§ 1er : Origine historique
127. On situe généralement l’origine de la neutralité liégeoise dans la déci sion, prise en 1477, du princeévêque Louis de Bourbon (14381482) et des Etats de
420 Pour plus d’informations sur le sujet, voy. notamment Th. BOUILLE, Histoire de la ville et pays
de Liège, t. 3, Guillaume Barnabé, Liège, 1732 ; H.N. DE VILLENFAGNE D’INGIHOUL, Re
cherches sur l’histoire de la cidevant principauté de Liège, 2 t., Liège, P.J. Collardin, 1817 ;
M. DEWEZ, Histoire du pays de Liège, t. 2, Bruxelles, Delemer, 1822, pp. 201309 ; L
WARNKÖNIG, Précis de l’histoire de Liège, Liège, F. Renard, 1864 ; E.C. DE GERLACHE, His
toire de Liège depuis César jusqu’à la fin du XVIIIe s., 3e éd., Bruxelles, H. Goemaere, 1874,
pp. 277304 ; J. DARIS, Histoire du diocèse de la principauté de Liège pendant le XVIIe siècle, Liège, Imprimerie et lithographie Demarteau, 1877 ; H. LONCHAY, La principauté de Liège, la
France et les PaysBas au XVIIe et au XVIIIe siècle : étude d’histoire diplomatique, Bruxelles,
F. Hayez : Académie royale de Belgique, 1890 ; H. PIRENNE, Histoire de Belgique : des ori
gines à nos jours, Bruxelles, La renaissance du livre, t. 2, pp. 428438 et t. 3, pp. 7989,
1923 ; F. MAGNETTE, Précis d’histoire liégeoise à l’usage de l’enseignement moyen, 3e éd.,
Liège, H. VaillantCarmanne, 1929, pp. 201247 ; J. LEJEUNE, La principauté de Liège, Liège,
Editions de l’ASBL Le grand Liège, 1949, pp. 135161 ; J. LEJEUNE, " Introduction historique "
in Le siècle de Louis XIV au pays de Liège (15801723), Musée de l’art wallon, 1975, Liège,
pp. XXIVLXXVI et B. DEMOULIN et J.L. KUPPER, Histoire de la principauté de Liège, de l’an
mille à la révolution, Toulouse, Privat, 2002, pp. 149182.
421 Pour une étude approfondie d'un princeévêque de Liège ayant appartenu à cette famille, voy.
B. DEMOULIN, Politique et croyances religieuses d'un évêque et prince de Liège : JosephClé
ment de Bavière (16941723), Liège, Société des Bibliophiles liégeois, 1983.
422 Sur ce dernier point, voy. notamment S. DUBOIS, B. DEMOULIN et J.L. KUPPER (sous la direc
tion de), Les institutions publiques de la principauté de Liège (9801794), Bruxelles, Archives générales du Royaume, 2012, pp. 12621263.
Liège de ne pas prendre parti dans le conflit opposant la France et l’Autriche424. Par
la suite, les Liégeois vont tenter de faire reconnaitre cette neutralité par leurs voi sins425. A titre d’exemple, on peut mentionner la reconnaissance par la France et les
PaysBas en 1492426 ou encore celle de l’empereur du SaintEmpire la même an
née427.
§ 2 : Les conditions de la neutralité
128. Defrêcheux affirme que, pour qu’un Etat soit neutre de façon perma nente, il doit s’agir d’une puissance de second ordre428. En outre, il conviendrait qu’il
soit situé dans une région dont la géographie ne permet ni de le rattacher ni de le sé parer directement des régions limitrophes429. Néanmoins une de ses frontières doit
être appuyée sur des limites naturelles430. De plus, la région en cause doit être entou
rée par plusieurs Etats qui, au vu de l’importance de celleci, ne peuvent la laisser dans la possession d’un de leurs rivaux431. Et l’auteur de constater par la suite que
ces conditions sont bel et bien remplies dans le chef de la principauté de Liège432.
Pour ce qui concerne la dernière condition envisagée, la principauté de Liège est en effet entourée au 17e siècle par la France, le SaintEmpire auquel elle appartient,
423 Pour plus d’informations sur le sujet, voy. Ch. DEFRÊCHEUX, " Histoire de la neutralité lié
geoise ", in Bulletin de l’Institut archéologique liégeois, t. 37, 1907, pp. 159286 ; H. PIRENNE,
Histoire de Belgique : des origines à nos jours, Bruxelles, La renaissance du livre, t. II, 1923,
p. 428 ; P. HARSIN, " Les origines diplomatiques de la neutralité liégeoise (14771492) ", in Re
vue belge de philologie et d’histoire, t. 5, 1926, pp. 423452 ; P. HARSIN, "L'attitude de l'Empire
à l'égard de la neutralité liégeoise", in Bulletin de l'Institut Archéologique liégeois, t. 51, 1926, pp. 3261 ; A. MEYERS, La neutralité liégeoise du temps de Méan (1640 à 1654), Discours
prononcé à l’Audience solennelle de Rentrée du 15 septembre 1927, Liège, 1927 et L.E.
