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PARTIE I FABRIQUE DE LA RECHERCHE

1.2. Ressources théoriques et conceptuelles

1.2.1. Anthropologie de la biomédecine

La lutte contre la tuberculose en Suisse s’ancre sur une médecine nationale qui repose sur la biomédecine40. Cette dernière représente la théorie et la pratique médicale dominante dans les sociétés euro-américaines (Hahn et Kleinman

38 Pour l’instant, je me contente de l’usage du terme « biomédecine », tout en étant consciente du possible travers engendré par l’usage du singulier : véhiculer l’idée de la biomédecine comme un monolithe (Lock 2006). J’adopte cette simplification afin de faciliter la présentation de cette approche. Puis dans un deuxième temps, l’analyse illustrera qu’il n’y a pas plus une biomédecine qu’il n’y aurait une culture biomédicale. C’est précisément à décrire des cultures biomédicales que mènent les études ethnographiques.

39 J’explique ultérieurement mon choix de garder le terme care en anglais.

40 En effet, si des pratiques de soin relevant d’autres médecines nommées « alternatives » ou « complémentaires » telles que l’homéopathie, l’acupuncture, la naturopathie sont reconnues en Suisse (entre autres, à travers leur remboursement partiel par les assurances maladies), les pratiques médicales majoritaires et institutionnelles appartiennent à la biomédecine (leur remboursement facilité et leur présence dans les guidelines de l’Etat constituent des indices).

1983), de sorte que les technologies biomédicales couplées à la santé publique fournissent les principaux moyens par lesquels l’Etat dans ces pays s’efforce de gérer les maladies et de garantir la santé de leur population (Lock et Nguyen 2010). Les praticiennes et les adeptes de la biomédecine conceptualisent rarement cette dernière comme fondamentalement façonnées par des phénomènes sociaux. Mobiliser cette littérature en sciences sociales prenant pour objet de recherche la biomédecine me permet de ne pas laisser de côté dans l’analyse une facette de la lutte contre la tuberculose en raison de son ancrage dans la biomédecine et en particulier dans la biologie41.

La littérature en sciences sociales traitant de la biomédecine permet d’interroger la lutte contre la tuberculose comme un agencement biomédical. Les analyses consacrées à la biomédecine et les concepts issus des sciences sociales, tels que la (bio)médicalisation, et le care mobilisés ultérieurement dans la thèse, me permettront de saisir la lutte contre la tuberculose comme une pièce d’un puzzle biomédical.

La biomédecine ne représente que l’un des systèmes médicaux élaborés culturellement dans le monde (Inhorn et Brown 2000). Dans une acception large du terme, la spécificité de la biomédecine, comparée à d’autres systèmes médicaux, consiste en sa manière de faire sens du mal, du malheur et de la maladie qui repose sur une compréhension biologique du mal et qui fait de dysfonctionnements biologiques la principale cause de ceux-ci, comme l’explicite Nguyen : « On ne tombe pas malade parce que nos humeurs ne sont pas en équilibre. On ne tombe pas malade parce qu’on nous a lancé un sort. On tombe malade parce qu’il y a une déficience en calcium ou parce qu’il y a un virus qui nous a contaminé. »42 L’usage du terme biomédecine permet de différencier le système médical qu’il désigne d’autres systèmes médicaux et de souligner la spécificité de la biomédecine, en procurant un « name for this medicine, referring to its primary focus on human biology, or more accurately, on physiology43, even pathophysiology » (Hahn et Kleinman 1983:305-306). Le terme biomédecine désigne une approche face à la maladie ainsi qu’un « corpus de savoir systématisé » qui, soulignent Lock et Nguyen, n’est « neither an inevitable development nor the result of an orderly uncovering of the “true“ cause of illness

» (2010:32), au contraire :

« Biomedicine is the product of particular historical circumstances in which scientific efforts began to be made to understand nature, making use of

41 C’est-à-dire à ne pas reproduire un phénomène, analysé ultérieurement dans ce chapitre, de black-box consistant à placer un objet de prédilection – voire une chasse gardée – d’autres sciences, comme le corps, dans une sorte de boîte noire non accessible et non analysable par les sciences sociales.

42 Entretien, « Un regard anthropologique sur la biomédecine et la santé mondiale », 17 juillet 2012, Archives Audiovisuelles de la Recherche, France.

