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Montrer, raconter et lutter par des « promos » ?

B. La « promo » : un objet scripto-audio-visuel

I. La « promo » : un petit format conçu pour la circulation numérique

3. Réflexion sur la compression spatiale et temporelle

À l’instar d’un journal télévisé, les « promos » racontent l’actualité politique mais en petit format. Ce dernier répond à des contraintes d’ordre temporel et économique. D’abord, accompagner rapidement la transformation des pratiques de s’informer sur l’actualité politique oblige à adopter un format réduit, facile à composer et à utiliser. Ce format est à considérer comme une économie discursive autant pour la chaîne - qui suit la transformation sociale - que pour le spectateur responsable de cette transformation. Cette forme, porteur des contraintes de sa production introduisent en même temps un nouveau modèle médiatique à la télévision.

À priori, raccourcir libère la voix éditoriale des règles apprises à l’école. À l’opposé d’une page de journal télévisé, les « promos » font appel à un langage narratif pour raconter l’actualité politique. Ce langage sert non seulement à informer mais aussi à « impulser l'imagination plus que la raison

du lecteur qui se trouve paralysé, d'une certaine manière, dans l'exercice de son jugement critique.178» La narrativité des « promos » joue un rôle didactique, elle produit un effet de réseaux.

Au contraire d’un journal télévisé, ces petits séquences créent un pont entre des faits indépendants et établissent un lien de causalité entre eux.

Il est vrai que représenter l’actualité politique en petit format sert à entraîner le spectateur dans le jeu de la spectacularisation, mais il est aussi un moyen de se lever contre l’hyperfragmentation179

178

Jean-Paul BERTAUD, « Histoire de la presse et Révolution ». in: Annales historiques de la Révolution française. N°285, 1991. p. 296.

179 Voir Benoît. D’AIGUILLON, « TF1 20 heures intangible carrefour social ? TF1 8 pm intangible social crossroads

? », International journal of information sciences for decision making , n°2, p. 4, Centre de recherche rétrospective de Marseille, 1998.

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du journal télévisé au profit d’une unité spatiotemporelle. Plus précisément, l’actualité politique en petit format permet de relier métaphoriquement des actualités divergentes et de leur donner paradoxalement une meilleure visibilité.

Si nous soulignons la richesse des « promos » en matière d’analyse sémiotique, nous signalons ici l’importance de repenser le discours du journal télévisé à la lumière des transformations spatiotemporelles. Dans Histoire de la presse et Révolution, Jean-Paul Bertaud s’interroge sur la

transmédiagénie de la presse révolutionnaire du XVIIIème siècle qui s’accommode pour rendre

compte d’un crescendo qui s’intensifie, se hausse, se cristallise de jour en jour entre la monarchie et le peuple : « La presse décrit ou invente, ruine ou construit. Dans un chatoiement de mots et de

formules, elle dit la rumeur, elle rend l'émotion. Elle prévient contre le mandataire infidèle, elle crie la sédition. Traduisant les joies et les souffrances, les craintes et les espoirs, les amitiés et les haines, les journaux sont des instruments des luttes et des conquêtes politiques, des avancées ou des reculs sociaux 180».

D’une manière analogique, nous nous interrogeons sur la corrélation entre la forme et le contenu des « promos », sur cette nouvelle expérience d’accélération, sur cette aventure spatio-temporelle qui raconte autrement la guerre de Gaza en 2009 et les révolutions arabes en 2011

Plus précisément, afin de traduire le dynamisme et la fragmentation de l’expérience du temps et de l’espace, il faut non seulement représenter la société comme étant en plein mouvement, mais il faut avant tout créer un langage formel qui incarne matériellement cette accélération. Puisque cette tendance d’accélération temporelle est accompagnée forcément d’une nette tendance de compression spatiale, le petit format qui en résulte va permettre la densification des épisodes de l’action.