HALKIN, " Un chefd’œuvre de politique réaliste, la neutralité liégeoise sous l’Ancien Régime ",
in Cahiers historiques, t. 32, Tervuren, 1964, pp. 2333.
424 P. HARSIN, " Les origines diplomatiques de la neutralité liégeoise (14771492) ", in Revue
belge de philologie et d’histoire, t. 5, 1926, p. 425 et L.E. HALKIN, " Un chefd’œuvre de poli
tique réaliste, la neutralité liégeoise sous l’Ancien Régime ", in Cahiers historiques, t. 32, Ter vuren, 1964, p. 23.
425 P. HARSIN, " Les origines diplomatiques de la neutralité liégeoise (14771492) ", in Revue
belge de philologie et d’histoire, t. 5, 1926, p. 429.
426 L.E. HALKIN, " Un chefd’œuvre de politique réaliste, la neutralité liégeoise sous l’Ancien Ré gime ", in Cahiers historiques, t. 32, Tervuren, 1964, p. 24.
427 P. HARSIN, " Les origines diplomatiques de la neutralité liégeoise (14771492) ", in Revue
belge de philologie et d’histoire, t. 5, 1926, pp. 445446.
428 Ch. DEFRÊCHEUX, " Histoire de la neutralité liégeoise ", in Bulletin de l’Institut archéologique
liégeois, t. 37, 1907, p. 162.
429 Ibidem, qui reprend les dires de Dollot. 430 Ibidem.
431 Ibidem.
mais visàvis duquel elle bénéficie d’une certaine autonomie433, les ProvincesUnies
et les PaysBas Espagnols.
§ 3 : La notion de neutralité liégeoise
129. Mais que recouvre cette notion de neutralité liégeoise ? La neutralité lié geoise était différente de celle qu’on entend suite aux deux conflits mondiaux. En ef fet, celleci n’empêchait pas l’Etat neutre de " fournir aux belligérants le passage in nocent, [de] leur donner à tous deux le ravitaillement et les munitions, [et de] com mercer avec eux, pourvu qu’il les traite également sans manifester de préférence434".
Il était même admis que les belligérants recrutent des hommes au sein du territoire neutre435. Toutefois, cette neutralité n’empêchait pas des exactions de la part des ar
mées passant par le pays436.
Cette brève incise terminée, il est maintenant temps de passer aux aspects historiques proprement dits.
Section 2 : Le règne d’Ernest de Bavière (1581-1612)
437Dans cette section, nous n’aborderons que certains aspects du règne d’Ernest de Bavière, à savoir sa politique étrangère, sa politique religieuse, sa tentative de créer une université à Liège et sa politique à l’égard de la cité de Liège, ce dernier point étant de loin le plus intéressant vu les conséquences qu’il a eues sur la suite de l’histoire liégeoise.
130. Ernest de Bavière (15541612) a été élu par le Chapitre cathédral en 1581438. Jean Lejeune écrit que, avec cette élection, " sans le vouloir et sans le pré
voir, le chapitre électeur vient d’introduire dans l’évêché une véritable dynastie439".
433 Ibidem, p. 165. Voy. aussi supra n° 9.
434 A. MEYERS, La neutralité liégeoise du temps de Méan (1640 à 1654), Discours prononcé à
l’Audience solennelle de Rentrée du 15 septembre 1927, Liège, 1927, p. 6. Voy. également, J.
LEJEUNE, " Introduction historique " in Le siècle de Louis XIV au pays de Liège (15801723),
Musée de l’art wallon, 1975, Liège, p. XXVI.
435 H. LONCHAY, La principauté de Liège, la France et les PaysBas au XVIIe et au XVIIIe siècle :
étude d’histoire diplomatique, Bruxelles, F. Hayez : Académie royale de Belgique, 1890, p. 43
et E. HÉLIN, " Renaître et résister (14681748) ", in J. STIENNON, Histoire de Liège, Toulouse,
Privat, 1991 p. 138.
436 Pour un exemple, voy.H. LONCHAY, La principauté de Liège, la France et les PaysBas au
XVIIe et au XVIIIe siècle : étude d’histoire diplomatique, Bruxelles, F. Hayez : Académie royale
de Belgique, 1890, p. 97.
