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PARTIE III LA LUTTE CONTRE LA TUBERCULOSE EN PRATIQUE PRATIQUE

Chapitre 5 Soigner et prévenir par le contrôle

5.1. Isolement respiratoire

5.1.1. Un contrôle exercé par la surveillance de trois acteures

Outre les patientes et les microbes, les principales acteures impliquées dans l’isolement respiratoire sont les médecins et les infirmières de l’unité décidant de l’isolement, les pneumologues, les médecins et les infirmières du service prévention et contrôle de l’infection (PCI) et parfois les infectiologues également consultées. La pratique de l’isolement respiratoire relève d’une décision médicale.

A l’hôpital, les pneumologues sont censés être tenus au courant des isolements dans l’institution et valider cette décision. Ainsi, les médecins responsables d’une patiente hospitalisée et suspectée de tuberculose s’adressent à la consultation de pneumologie afin de décider s’il faut isoler ou non et, lorsque l’isolement a déjà été réalisé, de confirmer ou d’infirmer ce choix.

L’entrée en isolement respiratoire, comme celle de M. Bothe, est marquée par l’exclusion, à la fois de la communauté et des autres patientes de l’hôpital. Elle s’accompagne d’objets, de pratiques et de discours. Les pratiques comprennent le port du masque à coque, l’interdiction de sortie de la chambre et parfois celle d’ouvrir les fenêtres, les autocollants oranges collés sur le dossier papier de la patiente, sur son lit et à côté de l’étiquette où figure le nom de la patiente sur la porte de la chambre. La porte fermée et les autocollants orange AIR signalent le risque de contagion aux professionnelles et aux visiteuses de l’institution. De plus, les infirmières disposent devant la porte de la chambre une boîte de masques à coque et une poubelle contenant des sacs poubelles jaunes spécifiques à une filière parallèle aux déchets ordinaires. Les discours précisent notamment aux patientes l’interdiction de sortir, le port du masque pour les visiteuses, l’usage de la chaise percée. Cet hôpital a la particularité d’avoir des chambres sans toilettes ni douche ; celles-ci se trouvant à l’extérieur des chambres et étant partagées avec d’autres patientes de l’unité205.

204 Lors de mon terrain, seules deux personnes ont été suspectées d’être atteintes d’une tuberculose résistante aux antibiotiques et isolées dans une unité de soins intensifs qui ont des chambres à pression négative. Les situations que je décris dans ce chapitre portent, par conséquent, sur les conditions d’isolement des patientes traitées pour une tuberculose non résistante aux antibiotiques. En Suisse, les tuberculoses résistantes sont très rares.

205 Les dimensions des chambres où les patientes sont isolées sont d’environ cinq mètres sur quatre, soit d’environ 20 mètres carrés. Il n’y a pas de toilettes ni de douche dans la chambre, hormis dans l’unité dite « privée ». Les chambres sont notamment pourvues d’un lit, d’une table, de deux chaises et d’un fauteuil, d’une

L’isolement respiratoire rend ainsi visible et explicite le risque de contagion d’une patiente (que la personne soit supposée malade ou que le diagnostic ait déjà été établi). Si l’entrée dans la situation de contagion est souvent très claire pour toutes les acteures, l’entrée dans la maladie tuberculeuse est, elle, plus floue :

Discussion entre un pneumologue et M. Bothe : – « Etes-vous retourné au pays [Népal] ? » – « Non, je ne peux pas. » – « Mon collègue m’a dit que votre mère a eu la tuberculose ? » – « Oui. » – « Est-ce qu’elle a été traitée ? » – « Oui. » – « Est-ce que vous savez comment, si ça a été difficile ? » – « Non, je sais pas. » – « Quand est-ce qu’elle a été traitée

? » – « Durant les deux dernières années, quand j’étais loin. » Le pneumologue dit à ses collègues : « Il y a une notion de contage [contact avec possible infection] récente, dans les deux ans, ce qui augmente ses probabilités de TB. » Le pneumologue demande au patient : « Vous avez des questions ? » – « Oui. Est-ce que j’ai la tuberculose ou pas ? » –

« Vous avez tout compris en posant cette question. On ne sait pas encore. On va faire des tests et on vous dira. » (observation)

Etablir un diagnostic de tuberculose peut prendre du temps. Les médecins essayent de confirmer ce diagnostic à partir des tests qui peuvent prendre plusieurs jours (le degré de contagiosité) et semaines (la preuve bactériologique de la tuberculose) pour fournir des résultats. Or en attendant ceux-ci, les médecins suspectant une patiente d’être atteinte de tuberculose – mais sans en avoir (encore) de preuves qui les satisfassent – doivent décider que faire : isoler ou non la patiente ? Introduire ou non un traitement antituberculeux ?

Lorsqu’elles sont suffisamment convaincues qu’une personne a une tuberculose active et potentiellement contagieuse, les médecins de l’hôpital hospitalisent le plus souvent celle-ci et mettent en place un isolement respiratoire ; très rarement, elles conseillent un isolement à domicile accompagné de la consigne d’un éloignement de personnes immunosupprimées. Le traitement peut être prescrit dès les urgences, avant même que les médecins aient la preuve bactériologique que la patiente est atteinte d’une tuberculose, sur la base d’éléments rapportés par les patientes interrogées, tels que certains signes corporels206, un contact prolongé avec une personne atteinte de tuberculose dans le passé et le pays d’origine de la patiente.