Dans Accélération : une critique sociale du temps, Hartmut Rosa définit la compression du

présent comme étant un raccourcissement temporel qui crée un sentiment d’instabilité et une

attente latente.181 Ce sentiment d’insécurité renvoie à l’instabilité des conditions sociales, ce qui impose une révision permanente des attentes, une réinterprétation des expériences. Les « promos » représentent un univers agité qui réactualise en permanence les attentes du spectateur non seulement à travers la densité du contenu proposé mais aussi par la création d’un sentiment d’urgence.

180 Jean-Paul BERTAUD, « Histoire de la presse et Révolution », op. cit., p. 296. 181 Hartmut ROSA, Accélération : une critique sociale du temps, op. cit., p. 175

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Paul Virilio constate le lien étroit qui unit la vitesse au pouvoir, il montre que l’accélération est une forme de puissance qui permet de maitriser l’espace de sorte que le pouvoir est toujours celui du plus rapide et du plus flexible qui dispose à sa guise de stratégies d’accélération et de décision.182 Pour le téléspectateur, cela se traduit par sa capacité de s’affranchir des frontières spatiales et temporelles imposées sur l’objet regardé. Affirmer son pouvoir et imposer sa logique commence par la transformation des liens sociaux qui s’établit avec l’objet. C’est-à-dire, changer son propre statut par rapport à l’objet et passer d’un téléspectateur impuissant à un webspectateur tout puissant.

À partir de ce raisonnement, nous voyons notre blogueur collectionneur comme un agent décisif de la circulation des « promos » parce qu’il a réussi à remplacer le dispositif de la souveraineté télévisuelle par le dispositif de la participation numérique. Zygmunt Bauman fait de la circulation un enjeu de pouvoir :

« Pour que le pouvoir puisse s’écouler librement, le monde doit se passer de

clôtures et de barrières, de frontière fortifiées et de postes de contrôle. Tout réseau dense, serré, de liens sociaux, et en particulier un réseau enraciné territorialement constitue un obstacle qu’il faut supprimer. Les pouvoirs globaux ont une propension à démanteler des réseaux de ce genre en faveur du maintien et de l’augmentation de leur fluidité, ce principe qui est la source de leur force et le garant de leur invincibilité183».

La circulation des « promos » s’inscrit dans un projet d’ « empowerement », à savoir, inventer des pratiques qui permet de dissoudre les liens avec un objet inscrit dans un espace-temps prédéfini et en créer d’autres situés au-delà de cette détermination spatio-temporelle. À partir de cette hypothèse, nous postulons que le déracinement des « promos » est à lire sur un plan global et en termes de prise de pouvoir de l’internaute sur l’objet télévisuel.

À partir de ces constats, nous voyons aussi les « promos » comme un discours critique sur le journal télévisé. Les « promos » et le journal télévisé appartiennent à la même sphère culturelle. Tous les deux sont des objets télévisuels conçus par une chaîne d’information et tous les deux procèdent par la fragmentation du monde pour raconter l’actualité politique.

182

Paul VIRILIO, Bunker Archéologie (1975), Paris, Galilée, 2008, p.17.

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Cependant, à l’inverse d’un journal télévisé, les « promos » établissent des relations logiques de causalité et d’interdépendance entre les faits. Si nous voyons dans les « promos » un discours critique sur le journal télévisé c’est parce qu’elles jettent les bases de ce qui pourrait être une tentative de narrativiser le journal télévisé. En observant l’ensemble des « promos », on s’est arrêté sur une expérimentation assez originale.

À l’inverse d’un JT typique, ici, les frontières spatiotemporelles des faits ne sont plus cloisonnés mais plutôt fusionnelles. La fictionalisation du JT permet de le présenter comme un lieu qui fait réconcilier les faits du monde par le dialogue et au moyen de la narration. En même temps, narrativiser le discours du JT changerait certainement la manière dont le téléspectateur concevrait les actualités du monde. La création d’un discours qui ne sépare pas mais qui réunit permettrait à chacun de se reconnaitre dans plusieurs faits, voire dans plusieurs récits.

Au lieu de s’intéresser uniquement à des nouvelles de proximité susceptibles d’apporter des réponses partielles, le téléspectateur pourrait trouver dans les faits du monde entier des explications plus logiques et plus satisfaisantes à ses questions.

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