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On soigne des patients ; on ne soigne pas la migration ! : ethnographie de la lutte contre la tuberculose en Suisse

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Academic year: 2022

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Thesis

Reference

On soigne des patients ; on ne soigne pas la migration ! : ethnographie de la lutte contre la tuberculose en Suisse

BARRELET, Clara

Abstract

Ma thèse interroge un modèle de santé publique international – la « lutte contre la tuberculose

» – et son application en Suisse. À partir de l'analyse des malaises exprimés par certaines professionnelles de la santé et des tensions perçues inhérentes à ce dispositif sanitaire, ma recherche fait émerger les impacts et les « hors-champs » de cette action publique. La thèse repose sur deux axes. Le premier est une enquête sur l'agencement singulier des techniques de contrôle et de care à l'hôpital, tandis que le second est une analyse qui dissèque l'articulation entre la tuberculose et la migration, spécifique de la lutte contre la tuberculose dans un pays des Nords : la Suisse.

BARRELET, Clara. On soigne des patients ; on ne soigne pas la migration ! : ethnographie de la lutte contre la tuberculose en Suisse . Thèse de doctorat : Univ.

Genève, 2016, no. SdS 42

URN : urn:nbn:ch:unige-876047

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:87604

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:87604

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ne soigne pas la migration ! » : ethnographie de la lutte contre

la tuberculose en Suisse

THÈSE

présentée à la Faculté des sciences de la société de l’Université de Genève

par

Clara Barrelet

sous la direction de

prof. Mathilde Bourrier et prof. Ellen Hertz

pour l’obtention du grade de

Docteur ès sciences de la société mention sociologie

Membres du jury de thèse:

Prof. Claudine Burton-Jeangros, présidente du jury, Université de Genève

Prof. Vinh-Kim Nguyen, Université de Montréal Prof. Estelle d’Halluin, Université de Nantes

Thèse no 42

Genève, 1

er

juillet 2016

(3)

La Faculté des sciences de la société, sur préavis du jury, a autorisé l’impression de la présente thèse, sans entendre, par là, émettre aucune opinion sur les propositions qui s’y trouvent énoncées et qui n’engagent que la responsabilité de leur auteur.

Genève, le 1er juillet 2016

Le doyen

Bernard Debarbieux

Impression d'après le manuscrit de l'auteur

(4)

Table des matières

Table des matières ... iii

Résumé ... xi

Notes d’écriture ... xiii

Remerciements ... xv

Introduction Actualités de la tuberculose dans les pays des Nords ... 19

La tuberculose, cible d’une lutte ? ... 21

Voix médiatiques ... 22

Voix des autorités de santé publique ... 26

La tuberculose, maladie des migrantes ? ... 31

Amorce de la thèse : une demande sociale ... 31

Tuberculose en Suisse au XXIe siècle : un oxymore ! ... 34

Plan des chapitres de la thèse ... 35

PARTIE I FABRIQUE DE LA RECHERCHE ... 37

Chapitre 1 Problématique ... 39

1.1. Revue de la littérature ... 39

1.2. Ressources théoriques et conceptuelles ... 51

1.2.1. Anthropologie de la biomédecine ... 51

1.2.2. Socio-anthropologie de l’Etat ... 59

1.2.3. Socio-anthropologie des actions publiques ... 63

1.2.4. Notions centrales ... 71

I. Cadrages : réponses à un problème public ... 71

II. Dispositif : impacts et hors-champs ... 74

1.3. Questions de recherche ... 76

Chapitre 2 Méthodes et conditions de l’enquête ... 81

2.1. Reformulations et recadrages de la demande ... 84

2.2. Note d’intention : démarche et approches adoptées pour l’enquête ... 87

2.3. Méthodologie ... 90

2.3.1. Méthodes d’enquête ... 90

2.3.2. Temps de l'enquête ... 95

I. Préparer et négocier l’enquête ... 95

II. Entrer sur le terrain à l’hôpital ... 97

III. S’immerger dans le terrain ... 100

IV. Analyser, écrire, restituer et quitter le terrain ... 103

V. (Re)problématiser et être prise à nouveau par surprise ... 104

2.4. Faire avec : négocier, accepter et ajuster ... 107

2.4.1. Places attribuées et places occupées durant l’enquête ... 107

I. Collaboratrice à l’hôpital ... 108

II. Accompagnatrice de patientes ... 109

III. Patiente ... 110

(5)

IV. Militante ... 112

2.4.2. L’effet Hawthorn et autres effets de la présence de l’ethnographe ... 113

2.4.3. Du sentiment d’échec aux pistes analytiques ... 116

2.4.4. Savoir situé et rapport à l’enquête : situation biographique et postures ... 118

2.4.5. Limites de la recherche ... 121

PARTIE II MODELE ET DISPOSITIF DE LA LUTTE CONTRE LA TUBERCULOSE ... 125

Chapitre 3 Histoire de la lutte contre la tuberculose ... 127

3.1. Perspective diachronique : la lutte contre la tuberculose au XXe siècle ... 127

3.1.1. Débuts de la lutte contre la tuberculose : émergence d’organisations et d’institutions ... 127

3.1.2. Âge d’or de la lutte contre la tuberculose et des magic bullets : antibiotiques et vaccin BCG ... 129

3.1.3. Ère de la négligence de la tuberculose et l’élaboration du modèle de Styblo... 132

3.1.4. Promotion de la tuberculose : « urgence globale » et stratégie DOTS ... 135

3.2 Version biomédicale de la tuberculose au sein du modèle ... 140

3.2.1. Héritages pasteurien et biomédical ... 141

3.2.2. Classification : maladie infectieuse, entité clinique et entité spécifique ... 142

3.2.3. Typologies biomédicales de la tuberculose ... 144

I. Stade : tuberculose active et tuberculose latente ... 144

II. Localité : tuberculose pulmonaire et tuberculose extra-pulmonaire . 145 III. Contagiosité : BAAR et culture ... 146

Chapitre 4 Institutions, acteures et pratiques de la lutte contre la tuberculose en Suisse et à Genève ... 149

4.1 Dispositif suisse ... 149

4.1.1. Cadre légal ... 149

4.1.2. Stratégie nationale : la voie des autorités de santé publique, guidée par des expertes ... 151

I. Pourquoi une stratégie ? ... 151

II. Défis de santé publique et groupes à risque de la tuberculose ... 152

III. Objectifs de la stratégie ... 153

IV. Mesures et axes d’interventions prioritaires de la stratégie ... 154

4.1.3. Principales pratiques à l’échelle nationale ... 155

4.2. Dispositif genevois : interdépendances ... 159

4.2.1. Service du médecin cantonale : coordination et délégation du contrôle de la tuberculose ... 159

(6)

4.2.2. Diverses unités de l’hôpital public : le quotidien de la lutte contre la

tuberculose ... 160

I. Unités qui orientent les personnes suspectées de tuberculose ... 162

II. Unités qui hospitalisent et isolent les patientes ... 163

III. Unités qui conseillent les médecins responsables des patientes suspectées de tuberculose ... 164

IV. Unité qui surveille les microbes et les professionnelles ... 165

V. Centre antituberculeux, la division ambulatoire du service de pneumologie ... 165

4.2.3 Institutions externes à l’hôpital : le sanitaire articulé à d’autres domaines ... 169

4.3. Personnes traitées pour une tuberculose à Genève ... 171

4.3.1. Données sociodémographiques des patientes traitées dans le canton ... 172

I. Patientes réparties par typologies biomédicales ... 172

II. Patientes réparties par données sociodémographiques ... 173

4.3.2. Les patientes précarisées : une typologie basée sur les statuts juridiques ... 175

I. Personnes requérantes d’asile : en attente (permis N) et admission provisoire (permis F) ... 176

II. Personnes rejetées de l’asile s’annonçant aux autorités : « le papier blanc » ... 177

III. Personnes rejetées de l’asile passées dans la clandestinité ... 178

IV. Personnes dites « sans-papiers » ... 179

PARTIE III LA LUTTE CONTRE LA TUBERCULOSE EN PRATIQUE ... 183

Chapitre 5 Soigner et prévenir par le contrôle ... 185

5.1. Isolement respiratoire ... 185

5.1.1. Un contrôle exercé par la surveillance de trois acteures ... 187

5.1.2. Expériences des personnes isolées à l’hôpital ... 191

I. Péjoration momentanée des conditions de vie et doléances pas entendues ... 191

II. Amélioration temporaire des conditions de vie et profondes inquiétudes ... 195

5.1.3. Discordes et rapports différenciés face aux risques parmi les professionnelles ... 197

I. L’hygiène hospitalière : risque zéro, rigueur et message clair ... 199

II. La pneumologie : risque acceptable, alliance thérapeutique et continuité des soins ... 201

5.2. Mesures de contrainte ... 203

5.2.1. Une menace d’incarcération involontaire avant tout ... 204

5.2.2. Expériences des patientes de la contrainte et de sa menace .... 205 5.2.3. Embarrassantes mesures de contrainte et leurs conséquences 206

