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Réflexion à propos des auteurs cités par Charles de Méan

Dans le document Charles de Méan, le Papinien liégeois (Page 166-170)

Première partie : Analyse externe de l’œuvre de Charles de Méan

Section 3 Réflexion à propos des auteurs cités par Charles de Méan

Dans la présente section, nous émettrons quelques observations sur les ré­ sultats d'une recherche que nous avons menée et consistant à identifier les auteurs cités par Charles de Méan et à les classer par époque et par pays. Cette recherche, que le lecteur trouvera en annexe 3, se base sur la liste des auteurs réalisée par Ma­ thieu Gordinne et qui se trouve dans le 7e tome des Observationes de Charles de

Méan. Par celle­ci, nous avons voulu faciliter la tâche des futurs chercheurs. A cette fin, la liste suit un ordre purement alphabétique. Ce faisant, elle diffère légèrement de la liste réalisée par Mathieu Gordinne. En effet, celui­ci a commis à plusieurs reprises des approximations. Par exemple, il a placé Bender après Benedictus et Benignis, Cyriacus juste après Cicéron et devant, par exemple, Clarus ou Colerus,… Par ailleurs, nous avons ajouté dans cette liste des verbos correspondant au noms les plus usités des jurisconsultes et renvoyant au verbo utilisé par Mathieu Gordinne lorsque celui­ci n'utilisait pas l'appellation courante de l'auteur. Outre cette liste, le lecteur trouvera deux tableaux tendant à classer les auteurs cités par Charles de Méan par siècle et par pays. En effet, il nous semblait que, sur base de la seule liste, il était difficile de se faire une idée des influences temporelles et géographiques res­ pectives de Charles de Méan.

243. A notre sens, au moins cinq observations peuvent être effectuées à la suite de l'analyse de la liste des auteurs et des tableaux classant ceux­ci par siècle et par pays.

Tout d'abord, force est de constater le très grand nombre de juristes cités par Charles de Méan. Celui­ci en cite en effet plus de 400 ! Il semble dès lors assez lo­ gique d’en tirer comme conséquence que Méan n’a pas pu lire l’ensemble des au­ teurs et encore moins l’ensemble des ouvrages auxquels il fait référence. Il a dû très

certainement se baser sur un certain nombre de livres qui renvoyaient eux­mêmes à d’autres ouvrages, sans nécessairement consulter ces derniers. Cette hypothèse est renforcée, nous semble­t­il, par le constat que Bram Van Hofstraeten a fait dans sa thèse en utilisant l'expression de "Paard van Troje", "cheval de Troie813", même si le

constat de cet auteur porte sur des normes législatives et non sur l’œuvre d'un au­ teur.

Si Charles de Méan cite plus de 400 auteurs, il est important de relever qu'aucun de ceux­ci n'est anglais. Cet état de fait est­il une spécificité de Charles de Méan? Il est difficile de trancher d'après les informations dont nous disposons. S'il s'avérait que Charles de Méan est loin d'être le seul auteur des temps modernes de l'Europe continentale à ne citer aucun auteur anglais, force serait de constater que ce pays n'aura pas eu d'influence sur le ius commune ­ ce qui ne voudrait pas dire qu'il n'a pas lui­même été influencé par le ius commune814. L'on peut tout au plus pré­

supposer de l'absence d'auteurs anglais cités par Charles de Méan qu'aucun de ceux­ci n'a eu un impact déterminant, majeur sur le ius commune. En effet, on ne voit pas bien ce qui, d'un point de vue politique ou idéologique, aurait empêché le Papi­ nien liégeois de citer des jurisconsultes anglais. Cet impact négligeable du droit an­ glais sur le ius commune peut certainement s'expliquer par la spécificité de ce droit.

Ceci est d'autant plus vrai que Charles de Méan cite aussi bien des auteurs d'obédience catholique que des jurisconsultes appartenant à la religion réformée.

