le jugement étant un lien de l'un à l'autre, on représente aussi facilement l'environnement, des capteurs qui capturent des signaux et en font une carte.

Figure 3.22. Perception et récognition comme couches

L'on perd alors le mouvement continu qui redevient scandé par des transitions ternaires, et l'on tombe sur la critique d'une sensation autonome, théorie qui a vu le jour au début du 20ème siècle et dont Merleau-Ponty notamment a montré l'impasse [idem:25- 35].

A-t-on supposé une distance entre les deux extrémités des spires? Il ne nous semble pas. Ces extrémités ne sont pas posées mais supposées différentes; si la différence ne se perçoit pas, alors ce troisième élément est inutile et deux spires suffisent pour expliciter le jugement.

Le troisième élément nous renvoie-t-il au monde du Trois, au ternaire ? C'est manifeste dans le langage utilisé. Si le jugement est perception d'un rapport, alors il y a trois perceptions pour établir le jugement, ce rapport, la perception sensorielle et la perception de récognition.

Au total, nous pensons avoir montré que la perception génère le jugement et que la composition de deux spires est une simplification acceptable pour le représenter. Le fait que des spires différentes puissent se combiner est aussi une hypothèse qui permet l'existence d'anneau de spires, expliquant ainsi la cohésion.

3.4.3 Projection et suspension

Si le jugement est généré par des perceptions, peut-on généraliser ce fait ? Peut-on affirmer que les transitions sont le produit de l’assemblage de spires, que les actions résultent de gestes. La question se pose pour les foncteurs entre catégories (qui correspondent à des fonctions entre ensembles) ; elle se pose dans l’esquisse mathématique des catégories et de spires vue ci-dessus au § 3.2.2 ; et elle se pose lors de l’application au domaine de l’action.

Composition et foncteurs

Récognition

Une catégorie décrit une structure mathématique et les foncteurs transportent cette structure, mais les relations restent internes à la catégorie et bien distinctes des foncteurs. On peut donc se poser la question de ce transport ternaire. Comme pour la création des spires à partir de flèches, la réponse s’appuie sur le graphe sous-jacent qui est une arête entre deux nœuds, et sur le fait de couper cette arête en deux, donnant ainsi deux spires. Il s’agit donc de considérer le foncteur comme l’assemblage d’une exploration de la catégorie source qui s’associe à une exploration de la catégorie but.

Projection d’une spire sur une flèche

L’esquisse mathématique des spires montre que toute spire se projette sur une flèche, ce qui est représenté par la flèche verticale qui va de S à C (figure 3.16). Ici aussi, le ternaire S  C peut être découpé en deux, soit l’exploration de S et l’arrivée vers C. L’arrivée sur C peut être considérée come l’exploration de la bonne flèche dans C qui correspond à la spire de départ. La formulation peut être délicate, mais le principe est encore de découper une arête en deux et de dépointer les sommets du graphe.

Suspension d’une action

La notation mathématique, foncteur ou esquisse, suppose des objets bien définis, donnés à l’avance. Ce sont des abstractions du monde réel, du monde où nous vivons et agissons. Il est donc logiquement fondamental et plus simple de décrire l’action. Le postulat P2 que l’être est mouvement va prendre tout son sens. La transition d’un état à un autre se décrit par un assemblage de gestes. Comme pour la perception, on peut décrire deux couches correspondant aux deux états, mais chacune de ces couches doit être saisie, recueillie, elle découle d’une exploration, d’un mouvement de cueillette, donc d’un geste qui effectue la genèse de l’état.

Puisque le jugement associe une perception sensorielle et une perception de récognition, une action peut être considérée comme associant deux gestes : “la connexion des choses retentit sur la connexion de l’esprit“ [Châtelet 93:30], ces connexions sont parallèles au sensoriel et à la recognition pour la perception. On peut aussi voir les deux gestes ainsi :

1. le geste se basant sur l’existant, qui le recueille et le forme, et 2. le geste qui explore l’avenir et esquisse le but désiré.

Les termes du grec ancien confirment cette vue : saisir, cueillir signifie aussi assembler [Deniau 08:18], donc saisir quelque chose signifie effectuer un mouvement tournant, c’est un geste.

Ainsi, au lieu de voir le mouvement comme un saut d’un état à un autre, on peut décrire les états comme des mouvements stabilisés. La suspension n’est pas tant éphémère que ce qui se joue au sein du stable.

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