(7)

5.3. Directly Observed Treatment (DOT) ... 208

5.3.1. Une surveillance humaine tri-hebdomadaire de certaines patientes ... 210

5.3.2. Expériences des patientes du traitement antituberculeux et de la DOT ... 213

5.3.3. Gênes de professionnelles du CAT ... 216

5.4. Enquête ou contrôle d’entourage... 223

5.4.1. Un « contrôle préventif » dans le réseau social des patientes ... 224

5.4.2. Expériences de l’enquête d’entourage et des dépistages de la tuberculose ... 226

5.4.3. Questionnements et doutes des professionnelles du CAT ... 230

Chapitre 6 Malaises autour d’un régime d’exception ... 233

6.1. Exceptionnalité de la tuberculose ? ... 233

6.2. Tensions à l’hôpital ... 240

6.2.1. Système organisationnel : à qui profite-t-il ? ... 240

6.2.2. Contraintes des professionnelles de l’institution ... 242

I. Manque de temps avec les patientes, surcharge de travail ... 243

II. Valorisation et dévalorisation de la prise en charge de la tuberculose ... 246

III. Manque de formation d’une partie des professionnelles ... 249

IV. Difficultés induites par l’environnement institutionnel ... 251

6.2.3. Pratiques et valeurs des professionnelles en tensions ... 253

I. Liberté et autonomie vs. contrôle et contrainte ... 253

II. Technique de contrôle contraignante pas appliquée à toutes vs. équité ... 255

III. Alerter et rassurer ... 256

IV. Prendre soin d’individus et protéger la communauté ... 260

6.3 Controverse et incertitudes ... 261

6.3.1. Controverses des scientifiques et des expertes concernant la DOT ... 261

6.4.2. Incertitudes dans la clinique ... 265

6.4.3. Contagion aux fins incertaines : production d’une liminalité ... 267

6.4 Quelle place au care dans ce régime d’exception permanent ? ... 275

Chapitre 7 Migrantes : êtres à risque de tuberculose ... 283

7.1. Êtres à risque de la santé publique : un cadrage géographique ... 283

7.2. Êtres à risque locaux : hétérogénéité de la catégorie « migrante » et « étrangère » ... 291

7.3. Invisibiliser et exposer certains êtres à risque ... 296

7.3.1. Invisibilité des rejetées de l’asile ... 297

7.3.2. Différents régimes d’exposition des tuberculeuses ... 299

Chapitre 8 La condition de migrante précarisée ... 305

8.1. Typologie des migrantes précarisées et conditions de vie ... 306

8.2. « Stop Bunkers. Nous avons besoin d’air frais » : voix de demandeurs d’asile ... 311

(8)

8.2.1. Promiscuité: « cages à poules », « surpopulation malsaine »,

« serrés comme des poulets », « surdensité » ... 313

8.2.2. Manque de sommeil, carences alimentaires, dérèglement du corps, alcool et addiction ... 317

8.3. « On a failli mourir de faim et de soif. On a trop souffert » : conditions de voyage migratoire ... 318

8.4. Tactiques des personnes migrantes précarisées face au dispositif .. 322

Chapitre 9 La migration : cause essentielle de la tuberculose dans les pays des Nords ? ... 329

9.1. Maladie importée : du pays d’origine au pays d’accueil ou acquise lors de voyage... 331

9.1.1. « Vous avez rencontré la tuberculose, très probablement au Congo» ... 332

9.2 Maladie acquise : être à risque dans la société d’accueil ... 336

9.2.1. « J’ai attrapé la maladie où je vis, dans un foyer » ... 336

9.3. Maladie développée : ce qui favorise la faiblesse du corps ou la baisse du système immunitaire ... 341

9.3.1. « …il faut des conditions favorables … » ... 341

9.3.2. « … un diabète qui affecte votre immunité… » ... 343

9.4. Asymétries occultant précarité et violence structurelle ... 348

9.4.1. Causes sociales qui expliquaient la tuberculose dans le passé en Suisse ... 348

9.4.2. Critères sociaux de situations à risque de tuberculose ne s’appliquent qu’à certaines personnes ... 350

9.4.3. Conditions de vie précaires des migrantes dans la société d’accueil ... 354

9.4.4. Violences structurelles ... 357

9.5. Géographie de l’accusation ... 359

9.5.1. Stigmatisation ... 362

9.5.2. Réduction de la perspective transnationale ... 364

Chapitre 10 Inégalités d’accès à la prévention de la tuberculose ... 367

10.1. L’impraticable enquête d’entourage des migrantes précarisées ... 367

10.1.1. L’enquête d’entourage n’atteint pas les plus précarisés et les plus à risque de tuberculose ... 368

10.1.2. Protection de la vie biologique et protection de la vie sociale .. 372

10.2. L’affaiblissement du dépistage à la frontière des requérantes d’asile ... 375

10.2.1. La controverse des moyens du dépistage à la frontière ... 376

10.2.2. Application et impacts du nouveau dépistage à la frontière ... 380

Chapitre 11 Lorsque les politiques migratoires s’immiscent à l’hôpital ... 387

11.1. Triages et filières des migrantes précarisées ... 393

11.1.1. Transferts entre cantons ... 394

11.1.2. Transfert entre instition : hôpital et prison ... 396

11.1.3 Filière de soin pour migrantes précarisée ... 399

11.2. Expulsion de la Suisse : « on a créé une rupture » ... 400

11.3. Coopération avec les autorités d’immigration et isomorphisme des dispositifs ... 404

(9)

11.4. Assertions, accusation et méfiance sur les tuberculeuses migrantes

... 407

I. Les migrantes arrêtent le traitement antituberculeux ... 409

II. Le problème, c’est le « délai » des patientes… ... 412

III. Les migrantes manquent de connaissance pour être des citoyennes sanitaires ... 414

III. Les migrantes simulent ... 416

11.5. Malaises des professionnelles : « Nous soignons des patients, pas des permis ! » ... 417

11.5.1. Le paradoxe de la tuberculose des migrantes les plus précarisées ... 417

11.5.2. Tension entre égalité et tri... 419

Chapitre 12 Incorporation et individualisation du risque de tuberculose... 425

12.1. La tuberculose latente : incorporation du risque de tuberculose ... 425

12.1.1. Différentes facettes d’une catégorie biomédicale ... 426

12.1.2. Version courante de la tuberculose latente... 428

I. « Deux stades à la maladie » : infection latente et tuberculose active ... 428

II. « Microbe à bord » et « bactérie dormante » : présence et passivité du microbe ... 429

III. « C'est une sorte d'épée de Damoclès, la tuberculose latente » : le risque de tuberculose ... 430

12.1.3. La tuberculose latente en question ... 431

I. « Mystère », « création d’experts » et « concept »... 431

II. « Spectre » : remise en question du modèle binaire infection/maladie ... 433

12.1.4. Reconfiguration des frontières santé-maladie ... 434

Entre-deux et risque réifié ... 435

12.1.5. Incorporation du “risque de maladie“ ... 436

12.1.6. Production de risque et liminalité ... 439

12.2. Impacts de l’individualisation du risque de tuberculose ... 441

12.2.1. Une responsabilité individuelle qui occulte ... 442

12.2.2 Mais qui est l’ennemi du cadrage guerrier ? ... 444

12.2.3. Xénophobie, stigmatisation et santé publique ... 447

12.3. La lutte contre la tuberculose, un phénomène de biomédicalisation450 Conclusions ... 455

Glossaire ... 471

Bibliographie ... 473

Annexes ... 497

Annexe 1 Pays de naissance des patientes ... 497

Annexe 2 Typologies de patientes par statuts juridiques ... 499

Annexe 3 Répartition des types d’administration des antituberculeux ... 503

(10)

