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PARTIE I FABRIQUE DE LA RECHERCHE

Chapitre 2 Méthodes et conditions de l’enquête

II. Accompagnatrice de patientes

2.4.5. Limites de la recherche

Je termine ce chapitre en exposant trois limites à cette recherche : elles relèvent des acteures du dispositif étudiées, de perspectives in fine réduites et d’une rétention de données et d’analyses.

Plusieurs groupes d’acteures exposées ou concernées par le dispositif étudié n’ont pas fait l’objet de production de données : les mineures, quelques professionnelles de l’hôpital, certaines migrantes précarisées et des acteures travaillant pour les autorités sanitaires et d’immigration nationales. L’étude commanditée a ciblé les personnes atteintes de tuberculose ayant 18 ans révolus.

En enquêtant auprès d’adultes dépistées et soignées pour une tuberculose et au Centre antituberculeux de l’hôpital, j'ai suivi et interrogé, par exemple, les parents d’une enfant traitée pour une tuberculose. Cependant, je n’ai pas conduit d’enquête systématique auprès des mineures. Pour la thèse, il en a été de même.

129 « Il n’y a pas seulement à apprendre des pratiques qui fonctionnent bien, les échecs aussi sont instructifs. […] il est à noter que les pratiques actuelles, en termes de responsabilité, demandent aux professionnels de justifier qu’ils font bien. On exige constamment des professionnels qu’ils s’autocongratulent. […] Il n’y a pas de place pour le doute, l’autocritique ou les questions difficiles. Pourtant l’amélioration ne peut commencer que par la reconnaissance du fait qu’il y a quelque chose à améliorer. Que tout n’est pas tel qu’il devrait être. Cela correspond à la logique du soin de se confronter aux frictions et aux problèmes.

D’admettre que certaines choses ne fonctionnent pas bien, malgré toutes les bonnes intentions présentes. Une pratique responsable prend alors un sens complètement différent. Non pas un bilan où chacun doit dire ses réussites, mais une situation où les gens se sentent suffisamment en sécurité pour examiner ce qui dans leurs pratiques ne se passe pas bien et pourquoi. […] il est aussi possible d’inviter des extérieurs critiques à poser un regard neuf et pointu sur les institutions de soins. Ils pourraient repérer les points de tension et les problèmes, non pas dans le but de désigner et de punir un coupable mais dans le but d’apprendre. » (2009:170-171)

Elargir aux mineures l’enquête aurait impliqué de déposer un nouveau protocole de recherche à la commission éthique de l’hôpital et de prévoir du temps pour enquêter dans d’autres unités (pédiatrie à l’hôpital et service de santé de l’enfance et de la jeunesse à l’Etat).

Si je crois avoir pu partiellement trouver des tactiques pour ne pas subir l’enclicage du point de vue de l’ensemble du dispositif, en revanche à l'hôpital, j’ai été fortement associée à l’équipe interprofessionnelle de la pneumologie. Alors que je n’avais pas terminé le terrain pour ma thèse, certains résultats de l’étude commanditée ont été communiqués au sein de l’hôpital. La difficulté d’obtenir des entretiens avec les professionnelles d’un autre service de l’hôpital suite à cet événement me semble en avoir été l’une des conséquences.

Dans la catégorie des migrantes précarisées, j’ai moins étudié les personnes sans-papiers n’ayant pas fait de demande d’asile par le passé. D’une part, les occasions de terrain ont manqué (j’ai mené plusieurs entretiens et fait quelques observations hors de l’hôpital mais moins qu’avec les migrantes précarisées ayant demandé l’asile) et d’autre part, cela aurait nécessité davantage de temps. De plus, bien qu’à l’hôpital j’aie découvert quelques situations de profonde précarité parmi les travailleuses domestiques employées par des personnes travaillant dans des ambassades, des missions diplomatiques ou des organisations internationales à Genève, je n’ai pas trouvé de porte d’entrée pour enquêter davantage dans ce milieu.