43 La physiologie est la « science qui étudie les fonctions et les propriétés des organes et des tissus des êtres vivants » ; la physiopathologie est l’« étude des troubles qui surviennent dans le fonctionnement des organes au cours d’une maladie ». Dictionnaire Le Petit Robert, Edition 2000, p.1870.

techniques designed to produce an objective description of the material world. Knowledge produced about the body and its management in health and illness was firmly situated in this domain of “objectified“ nature. » (2010:32)

Cambrosio et Keating (2003) font remonter l’origine du terme biomédecine à la fin des années 1940. C’est tout d’abord à Los Alamos dans le cadre de recherches américaines sur les impacts biologique et médicaux induits par les émissions radioactives d’explosions atomiques qu’il est utilisé ; la première utilisation du terme biomédical est ainsi associée aux programmes militaires états-uniens (Löwy 2011). L’agence spatiale américaine NASA fait ensuite usage du terme au début des années 1960 lorsqu’elle étudie les fonctions vitales des astronautes.

Ces deux utilisations du termes biomédecine partagent « l’analyse des effets d’un environnement hostile (l’espace, la radioactivité) sur le corps humain » qui constitue l’une des définitions du terme actuel, tandis qu’une autre définition désigne la « notion épistémologique d’une hybridation entre biologie et médecine ». Ces définitions, soulignent Cambrosio et Keating révèlent l’imbrication du normal (sciences biologiques) et du pathologique (médecine) qu’induit le terme : « dans le premier cas, des corps normaux exposés à un environnement pathologique et, dans le deuxième cas, des corps affectés par diverses pathologies, qui réclament d’une science du normal une solution à leurs problèmes » (2003:1286). Tout en explicitant la place prépondérante de la biologie dans la médecine –la biologie a « encerclé la médecine » écrivent-ils–, ils invitent à ne pas l’y réduire.

Lock et Nguyen (2010) signalent plusieurs caractéristiques élémentaires de la biomédecine qui la distinguent d’autres médecines. Premièrement, la détection d’entités (telles que des microbes ou des gênes) ou de signes internes au corps prend une place prépondérante. Deuxièmement, l’anatomie, la chirurgie et la théorie des germes participent à une approche réductionniste et davantage ciblée sur l’intérieur du corps que sur l’environnement. Troisièmement, des prétentions à la vérité datant du siècle des Lumières ont encore aujourd’hui un impact sur les pratiques biomédicales, notamment la foi en une maîtrise technologique de la nature pour le bien-être et la santé ou la conviction que la biologie est assujettie aux lois universelles et que le corps humain est partout identique. Quatrièmement, la science de la biomédecine est fortement façonnée et constituée par la technologie. Ce faisant, ce qui relève de la santé est quotidiennement “objectifié “ en tant que problème technique, devant, par conséquent, être résolu par l’usage de technologies et le renfort de la science. La biomédecine devient également « by definition, therefore, decontextualized in practice » (2010:18). Or, les technologies biomédicales, affirment encore Lock et Nguyen, ne sont pas neutres moralement et socialement; elles sont autant produites par la culture qu’elles sont productrices de culture. Les analyses de Gaudillère permettent d’ajouter encore deux autres caractéristiques de la biomédecine : la « molécularisation des savoirs » et la « reformulation des questions de santé en termes de risque » (2010:26).

La biomédecine participe à une redéfinition de frontières. D’une part, la dépendance de la biomédecine aux technologies, aux instruments et aux médicaments rend les frontières entre la médecine, la science et l’industrie poreuses (Löwy 2011). L’usage grandissant des sciences du laboratoire dans la médecine sont évoquées par plusieurs auteures, dont Löwy qui le fait remonter déjà au milieu du 19e siècle. D’autre part, Gaudillère souligne comment la biomédecine s’inscrit dans un « brouillage des frontières entre laboratoire et clinique par opposition à la situation de la première moitié du [XXe siècle] où le premier était l’« auxiliaire » de la seconde » (2006:85)44.

Le contexte des années 1960, qui a vu le terme se généraliser, fut marqué par la

« croissance remarquable des investissements scientifiques et de recomposition des savoirs du vivant », le terme biomédecine souligne alors « la place nouvelle accordée aux sciences biologiques dans la hiérarchie des connaissances, mais aussi la conviction que le développement de la biologie expérimentale était la condition nécessaire à tout progrès de la médecine » (Gaudillère 2010:23).