437 Pour un aperçu complet du règne d’Ernest de Bavière dans différents domaines, voy. les diffé
rents articles de E. Polain dans le Bulletin de l’Institut archéologique liégeois (E. POLAIN, " La
vie à Liège sous Ernest de Bavière (15811612), études archéologiques ", in Bulletin de l’Insti
tut archéologique liégeois, t. 54, 1930, pp. 2791 ; t. 55, 1931, pp. 104183 ; t. 57, 1933, pp.
§ 1er : La politique étrangère
131. Sur le plan de la politique étrangère, le règne d’Ernest de Bavière est marqué par le maintien de la neutralité liégeoise440. Toutefois, différentes atteintes à
ce principe sont posées par les Espagnols et les ProvincesUnies441. On peut ainsi ci
ter, à titre d’exemple, la prise de la citadelle de la ville de Huy par les Provinces Unies en 1595442.
§ 2 : La politique religieuse
132. Concernant la religion, Ernest de Bavière " prit des mesures pour raffer mir le catholicisme dans son diocèse et enrayer les ravages causés par l’hérésie443".
A cette fin, il s’est appuyé sur l’ordre des jésuites444. C’est ainsi que fut mis sur pied le
collège des jésuites à qui le princeévêque a concédé le droit d’enseignement445. En
outre, suite au Concile de Trente, qui exigeait la création de séminaires pour former le bas clergé séculier, Ernest de Bavière créa un petit séminaire à SaintTrond en 1589 et un grand séminaire à Liège en 1592 dont les chaires revinrent à des prêtres séculiers446.
438 H. PIRENNE, Histoire de Belgique : des origines à nos jours, Bruxelles, La renaissance du livre,
t. 2, p. 429. Pour plus d’informations sur cette élection voy. G. MOREAU, " L’élection du prince
évêque de Liège Ernest de Bavière ", in Bulletin de la Société royale Le VieuxLiège, t. 86, 1950, pp. 433441 et G. XHAYET, " Ernest de Bavière et la principauté de Liège, Le grand
prince d’un petit Etat ", in G. XHAYET et R. HALLEUX (sous la direction de), Ernest de Bavière
(15541612) et son temps, L’automne flamboyant de la Renaissance entre Meuse et Rhin,
Turnhout, Brepols, 2011, p. 19.
439 J. LEJEUNE, " Introduction historique " in Le siècle de Louis XIV au pays de Liège (15801723),
Musée de l’art wallon, 1975, Liège, p. XXIV.
440 F. MAGNETTE, Précis d’histoire liégeoise à l’usage de l’enseignement moyen, 3e éd., Liège, H.
VaillantCarmanne, 1929, p. 202 et J. LEJEUNE, " Introduction historique " in Le siècle de Louis
XIV au pays de Liège (15801723), Musée de l’art wallon, 1975, Liège, p. XXV.
441 F. MAGNETTE, Précis d’histoire liégeoise à l’usage de l’enseignement moyen, 3e éd., Liège, H.
VaillantCarmanne, 1929, pp. 202203 et J. LEJEUNE, " Introduction historique " in Le siècle de
Louis XIV au pays de Liège (15801723), Musée de l’art wallon, 1975, Liège, p. XXVI.
442 F. MAGNETTE, Précis d’histoire liégeoise à l’usage de l’enseignement moyen, 3e éd., Liège, H.
VaillantCarmanne, 1929, pp. 202203 et J. LEJEUNE, " Introduction historique " in Le siècle de
Louis XIV au pays de Liège (15801723), Musée de l’art wallon, 1975, Liège, p. XXVI. Pour
plus de détails sur le sujet, voy. M. DEWEZ, Histoire du pays de Liège, t. 2, Bruxelles, Delemer,
1822, pp. 204214.
443 F. MAGNETTE, Précis d’histoire liégeoise à l’usage de l’enseignement moyen, 3e éd., Liège, H.
VaillantCarmanne, 1929, p. 205.
444 Ibidem et J. LEJEUNE, " Introduction historique " in Le siècle de Louis XIV au pays de Liège
(15801723), Musée de l’art wallon, 1975, Liège, p. XXIX.
445 F. MAGNETTE, Précis d’histoire liégeoise à l’usage de l’enseignement moyen, 3e éd., Liège, H.
VaillantCarmanne, 1929, p. 205 et J. LEJEUNE, " Introduction historique " in Le siècle de Louis
§ 3 : La tentative de création d’une université à Liège
133. L’idée de la création à Liège d’une université remonte au règne de Ro bert de Bergues (15201565)447. Ernest de Bavière la reprit et commença des dé
marches pour ce faire auprès du pape Clément VIII (15361605)448. En outre, il
convenait de trouver un financement. L’idée était la suivante : distraire une prébende de chanoine dans chacune des collégiales449. Une commission fut mise sur pied à
l’effet de créer l’université, mais ses travaux n’aboutirent pas, car d’une part le clergé secondaire450 ne voulait pas voir ses revenus diminuer et d’autre part l’Université de
Louvain montrait son mécontentement : elle tenait à conserver ses prérogatives et avantages451.
