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PARTIE I FABRIQUE DE LA RECHERCHE

II. Dispositif : impacts et hors-champs

1.3. Questions de recherche

Les deux énigmes présentées en introduction constituent l’amorce de ma problématique. La revue de la littérature et la présentation des ressources théoriques qui soutiennent ma démarche ont introduit la construction de mon objet d’étude qui repose principalement sur les notions de cadrage et de dispositif. Il s’agit à présent d’exposer les questions de recherche.

La thèse s’attache à la description d’un dispositif de santé en tant qu’action publique et l’analyse des enjeux sociaux le traversant. Elle part du constat que ce dispositif produit des malaises pour une partie des professionnelles. A partir des deux énigmes, la thèse se construit en deux axes qui font apparaître les tensions qui se déploient dans les malaises de certaines professionnelles de la santé et dans les négociations entre ces agentes de l’Etat et les personnes traitées pour une tuberculose et leur entourage.

Le questionnement d’un médecin concernant l’assertion de collègues pneumologues que la tuberculose est fondamentalement différente d’autres maladies fournit un fil rouge à ce premier axe. Il s’interroge sur le fait que le dispositif du contrôle de la tuberculose puisse constituer une forme de régime d’exception et tâche de répondre à la question suivante : si la tuberculose fait l’objet d’un régime d’exception, sur quoi se fonde-t-il ? Ce premier axe enquête sur l’agencement singulier des techniques de contrôle et de care dans le dispositif et en particulier à l’hôpital. Il s’agit d’interroger plusieurs tensions inhérentes à ce

dispositif sanitaire : alerter et rassurer sur les risques de la tuberculose, prendre soin d’individus et protéger la collectivité, contrôler et autonomiser le patient.

D’autre part, je m’intéresse à la manière dont le care se pratique dans un dispositif composé de nombreuses techniques complexes de contrôle et de surveillance et à la façon dont les professionnelles négocient entre elles et avec les patientes différentes formes de risque qu’elles rencontrent à l’hôpital et à l’extérieur.

Le deuxième axe prend pour point de départ l’énigme que constitue l’exclamation d’un pneumologue du Centre antituberculeux de l’hôpital de Genève « On soigne des patients, on ne soigne pas la migration ! » et à partir de laquelle je pose la question suivante : qu’est-ce que la migration vient faire dans la clinique de ces médecins ? Cet axe analyse l’articulation entre tuberculose et migration dans ce dispositif et le transfert de la maladie comme maladie du passé vers une maladie de l’ailleurs. Comprendre la place de la migration dans la clinique des médecins en charge de la lutte contre la tuberculose nécessite d’interroger la place qu’occupe le thème de la migration dans le dispositif dans son ensemble et dans la société suisse plus largement et appelle un questionnement de la catégorie

« migrantes » ainsi que les enjeux de son usage dans la santé publique en Suisse.

La notion de migration est mobilisée dans le dispositif de la lutte contre la tuberculose en de nombreux endroits. Je décris dans un premier temps deux usages de cette notion. Premièrement, lorsque les personnes tâchent de répondre à la question « qui sont les tuberculeux en Suisse ? », les migrantes – ou parfois les étrangères – émergent dans les premières hypothèses et les réponses finissent par se stabiliser sur cette catégorie de la population.

Deuxièmement, nombreuses sont celles qui ont recours à la présence des migrantes pour faire sens de la présence de la tuberculose aujourd’hui en Suisse.

Il s’agit également de saisir comment les acteures du dispositif expérimentent ces deux assertions, qui représentent des cadrages, et de voir ce sur quoi elles reposent et ce qu’elles produisent, c’est-à-dire les postulats implicites ainsi que les effets de ces cadrages. Encore, je chercherai d’analyser les hors-champs de ces cadrages.

Puisque la catégorie émique de « migrantes », de même que celle d’« étrangères » utilisée conjointement, regroupe des réalités très hétérogènes, je m’attache dans la thèse à mieux saisir ce qu’elle regroupe et comment la première en est venue à désigner certaines migrantes par une sorte de métonymie. De plus, je tâche de décrire ce que la condition de migrante implique pour les personnes ainsi désignées et les différentes réalités qu’elle englobe. En parallèle, il s’agit également de saisir ce que travailler avec les migrantes induit pour les professionnelles. Ce faisant, je convoque les politiques migratoires suisses et européennes. Je m’interroge sur l’enchevêtrement du dispositif d’immigration suisse sur celui de la lutte contre la tuberculose : que produit-il ? Quels en sont les impacts pour le travail des professionnelles ? Et quelles conséquences pour les patientes migrantes ?

En analysant le régime d’exception de la lutte contre la tuberculose et l’articulation entre cette maladie et la migration, afin de répondre aux énigmes, je traiterai les questions suivantes.