Parmi les premiers, on citera notamment André Valère815, Bertrand d'Argentré816,

Jean Bodin817, Antoine Favre818, André Gail819 et Zypaeus820. Parmi les seconds, on

peut noter, à titre purement exemplatif, Jules Pacio821, Everard Bronchorst822, Bene­

813 B. VAN HOFSTRAETEN, Juridisch Humanisme en Costumiere Acculturatie, Inhouds­ en vormbe­

palende factoren van de Antwerpse Consuetudines compilatae (1608) en het Gelderse Land­ en Stadsrecht (1620), Universitair Pers Maastricht, 2008, pp. 261­274.

814 Sur l'influence du ius commune en Angleterre, voy. notamment R.H. HELMHOLZ, Roman canon

law in Reformation England, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, pp. 144­154 ; R.

ZIMMERMANN, "Europäische Charakter des englischen Rechts", in Zeitschrift für Europäisches

Privatrecht, 1993, pp. 4­50 ; H. PATRICK GLENN, On common laws, Oxford University Press,

2005, pp. 97­103 et D.J. OSLER, "The Fantasy Men", in Rechtgeschichte 10, 2007, pp. 187­ 191.

815 Pour des indications biographiques, voy. le n° 15 de l'annexe 3A. 816 Pour des indications biographiques, voy. le n° 23 de l'annexe 3A. 817 Pour des indications biographiques, voy. le n° 54 de l'annexe 3A. 818 Pour des indications biographiques, voy. le n° 156 de l'annexe 3A. 819 Pour des indications biographiques, voy. le n° 175 de l'annexe 3A. 820 Pour des indications biographiques, voy. le n° 423 de l'annexe 3A. 821 Pour des indications biographiques, voy. le n° 300 de l'annexe 3A. 822 Pour des indications biographiques, voy. le n° 64 de l'annexe 3A.

dict Carpzow823, Denys Godefroid824, François Hotman825 et Charles Dumoulin826. Ain­ si, notre constat tempère, voire contredit l'opinion de D.J. Osler suivant laquelle il y aurait une division entre l'Europe du Nord composée des Pays­Bas et de l'Alle­ magne, la France et l'Europe du sud, composée de l'Italie et de l'Espagne, notam­

ment sur base de la religion827. Par contre, l'étude que nous avons faite rejoint cet au­

teur sur le fait qu'on trouve rarement, dans les écrits de l'Europe occidentale, de cita ­

tions d'auteurs provenant de l'Europe de l'est828.

Ensuite, sur base du tableau classant par siècle les auteurs cités par Charles de Méan, un constat apparait clairement : Charles de Méan cite essentiellement des auteurs du 16e siècle. Notons qu'il fait également référence à un nombre non négli­

geable d’auteurs du 17e siècle. Dès lors, en se basant uniquement sur ces indica­

tions temporelles, l’on peut supposer voire affirmer une influence dominante de l’humanisme, entendu dans le sens de praktische rechtsleer829 dans son œuvre, ce

qui n’est guère étonnant vu l’époque au cours de laquelle il a vécu. On peut expliquer le nombre moins important de renvois à des ouvrages du 17esiècle qu'à des travaux

du 16e siècle au moins par les deux éléments suivants: Charles de Méan a commen­

cé sa rédaction au milieu du 17e siècle et est décédé en 1674, soit aux trois­quart de

ce siècle ; ensuite, vu les moyens de communication de l'époque, il y avait générale­ ment un hiatus entre la rédaction d'un ouvrage et sa diffusion830.

Cinquièmement, sur base du tableau répertoriant par pays les auteurs cités par Charles de Méan, l'on constate une nette domination des auteurs italiens, qui re­ présentent plus d’un tiers des auteurs identifiés (37,5 %). Les auteurs français ne sont pas en reste avec près de 23 %. Relevons enfin les influences non négligeables de l’Allemagne (11,7 %) et celle des Pays­Bas méridionaux (près de 11 %). Quant aux auteurs liégeois, Méan en cite 14, ce qui représente 4 % des auteurs identifiés. Relevons toutefois que Pierre de Méan n’a pas été compris dans ce nombre. Il est difficile, en l'état actuel des recherches sur le droit et sur les juristes liégeois, de tirer des conclusions à propos de ce chiffre. De manière générale, les résultats obtenus ne sont pas spécialement étonnants, vu les grands courants juridiques de la fin du

823 Pour des indications biographiques, voy. le n° 93 de l'annexe 3A. 824 Pour des indications biographiques, voy. le n° 189 de l'annexe 3A. 825 Pour des indications biographiques, voy. le n° 219 de l'annexe 3A. 826 Pour des indications biographiques, voy. le n° 274 de l'annexe 3A.