§ 4 : La politique à l’égard de la cité de Liège
134. Ernest de Bavière fit preuve d’une certaine modération à l’égard de ce qu’on peut appeler la démocratie liégeoise452. On en veut pour preuve les deux édits
électoraux qu’il a adoptés en 1603. A ce moment, le système électoral était, dans une certaine mesure, en crise ; en effet, " quelques familles riches " f[aisaien]t " les élections453" en achetant leur charge par le biais de la corruption d’électeurs et de
commissaires454. A l’époque, l’élection magistrale était régie par le règlement de
Heinsberg suivant lequel le mode de nomination des bourgmestres était indirect455 :
vingtdeux commissaires désignaient trentedeux hommes, un par métier, ces der
446 J. LEJEUNE, " Introduction historique " in Le siècle de Louis XIV au pays de Liège (15801723),
Musée de l’art wallon, 1975, Liège, p.XXX.
447 E. POLAIN, " La vie à Liège sous Ernest de Bavière (15811612), études archéologiques ", in
Bulletin de l’Institut archéologique liégeois, t. LVII, 1933, p. 205.
448 Ibidem. 449 Ibidem.
450 Par ce terme, on entend, dans la principauté de Liège, toutes les communautés ecclésias
tiques à l’exception du chapitre cathédral de SaintLambert. Voy. notamment, A. WILKIN, " As semblée du clergé secondaire ", in S. DUBOIS, B. DEMOULIN et J.L. KUPPER (sous la direction
de), Les institutions publiques de la principauté de Liège (9801794), Bruxelles, Archives gé nérales du Royaume, 2012, pp. 291303.
451 E. POLAIN, " La vie à Liège sous Ernest de Bavière (15811612), études archéologiques ", in
Bulletin de l’Institut archéologique liégeois, t. 57, 1933, p. 205.
452 F. MAGNETTE, Précis d’histoire liégeoise à l’usage de l’enseignement moyen, 3e éd., Liège, H.
VaillantCarmanne, 1929, p. 203.
453 J. LEJEUNE, " Introduction historique " in Le siècle de Louis XIV au pays de Liège (15801723),
Musée de l’art wallon, 1975, Liège, p. XXXVIII.
454 Ibidem.
455 E. TOUSSAINT, " Commissaires de la Cité (16 juillet 1424 – 27 juillet 1794) ", in S. DUBOIS, B.
DEMOULIN et J.L. KUPPER (sous la direction de), Les institutions publiques de la principauté
niers choisissant les deux bourgmestres de la cité. A la suite d’une émeute ayant éclaté en 1602 à l’occasion d’un impôt, Ernest de Bavière intervint en adoptant, l’année suivante, deux édits456. Ceuxci ont instauré un nouveau système d’élection
magistrale, que nous avons déjà abordé457, et qui, pour rappel, était le suivant : le 25
juillet, les métiers se réunissaient en chambres : le sort désignait alors dans chacun de ceuxci trois électeurs, qui étaient chargés de nommer trois autres personnes par mi lesquelles le sort, à nouveau, désignait l’une pour être un des TrenteDeux, les deux autres étant jurés de la Cité458 ; ceci fait, les TrenteDeux électeurs choisis
saient à la majorité les deux maîtres, après avoir dressé une liste provisoire de can didats et l’avoir soumise aux vingtdeux commissaires459. Félix Magnette donne une
appréciation très juste de ce nouveau mode de vote : " En somme, ce système élec toral reconnaissait aux métiers la possession légale du pouvoir, qu’ils s’arrogeaient depuis quelques années, de nommer les édiles communaux. Il constituait une vic toire inespérée pour le parti démocratique. Ce fut gros de conséquences. Cette vic toire, obtenue facilement, réduisait trop l’autorité souveraine. Vienne un prince évêque aux tendances nettement autocratiques, ce sera de nouveau la lutte au sein de la Cité, la guerre civile rallumée. Le règne d’Ernest de Bavière, à cet égard, pré pare, en les expliquant, les règnes qui vont venir460".
135. Ernest de Bavière s’éteignit en 1612, âgé de 62 ans. Le siège épiscopal échut alors à Ferdinand de Bavière, son neveu461.