Annexe 4 Détails des calculs d’incidences de tuberculose par statut juridique ... 505 Annexe 5 Enquêtes d’entourage dans le canton de Genève ... 507

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(12)

Résumé

Ma thèse interroge un modèle de santé publique international – la « lutte contre la tuberculose » – et son application en Suisse. À partir de l’analyse des malaises exprimés par certaines professionnelles de la santé et des tensions perçues inhérentes à ce dispositif sanitaire, ma recherche fait émerger les impacts et les

« hors-champs » de cette action publique. La thèse repose sur deux axes. Le premier est une enquête sur l’agencement singulier des techniques de contrôle et de care à l’hôpital, tandis que le second est une analyse qui dissèque l’articulation entre la tuberculose et la migration, spécifique de la lutte contre la tuberculose dans un pays des Nords : la Suisse.

Les données sur lesquelles reposent mes analyses sont issues d’une ethnographie multi-site en Suisse combinant observations et entretiens in situ avec des entretiens semi-directifs auprès des agentes de l’Etat, des personnes traitées pour une tuberculose et parfois de leur entourage. Elle a consisté en une immersion dans plusieurs services d’un hôpital public combinée à des visites ponctuelles dans d’autres institutions du dispositif étudié. L’interprétation des résultats repose principalement sur des concepts de la socio-anthropologie de la biomédecine et de l’Etat.

Mes résultats montrent que les « cadrages » de la lutte contre la tuberculose, en Suisse, aujourd’hui, produisent des effets, tels qu’entraîner un processus d’incorporation et d’individualisation du risque de maladie ou tendre à dépolitiser la question de la tuberculose. De plus, ces cadrages comportent des hors-champs soulignés par ma recherche, notamment les inégalités d’accès à la prévention, ainsi que les impacts, dans le domaine de la santé, des politiques migratoires suisse et européenne et de la précarisation de certaines migrantes par l’Etat.

Enfin, cette analyse de la « lutte contre la tuberculose » en Suisse soulève des questions sociales relatives à la liberté des individus, au bien commun, au vivre ensemble à différentes échelles (international, national et régional), à la relation entre un « Nous » et un « Eux », à l’usage du contrôle et de la contrainte dans le champ médical, ainsi qu’au rôle des professionnelles de la santé.

Mots-clés : tuberculose, dispositif sanitaire, action publique, biomédecine, migration, contrôle, cadrage (frame), Suisse

(13)
(14)

Notes d’écriture

Quelques précisions concernant l’écriture. A travers la thèse, je ponctue mon analyse par des extraits de mon journal de terrain que j’ai bien entendu considérablement édité afin qu’il devienne compréhensible aux lectrices. Ces extraits sont signalés par la notation (observation) et rapportent des événements ayant eu lieu entre les années 2010 et 2015. La tuberculose, dans le champ médical, est décrite par ces différents termes : TB, bacille de Koch (BK), mycobacterium tuberculosis, M.tuberculosis. J’utilise pour ma part le terme générique de microbe ou celui spécifique de BK. En revanche, j’ai choisi de conserver les termes employés par les différentes acteures dans la retranscription de leur discours. Lorsqu’il me fallait choisir entre la forme masculine ou la forme féminine, j’ai adopté la forme féminine qui englobe la forme masculine. Dans les cas où le genre de la personne représente une information importante, il a été conservé. Pour le reste, j’ai pris la liberté de transformer le genre, au même titre que la nationalité et l’âge, de certains individus, ainsi que les dates des événements, afin de garantir l’anonymat des personnes dont je rapporte les paroles et les actes. Enfin, j’ai systématiquement modifié les noms des personnes pour les mêmes raisons, et parfois transformé également les noms des lieux et des institutions.

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Remerciements

Je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont soutenue durant ces années de thèse. J’adresse mes premiers remerciements aux personnes traitées pour une tuberculose et à leur entourage, aux professionnelles de la santé de l'hôpital, à celles exerçant à ses marges et à toutes les personnes rencontrées sur le terrain qui m’ont accordé temps et confiance. J’espère être à la hauteur de la générosité avec laquelle elles ont partagé leurs savoirs et leurs versions du monde. Une pensée toute particulière emprunte de gratitude va à mes informatrices privilégiées, avant tout à Mako. Sans elles, il n’y aurait pas de thèse.

M’ont également soutenu et encouragé durant ces années de thèse, mes deux directrices. Leurs critiques constructives ont su me guider. Je remercie Mathilde Bourrier d’avoir accepté la direction de thèse d’une étudiante formée à l’ethnologie et d’avoir su m’introduire dans le monde de la sociologie, de m’avoir entraînée à établir des constats et savoir parfois lâcher des nuances pour les affirmer et enfin pour son souci sans faille aux différentes étapes de la thèse. Mes remerciements vont une fois de plus à Ellen Hertz qui depuis le début de mes études en ethnologie n’a cessé d’être une guide exceptionnelle, d’abord en tant qu’enseignante puis comme directrice de thèse, ses nombreux conseils m’ont permis d’apprendre tant de choses et surtout le nécessaire afin de défendre une thèse et de terminer un manuscrit. Le suivi et les conseils bienveillants des membres du comité scientifique de l’étude commanditée de l’hôpital public de Genève – composé de Patricia Hudelson, Sonia Sauthier, Melissa Dominicé Dao, Pierre-Olivier Bridevaux, Jean-Paul Janssens et de mes deux directrices de thèse – ont également été précieux, ainsi que l’aide de Vincent Barras. Sans Jean-Paul Janssens, je n’aurais pas imaginé étudier la lutte contre la tuberculose en Suisse, je le remercie pour m’avoir mise sur cette voie qui s’est avérée passionnante et pour sa confiance sans faille durant ce long chemin que fut la recherche appliquée et la thèse. Je suis reconnaissante envers les Ligues pulmonaires de Berne, Genève, Neuchâtel, Valais et Zurich pour leur contribution financière.

Je remercie chaleureusement les membres du jury de thèse, Claudine Burton- Jeangros, Vinh-Kim Nguyen et Estelle d’Halluin d’avoir accepter ce rôle et d’avoir partagé des critiques et des conseils précieux sur mon travail.

Durant plusieurs années, de nombreuses personnes ont relu des extraits de texte qui ont menés à ce manuscrit. J’ai une sincère reconnaissance envers elles : Miriam, Bastien, Sophie Clio, Olivier, Mary, Lucien, Véronique, Pablo, Cédric, Martine, Nuria, Areti et Luc. Un merci tout particulier à Marc qui a tant corrigé de pages.

J'ai beaucoup appris des personnes avec qui j’ai cheminé sur divers sentiers.

Durant mes études en ethnologie aux côtés de nombreuses camarades, dont Nuria, Veronica P., Bastien, Sam, Hossam et Cédric – qui m’a guidé le premier sur la voie de l’ethnologie à Neuchâtel. Je les remercie pour leurs conseils et les nombreuses expériences de décentrement partagées. Plus tard, des personnes passées avant moi en thèse ou avec qui j'ai effectué ce parcours ont

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généreusement partagé leurs ficelles et leurs conseils indispensables pour mener à bien une thèse : Miriam, Veronica G., Hossam, Louca, Cornelia, Luc, Carl, Julie D., Matthias, Martine, Justin, Sonia, Hervé, Raphaël, Vanessa, Julien et Alex.