Concernant les migrantes précarisées étudiées, principalement les personnes requérantes d’asile et celles rejetées de l’asile et plus marginalement des personnes « sans-papiers », je n’ai pas produit des données d’une densité comparable à des ethnographes ayant ciblé l’une de ces populations, à l’instar de Holmes auprès de travailleuses originaires d’une région du Mexique, sans-papiers aux Etats-Unis (2013) ou de De Coulon auprès des personnes rejetées de l’asile en Suisse romande (2013). N’ayant pas ciblé un groupe social et ayant débuté mon enquête par l’étude d’un dispositif fréquenté par une diversité d’acteures et de patientes, ma description des conditions de vie des acteures s’en trouve davantage limitée. C’est l’étude d’un dispositif sanitaire qui m’a menée à enquêter auprès des migrantes précarisées et non l’inverse.

Le dernier groupe d’acteures peu étudié est celui constitué par les autorités des deux dispositifs étudiés. Concernant les autorités de santé publique à l’échelle nationale, je me suis limitée à analyser leurs discours institutionnels publiés et énoncés à l’occasion des journées annuelles symposium suisse de tuberculose.

Concernant le dispositif de l’immigration à l’échelle nationale et locale, je n’ai pas enquêté activement ni auprès des professionnelles (hors du domaine sanitaire), ni auprès des autorités. J’y ai renoncé à cause de mon ancrage de militante et des limites de temps qui m'étaient imparties.

Les perspectives diachroniques et comparatives que je voulais, à l’origine, donner à cette recherche sont in fine relativement réduites dans mon analyse. L’analyse de l’histoire récente du dispositif de la lutte contre la tuberculose à Genève et en Suisse est limitée dans cette recherche. D’une part, les historiennes n’ont pas

publié une histoire de ce dispositif dans le pays ou dans ce canton au courant du XXe siècle (seules des parties éparses de l’histoire le sont et souvent ayant trait à d’autres cantons suisses que Genève). J’ai passé environ un mois dans les archives de l’hôpital public de Genève pour tenter de retracer les événements de la seconde moitié du XXe siècle concernant le dispositif curatif et préventif de la tuberculose dans le canton, j’ai parcouru les archives de trois journaux de Suisse romande et j’ai mené des entretiens avec deux anciennes professionnelles travaillant dans le dispositif à cette période. Cependant, n’étant pas formée à la méthodologie et à l’analyse historique, j’ai abandonné et accepté cette limite à ma recherche. Par ailleurs, sans avoir les outils pour une comparaison rigoureuse, j’ai tenté de comparer le dispositif de la lutte contre la tuberculose en Suisse avec d’autres dispositifs sanitaires contemporains de lutte contre des maladies transmissibles. La démarche comparative que je souhaitais entreprendre en amont du terrain a été moindre car j’ai finalement opté pour le fait d’enquêter aux marges du dispositif sanitaire de la lutte contre la tuberculose ; la comparaison avec d’autres dispositifs sanitaires s’en est trouvé réduite.

Je ne restitue pas toutes mes données. Une partie d’entre elles demeure pour l’instant dans un « hors texte », c’est-à-dire ce que la chercheuse ne restitue ni ne diffuse pas (Ghasarian 2002). Préférant pêcher par zèle que par négligence, je me suis restreinte dans le partage de certaines données et analyses qui me semblent trop sensibles. Pour ne citer qu’un exemple, j’ai tu certaines tactiques de migrantes précarisées dans la mesure où elles les protègent, et ce tant qu’elles demeurent inconnues ou peu connues de différents services de l’Etat. Or, un laps de temps trop court s’est déroulé depuis l’enquête pour prendre le risque que des tactiques encore utiles aujourd'hui ne soient mises en péril par leur dévoilement130. Comme le souligne Cefaï, « [l]’ethnographie n’est pas un compte rendu d’enquête, présentant un savoir objectif : comme tout acte discursif, l’anticipation des conséquences qu’elle va produire doit être prise en compte dans le travail d’écriture » (2013:29).

130 « La publication d’informations “sensibles” peut porter préjudice aux migrants clandestins ainsi qu’aux personnes et institutions qui participent au fonctionnement de leurs réseaux. Ceci pose un problème éthique car le temps écoulé entre le recueil des données et leur publication est en général insuffisant pour permettre de décrire en détail les stratégies de migration sans mettre en danger leurs auteurs et acteurs. » (Goldschmidt 2005:148)

PARTIE II MODELE ET DISPOSITIF DE LA LUTTE