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NEGATION ET LOGIQUE DES MONDES 90

Dans le document Inner tension of informational cohesion (Page 91-94)

Chapitre 4 STRUCTURATION CONCEPTUELLE 89

4.1 NEGATION ET LOGIQUE DES MONDES 90

La perception est toujours une affirmation, l'on perçoit quelque chose ou l'on perçoit qu'il n'y a rien; en d'autres termes, le jugement (et la négation) s'appuie sur la perception, et lui succède si l'on reconnaît l'importance du temps. Les jugements peuvent prendre plusieurs valeurs qui s’opposent de manière exclusive, une action peut être niée si l’on inverse le mouvement. Ainsi la négation opère différemment dans différents mondes, et permet de les distinguer.

R4.2 La négation distingue les mondes logiques.

Il importe donc d’observer le jeu de la négation dans les différents mondes, d'approfondir ce qu'est la logique de chacun d’eux, quel cours suivent les choses dans un monde.

La logique est souvent entendue comme la logique des propositions découlant du principe de non–contradiction énoncé par Parménide, Aristote le rappelle [1005b 15] et ajoute "Tout est contraires ou formé de contraires, et les principes des contraires sont l'un et le multiple" [1005a 5]. Ainsi la logique est reconnue comme fondamentale et proche de la cohésion. Aristote énonce ensuite ses syllogismes et chacun connaît les implications, inférences, conditions nécessaire et suffisante. La phénoménologie en fait un large usage lorsqu'elle parle des conditions d'apparition. Alain Badiou décrit cette logique comme régulation formelle des énoncés [Badiou 10:33].

Nous chercherons à décrire la logique comme la conséquence du logos, le mouvement sous-tendant les choses, le principe directeur. Badiou écrit une grande logique et la définit comme la cohésion de l'apparaître" [06:110] ce qui renvoie à notre sujet : la cohésion. Observons donc les divers jeux de la négation.

4.1.1 La négation dans l'action

La négation devient inversion dans l'action (R4.3), cela pourrait s'énoncer "ce que l'un a fait, l'autre peut le défaire". Cela se vérifie dans les actions simples concernant les objets solides. Dès qu'il y a complexité c'est-à-dire un grand nombre d'interactions, cette assertion ne se vérifie plus, soit parce que le contexte (avec lequel l'action interagit, c'est le cas pour l'histoire par exemple) a changé, soit parce que les interactions sont nombreuses.

Ainsi on ne peut décuire un œuf, parce que les constituants sont liés de manière irréversible. Si l'on mélange deux gaz, la probabilité de parvenir à dissocier le mélange n'est pas nulle mais faible, et l'on n'aura pas le temps, en pratique, d'attendre une des configurations où les molécules d'un gaz se retrouvent toutes du même côté d'une paroi.

L'irréversibilité est-elle causée par le grand nombre d'interactions ? Comme dans les molécules de l'œuf ? Casser un vase est irréversible, cela peut s'expliquer par le grand nombre de liens moléculaires brisés, la cohésion est en cause, mais la thèse postule une tension interne à celle-ci et ne recourt pas à la multiplicité des liens pour l’expliquer. Ainsi la question reste en suspens, toute action est-elle réversible ? Q5

1. Cette irréversibilité est-elle liée à la latéralité ou variance, alors que toute exécution d'action aurait un inverse et pourrait revenir à son point de départ ?

2. Ou bien cela peut signifier que l'action n'a pas seulement à faire à des objets définis et inertes, mais que ceux-ci se transforment, la logique de l'action ne serait pas seulement celle d'objets intellectuels fixes, mais aussi de perception, et c'est ainsi revenir dans l'empirisme, toute conception découlant d'une réalité concrète

La question de la logique et du temps a ici affleuré de nouveau.

4.1.2 La négation dans le jugement

Jung [93-3:455] distingue, parmi les fonctions psychologiques, celles qu’il appelle rationnelles qui permettent de comparer donc de choisir et celles qu’il appelle irrationnelles qui captent de l’information. Iosabel Myers [62] a souligné cette différence en la nommant Jugement et Perception.