Merci pour vos précieux conseils tous terrains.

Je tiens également à remercier des personnes appartenant à plusieurs collectifs côtoyés à différentes étapes des années de la thèse. Les membres du groupe Institution, risque, santé ; les anciennes collègues des Universités de Genève et Neuchâtel ; les acolytes des collectifs Fish Tank et E.T. – ethnologues sur le terrain et les camarades de lutte. Un grand merci d’avoir partagé vos savoirs et vos réflexions en tous genres.

D'autres sentiers m'ont amenée à des amies fidèles qui m'ont accompagnée et guidée. Je remercie de tout cœur pour leur soutien et leur écoute Pablo, Nuria, Veronica, Olive, Sophie Clio, Bastien, Pauline, Nicolas, Floriane, Thomas, Didier, Heidi, Sandra, Loucine, Nelson, Taline, Sonia, Miriam, Hossam, Cédric, Sam, Tché, Magali, Virginie, Chetna et Noah. Vous avez été la source d’inspiration, de rires et de bonheur aux marges de cette thèse. Merci aussi à mes voisines hors pair, Laïla, Matthias, Anne, Fabrice et leurs enfants, pour leur appui en particulier lors de l’épisode de contagion qu’a connu notre immeuble.

Je remercie vivement Veronica P. pour les nombreux échanges passionnés sur nos terrains et sur le reste ; Miriam, camarade inestimable de thèse, pour m’avoir tant aidé à terminer celle-ci ; Nuria pour tous les conseils et l’écoute zen ; Luc, Raymonde et Blaise pour leurs aides administratives et bibliographiques ; Mélinée et Barbara, pour les sympathiques pauses aux abords de l’hôpital ; Vinciane pour les écrits et les discussions nourrissant l’« enchantement du monde » et André 3000 pour sa musique dans laquelle j’ai puisé, plus d’une fois, l’énergie nécessaire à écrire.

Ma famille a été une ressource sans fond. J’adresse mes remerciements et ma gratitude à mes parents, ma belle-mère, ma fratrie, et leurs compagnes et compagnons, pour leur aide et leur amour ainsi que les nombreux repas et les rires partagés. Enfin, à Mohammad, merci pour ton amour, ta patience, ton énergie et pour les encouragements et les rires quotidiens sans lesquels je n’aurais pas pu mettre un point final à cette thèse.

.

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« When you’re writing, you’re trying to find out something which you don’t know. » James Baldwin, The Paris Review, N°91, 1984

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Introduction Actualités de la tuberculose dans les pays des Nords

« Continually adjusting itself to the reality of contemporary lives and worlds, the anthropological venture has the potential of art: to invoke neglected human possibilities and to expand the limits of understanding and imagination.

Compellingly attending to tiny gestures, islands of care, and moments of isolation or waiting in which hope and life somehow continue are not just footnotes in the ethnographic record, but rather the very place where our new ethics and politics might come into being. »1

Cette thèse fait état d’un constat : les êtres humains tentent de faire sens et s’organisent face à des malheurs et des maux qui se transmettent d’individu en individu et qui viennent menacer l’ordre social, voire le devenir du groupe. Les sciences sociales ont révélé que si l’expérience de souffrance humaine liée à ce qui est qualifié de circulation d’une maladie, d’un mal ou d’un malheur est universelle, le sens donné à ces expériences ainsi que les réponses qui leurs sont proposées varient. Elles prennent différentes formes selon les époques et les lieux (Good et al. 1992). Les maladies infectieuses représentent un exemple de maux qui circulent et comme le prônent Inhorn et Brown: « As students and interpreters of societies and cultures, anthropologists cannot afford to ignore the infectious diseases, because coping with them is a universal aspect of the human experience » (2000:54).

Le rôle social endossé par des chamanes, prêtres, médecins, désorceleuses ou autres thérapeutes (Rosenberg 1989; Favret-Saada 2002, 2009) constitue une des réponses à l’expérience humaine de souffrance et de propagation du mal, dont les impacts se donnent à voir et à vivre collectivement et individuellement.

Différents systèmes thérapeutiques se sont constitués autour de ces expériences de souffrance et de contagion et ont élaboré des explications et des pratiques thérapeutiques. Les Etats se sont également emparés de ces expériences humaines, ont façonné des stratégies et ont promu des politiques sanitaires pour les gérer. Individuellement, les personnes mobilisent des discours et des pratiques de systèmes thérapeutiques appartenant à la santé publique ou émanant du secteur privé.

1 Biehl João & Moran-Thomas Amy, « Symptom: Subjectivities, Social Ills, Technologies », Annual Review of Anthropology, 2009, Vol. 38, N°1, p.282.

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La contagion rassemble un événement collectif à un événement individuel. Une circonstance qui pourrait ne concerner qu’une personne et son entourage proche se transforme en une situation qui intrigue, interroge, voire inquiète un collectif d’individus plus large, une communauté, une ville, une région, un pays, une région du monde, parfois jusqu’à l’échelle de la planète entière. Coste et al. soulignent que « la contagion met à l’épreuve la plupart des frontières dont nous nous dotons pour nous affirmer et exister : frontières institutionnelles, culturelles, sociales, mais aussi matérielles et ontologiques » (2001:18).

La façon dont les groupes sociaux élaborent des réponses à la maladie contagieuse, que ce soit la tuberculose, le SIDA, la grippe H1N1 ou encore la maladie à virus Ebola, nous renseigne sur leur code de vivre ensemble, sur les valeurs qui les animent, sur les savoirs et les savoir-faire qu’ils développent. Les infections transmissibles, le spectre de l’épidémie, de même que tout phénomène de contagion impactent les relations au sein des groupes et entre groupes autant qu’elles rendent visibles les liens entre les individus. Or, comme l’énonce Fabre, si l’événement contagieux modifie les relations sociales, les conséquences de ces changements peuvent varier : « Tantôt la contagion brise les solidarités, entame les pratiques d’entraide. Tantôt elle les suscite ou les renforce. Mis à l’épreuve de la contagion, le lien social peut se rompre ou se resserrer » (1998:2).

Cette thèse s’ancre dans l’étude de cas d’un mal, la maladie nommée tuberculose, telle qu’elle est pensée, pratiquée et vécue en Suisse. Avant de m’intéresser plus particulièrement à la manière dont les acteures de la santé publique transforment la tuberculose en un problème social, digne d’un intérêt et d’une régulation par la collectivité, je propose, en guise de préambule, deux énigmes s’inspirant d’observations ethnographiques.

Evoquant sa formation à la gestion médicale de la tuberculose, un médecin me raconte : « On me dit que la tuberculose […] est la seule, je cite : “maladie où on peut priver les gens de leur liberté pour les forcer à des démarches diagnostiques et à un traitement“ ». « Qu’est-ce qu’il y a de si fondamentalement différent pour la tuberculose, [… de sorte] qu’on prenne des mesures pareilles de privation de liberté, qu’on sorte du rapport de confiance, qu’on entre dans un discours moralisateur ? » questionne ce médecin. Si la tuberculose fait l’objet d’un régime d’exception, sur quoi se fonde-t-il ?

Au sortir d’une réunion au Centre antituberculeux de l’hôpital public de Genève, un médecin pneumologue me dit : « On soigne des patients, on ne soigne pas la migration ! » Considérée hier comme la maladie sociale par excellence, la tuberculose semble aujourd’hui en Suisse avoir considérablement perdu la caractéristique de maladie des pauvres au profit de celle de maladie des migrantes. Qu’est-ce que la migration vient faire dans la clinique de ces médecins ?

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Ces deux énigmes introduisent les thématiques au cœur de mon objet de recherche et l’inscription de mon objet d’étude, la tuberculose, aux croisements de plusieurs champs, notamment sanitaire, économique, politique et migratoire.

