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Les sans-papiers, tout comme les personnes déboutées et frappées d’une NEM, ont en commun de ne pas avoir accès au marché du travail officiel. Mais parfois les premières bénéficient d’un réseau de soutien et d’emplois informels plus important, dans la restauration, dans l’économie domestique et sur des chantiers de construction. Un patient originaire d’Asie et sans-papiers évoque sa situation de travailleur en Suisse:

« C’est difficile pour le travail, on n’est pas bien payé. Les patrons disent toujours: “Tu n’as pas le choix !“ On n’a pas la chance d’avoir les choses comme les autres. On travaille plus. Il y a toujours moins ou il n’y a pas.

Les autres travaillent moins que moi et gagnent plus que moi et ils peuvent avoir des congés et des vacances. Moi, je travaille plus, je gagne moins et je n’ai pas de vacances. Quand j’ai demandé pourquoi, le patron m’a répondu : “Tu n’as pas le choix, tu n’as pas de permis.“» (entretien) Les travailleuses sans-papiers ne bénéficient généralement pas d’une sécurité d’emploi, ni de congés maladie payés, parfois pas non plus d’assurances sociales et maladies199. Les conditions d’emploi varient : dans l’économie domestique, deux femmes sans-papiers logeant chez l’employeur sont payées mensuellement l’une 700 CHF et l’autre 3’500 CHF200. Un homme sans-papiers travaillant dans la restauration a vu sont salaire augmenter lorsque son statut a changé et qu’il a reçu un permis de séjour, après avoir fait une demande de permis humanitaire :

« J’ai un contrat à 100 % je gagne 3'100 CHF et j’ai des congés. Avant [sans-papier], je gagnais 2'500 CHF et je travaillais tous les jours. Le patron m’avait aussi dit que s’il y avait un contrôle de la police, je devais arrêter de travailler. Parfois il m’a fait arrêter de travailler deux trois-mois en disant cela. » (entretien)

199 Concernant les personnes sans-papiers en Suisse, Chimenti et Efionayi-Mäder affirment: « Les conditions de travail semblent principalement façonnées par l’employeur qui dispose d’une marge décisionnelle relativement importante par rapport au travailleur, dont les ressources sociales, matérielles et légales sont limitées. » (2003:90)

200 Chimienti et Efionayi-Mäder (2003) mentionnent dans leur étude en Suisse que les personnes qu’elles ont interrogées gagnaient entre 500 CHF et 6000 CHF par mois, estimant à 1'915 CHF la moyenne du salaire net.

Plusieurs personnes traitées pour une tuberculose cumulent des emplois pour atteindre le minimum vital ou pour gagner de quoi soigner un parent, payer le logement ou les études des enfants au pays.

L’entourage des NEM dépend du temps passé à Genève, du pays d’origine et des personnes rencontrées lors du parcours migratoire ou en Suisse. Certains NEM vivant à Genève ont des ressources leur permettant de se passer de l’aide d’urgence plus facilement que d’autres (De Senarclans 2008; Sanchez-Mazas 2011). Cependant, le plus souvent, le réseau de soutien est plus faible que pour les personnes sans-papiers. Pour ces dernières, des membres de la famille et parfois des amies jouent parfois un rôle de soutien : prêt d’argent, logement, transmission d’information, aide à trouver un travail et un logement, mais également socialisation (Chimienti et Efionayi-Mäder 2003). Les conditions de vie des personnes sans-papiers varient donc grandement selon si elles ont un tel réseau social ou familial dans la ville ou si elles ont pu le constituer. Les églises représentent parfois un soutien important en tant que lieu de sociabilité et de rencontres, et qui leur viennent en aide, notamment durant des épisodes de maladie.

Les conditions de vie de certaines personnes « sans-papiers » sont faites de dépendances multiples liées au fait de ne pas avoir de droit de séjourner en Suisse (Wisard 2001). Enfin, les personnes sans-papiers courent le risque d’être dénoncées par les autorités publiques – le risque est moindre dans quelques secteurs (médical, assurances sociales, fiscal) tenus à une pratique du secret légal – mais également par des individus tels que employeuse et bailleuses. Une patiente dit que des connaissances sans-papiers ayant tenté de traverser la frontière, se sont fait interpellées par la police. Un patient sans-papiers raconte s’être fait contrôlé cinq fois par la police en quelques semaines et avoir été maltraité : « Un policier m'a dit : “T'es dans mon pays, t'a rien à faire ici, c'est pas ton pays“. Et il m'a frappé. Dans une voiture. C'est un peu raciste. »

Il y a « divers degrés d’illégalités », et certaines personnes sans-papiers sont davantage tolérées que d’autres (Wisard 2001). En Suisse, les personnes sans-papiers, ainsi que celles déboutées de l’asile et frappées d’une NEM, risquent des mesures administratives de renvoi de Suisse et de détention, ainsi que des sanctions pénales, dont l’emprisonnement. La police représente un risque pour les personnes sans-papiers.

La situation juridique des sans-papiers influence fortement les conditions de vie de ces personnes, dont les caractéristiques principales sont l’insécurité, la dépendance, la précarité économique, l’accès aux soins réduit, la difficulté à s’affilier à une caisse-maladie, le manque d’accès au marché officiel de l’emploi et du logement, une inégalité de traitement (par exemple, certaines sans-papiers ne peuvent pas toucher les prestations de l’assurance-vieillesse et de de l’assurance-invalidité pour lesquelles elles ont cotisées).

Cette typologie par statut juridique me permettra de distinguer les expériences que les patientes font du dispositif et de mettre en évidence l’articulation entre tuberculose et migration dans la lutte contre la tuberculose en Suisse.

Avoir décrit le modèle international et le dispositif national de la lutte contre la tuberculose me permet à présent de plonger en son sein, avec comme fil rouge les deux énigmes présentées en introduction.

PARTIE III LA LUTTE CONTRE LA TUBERCULOSE EN