L’usage considérable du terme biomédecine traduit aussi, selon Löwy, « the increasing homogenization of techniques used to study healthy and sick bodies » (2011:117).

L’anthropologie et la sociologie de la santé ont pour objet d’étude la maladie, la santé et les systèmes de santé ; elles se donnent pour tâche de décrire les acteures, les institutions, les savoirs et les pratiques du champ de la santé et d’analyser les dimensions sociales, culturelles, économiques et politiques de la médecine et de la santé. Anthropologues et sociologues analysent également les imbrications entre la santé et divers phénomènes sociaux, économiques et politiques, locaux et globaux.

Si les anthropologues n’ont pas manqué d’analyser les différents systèmes médicaux qu’elles rencontraient en terrains exotiques, prenant en compte les cosmologies locales, il n’en fut pas de même, dans un premier temps, pour la biomédecine. D’abord, les anthropologues ont peu étudié la biomédecine et rarement le contenu de ses savoirs médicaux ; les revendications de la biomédecine au statut de science, sous-entendu exempte d’influences sociales, et à un ancrage dans la biologie ne sont pas étrangères à ce phénomène (Lock 1988 ; Brotherton et Nguyen 2013). Ainsi le système médical des sociétés euro-américaines, la biomédecine, bénéficia d’un statut d’exception ; elle fut un temps considérée comme n’étant pas soumise aux influences qui façonnaient les autres systèmes médicaux, car elle s’était affranchie des croyances et des valeurs propres aux religions, aux superstitions ou aux autres systèmes médicaux. Du côté de la sociologie médicale, Lupton (2012) affirme qu’elle a été – et reste dans

44 Il dit encore que le « vocable « biomédecine » se veut l’indice d’un état des choses où les circulations entre le laboratoire et la clinique sont si intenses que les distinctions entre médecins et chercheurs, examen des corps et manipulation des molécules, expérimentations et soins seraient devenues obsolètes » (Gaudillère 2006:102).

certains cas – influencée par des valeurs positivistes menant davantage à un rapprochement avec la médecine sociale qu’avec la sociologie critique.

Les objets de recherche de la socio-anthropologie de la santé sont variés : entre autres, la souffrance humaine, les systèmes médicaux qui y répondent, les relations entre la santé, la maladie, les institutions sociales, la culture, les pouvoirs politiques et économiques, la production du savoir médical, les phénomènes de stigmatisation, les inégalités de santé, la construction des catégories de maladies, les narrations individuelles de maladie (Inhorn et Wentzell 2012) ; les facteurs sociaux liés à l’émergence de maladies et les impacts sociaux du genre, de la

“race“ et de la classe sur la santé ; le phénomène de médicalisation ; les maladies transmissibles, les phénomènes de contagion dans le champ médical et les épidémies de maladies45 ; les courants récents de la médecine (dont la médecine basée sur les preuves et la qualité des soins), les effets des bio-technologies, l’influence de l’industrie pharmaceutique dans le champ médical, les menaces bio-sécuritaires ou encore les mouvements sociaux portant sur des questions de santé (Bird et al. 2010). Quelques objets de prédilection des chercheuses du courant de l’anthropologie médicale critique, également partagés par certaines sociologues et historiennes : la production des connaissances médicales, le contrôle social exercé par la médecine et la santé publique, les liens entre langage médical et pouvoir, l’étiquetage (labelling) des maladies, la remise en question des maladies comme seule réalité biomédicale et le sens de l’expérience de la maladie (Lupton 2012).