Pour répondre à ces énigmes, il me faudra décrire et analyser différents éléments des institutions suisses, biomédicales et de santé publique. En retour, l’analyse de cette étude de cas viendra éclairer ces différentes institutions.

Dans cette thèse, je m’intéresse dans un premier temps à la construction d’un problème public et aux cadrages du problème de la tuberculose puis, dans un second temps, aux pratiques et aux débats qui relèvent du problème de la tuberculose en Suisse et dans la santé publique internationale. Les actualités de la tuberculose constituent une première porte d’entrée aux cadrages de la tuberculose principalement en Suisse et dans d’autres pays des Nords.

La tuberculose, cible d’une lutte ?

« Prélevant son tribut parmi les pauvres de la planète, la tuberculose n’intéresse plus ni les milieux scientifiques ni les médias. » Paul Farmer, Fléaux contemporains : des infections et des inégalités, Anthropos, 2006, p.41 Geneva Health Forum, avril 2014. Dans cette conférence de professionnelles de la santé ayant lieu tous les deux ans à Genève, un panel consacré à la tuberculose portant le nom « Harnessing ICTs to Improve Tuberculosis Control » réunit une quarantaine de participantes.

L’une des questions discutée a trait à l’utilisation des médias et autres moyens de communication pour faire parler de la tuberculose. Une femme se présentant comme Health Journalist explique l’origine du site internet Journalist against TB : « [It was] born out of guilt, [we were] never able to get space in media because [tuberculosis] is not a sexy disease ». Elle rappelle une logique appliquée à la tuberculose bien connue des professionnelles de la santé mais néanmoins brutale : « There is nothing sensational; people are dying but so what …». Elle rapporte les mots de managers des journaux ne publiant pas les articles des journalistes traitant de la tuberculose qui ont mis sur pied ce site internet : « TB doesn’t make news. It doesn’t sell. » (observation)

Si un certain désintérêt plane sur la tuberculose au XXIe siècle, comme le souligne l’anthropologue Paul Farmer, et au grand damne de professionnelles de la santé, la tuberculose fait tout de même l’objet de communications de masse. En effet, les professionnelles de la santé publique et les journalistes communiquent à certaines occasions à son propos. Qu’est-ce qui fait l’actualité au nom de la tuberculose ?

Poser la question des actualités de la tuberculose, c’est, en combinant les deux définitions du terme actualités, intérêt actuel et ensemble de faits récents, se

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pencher sur ce qui fait l’intérêt de la tuberculose au XXIe siècle autant que sur les derniers événements qui lui sont associés. Cela permet tout d’abord de faire émerger en quoi la tuberculose relève d’un problème publique (Gusfield 2009) ; ensuite de révéler le réseaux d’acteures impliquées et les acteures légitimées pour en parler (Latour 1984); et enfin de mettre en exergue un certain sens commun qui lui est associé (Martin 2000).

Trois questions secondaires me guident : Quand est-ce que la tuberculose entre dans l’actualité? Quels sont les thèmes liés à la tuberculose qui sont soit associés à l’actualité, soit abordés dans l’actualité ? Quelles voies et par quelle grammaire la tuberculose fait-elle parler d’elle ? Pour répondre à ces questions, je cible les discours de deux groupes d’acteures, les journalistes et les autorités de santé travaillant et écrivant dans des médiums appartenant à deux champs professionnels, la santé publique et les médias, et correspondant à deux sources importantes de représentations de la tuberculose occupant l’espace public en Europe ou en Amérique du Nord2.

Voix médiatiques

Sans prétendre ici à une revue systématique de l’occurrence du thème de la tuberculose dans les médias, je propose un aperçu des principales narrations ayant attrait à la tuberculose à travers les titres de différents articles de presse écrite ou d’émissions radiophoniques ou télévisuelles 3.

Si le phénomène de contagion fait régulièrement la « une » des médias, ce n’est que très rarement lié à la tuberculose. Certaines tuberculoses ne font pas parler d’elles. A contrario, d’autres tuberculoses font scandale. Des journalistes et des agentes de l’Etat présentent la tuberculose tantôt comme un fait hors norme, tantôt comme un fait banal. La tuberculose est souvent décrite comme un mal, un

« fléau » ; tandis que la lutte contre la tuberculose ne fait pas l’objet d’un consensus quant à savoir si les autorités de santé sont en train de la gagner ou de la perdre. En effet, il est dit que le dit fléau qu’il recule ou, à l’inverse, qu’il persiste, gagne du terrain ou revient :

« Battle against TB is being won, says World Health Organisation » ; « We are losing the fight against TB, warns WHO » ; « Why have we not won the

2 Je ne prends pas en compte ici la presse spécialisée du champ scientifique, que je traite ultérieurement. De plus, je me limite aux discours émis entre 2009 et 2014.

3 Ce choix de cibler des médias européens et nord-américains se justifie car il s’agit des medias cités par une partie des acteures sur le terrain. J’ai choisi de parcourir des médias locaux, régionaux et nationaux en Suisse (La Tribune de Genève, Le Matin, Le Temps, Le 20Minutes et Le Courier, La radio et télévision suisse romande (RTS), Swissinfo.ch, Planète Santé, L’hebdo, Femina) et de trois autres pays, la France (Libération, Le Figaro, Le Monde, France Info), l’Angleterre (The Guardian, The Independent On Sunday, The Economist) et les Etats-Unis (The New York Times).

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TB battle ? » ; « La tuberculose continue de reculer dans le monde »; « Tuberculose : un recul à petits pas »; « La tuberculose ne recule pas »; « Recrudescence de tuberculose »; « La tuberculose revient » 4

Les médias attestent que la tuberculose tue et infecte des personnes de par le monde et transmettent des chiffres produits par l’OMS ou des autorités de santé nationales :

« Les décès par tuberculose liés au SIDA augmentent »; « TB deaths creating villages of widows in rural India »; « NE [Neuchâtel, Suisse]: une jeune fille décède de la tuberculose »; « Lincoln University student dies of TB »; « Neuf millions de personnes contractent la tuberculose chaque année »; « 5 276 cas de tuberculose déclarés en France, en 2009 »5 Il en ressort une inégalité patente face à la maladie, la tuberculose faisant des ravages dans les populations et les pays pauvres. Dans les pays riches, la tuberculose est principalement associée à certains groupes sociaux : les migrantes, les réfugiées, parfois les sans abris et plus généralement toutes les personnes précarisées :

« Test de tuberculose réintroduit pour des réfugiés »; « Les migrants plus exposés aux maladies infectieuses »; « California : Tuberculosis Outbreak Among Homeless »; « Tuberculosis thriving in ‘Victorian’ London, says expert »6

Dans les pays des Nords, les mini-épidémies (« outbreak ») sont l’occasion de parler de tuberculose, quand cette dernière touche des personnes fréquentant des lieux collectifs tels que les hôpitaux, les écoles, les avions ou les prisons :

« Tuberculose: 79 bébés infectés à l’hôpital »; « Un cas de tuberculose a été diagnostiqué dans une école carougeoise [ville du canton de Genève] » ; « Cinq cas de tuberculose dans un lycée du Val-de-Marne »; « La tuberculose fait son apparition en force dans une école zougoise » ; « Seize élèves atteints de tuberculose »; « Alerte à la tuberculose dans un avion »; « Une vingtaine de cas de tuberculose dans un quartier pauvre du 93 »; « La tuberculose se propage dans les prisons »7

4 Les titres proviennent des media suivants dans l’ordre d’apparition: The Guardian 11.10.2011; The Independent On Sunday 13.5.2012 ; The Guardian 21.4.2009; Le Matin 17.10.2012 ; Libération 25.3.2009; 20 Minutes 8.6.2012;

RTS, émission On en parle 23.3.2011; Tribune de Genève 24.3.2011..

5 Les titres proviennent des media suivants dans l’ordre d’apparition: Le Temps 25.3.2009; The Guardian 21.1.2011; RTS Info 4.12.2007; The Guardian 21.12.2012; RTS, Journal de 12:45, 24.3.2009; Le Monde 26.3.2011.

