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OBSERVATIONS EMPIRIQUES 45

Dans le document Inner tension of informational cohesion (Page 46-50)

Chapitre 2 UN – MULTIPLE, LA GENESE DES NOMBRES 44

2.1 OBSERVATIONS EMPIRIQUES 45

1. La première approche est de construire un espace où s'inscrivent les réponses et où l'on peut les comparer, cette démarche est aussi ancienne que les sophistes grecs et nous l'appelons le monde du Quatre; cela signifie monter d'un cran dans l'abstraction, et aussi arrêter le mouvement. S'il y a cohésion, la question est alors d'articuler l'un et le multiple. Nous verrons plusieurs arborescences ou liens ordonnés. Ils s’articulent en plusieurs arborescences ou liens ordonnés, et l’on peut faire trois observations. 1) L'Un au sommet dérange à notre époque, car il évoque un dogme ou une autorité suprême, alors qu'une seule énergie à la base ne dérange pas la liberté du penseur. Il existe donc un sens Haut et Bas dans la relation Un-Multiple. 2) Le sujet est vécu comme intime, vivant, alors que l'objet s'oppose en face de lui, comme structure. 3) L’observation commence par le fixé, elle en induit l’intention qui a guidé cette création.

2.1.1 Une arborescence de l'unité

Le monde nous offre une diversité et l'on peut trouver l'unité dans le tout, mais plus sûrement toute forme est elle-même une unité. Ainsi une unité est toujours composée, il s'agit de trouver ce qui est commun au sein de cette unité, et d'accepter la diversité interne, comme l'on accueille la diversité externe. C'est cette diversité interne qui permet à l'unité d'être vivante (démonstration basée sur la définition de la vie § 1.1.5).

Prenons un exemple simple, qui montre une pyramide telle une hiérarchie, habituelle à la culture française selon Hofstede [10:79]. D'autres structures sont possibles, même si elles sont moins présentes inconsciemment dans notre culture. Mais une réflexion sur cette lecture sera utile auparavant pour mieux situer les diverses options.

Unité Autorité Savoir Etat Masse, agglomérat confus, foule Multiplicité Individus, sensations, “chacun pour soi“ Idée Groupe Communauté

Figure 2. 1 Pyramide un-multiple

Un rectangle à la base représente la foule ou chaos, la multitude n'est plus distinguée, mais apparaît comme une masse confuse.

Le schéma ci-dessus place l'unité au sommet, comme plus simple, suivant la tradition platonicienne, et la masse, chaos et le multiple en bas. C'est bien ce que décrit la raison humaine et la conscience de l'individu.

2.1.2 Le sens du Haut et du Bas

Placer l’Un au sommet semble à fois ancien et naturel, traduisant la vision hiérarchique et la tradition platonicienne, néo-platonicienne en fait : “Comme dit Plotin, en reprenant une expression homérique, « notre tête reste fixée au-dessus du Ciel »“ [Hadot 97:32]. Pourtant diverses répartitions entre l’Un et le Multiple sont possibles :

- L’Un en haut et le Multiple en bas, on l’a vu, - Le Multiple en haut et l’Un en bas

- Le Multiple en haut et en bas, l’Un au milieu - L’Un en haut et en bas, le Multiple au milieu

Mais avant d’observer ces variantes, voyons les objections à la tradition pyramidale et le sens de la verticalité.

Refus de l’Un en Haut

Nombre de penseurs modernes refusent une unité au sommet et plaident pour une multiplicité (Heidegger et Badiou nommés plus haut mais aussi Deleuze [Huisman 84:524] et Lyotard [Badiou 08:92]). Il peut y avoir une raison sociale où l'individu (porteur de raison ou de conscience) interagit avec d'autres agents semblables; c'est notamment la vision développée par Alain Cardon [04:90] avec des systèmes multiples d'agents. L'unité est alors construite.

Il peut y avoir une raison historique due à un refus de l'autorité. Une unité de référence présente le danger que certains parlent en son nom, ces intermédiaires ont alors une autorité reconnue. Lorsque l'unité de référence est appelée Dieu, les prêtres peuvent alors exiger au nom de Dieu tel ou tel comportement. L'unité s'est aussi appelée Nature, tradition, le Bien, l'Un, l'Histoire, etc. La science s'est développée par opposition à la théologie et les agents qui parlent au nom de cette unité sont toujours perçus comme une menace. Cette crainte est toujours active, ainsi récemment Frédéric Lordon [10:68] rappelle cette idée en citant Pascal [04] : "L'unité qui ne dépend pas de la multitude est tyrannie". Nous concluons donc

R2.2Une unité idéale gêne les penseurs, car elle propose une autorité suprême.