827 Voy. D.J. OSLER, "The Fantasy Men", in Rechtgeschichte 10, 2007, pp. 169­192, spéc. pp.

180­187 et 191. Voy. également D.J. OSLER, “The Myth of European Legal History”, in Recht­

shistorisches Journal, 16 (1997), pp. 407­410.

828 D.J. OSLER, "The Fantasy Men", in Rechtgeschichte 10, 2007, p. 185.

829 D. DE RUYSSCHER, Westers recht in ontwikkeling: Privaat­ en publiekrecht van Rome tot van­

daag, Kluwer, 2015, pp. 101­124, spécialement pp.109­118.

830 Pour une analyse allant dans le même sens, voy. la troisième partie de la thèse de doctorat

de Bram Van Hofstraeten (B. VAN HOFSTRAETEN, Juridisch Humanisme en Costumiere Accul­

turatie, Inhouds­ en vormbepalende factoren van de Antwerpse Consuetudines compilatae (1608) en het Gelderse Land­ en Stadsrecht (1620), Universitair Pers Maastricht, 2008, pp.

Moyen âge et des temps modernes ­ à l'exception de l'absence, déjà mentionnée ci­ dessus, d'auteurs anglais. On relèvera néanmoins le pourcentage peu élevé d'auteurs allemands auxquels Charles de Méan se réfère, alors pourtant que la prin­ cipauté de Liège faisait partie du Saint­Empire romain germanique. Ceci pourrait être un indice ­ mais qui doit être confirmé ­ du peu d'influence de l'appartenance à l'Empire sur le droit de la principauté. Une telle affirmation serait pour le moment beaucoup trop prématurée. En effet, il ne faut pas voir uniquement le pourcentage d'auteurs cités, mais aussi si ceux­ci le sont une fois ou à de multiples reprises. Or, un auteur comme Gail est cité à de nombreuses reprises par Méan. Dans le même ordre d'idée, il ne faut pas perdre de vue que les universités allemandes ont été fon­ dées assez tardivement et qu'elles n'arriveront à leur apogée qu'après le décès de Charles de Méan831. Ceci peut expliquer le nombre relativement faible ­ toute propor­

tion gardée ­ d'auteurs allemands cités.

Après avoir mieux aperçu les influences dominantes de Charles de Méan grâce aux auteurs auxquels il se réfère, il est maintenant temps d’effectuer une ana­ lyse particulière d’une catégorie de sources très couramment citées par le Papinien liégeois, à savoir les sources constituant la codification de l’empereur Justinien.

831 En ce sens, voy. K. KROESCHELL, A., CORDES et K. NEHLSEN­VON STRYK, Deutsche Rechts­

geschichte, Band 2: 1250­1650, 9. aktualisierte Auflage, Wien, 2008 et K. KROESCHELL,

Deutsche Rechtsgeschichte, Band 3: Seit 1650, 5. Auflage, Wien, 2008, ainsi que les ou­

vrages cités aux pages 260 à 264 du premier livre cité et aux pages 4 et 44 du second livre mentionné et, parmi ceux­ci, notamment TH. MAISSEN et G. WALTHER (éd.), Funktionen des

Humanismus. Studien zum Nutzen in der humanistische Kultur, Göttingen, Wallstein, 2006 et

S. LEMBKE et M. MÜLLER (sous la direction de), Humanisten am Oberrhein. Neue Gelehrte im

Chapitre 6 : Une analyse particulière de l’utilisation des

sources : les Institutes, le Digeste et le Code de l’empereur

Justinien

Après une explication sur le but de cette analyse, sur les moyens utilisés pour la réaliser et sur les problèmes méthodologiques qu’elle peut poser, nous donnerons une image globale de l’utilisation des Institutes, du Digeste et du Code de l’empereur Justinien par catégorie du droit. Ensuite, nous analyserons plus précisément l’utilisa­ tion de quelques titres de ces trois sources par Charles de Méan.

Dans le document Charles de Méan, le Papinien liégeois (Page 166-170)