6 Les titres proviennent des media suivants dans l’ordre d’apparition: Swissinfo.ch 24.8.2007; Le Figaro 16.1.2012; The New York Times 23.2.2013; The Guardian 17.12.2010.

7 Les titres proviennent des media suivants dans l’ordre d’apparition: 20 Minutes 1.9.2011; Tribune de Genève 31.8.2015; Libération 23.5.2012; Le Temps

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« Maladie des pauvres », associée à la précarité, la tuberculose est également décrite comme devenue une maladie des migrantes, faisant de la pauvreté et de la migration deux causes de la présence de la maladie dans certaines régions riches du monde :

« Des hôpitaux débordés par des tuberculeux d’Europe de l’Est » ; « La tuberculose venue d’Europe de l’est inquiète les autorités sanitaires » ; « La tuberculose, un baromètre social »; « La tuberculose est un marqueur de précarité sociale » ; « A Clichy-sous-Bois, le retour de la “maladie des pauvres“» » 8

Il est signalé que différentes institutions luttent contre la tuberculose à différents échelons nationaux et internationaux. Un vocabulaire et des métaphores empruntant au champs lexical de la guerre donnent le ton de la manière dont ces institutions abordaient la tuberculose : combattre la tuberculose, trouver les bonnes armes, organiser la lutte, et risquer de perdre la lutte contre la tuberculose :

« La Suisse lutte contre la tuberculose » ; « Un antibiotique oublié permettrait de combattre la tuberculose » ; « At Europe’s Doorstep, Fierce War against TB » ; « Le docteur Léopold Blanc “Il faut de nouvelles armes contre la tuberculose“ » ; « Together we can fight Aids, TB and malaria » ;

« La tuberculose traquée » ;9

Outre le fait de dépister, traiter et prévenir, un objectif affiché de cette lutte est d’éradiquer la tuberculose :

« Pour un monde sans tuberculose » ; « Tuberculose : le monde va-t-il s’en débarrasser ? » ; « Les Etats-Unis n’ont pas atteint leur but d’éradiquer la tuberculose en 2010 » ; « Il faudra des siècles pour éradiquer la tuberculose »10

Au cours du temps, plusieurs institutions scientifiques et employées d’entreprises publiques et privées ont développé des outils pour cette lutte: vaccin, antibiotique, tests. Ceux-ci font l’objet de modification, d’amélioration et de remises en question :

27.5.2010; 20 Minutes 26.5.2010; RTS Info 28.6.2010; RTS Info 21.9.2011; Le Courrier 6.4.2013.

8 Les titres proviennent des media suivants dans l’ordre d’apparition: Le Figaro 23.1.2013; France Info 24.1.2013 ; Le Courrier 22.12.2010; Libération 25.5.2012;

Le Monde 8.10.2011.

9 Les titres proviennent des media suivants dans l’ordre d’apparition: 20 Minutes 24.4.2012; Le Temps 17.9.2012; The Wall Street Journal, 31.12.2012; Le Monde 15.10.2010; The Guardian 21.9.2010; Libération 29.9.2011..

10 Les titres proviennent des media suisses suivants dans l’ordre d’apparition:

RTS, émission Le court du jour 26.3.2010; RTS, émission Géopolitis 20.3.2011;

RTS Info 24.3.2011; Swissinfo.ch 31.10.2011.

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« Un test plus rapide et plus efficace pour diagnostiquer la tuberculose » ;

« Tuberculose: nouveau test, mais il faudra que le traitement suive, selon MSF » ; « Un cocktail d’antibiotiques prometteur et bon marché contre la tuberculose » ; « USA: approbation du premier anti-tuberculeux depuis 40 ans » ; « L’arrêt du BCG n’a pas eu d’impact négatif sur le nombre de cas de tuberculose chez les enfants » ; « Tuberculose : essai décevant pour un nouveau vaccin » ; « Sida, tuberculose, malaria : à quand des vaccins ? »11 Les moyens pratiques et financiers pour lutter contre la tuberculose sont également régulièrement discutés :

« SIDA, tuberculose, paludisme: 11,7 milliards de dollars promis à l’ONU

» ; « Tuberculose: Bill Gates verse un milliard » ; « Tuberculosis: When back-ups fail » ; « Soigner la tuberculose en Suisse est devenu une vraie galère » ; « Crisis looms as Global Fund forced to cut back on AIDS, malaria and TB grants »12

Les unes des médias convoquent souvent la peur, l’inquiétude ou l’espoir :

« L’Europe subit une forme dangereuse de tuberculose » ; « Tuberculose : les cas de résistance atteignent des niveaux alarmants » ; « Faut-il avoir peur de la tuberculose en France » ; « L’OMS s’inquiète de nouveaux cas de tuberculose “ultrarésistante“ » ; « L’EPRL fait renaître l’espoir dans la recherche contre la tuberculose » ; « Hopes for new TB vaccine dashed following unsuccessfull trials »13

Enfin, les media relaient l’inquiétude des autorités sanitaires envers le phénomène de résistance aux antibiotiques utilisés pour soigner la tuberculose, créant ce que ces derniers nomment une tuberculose multirésistante ou une tuberculose extrarésistante :

« 90 cas de tuberculose multirésistantes en 2012 » ; « La tuberculose devient de plus en plus résistante – Une infection meurtrière » ; « Drug- Resistant Tuberculosis Strains Show Growth Worldwide » ; « Drug- resistant TB rising in Europe » ; « Drug-resistant strains of TB are out of

11 Les titres proviennent des media suivants dans l’ordre d’apparition: Le Monde 2.9.2010; RTS Info 18.3.2011; Le Temps 24.7.2012; L’Hebdo 31.12.12; Le Monde 12.6.2012; Le Temps 5.2.2013; Planète Santé 22.3.2012.

12 Les titres proviennent des media suivants dans l’ordre d’apparition: Le Monde 5.10.2010; RTS Info 28.6.2010; The Economist; Tribune de Genève 29.11.2011;

The Guardian 23.11.2011.

13 Les titres proviennent des media suivants dans l’ordre d’apparition: 20 Minutes 22.9.2011; Le Temps 30.8.2012; Le Figaro 1.5.2011; Le Monde 20.1.2012;

Tribune de Genève 18.9.2012; The Guardian 4.2.2013.

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control, warn health experts » ; « La tuberculose multirésistante menace

»14

Martin invite à ne pas prendre les images produites dans les médias comme autant de preuve de ce que pensent les gens, mais à les questionner afin de saisir leur compréhension et leur association du phénomène étudié (1994)15. La suite de cette thèse conduira ces analyses et les étoffera par l’analyse des représentations de la tuberculose dans d’autres champs (hôpital, revues scientifiques, formation médicale…) et par d’autres acteures (patientes et leur entourage, professionnelles de la santé, scientifiques) permettant de diversifier et d’affiner cette première esquisse des représentations contemporaines de la tuberculose véhiculée dans le champ médiatique. Les voix médiatiques relaient abondamment celles des autorités de santé publique.

Voix des autorités de santé publique

A travers les voix des autorités de santé internationales et nationales, je questionne encore l’actualité de la tuberculose. A l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre la tuberculose de mars 2013, Margaret Chan, directrice générale de l’OMS, prononce un discours dont voici un extrait :

« Il y a 20 ans, en 1993, l’OMS a déclaré que la propagation de la tuberculose constituait une urgence de santé publique internationale. Cette démarche sans précédent a été déclenchée par une explosion de cas, dans les pays riches comme dans les pays pauvres, largement alimentée par l’épidémie du SIDA. […] Entre 1995 et 2011, 51 millions de personnes ont bénéficié avec succès d’un traitement contre la tuberculose moyennant l’utilisation de la stratégie de l’OMS, 20 millions de vie étant ainsi sauvée.

