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Montrer, raconter et lutter par des « promos » ?

A. Les vidéos promotionnelles d’Al Jazeera : œuvre fragmentée entre déconstruction et reconstruction

IV. Médiactivisme numérique et transformation des récits

4. Héros mythiques

Les « promos » mettent en scène deux événements à temporalités différentes. Le premier événement, à savoir la guerre israélienne sur la bande de Gaza, s’inscrit dans le cadre du conflit israélo-palestinien, un conflit qui dure depuis plus de soixante ans et qui jusqu’aujourd’hui demeure non résolu. Le deuxième sujet des « promos » traite la question du « Printemps arabe » qui correspond à un moment de fracture et d’éclatement dans les sociétés arabes donnant naissance à des mouvements de révolte. Dans le mot « printemps », on sous-entend une période transitoire à durée courte. Cette articulation entre deux événements dont l’un est à temporalité longue et l’autre à temporalité courte nous semble importante pour comprendre la circulation des «

promos » et des mythes qu’elles co-créent avec le public.

La représentation du conflit israélo-palestinien est essentiellement conditionnée par le traitement médiatique qui lui est accordé. C’est plus précisément par une certaine lecture médiatique qui a longuement accompagné les années d’affrontement et de violence dans la région que les imaginaires collectifs autour de cette question ont pris leur forme actuelle. Ainsi, notre perception du conflit dépend en grande partie de l’interprétation qui est faite par les médias.

Dans notre étude, nous nous consacrons à l’analyse des représentations autour de deux figures : le palestinien et le manifestant pacifique pour expliquer l’ampleur de la création d’une représentation mythique dans la circulation des « promos ». Afin d’expliquer la nécessité du mythe, le sociologue Roger Bastide note que « la plupart des ethnologues sont d’accord pour considérer les mythes

comme des réponses à des phénomènes de déséquilibre sociaux, à des tensions à l’intérieur des

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Bertrand FAURÉ, Le langage des chiffres dans les processus d’organisation : communications organisationnelles et performativité, Habilitation à Diriger des Recherches en Sciences de l’information et de la communication, Université Rennes 2, 2013, p. 16

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structures sociales, comme des écrans sur lesquels le groupe projette ses angoisses collectives, ses équilibres de l’être. 157

» La circulation d’un mythe est « une réponse à une crise identitaire créée par la désagrégation des mécanismes de solidarité qui ordonne la vie collective. 158 »

Le mythe politique s’impose avec le plus d’intensité et exerce sa plus grande influence sur celui qui se considère comme antihéros, c’est-à-dire quelqu’un qui n’a aucune des caractéristiques du héros conventionnel. Aujourd’hui, le monde arabe est vu comme l’ « Homme malade de la

modernité » : « L'âme arabe est brisée par la pauvreté, le chômage et le recul des indices de développement 159». Dans le monde arabe, le mythe du héros remplit une fonction cathartique qui

fait appel à une restructuration sociale160dans le sens où grâce à ce mythe, la société retrouve une certaine paix éphémère. La circulation des « promos » qui représente le palestinien comme «

héros » est à lire comme un geste symbolique, comme une reconquête d’une identité en crise qui

trouve dans cette figure un objectif et un sens à la lutte sociale. Le déploiement des « promos » sur les réseaux sociaux revient donc au pouvoir d’identification qu’elles créent à partir de la mise en scène d’une figure héroïque qui fait presque l’unanimité dans le monde arabe.

Si nous acceptons de lire la circulation des « promos » sur la Palestine comme un geste initiateur d’une quête identitaire, la circulation des « promos » du « Printemps arabe » s’avère comme la continuité de cette quête. Il s’agit de la suite de l’histoire, où cette fois la recherche de la démocratie et de la justice sociale est devenue une affaire de société. Ceci est à considérer comme la deuxième représentation véhiculée par les médias arabes à partir des mouvements massifs de révoltes qui ont gagné peu à peu le monde arabe en 2011.

Dire une révolution, c’est réactualiser l’espoir dans l’humanité et dans sa capacité de remplacer la dictature par la démocratie. Le fait d’assimiler les vagues de contestation et de manifestation de 2011 à une révolution est fondé sur la création d’une représentation politique des événements. Cette représentation se crée par la formation d’un mythe autour de la figure du manifestant pacifique. Celui-ci est un héros qui fait face aux violences par la non-violence et qui reste fort et ferme dans sa lutte pacifique pour la démocratie.

157 Roger BASTIDE, Le Rêve, la Transe et la Folie, Paris, Flammarion, 1952, p. 8. 158

Ibid

159 Extrait d’un discours d’Amr Moussa, secrétaire général de la Ligue arabe, lors du sommet économique tenu par

celle-ci au mois de janvier 2011.

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Ce mythe est à voir comme une économie discursive simplifie la complexité des actes humains,

« il les purifie, les innocente, les fonde en nature et en éternité, il leur donne une clarté qui n’est pas celle de l’explication, mais celle du constat161

». De ce fait, la circulation des « promos »

participe à la concrétisation de ce mythe. En l’occurrence, en diffusant ces mini vidéos qui montrent l’attitude pacifique des insurgés face à la violence des forces de l’ordre, Al Jazeera rend légitimes les revendications des manifestants et sacralise leur lutte.

Bien que chaque mythe a sa temporalité propre, les deux mythes ont une temporalité commune, celle qui enferme le « héros mythique » dans son rôle du héros ou de sauveur. Afin d’expliquer les aspirations humaines, le mythe inscrit le héros dans une temporalité singulière. Celle qui permet, à travers ce personnage, de transcender la nature humaine et de prédire l’avenir. Cette temporalité mythique apparaît comme une mémoire collective qui se réactualise au moment des crises. Chaque nouvelle expérience temporelle fait appel à une temporalité mythique qui se reproduit dans des récits autour des figures héroïques. Cette temporalité remplit un rôle cognitif puisqu’elle permet de revisiter ce temps antérieur pour créer une vision globale et structurée du présent, une vision qui permet de se projeter dans l’avenir.

5. La construction d’une communauté d’intérêt autour de sa chaîne

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