Lock décrit la démarche de prendre pour objet de recherche la biomédecine dans Biomedicine examined : « the meanings and values implicit in biomedical knowledge and practice and the social processes through which they are produced are examined » (1988:3). Dans les années 1980, le courant de l’anthropologie médicale critique se donne pour objectif d’étudier la biomédecine ; Baer et al. affirment que ce courant met l’emphase sur le fait que la biomédecine devait être étudiée dans le contexte du système capitaliste (1986:95-6). L’une des particularités de l’anthropologie médicale critique consistait à poser des questions relatives au pouvoir au sein de la biomédecine, aux objectifs et aux conséquences économiques, sociales et politiques des relations de pouvoir de la biomédecine (Baer et al. 1986 ; Singer 1989). Dans son livre Medicine as Culture (1994), Lupton explique que ce qu’elle nomme la « médecine scientifique occidentale » représente un processus social et culturel. En 2007, dans l’ouvrage collectif Biomedicine as Culture: Instrumental Practices, Technoscientific Knowledge, and New Modes of Life, les auteures analysent la biomédecine comme une culture et mobilisent la littérature de l’étude sociales des sciences et des techniques. Plus récemment, Lock et Nguyen compilent dans The Anthropology of Biomedicine

45 Notamment Bardet 1988 ; Bashford et Hooker 2001 ; Bourdelais 1989, 1998 ; Calvez 2012 ; Douglas et Calvez 2008 ; Gaudillière et Löwy 2001 ; Fabre 1993, 1998 ; Fainzang 1994 ; Farmer 2001, Fassin 2007, Inhorn 2000 et Brown ; Koch 2008, 2011 ; Martin 1994 ; Roth 1957 ; Vega 1999 ; Wald 2008 ; Worboys 2001.

(2010) non seulement les apports de nombreux travaux en anthropologie et en sociologie portant sur la biomédecine mais y contribuent par leurs analyses, dont plusieurs éléments seront mobilisés par la suite46. Selon Lock et Nguyen, la biologie fait office de norme – sorte d’étalon ou de gold standard – pour intervenir avec des technologies sur les corps et les populations et pour faire advenir la vérité le concernant. Brotherton et Nguyen explicitent comment la « deference to biology was grounded in the unexamined view that biology, as a science, had a privileged access to the ontology of life itself » (2013:288). Les adeptes et les praticiennes de la biomédecine, considérant celle-ci comme une science et comme pouvant prétendre à l’objectivité, ont développé des savoirs et une approche du corps qui se veulent rationnels, objectifs et politiquement neutres (Lock et Nguyen 2010 ; Lupton 2012).

Ainsi, ces socio-anthropologues ont participé à remettre en question le statut privilégié de la biomédecine notamment en l’étudiant comme les autres systèmes médicaux, de façon symétrique (Latour 2004, 2005), c’est-à-dire comme un « assemblage of knowledge and practices inextricably associated with political expediencies, social interests, and embedded values » (Nguyen et Lock 2010:59).

Elles ont explicité comment la biomédecine relève d’une construction sociale et culturelle (Lock 1988). La culture d’une société façonne les maladies, d’une part, parce que la société modifie l’écologie qui a un impact sur l’apparition de maladies, et, d’autre part, puisque la culture propose un système théorique pour faire sens et tâcher de gérer les maladies génératrices de souffrance et de décès (Inhorn et Brown 2000). Les auteures étudient les pratiques médicales en les contextualisant au sein de phénomènes plus vastes liés à la science, à la médecine et à la société et considèrent que la production de la connaissance biomédicale est imbriquée (embedded) par et dans des contextes culturels (Burri et Dumit 2007:1). S’intéressant aux processus sociaux par lesquels les savoirs et les pratiques médicales sont produits, Lock affirme que le langage de la médecine ne fait pas simplement que décrire une réalité biologique qui pré-existe mais plutôt produit son propre objet d’analyse (1988:6). Lock contextualise ce système médical du XXe siècle en mettant en évidence le « value system characteristic of an industrial-capitalistic view of the world in which the idea that science represents an objective and value free body of knowledge is dominant » (1988:3). Lock et Nguyen considèrent encore que les technologies biomédicales ne constituent pas des entités autonomes, mais relèvent davantage les intérêts médicaux, sociaux et politiques qui influencent leur production – de même que leurs usages – et ont des conséquences (2010).

La fabrication et la transmission des savoirs biomédicaux ainsi que des pratiques biomédicales se fondent sur des valeurs implicites et des idées préconçues culturellement et des évaluations morales que charrient les pratiques biomédicales (Lock 1988). Lock et Nguyen défendent l’idée selon laquelle la

46 En parallèle, des historiennes se sont également intéressées à la biomédecine.

Je mobilise notamment les travaux de Jean-Paul Gaudillière, qui a écrit Inventer la biomédecine (2002), et de Ilana Löwy, entre autres son article Historiography of Biomedecine (2011).

médecine est un projet, un travail profondément social et politique (Lock et Nguyen 2010).