I. Comment la tuberculose fait problème aujourd’hui en Suisse ?

Cette question s’inspire des théories du cadrage. Le cadrage de la lutte contre la tuberculose représente la principale réponse à un problème défini par des agentes de l’Etat. En poursuivant la réflexion sur les cadrages, il s’agit de se focaliser plus précisément sur comment est posé et construit le problème de la tuberculose aujourd’hui en Suisse, avant tout par les autorités de santé et les politiques publiques. A quels problèmes le cadrage de la lutte contre la tuberculose en Suisse tente-t-il de répondre ? Comment le problème tuberculose est-il théorisé dans un pays des Nords ? Quels sont les postulats implicites et les enjeux de cette manière de construire le problème ? Quels débats ont cours et que s’y joue-t-il socialement ?

II. Comment la lutte contre la tuberculose se pratique-t-elle concrètement en Suisse?

Cette question invite à réfléchir à la manière dont différentes agentes – les autorités de santé publique, les professionnelles de la santé, les personnes souffrant de tuberculose et leur entourage mais aussi des microbes – font la lutte contre la tuberculose concrètement et au quotidien. Comment la lutte contre la tuberculose théorisée à différentes échelles (locales, nationales, internationales) et en différents lieux se pratique-t-elle à Genève ? Quels sont les différentes logiques et enjeux des acteures de cette lutte ? Comment la lutte contre la tuberculose aujourd’hui diffère-elle de la lutte contre la tuberculose pensée et pratiquée au cours du 20e siècle en Suisse ?

III. Quels sont les effets et les hors-champs de la lutte suisse contre la tuberculose

?

Cette question cible les effets des cadrages et des actions de la lutte contre la tuberculose en Suisse. Que génèrent les discours et les pratiques de la lutte contre la tuberculose ? Quels sont les effets locaux de cette lutte contre une maladie transmissible, élaborée et pratiquée selon différents cadres de pensée (biomédical, action publique, santé publique ou santé globale) ? J’interroge plus particulièrement deux types d’effets. Le premier regroupe les effets de la lutte contre la tuberculose sur les personnes impliquées, qu’elles fassent l’objet de discours ou de pratiques (patientes, leurs entourages, certains groupes définis comme à risque et microbes), ou qu’elles y exercent en tant que professionnelles.

Le second comprend des répercussions, plus larges, sur des communautés de gens, voire sur un pays tout entier ou des régions du monde. Les notions de hors-champs et d’impensés permettent de convoquer des effets qui sont moins saisissables de prime abord. En effet, si la lutte permet des représentations et des actions sur la tuberculose, conséquemment, elle empêche d’autres discours et d’autres pratiques dont il s’agit aussi de questionner l’impact. Quels sont les

hors-champs et les impensés de cette lutte, c’est-à-dire de cette façon de poser le problème et d’appliquer des solutions ?

IV. Quelles sont les alternatives, les manières différentes de penser la tuberculose ?

Dans la thèse, j’analyse la lutte contre la tuberculose comme étant une réponse à un problème défini par des acteures. Cette réponse est contingente et ne représente pas la seule manière de faire, mais une parmi d’autres. Cela m’amène à poser la question des alternatives à cette manière de poser le problème. Qu’est-ce qui se passe dans les hors-champs de Qu’est-cette lutte contre la tuberculose ? Parmi les voix qui se font peu entendre, celles de patientes, de professionnelles de la santé, de chercheuses en sciences sociales, y a-t-il des alternatives à la façon dont le problème est posé aujourd’hui aux échelles internationales et en Suisse ainsi qu’à la lutte contre la tuberculose telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui en Suisse ? En enquêtant sur les logiques de différentes acteures concernées par la tuberculose, je questionne comment la tuberculose est pensée comme un problème par celles-ci, afin de voir s’il y a des alternatives à la manière dont la tuberculose est constituée comme un problème par les autorités et à la réponse qui lui est apportée dans la lutte contre la tuberculose.

V. D’où vienent les malaises dont témoignent des professionnelles exerçant dans le dispositif ?

Les deux énigmes fournissent les indices de différents types de malaises qu’une partie des professionnelles rencontre dans la lutte contre la tuberculose telle qu’elle est pratiquée à Genève. Je m’interroge, in fine, sur ces malaises : Qu’est-ce qui participe à les produire ? Et qu’est-Qu’est-ce qu’ils révèlent de Qu’est-ce dispositif sanitaire ?

Les deux énigmes et ces cinq questions servent de fil conducteur à cette thèse et en introduisent les objectifs : d’une part, montrer en quoi la lutte contre la tuberculose représente une réponse à une manière de poser le problème tuberculose et non un allant de soi. D’autre part, donner la parole aux acteures et mieux comprendre leurs expériences de cette version ainsi que de cerner ce que cette manière actuelle de faire produit comme effets dans de la lutte contre la tuberculose. Et enfin, de faire émerger les discours et les pratiques aux marges de la lutte contre la tuberculose, voire les alternatives. En partant du constat que certaines professionnelles du dispositif étudié partagent des malaises, j’analyse deux cadrages, celui du régime d’exception et celui de la migration. Cela me permettra de mieux comprendre la biomédecine et la santé publique à partir de l’un de leurs dispositifs, ainsi que la société suisse à partir de l'analyse de sa médecine (d'Etat) et de son type de gouvernement (principalement dans le champ sanitaire mais qui se recoupe avec d'autres).