Certains termes échappent à cette menace, ainsi le Tao, puisque ce qui se dit n'est pas le Tao, ce qui empêche l'apparition de porte-paroles. La Cabbale mentionne le Mi, le Qui ; certaines traditions parlent d'un point d'interrogation vivant. Plotin pense que l'Un, origine de la puissance, n'est pas. Lorsque le principe reste une question ou un Mystère, il ne peut être posé en objet, en contenu.

Haut et Bas, tête et pieds

La Nature, la matière, l'Etat constituent des unités de référence, mais qui ne sont pas considérés comme suprêmes pour l'individu; la vision d'une unité sous-jacente à tout phénomène ne gêne aucun scientifique. Cette unité a pour but de montrer qu'un électron ou un atome de carbone est le même qu'il soit logé chez le cerveau d'un penseur ou dans une mine de crayon. Mais l'unité basique ne donne pas de règle pour conduire sa vie, ou d'impératif moral pour régler sa conduite; en ce sens, elle ne gêne pas. Il est cependant possible que la fonte des glaces dans l'Antarctique ou des théories économiques aboutissent à des injonctions pour agir, et briment donc la liberté de l'insouciant.

Pourquoi ne sommes-nous pas dérangés par le fait que la matière est constituée d'atomes homogènes et sommes-nous dérangés par une Doctrine homogène ou un Principe moteur ? En d'autres termes, si nos moyens d'expression sont standardisés, cela ne nous gêne pas, mais, si l'inspiration était standardisée, cela nous dérangerait ? La question est encore plus forte dans l'informatique, puisque tout repose sur du binaire, cela n'entrave pas notre liberté, mais avoir une seule stratégie serait de la tyrannie. Poser ainsi la question montre la grande différence de sens entre le Bas et le Haut ou entre les sources d'inspiration et les moyens d'expression, entre le ciel au-dessus de la tête et le sol sous nos pieds.

Le Haut représente ce qui guide l’action, ce sont les valeurs, les inspirations et parmi elle, se trouve la liberté. C'est notre capacité de décision qui fonde notre liberté [Sfez 92] et celle-ci est une valeur fortement ancrée dans notre culture. Chateaubriand [66] et Hegel [Papaioannou 62:110] l'ont souligné au début du 19ème siècle : le christianisme – grâce au "Dieu fait Homme" – met l'accent sur la valeur inaliénable de l'individu. Ainsi avoir une seule inspiration comme la Bible, le Coran ou le livre rouge de Mao Zedong semble une pure tyrannie, car cet écrit guide le comportement et peut contraindre à en changer. Au contraire, des moyens limités, une matière décrite par une certaine théorie montre seulement nos limites, le sol sur lequel nous marchons, mais nous surmontons cette limitation en estimant que cela est un fait, et ne restreint pas notre liberté ou aspiration.

En termes plus poétiques, la liberté est une ouverture vers le Haut, l'être humain veut se tourner vers les étoiles sans limites, alors que le sol est limité depuis longtemps. Le Haut et le Bas ont donc une importance bien différente pour nous, l'intérieur (ou intention) et l'extérieur (ou expression) également.

En fait, l'être humain utilise les deux perspectives, Whitehead a repris ce fait [07:126]. En tant que lecteur, déchiffreur de la vie, l'humain fonctionne de bas en haut, il construit des théories qui lui permettent de manier des forces puis d'expliquer le monde où il se découvre. En tant qu'auteur et créateur, l'être humain fonctionne de haut en bas, il dirige ses efforts, planifie et met ses plans à exécution pour modifier l'environnement. En tant qu’auteur, l’homme se projette sur un démiurge, comme le soleil dans le mythe de la caverne de Platon [514a-519d in Droz 92:88] ou l’Etre Suprême de Voltaire : “comment connaîtrai-je l’intelligence ineffable qui préside visiblement à la matière (le philosophe ignorant, 1766, II et XVII)“ [Huisman 09:1861]. En tant que lecteur empirique, l’homme construit sa conception sur des faits de bas en haut, c’est la vision constructiviste.