Ce succès est d’autant plus remarquable que les soins de la tuberculose et la lutte contre la maladie se sont appuyés sur des armes depuis longtemps dépassées. La tuberculose est la seule des grandes maladies infectieuses pour laquelle il n’existe pas de test de dépistage disponible là où les soins sont dispensés. L’humble microscope reste depuis un siècle le principal outil de diagnostic. […] A la fin de l’année passée, les autorités de réglementation ont approuvé le premier nouveau médicament antituberculeux depuis 50 ans. […] L’émergence de la tuberculose-MR [multirésistante], à des niveaux dramatiques dans certains endroits, est le signe d’un échec des mesures de soins et de lutte. […] Dans certains pays, un pourcentage aussi élevé que 35% des nouveaux cas sont

14 Les titres proviennent des media suivants dans l’ordre d’apparition: Le Monde 20.2.2013 ; Le Monde 24.3.2012; The New York Times 3.9.2012; The Guardian 18.3.2011; The Guardian 25.3.2012; Le 20 Minutes 18.3.2013.

15 Martin dans son analyse des images du système immunitaire véhiculées par les média: « Powerful as the impact of media images may be, we would be terribly misled if we took their content as the only sign of what is being understood in the wider culture. » (1994: 62).

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multirésistants dès le début. Cela vous donne une idée du baril de poudre sur lequel nous sommes assis. »

Cette mise en récit de la tuberculose convoque plusieurs acteures : l’OMS, la tuberculose, les pays riches, les pays pauvres, le SIDA et la tuberculose multirésistante, des autorités de réglementation qui participent à cette entreprise de la lutte contre la tuberculose. On retrouve un champ lexical guerrier (stratégie, explosion, armes, baril de poudre) ; les armes de cette lutte sont les tests, le microscope, les médicaments, des stratégies.

Les autorités de santé publique internationales communiquent annuellement le 24 mars à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre la tuberculose16. Les slogans ainsi que les communiqués de presse produits par l’OMS à cette occasion, lors des quinze dernières années, illustrent la lutte contre la tuberculose et ses objectifs :

« DOTS cured me – it will cure you too ! » (2003); « Every Breath Counts – Stop TB Now ! » (2004); « Action for life : towards a world free of tuberculosis » (2006); « On the move against tuberculosis: transforming the fight towards elimination » (2011); « Stop TB in my life time » ainsi que « I want zero TB deaths » et « I want a world free of TB » (2012 et 2013), et ses stratégies :

« DOTS : TB cure for all » (2001) ; « Stop TB, fight poverty » en 2002;

« Reach the 3 million : Find. Treat. Cure TB »17 (2014 et 2015).

Les slogans invitent à concevoir la lutte contre la tuberculose comme une lutte collective – « You can stop TB. Join us! » (2008 à 2010) –, à y participer, et le slogan de 2007 met l’accent sur le caractère interconnecté du monde : « TB anywhere is TB everywhere ».

L’OMS produit des communiqués de presse sur la tuberculose ; ainsi en 2013, l’institution de santé publique internationale titre « La tuberculose fait peser une menace selon l’OMS et le Fonds mondial », invitant leurs partenaires financiers à donner de l’argent, et intitule un communiqué quelques mois plus tard « Les acquis de la lutte antituberculeuse menacés du fait que 3 millions de patients y échappent et de la résistance aux médicaments »18 soulignant deux obstacles à

16 En 1982, 100 ans après que Robert Koch ait identifié le bacille comme étant la cause bactérienne de la tuberculose, l’International Union Against Tuberculosis and Lung Disease (The Union) a promu le 24 mars une « Journée mondiale de lutte contre la tuberculose ».

17 http://www.stoptb.org/events/world_tb_day/, consultés le 29 décembre 2014 et le 21 juillet 2015.

18 http://www.who.int/mediacentre/news/releases/2013/tuberculosis_threat_2013

0318/fr/, communiqué du 18.3.2013 ;

http://www.who.int/mediacentre/news/releases/2013/tuberculosis-report-2013/fr/, communiqué de presse du 23 octobre 2013, consultés le 21 juillet 2015.

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la lutte contre la tuberculose : les malades que la lutte n’atteint pas et le problème de la mutation du microbe devenant résistant à des antibiotiques antituberculeux.

Le caractère menaçant de la tuberculose est très présent dans le discours de l’OMS.

Les professionnelles de l’OMS fournissent des chiffres associés à la tuberculose, comme le nombre de personnes tombées malade de la tuberculose dans le monde qui, en 2013, s’élève à 9 millions ou celui des personnes qui en sont décédées 1,5 millions la même année. En comparant la tuberculose avec d’autres maladies dues à un agent infectieux unique, l’OMS la classe après le VIH/SIDA comme l’une des maladies « les plus meurtrières au monde » ; toutes les vingt secondes une personne meurt de tuberculose. L’OMS donne à voir que les habitantes des pays des Suds souffrent davantage de la tuberculose et qu’elles en meurent fréquemment, comparées aux citoyennes des pays des Nords, où la mort par tuberculose est devenue très rare. L’OMS note que le « taux de la mortalité par tuberculose a chuté de 45% entre 1990 et 2013 » et estime que quelques 37 millions de personnes ont été sauvées entre 2000 et 2013 grâce au diagnostic et au traitement de la maladie19. Les discours de l’OMS sur la tuberculose peuvent même donner le sentiment qu’elle est extrêmement répandue lorsqu’elle affirme qu’environ un tiers de l’humanité est porteuse de la tuberculose latente, c’est-à-dire une infection pouvant mener à la maladie tuberculose; que chaque seconde, une nouvelle personne est infectée. Si le nombre de nouveaux cas et le taux de mortalité diminuent dans le monde depuis les années 1990, l’OMS précise qu’« aucun pays n’a jamais éliminé la maladie ».

Au courant du XXe siècle, suite à des inventions, à des nouvelles pratiques, à des techniques et des connaissances couramment regroupées sous le qualificatif de progrès, ayant trait à l’hygiène, aux traitements médicamenteux et antibiotiques et à la vaccination, les autorités de la santé publique, tant internationales que nationales, ont pensé venir à bout d’infections telles que la tuberculose.

L’éradication mondiale de la variole dans les années 1970 a fourni une success story abondamment citée, et ce faisant, ouvrait la voie d’un possible : éradiquer une maladie infectieuse (Stephens 2003). Dans la même dynamique, l’OMS affirme avoir éradiqué la polio du monde en 1994. Les autorités de santé publique internationales ont longtemps représenté la tuberculose comme une maladie épidémique ayant un remède et ont proclamé avec enthousiasme qu’elle serait éradiquée (Bowker et Star 1999). Elles pensent dans la seconde moitié du XXe siècle être en train de gagner la guerre contre les maladies infectieuses ; la mortalité et l’incidence de maladies infectieuses comme la tuberculose diminuent, les antibiotiques et les vaccins sont considérés comme des armes de guerre efficaces et fiables.

L’un des nouveaux défis de la tuberculose est les formes résistantes de celle-ci.

L’un des principaux outils de la lutte contre la tuberculose, les antibiotiques, ont

19 Site internet de l’OMS http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs104/fr/ , OMS, « Tuberculose », centre des média, mars 2015, aide mémoire N° 104, consulté le 7 septembre 2015.

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un usage limité dû au phénomène de résistances aux antibiotiques et risque de ne plus avoir de portée généralisée à l’avenir. Un peu plus d’un demi-siècle après la création des premiers antibiotiques antituberculeux (qui, combinés, peuvent permettre la guérison des personnes atteintes de tuberculose), voilà que cet outil précieux de guérison est en péril. Une personne atteinte d’une tuberculose résistante à plusieurs antituberculeux usuels doit alors pour guérir prendre des antituberculeux plus toxiques, pour une période plus longue et un coût nettement plus élevé. La guérison est décrite comme plus difficile, plus longue et moins sûre.

Parmi le nombre de cas déclarés de tuberculose pulmonaire, l’OMS relève que 480 000 sont une tuberculose multirésistante en 2013. En Suisse, les formes multirésistantes de tuberculose sont relativement rares.