Pour Jung [93-3:459], le penser “conformément à ses propres lois, établit une connexion conceptuelle entre les contenus représentatifs“ et il complète : “On ne devrait parler de penser que là où l’on se trouve en présence d’un acte de jugement“[idem:460]. C’est dans ce monde que les propositions prennent place comme figures ou contenu. À ce niveau, A et non A sont des énoncés (ce qui renvoie au discours et aux échanges du monde grec), et les deux énoncés peuvent être comparés, associés puis niés, ce qui aboutit, à la suite de trois réflexions, à la règle du tiers exclu : non (A et non A). Ce niveau est celui que Hegel [94:188] appelait l'entendement : “La pensée en tant qu’entendement s’en tient à la déterminité fixe“. Ainsi les choses sont définies et n'ont pas de mouvement interne, c'est-à-dire pas de contradiction. C'est la logique au sens où l'entendent les mathématiciens depuis Parménide (à part quelques exceptions comme la logique de l'interaction de Girard [06:459]). Avec “l’être est, le non-être n’est pas“, Parménide exige la consistance des propositions, qui peuvent être soutenues dans un procès, ce que révéleront les dialogues de Platon. On a là affaire à un monde posé, des notions qui se tiennent, et le mouvement (donc le non-être) sera un problème pour cette école.

Ce penser est aussi une expérience, ce processus devient donc capacité d'anticiper, de prévoir le mouvement. Whitehead l'a souligné dans son ouvrage [07:60] avec la causalité efficiente, c'est-à-dire la capacité de déduire les conséquences. Grâce à ce mouvement, la négation permet d'inverser le mouvement, de remonter à l'état initial, elle a donc un sens concret, même dans le texte le plus abstrait : il s'agit de remonter le sens du discours, de revenir en amont dans l'argumentation.

Le jugement contient donc ces deux mondes, celui des énoncés posés, et celui des traitements inversibles.

4.1.3 La négation dans la perception

Toute perception est une affirmation, le jugement négatif n'intervient qu'en second lieu, soit dans le temps de la conscience, lorsqu'elle est ralentie, soit comme nous l'avons vu dans les topos avec l'objet classificateur. “On peut percevoir quelque chose sans l’identifier comme une chose ou une autre“ [Dokic 04:60], c’est ce que nous avons décrit dans la genèse du jugement (§ 3.4.2) ; et l’auteur poursuit : “une perception simple est une relation réelle au monde“ [idem], ainsi toute perception est une affirmation.

Alain Badiou retrace cette observation jusqu'à Kant, et Hegel l'a développée, lorsqu'il dit dans La science de la logique que le néant est une notion qui existe. Heidegger [07:88] définira l'être-là ou "l'être le-là" comme suspendu dans le néant. "Dasein (être le-là) signifie : être tenu, suspendu dans le néant."

Ainsi Alain Badiou, reprenant le mouvement du négatif selon Hegel et le terme de Heidegger, parle de l'envers ; Morin [77:71] avait déjà utilisé ce terme. Nous traduisons cette notion par : une perception qui montre ce qui n'est pas là.

La perception ne conduit pas à l'absence directement, elle demeure dans la présence. L'Envers selon Badiou

"En effet, le concept approprié à l'apparaissant ne sera pas, dans un monde donné, sa négation, mais ce que nous nommerons son envers.

1) L'envers d'un étant–là (ou plus précisément, de la mesure d'apparition d'un multiple dans le monde) est en général un étant-là dans le même monde (une autre mesure d'intensité d'apparition dans ce monde).

2) L'envers a ceci de commun avec la négation qu'on peut dire qu'un étant-là et son envers n'ont, dans le monde, rien de commun (la conjonction de leurs degrés d'intensité est nulle).

3) En général, l'envers n'a cependant pas toutes les propriétés de la négation classique. En particulier, l'envers de l'envers d'un degré d'apparition n'est pas forcément identique à ce degré. Ou encore, l'union d'un apparaissant et de son envers n'est pas forcément égale à la mesure d'apparition du monde en son entier [union des complémentaires]" [Badiou 06:117-8]

Ce dernier point rejoint la dialectique, ou mouvement spéculatif de Hegel, la contradiction est féconde et la négation de la négation est un nouveau concept. Ainsi

R4.4 Dans la perception, la négation est affirmation de l’Envers.

4.1.4 Pas de négation pour les archétypes

Les pôles-archétypes n'ont pas de négation, ils sont la condition de possibilité de perceptions qui sont toutes affirmatives. On pourrait dire plus exactement

R4.5 Les pôles effectuent la jonction des opposés.

Cette jonction des opposés apparaît comme unité des contraires ou des oppositions, chez Héraclite [Jeannière 85 :61, Bouchart d’Orval 97 :88], Platon [08:166c], la Bhagavad Gita [Bhagavad 64:164] et Hegel [71:43,63 Papaioannou 62:40,53 et Axelos 62:48, 116]. Nous retrouverons la question des opposés à propos des conflits de valeurs et de leur rayon d'influence.