Lors de suspicion de tuberculose, l’isolement est maintenu ou levé lorsque les laborantines constatent, dans trois prélèvements de crachats observés au microscope, la présence ou l’absence de BK. Si elles ne considèrent pas une patiente comme atteinte de tuberculose contagieuse, les pneumologues

armoire, d’un lavabo, d’une chaise- percée, d’une télévision, d’une poubelle, d’un meuble style table de chevet, d’un téléphone, d’une sonnette, de rideaux, parfois encore d’une horloge murale.

206 Notamment toux qui perdure, crachats de sang, transpiration la nuit, fièvre, perte de poids inexpliquée.

recommandent la fin de l’isolement respiratoire. Selon un calcul effectué par les infirmières de gestion de l’hôpital, il y a quelques années, environ cinq isolements respiratoires sont effectués à l’hôpital pour un seul qui sera validé par un diagnostic de tuberculose effectif, soit 20%.

Lors d’un diagnostic confirmé, les pneumologues suggèrent à leurs collègues en charge de la patiente quelle devrait être la durée de l’isolement. Dans cet hôpital, l’isolement respiratoire, dans ce deuxième cas de figure, perdure au-delà du début du traitement antituberculeux : en théorie, environ cinq jours pour les tuberculoses considérées comme moins contagieuses (négatif à l’examen direct) et quinze jours lors de tuberculoses plus contagieuses (positif à l’examen direct). Les expertes de la tuberculose considèrent qu’après deux-trois jours de prise d’antibiotiques, la contagiosité des patientes a tellement chuté que ces dernières ne représentent plus un risque d’infecter autrui.

Isoler une patiente à l’hôpital ne représente pas une mince affaire pour certaines professionnelles. En effet, l’isolement respiratoire implique d’hospitaliser la patiente dans une chambre seule ; l’infirmière de gestion doit ainsi trouver une telle chambre dans cet hôpital qui comporte beaucoup de chambres collectives et peu de petites chambres.

Si l’on prend en compte les microbes BK, le choix d’hospitaliser des personnes suspectées d’être contagieuses et de les isoler dans une chambre fait concrètement entrer et séjourner ceux-ci à l’intérieur de l’hôpital. L’isolement les limite alors à une pièce. Dès le moment où une tuberculose est fortement suspectée, les médecins demandent aux patientes de porter le masque à coque jusqu’au moment où elles seront isolées dans une chambre, à l’instar de M. Bothe.

Ce faisant, les médecins isolent les BK dans le corps de la personne. Puis en la faisant rester dans une pièce seule, les BK sont isolés dans celle-ci. A partir de là, toute personne entrant dans la pièce doit porter un masque à coque pour éviter d’inhaler des BK. Lorsque la patiente sort de la chambre pour un examen, les infirmières veillent à ce qu’elle porte un masque à coque « afin d’empêcher les BK de sortir du corps » et d’être transmis dans l’hôpital.

Toutes ces pratiques ont pour tâche d’empêcher la transmission des BK à autrui, le temps que les médicaments rendent la patiente non contagieuse. Le rôle de surveillance de cette tâche incombe aux médecins et infirmières du service de prévention et contrôle de l’infection (PCI) dont l’un des rôles dans l’institution consiste à empêcher la transmission de microbes au sein de l’institution. En plus des pratiques d’hygiène hospitalière nommées « mesures de base », comprenant notamment le lavage des mains des professionnelles avec une solution désinfectante, ces professionnelles ont développé des « mesures spécifiques », concernant des maladies comme la tuberculose (comme l’illustre cette image)207.

207 La mesure « AIR », mise en place pour l’isolement respiratoire des patientes suspectées de tuberculose, est aussi utilisée pour la varicelle et la rougeole.

En outre, deux acteures sont isolées par la pratique de l’isolement respiratoire : les patientes et les BK. Cette publicité d’un stand de matériel d’hygiène hospitalière illustre cet acteur invisible que sont les BK et autres microbes. Les professionnelles travaillent avec ces deux acteures isolées.

Les infirmières et les médecins de médecine interne, ainsi que les pneumologues agissent en ce qui concerne l’isolement des personnes, tandis que les médecins et les infirmières de l’hygiène hospitalière (service PCI) se soucient de l'isolement des BK. En parallèle, les patientes, les BK et les professionnelles font l’objet d’une surveillance rapprochée. Afin de contrôler le BK, l’équipe du PCI surveille le travail des professionnelles de l’unité où une patiente est isolée, tandis que les professionnelles de l’unité s’assurent par leur surveillance que les patientes et leur entourage respectent les mesures d’isolement respiratoire. Leur rôle de contrôleuses du BK – via la surveillance des procédures d’isolement –, c’est-à-dire le contrôle du travail des soignantes, est souligné par les surnoms utilisés par des médecins pour désigner l’équipe du PCI :

« les bœuf-carottes » ou les « Vichy-Germe208 ».

208 Il s’agit d’un jeu de mot basé sur le nom d’un programme d’hygiène hospitalière élaboré par le service PCI nommé « VigiGerme ».

Photographie 5 : publicité d’un stand installé à l’Université de Genève, 2012. Source : Clara Barrelet.

Photographie 4 : image affichée sur les murs de l’hôpital public de Genève, 2011.

Source : Clara Barrelet.

Quelles expériences les personnes isolées font-elles de cette pratique hospitalière et médicale ?