La vision constructiviste qui prévaut actuellement montre également son revers : elle ne favorise pas la création mais l'acceptation d'un monde déjà construit, auquel il faut s'adapter, mais que l'homme n'a plus l'audace de maîtriser ou d'orienter. Whitehead, opposant raison pratique et raison spéculative, note “les sporadiques et faibles éclairs d’intelligence“ puis “l’habitude remplace toute trace de pensée qui pourrait la transcender“ [Whitehead 07:128]. Ainsi selon lui, le constructivisme est limité et ne met pas en lumière toutes les activités humaines ; l'existence de valeurs ou de principes est une nécessité.

Le Multiple en haut

Comment imaginer le multiple en haut ? Par une sorte de relativisme, on peut estimer que les valeurs, les œuvres d'art sont sublimes, mais qu'aucune n'est supérieure aux autres; pourtant ces œuvres dépassent la conscience quotidienne et, en ce sens, le multiple se situe au-dessus de l'unité. Bien sûr, cette vision va rencontrer les mêmes obstacles que le polythéisme, avec une tendance à un dieu suprême, soit pour des raisons de coutume (donc d'économie de pratique) soit par exigence logique, mais le polythéisme est-il vaincu ?

Un exemple commun (de l'unité à la base) en est le "Tout en un", c'est-à-dire un élément multifonction, copieur, numériseur, imprimante. À l'inverse, on imagine mal le concept fourre-tout qui pourrait s'appliquer à toute chose, à moins que ce ne soit le concept de système ou en physique de théorie du Tout.

2.1.3 Autres places relatives de l’Un et du Multiple

Le passage du multiple à l'unité sur un fond (donc vers le haut) peut s'appeler émergence. Dans Philosophies des sciences, tome 2 [Andler et al 02] un chapitre entier est consacré à cette notion, mais l'on se contentera ici d'utiliser son sens usuel. L'émergence est habituellement considérée comme l'abstraction qui domine les détails, comme le montre le schéma de la pyramide ci-dessus (figure 2.1) ; l’option inverse du multiple en haut et de l’un à la base vient d’être étudiée ; d'autres schémas illustrent des relations différentes entre l'un et le multiple.

Panachage en sablier : unité composée ou temporaire au milieu

Figure 2. 2 Un et multiple en sablier

Ce schéma représente un pivot reliant de nombreuses interactions. On peut penser à un clan dans la forêt amazonienne où les esprits totems abondent comme les formes

végétales et animales; la raison unie au centre apparaît bien seule. Le ciel est constellé d’étoiles et d’esprits, les animaux et formes abondent. En biologie, ce schéma peut faire penser au cœur, mais celui-ci unit, et n'est pas seulement un intermédiaire. En conception informatique, un design pattern a de multiples implémentations et peut avoir plusieurs fonctions ; en architecture, un standard d'une couche allie également plusieurs fonctions hautes et plusieurs mises en œuvre.

L'école platonicienne a été critiquée parce qu'elle supposait derrière toute forme une Idée, l'idée d'un chat, d'une table, etc. Dans cette perspective, les idées étaient aussi nombreuses que les formes conceptuelles. Les substances d'Aristote offrent en fait le même écueil, puisque ces substances sont spécifiques et non générales comme dans le sens moderne (de vide ou énergie). Rupert Sheldrake [87] avec ses champs de forme rencontre la même critique et l'affronte en répondant : les formes sont multiples, cette abondance ne provient donc pas de la théorie, mais est constatée.

Pourtant l'on essaie de limiter la multiplicité en affinant la théorie. Panachage en losange : Unité en haut et à la base

Figure 2. 3 Un et multiple en losange

Ce schéma est peut-être le plus commun ou le plus implicite dans notre société : la Nature est unifiée par les lois de la physique et l'on fait confiance aux physiciens pour accomplir cette tâche qui fonde le socle de notre existence. Le sommet représente l'humanité ou le summum concevable, on ne saurait l'appeler Dieu, mais quelque principe suprême comme la jouissance ou l'Etre, le Tao ou le Cosmos (plutôt que le Ciel) remplit l'office de présenter une voûte cohérente aux aspirations humaines. L'unité au sommet découle de notre vision platonicienne et la plupart des religions et de nombreuses philosophies assument un Principe suprême.