Le penser en général

La perception est souvent liée au sensible, au contact avec l'extérieur, comme le dit Renaud Barbaras qui titre un ouvrage : La perception, essai sur le sensible [Barbaras 94]. Y a-t-il une perception du général, de la pensée ? Sinon, la séparation entre intellectuel et sensible, entre esprit et matière subsiste. Que peut être la perception du général ? Du sens ?

Hegel y répond dans la Science de la logique : [Hegel 94:202 (1817) ou :349 (1830)] "Si le <<Moi = Moi>> – ou encore l'intuition intellectuelle – est pris véritablement comme [étant] seulement ce qui est premier, il n'est dans cette immédiateté pure rien d'autre que l'être, de même qu'inversement l'être pur, en tant qu'il n'est plus cet être abstrait, mais l'être contenant en lui-même la médiation, est pur penser ou intuitionner."

Il ajoute :"C'est seulement dans cette indéterminité pure et à cause d'elle qu'il [l'être pur] est néant ; quelque chose d'ineffable; ce qui le différencie du néant est quelque chose de simplement visé." [§ 87] On retrouve donc le terme de visée qui sera précisé plus bas.

Cette indéterminité fait partie du Logos, central pour Héraclite et qui permet de comprendre "le logos relie les êtres entre eux et au monde" [Deniau 08:60]. Ce logos pourrait être la tension qui provient du néant ou être pur.

4.1.5 Négation, identité, mouvement, nombre

La négation distingue les différents mondes; il ne s'agit pas seulement d'une proposition logique, mais aussi d'une action inverse permettant de revenir à l'état initial. La négation est l'opération la plus forte pour s'écarter de cet état initial, elle recouvre en filigrane d'autres opérations plus fines telles que la variance et l'identité. L'identité décrit de quelle manière, dans un ensemble – si l'on accepte ce mot- un élément est constant, discernable en tant que tel. Le discernable indique la variance (ce qui le distingue des autres), la constance désigne le même élément, au cours du temps ou d'une opération de brassage (permutation). Cette identité aura un sens différent et un fonctionnement différent selon les mondes. À titre d'exemple, l'égalité d'un élément d'un ensemble est supposée reconnaissable immédiatement, cette identité est une donnée, et rien ne peut l'atteindre ou l'altérer. L'identité dans une catégorie est une boucle qui est élément

neutre pour la composition, elle décrit donc – dans le temps – un cycle de retour à soi- même ; l'identité dans les autres mondes sera aussi à spécifier.

Nous avons postulé que l'être est mouvement (P2), et donc chaque entité se meut. Nous remarquerons que chaque monde a un type de mouvement qui lui est propre, soit son absence pour ce qui est donné, statique, soit un mouvement de rotation, pour les catégories et leurs boucles identité, soit en spirale, soit en pulsation. C'est l'une des nouveautés introduites dans cette thèse que le Même et l'Autre (selon l'antinomie de Platon) soient associés à une rotation, retour à soi par l'extérieur, ou à une pulsation, retour à soi par l'intérieur.

Le nombre est aussi un attribut spécifique de ces mondes logiques, peut être le caractère le plus marquant. Lacan a décrit le désir comme marqué par le Deux, distinction largement reprise depuis, et ce Deux s'oppose au Trois des catégories, des transitions, du mouvement au sens usuel entre deux étapes. On peut associer le Quatre au monde des données; le Un caractérise alors le monde des pôles archétypes.

Dans le mouvement de l’être, chaque monde intervient à une phase particulière, après coup (4), au cours du mouvement (3), en suspens (2), en essence (1).

Au chapitre 5 sur la trace, nous pourrons associer à ces mondes une couleur, non pas qu'une trace graphique soit nécessaire pour décrire une couleur abstraite, la chromodynamique quantique le montre. Mais la couleur s'allie à la description d'une trace, nous verrons alors la genèse du trait, parallèle à la genèse des nombres, et au changement des couleurs.

Ainsi chaque monde, repéré par la négation, est aussi décrit par son mode d'identité, son type de mouvement, un nombre et une couleur. Cette présentation s'illustre dans la carte mentale [Buzan 03] présentée en introduction (figure 3). Après avoir décrit chaque monde, nous observerons les interactions entre eux et pourrons construire le méta- modèle de cette recherche, achevant ainsi sa structuration conceptuelle.

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