Certains travaux de la socio-anthropologie de la biomédecine ont porté sur des

« taken-for-granted objects of knowledge in the worlds of medicine, public health, and health policy, and their usage in practice » (Lock et Nguyen 2010: 5) et sur des notions clefs de la médecine et de la santé publique devenues évidentes (Inhorn et Wentzell 2012). Parmi elles, Lock a analysé ce qu’elle nomme les

« catégories naturelles » de la classification des maladies (2001) ou encore la distinction entre nature et culture, dont la manière dont « on fait appel à la nature pour accomplir un « travail » politique et moral » (2006:443). A contrario, des anthropologues médicaux ayant employé les catégories biomédicales, telles que les maladies et des concepts épidémiologiques, sans les problématiser ont été considérées comme ayant été « “coopted“ by intellectual hegemony of Western biomedicine » (Inhorn et Brown 2000:54). Par l’analyse de catégories médicales centrales à la biomédecine, ces chercheuses s’efforcent d’éviter ce biais.

Une autre manière de prévenir cet écueil consiste à prendre au sérieux le constat de l’anthropologie médicale critique qui considère que « diseases are only the proximate causes of human suffering, since the ultimate etiologies involve political and economic inequality (the so-called “political economy of health“) » (Inhorn et Brown 2000:54). En effet, plusieurs chercheuses du courant de l’anthropologie médicale critique soutiennent que l’institution de la biomédecine elle-même fonctionne de sorte à maintenir des inégalités sociales (Inhorn et Brown 2000:54).

Un autre biais de la biomédecine consiste à centrer le regard et l’analyse sur l’individu avec le corolaire de parfois rendre la victime responsable de son mal (blame the victim) (Farmer 1997, 2006 ; Lyon-Callon 2000) ou encore la culture de la victime plutôt que celle des autorités et des professionnelles de la santé (Inhorn et Brown 1990; Fassin 2006).

Plutôt que de démontrer que la médecine n’est pas scientifique, parce qu’elle est imprégnée par des forces sociales, des travaux en sciences sociales illustrent comment autant la médecine que la science sont des initiatives et des pratiques fondamentalement sociales (Wright and Thatcher cite par Lock 1988). Fleck a défendu l’idée que les faits scientifiques d’aujourd’hui sont tout autant imbriqués dans des styles de pensée scientifique influencés par la culture et la société que l’étaient les faits scientifiques de la Grèce antique (Löwy 2011). Etudier la biomédecine, c’est donc aussi étudier une science et une société. Ainsi,

« décentrer et historiciser le savoir biomédical » représente, selon Lock (2006), l’un des principaux défis de l’anthropologie médicale.

Concernant les croyances médicales, Lock propose d’étudier non seulement les sens donnés aux causes de la maladie et aux moyens de guérison mais aussi « who creates and defines these meanings and what significance this has for the allocation of responsibility for the occurrence of illness and for the restoration and maintenance of social order » (1988:5). Lock et Nguyen (2010) se sont notamment données comme tâche d’étudier les effets de la biomédecine, notamment la localisation dans le corps d’agents invisibles (conceptualisé comme inconscient ou comme gènes) ou encore les technologies biomédicales.

Enfin, l’étude sociale des sciences et des techniques dont Adèle Clarke et al. se revèle encore un apport conceptuel utile pour mon analyse : il consiste à

« considérer sérieusement le non-humain comme un agent de la vie courante » (2000:22).

Par le passé, afin d’étudier la santé, les socio-anthropologues ont dû l’extraire d’une sorte de boîte noire où les chercheuses d’autres disciplines l’avaient rangé :

« […] la santé est prise dans des discours normatifs et technicistes, où la médecine mais également d’autres institutions l’ont enfermée et dont les sciences sociales ne sont pas toujours parvenues à la libérer ; autodéfinie de la sorte, elle se prête mal à devenir un objet scientifique. » (Fassin

« […] la santé est prise dans des discours normatifs et technicistes, où la médecine mais également d’autres institutions l’ont enfermée et dont les sciences sociales ne sont pas toujours parvenues à la libérer ; autodéfinie de la sorte, elle se prête mal à devenir un objet scientifique. » (Fassin