La science contemporaine, redisons-le, semble avoir démontré que le vide peut bien avoir de l'énergie, il peut y avoir des cordes ou des quarks, mais la base de la matière est une. Les mêmes atomes de carbone, d'hydrogène et d'oxygène se trouvent dans les corps vivants qui se trouvent différenciés par leur ADN selon la saga commune. En informatique, le même courant électrique, le même code binaire ou hexadécimal offre le socle à tous les développements. Au pôle opposé, la langue naturelle a joué ce même rôle d'unification, en supposant parfois, derrière les intentions, une conscience humaine capable de communiquer.

2.1.4 Objet, sujet, intention en filigrane

Objet et Sujet

Sur la figure 2.1 de la pyramide, on distingue rectangles et cercles. Les deux rectangles semblent figés, massifs, solides, le rectangle du Haut paraît imposant, alors que le cercle évoque une unité plus douce. Que se passerait-il si l’Unité en haut était dans un cercle ?

Figure 2. 4 Carré et cercle, symboles d’objet et sujet

Sujet et objet se modélisent différemment, l'un comme Cercle, symbolisant une unité organique, vivante, jaillissant de soi, pleine de potentialités; l'autre, objet, se représente par un Carré, symbolisant une structure extérieure à soi, sans participation de celui qui contemple le modèle, indépendante. Le carré représente une construction faite de traits

droits, ce droit illustre la visée, la loi, la raison, mais aussi les règles que l’on subit, la fixité d’une structure qui ne s’adoucit plus dans le mouvement.

Ainsi, le cercle renvoie à la conscience du sujet qui contemple le modèle, tandis que le carré évoque l'opposition, la rigueur, s'opposant (se posant en face = ob-stant) du lecteur.

Il faut donc distinguer entre unité de référence en tant que vivante ou sujet, et unité conçue comme objet. Les chants de Maldoror [Lautréamont 98] parlent justement du Grand Objet extérieur, cet objet est institutionnalisé et va servir d'argument d'autorité à ses prétendus serviteurs.

États et intention

"Quand le sage montre la lune, l'imbécile regarde le doigt."

Chacun commence à observer finement la trace des autres, puis la reproduit et capte ainsi le mouvement qui a suscité cette forme ; c’est alors seulement que l’on s’interroge sur le but qu'ils poursuivaient ou qui les animait. Nous mettons donc l'accent d'abord sur l'objet étrange, plutôt que sur la visée.

Hegel écrit que sa réflexion a abouti à un système [lettre à Schelling citée in Papaioannou 62:12], son souci de cohérence logique l'a conduit à créer un système sans qu'il l'ait voulu au départ, mais chaque œuvre n'est-elle pas une direction que poursuit l'auteur, un chemin où il voudrait aller et qu'il invite à explorer ?

Un des obstacles que va rencontrer l'intentionnel, dès qu'il sort des buts (goals ou softgoals), est qu'il suppose une subjectivité. Or cette subjectivité (intelligible) suppose une vision d'ensemble, unificatrice, une création, qui va se heurter au constructivisme ambiant. C'est pourquoi le terme intension est préférable, car il ne suppose pas une subjectivité mais seulement un monde de valeurs ou de raisons. Bien sûr, la subjectivité sera nécessaire à la perception de ce monde, mais elle arrive ensuite, et le sujet peut ne pas être lucide sur l'intension (ce qui l'amène à agir), alors qu'il croit avoir une intention déterminée.

Un exemple amusant est fourni par Alain Cardon [Cardon 05:26] lorsqu'il définit un modèle comme "permettant de passer à une forme conceptuelle permettant de comprendre, … de prévoir le comportement." Si des multi-agents simulent un comportement et permettent donc de le prévoir, le concept lui n'est pas construit. On pourrait penser que le concept, comme toute créativité, provient d'une prise à soi, d'une pulsation intellectuelle [Guitart 99], ce qui suppose donc un centre, une unité; de ce centre viendra éventuellement un flot d'intelligence ou de perception.

En conclusion, l'intentionnel se heurte à une démarche empirique, le constructivisme (les unités s'élaborent à partir de la base) va supposer à un moment un constructeur, une visée provenant d'une unité qui assemble le multiple, donc l’englobe et le cerne.

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