La prise de conscience du phénomène des résistances aux antibiotiques, l’arrivée de nouvelles maladies infectieuses, dont la maladie à virus Ebola dans les années 1970 et le SIDA une décennie plus tard, suivis du SRAS et d’autres maladies émergentes et de la recrudescence d’anciennes maladies infectieuses comme la tuberculose modifie le paradigme de vainqueur de la santé publique internationale. Comme l’a affirmé un médecin travaillant en Afrique du Sud lors du Symposium tuberculose suisse de 2012, la tuberculose extrarésistante représente un cruel retour en arrière au temps des sanatoriums et à l’ère pré- antibiotique. L’espoir d’éradiquer la tuberculose se retrouve dans certains slogans énoncés lors des Journées mondiales de lutte contre la tuberculose de ces dernières années : « Plus de tuberculose de mon vivant », « En route contre la tuberculose : transformer la lutte pour parvenir à l’élimination », « Un monde sans tuberculose » (années 2011, 2012 et 2013).

Ce bref tour d’horizon de la question telle que les médias de masse et les autorités sanitaires la posent fournit une introduction aux thématiques que j’aborde dans cette thèse et également un premier exemple de représentations contemporaines de la tuberculose. La suite de la thèse analyse comment la tuberculose s’inscrit dans un cadre historique et socio-culturel particulier, au croisement de plusieurs champs, notamment sanitaire, économique, politique et migratoire. Un premier cadrage du problème de la tuberculose a émergé des actualités : la tuberculose fait l’objet d’une lutte.

La tuberculose fait l’objet d’un travail qui rallie de multiples acteures d’institutions internationales, nationales et régionales sous une notion et une appellation commune : la lutte contre la tuberculose. Les médias, les autorités de santé, mais également les scientifiques et les professionnelles de la santé font usage d’un champ lexical guerrier en parlant de tuberculose et de la métaphore du contrôle.

Il y a un siècle déjà, l’expression de « lutte contre la tuberculose » était en usage en Suisse et à Genève20. La tuberculose articulée comme un objet de lutte, a

20 En 1897, Alfred Vincent, médecin et directeur du Bureau de salubrité à Genève, prononce une conférence intitulée La lutte contre la tuberculose : les sanatoria pour tuberculeux indigents à l’aula de l’Université (Bagnoud 1998). Au début du

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perduré jusqu’au XXIe siècle. Mobilisé par des institutions à différentes échelles (locales, nationales et internationales), ce cadrage est également entré dans le sens commun, comme l’illustrent certains titres de journaux du XXIe siècle dans les pays des Nords. De la même manière, nombre d’institutions nationales et internationales inscrivent leurs actions au nom de la tuberculose dans le cadre d’une « lutte ». L’OFSP en Suisse a récemment forgé une « stratégie de lutte contre la tuberculose 2012-2017 », tandis que l’OMS a fait du 24 mars la

« Journée mondiale de lutte contre la tuberculose ». L’une des caractéristiques de la santé publique est donc de façonner des programmes de traitement et de prévention d’une maladie, par le modèle de « la lutte contre » et le moyen du

« contrôle » de la maladie21.

A noter que dans les champs de la médecine et de la santé publique, il y a de nombreuses autres « luttes contre » des maladies ou des phénomènes considérés comme médicaux ou impactant la santé : lutte contre le SIDA, lutte contre l’obésité, lutte contre la dépendance aux jeux, lutte contre la grippe, lutte contre le tabagisme, lutte contre la dépression. En parallèle, d’autres luttes sont menées hors du domaine de la médecine ou de la santé publique: lutte contre le terrorisme, lutte contre la criminalité, lutte contre le racisme, lutte contre l’homophobie, lutte contre la migration illicite, lutte contre le blanchiment d’argent, lutte contre la pauvreté, lutte contre l’endettement. Le modèle de la lutte représente un cadrage pour des nombreuses actions et discours publics et professionnelles en Suisse22 et à l’échelle internationale23.

20e siècle, un médecin, Frédéric Ferrier écrit un livre intitulé La lutte contre la tuberculose à Genève (1901), tandis qu’en 1912 est crée la Ligue genevoise pour la lutte contre la tuberculose. Au niveau suisse, une Commission centrale suisse pour la lutte contre la tuberculose est fondée en 1903, suivie d’une loi adoptée en 1928 : Loi fédérale sur la Lutte contre la tuberculose (Heller 1992).

21 Certains programmes sanitaires ciblent la réduction des personnes malades, d’autres visent l’éradication de la maladie ; une distinction analysée ultérieurement.

22 Récemment, la Radio suisse romande a intitulé une émission portant sur l’épidémie de la maladie à virus Ebola, et en particulier des études cliniques d’un vaccin contre le virus Ebola effectuées dans des hôpitaux suisses, « La Suisse

en guerre contre le virus » en février 2015,

http://www.rts.ch/la1ere/programmes/vacarme/ émission du 18 février 2015, page consultée le 18 février 2015.

23 Ainsi dans le cadre des Objectifs du Millénaire pour le développement fixés par les Etats Membres des Nations Unies, il est fait mention que les « dirigeants du monde entier se sont engagés à combattre la pauvreté, la faim, la maladie, l’analphabétisme, la dégradation de l’environnement et la discrimination à

l’encontre des femmes »,

http://www.who.int/topics/millennium_development_goals/fr/ consulté le27 janvier 2015.

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Cette thèse se penche sur le modèle de santé publique international de « la lutte contre la tuberculose », et son adaptation dans un dispositif sanitaire en Suisse et dans le canton de Genève en particulier. Je soutiens que la lutte contre la tuberculose en Suisse ne consiste pas en un combat contre les microbes. Les analyses élaborées au fil des chapitres de la thèse permettront in fine de problématiser la lutte contre la tuberculose en tant que cadrage et de faire émerger les enjeux qui en découlent. Pour l’instant, je note que le modèle de la lutte contre la tuberculose, aujourd’hui comme hier, soulève des questions sociales relatives à la liberté des individus, au bien commun, au vivre ensemble à différentes échelles (international, national et régional), à la relation entre un « Nous » et un « Eux », à l’usage de la contrainte et de la peur dans le champ médical, ainsi qu’au rôle des professionnelles de la santé.

La tuberculose, maladie des migrantes ?

Une demande sociale qui articule tuberculose et personnes migrantes est à l’origine de cette thèse ; elle a sensiblement orienté cette dernière à différentes étapes de la recherche de sorte que je l’introduis brièvement dès à présent.

Amorce de la thèse : une demande sociale

En 2009, j’ai reçu de la part de professionnelles de l’hôpital public de Genève une proposition de mener une étude au Centre antituberculeux (CAT). Celle-ci est intervenue à la suite d’une étude rétrospective d’un cluster (mini-épidémie) identifié parmi des immigrées traitées pour une tuberculose à Genève que je décris ici.

Entre 2004 et 2006, quinze personnes qualifiées d’immigrantes et originaires d’un même pays24 ont été diagnostiquées et traitées pour une tuberculose à l’hôpital public de Genève. C'est à l’aide d’une base de données informatique que des professionnelles de la santé ont constaté un fait inhabituel : un nombre élevé de personnes traitées pour une tuberculose à Genève qui provenaient d’un même pays d’origine. Elles ont alors suspecté une « transmission locale » de la

24 Les auteures de l’étude et de l’article ont choisi de ne pas préciser quelle était l’origine des personnes ayant fait partie de cette mini-épidémie. Les catégories pour décrire ce que ces personnes ont en commun sont : « ethnic community »,

« nationality » et « originating from the same country ». Cette « communauté » est décrite comme suit : constituée d’environ 1500 personnes de la même nationalité, comprenant principalement des femmes ayant un statut légal en Suisse – il n’est pas précisé quels types de statut –, ayant des emplois à faible revenu dans des restaurants, des magasins et des usines. Leur socialisation est décrite comme ayant lieu avant tout dans des maisons privées. Ces personnes effectuent des aller-retour fréquents avec leur pays d’origine. Il est encore mentionné que le niveau d’étude est bas et il est rare que ces personnes parlent couramment le français.

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