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Pour atteindre les performances en sensibilité décrites ci-dessus et encore jamais ob- tenues par les interféromètres actuels, GRAVITY sera équipé d’un suiveur de franges, sous-système qui lui permet d’acquérir des données avec un long temps d’intégration. Dans cette partie, je vais présenter le principe du suivi de franges, puis je décrirai les performances attendues pour le suiveur de franges de GRAVITY.

1.4.1 Principe du suivi de franges

J’ai évoqué précédemment dans ce chapitre le fait que la phase de l’onde collectée par chaque télescope est perturbée par la traversée de l’atmosphère.

Effet de la turbulence sur les interférences

En effet, avant d’être recombinés, les faisceaux alimentant les différents télescopes traversent des couches d’atmosphère distantes de plusieurs dizaines, voire centaines de mètres. À cause des différences locales de température de l’air, les faisceaux suivent des chemins optiques différents, et accumulent des retards les uns par rapport aux autres. De plus, ces chemins optiques varient temporellement, en fonction de l’importance de la turbulence de l’atmosphère. Cette perturbation, appelée piston atmosphérique, a pour conséquence d’ajouter un terme de phase variable au champ électrique de l’objet collecté par chacun des télescopes, proportionnel au chemin optique parcouru par le faisceau.

Lorsque deux faisceaux sont recombinés, le retard d’une onde par rapport à l’autre, ou différence de marche, ajoute un terme de phase différentielle dans la modulation des interférences de l’équation 1.18, qui décale les franges par rapport à leur position de ré- férence. Étant donné que la différence de marche entre deux faisceaux varie continûment avec le temps et peut atteindre plusieurs microns en fonction de la longueur de la base entre les télescopes, le piston atmosphérique a pour effet de faire varier la phase des franges continuellement, c’est-à-dire de les déplacer continuellement par rapport à leur position nominale.

Ainsi, on comprend que ces mouvements perpétuels des franges limitent la possibilité d’utiliser des longs temps de pose pour faire ressortir l’image des franges si la luminosité de l’objet observé est faible. En effet, si les franges bougent de façon significative pendant l’intégration de l’image, la somme des modulations de phases différentes brouille les franges et diminue drastiquement leur contraste. Ce phénomène est représenté par la figure1.13, où la différence de marche entre les télescopes croît régulièrement de façon à décaler les franges d’une période pendant l’intégration de l’image. On voit que le contraste des franges est quasi-nul, bien que l’objet observé soit un point non résolu par l’instrument. Typiquement, le temps de cohérence de l’atmosphère, pendant lequel la turbulence peut être considérée comme figée, est de l’ordre de 3 ms en infrarouge. Ainsi, le contraste des franges est significativement diminué dès lors que des temps de poses supérieurs à 30 ms sont utilisés.

Figure 1.13 – Gauche : simulation de franges d’interférences obtenues sur une étoile non résolue, intégrée pendant 10 s pendant lesquelles la différence de marche entre les télescopes varie à cause de la turbulence atmosphérique. Droite : variation de la différence de marche simulée.

Solutions possibles

Il y a deux solutions possibles pour limiter la perte de contraste induite par le mouve- ment continuel des franges :

– ne faire que des intégrations courtes, de l’ordre du temps de cohérence, de façon à limiter la perte de contraste. Une étoile étalon connue doit être observée avant et après l’objet scientifique avec le même temps de pose, de façon à estimer la perte de contraste due au piston atmosphérique. La conséquence de cette solution est une perte directe de la sensibilité de l’instrument, qui ne peut alors observer que des objets brillants ;

– utiliser un système qui stabilise les franges pendant de longs temps de pose,en ob- servant une étoile de référence.

Cette seconde solution est appelée suivi de franges, et le système en question est un suiveur de franges. Le principe de cette technique consiste à observer une étoile de ré- férence qui soit suffisamment proche de l’objet que l’on souhaite observer pour subir les mêmes perturbations atmosphériques (angle d’isoplanétisme du piston de l’ordre de 10′′),

et suffisamment brillante pour pouvoir observer les interférences à une cadence élevée. En mesurant la phase des franges de cette étoile de référence, le suiveur de franges estime la différence de marche entre les faisceaux recombinés, et déplace des actionneurs sur le trajet des faisceaux de l’objet étudié de façon à compenser le piston atmosphérique. Par ce moyen, les franges de l’objet scientifique restent stables et peuvent être intégrées sans perte de contraste.

Cette technique, développée dans les années 80 par Shao & Staelin (1977, 1980), est similaire à l’optique adaptative, à ceci près que l’optique adaptative corrige les perturba- tions induites par l’atmosphère sur le front d’onde au niveau d’un seul télescope, tandis qu’un suiveur de franges corrige le piston atmosphérique entre plusieurs télescopes, sans se soucier de la qualité du front d’onde au niveau de chaque ouverture individuelle (mais fonctionne d’autant mieux que les fronts d’onde sont cohérents à l’échelle de chaque pu- pille).

À l’heure actuelle, quatre suiveurs de franges sont installés sur différents interféromètres et permettent de stabiliser la phase des franges à haute fréquence :

– le suiveur de franges de l’interféromètre du Keck, utilisé pour stabiliser les franges entre deux télescopes dans les bandes spectrales H, K et L (Colavita et al. 2010) ; – le suiveur de franges Fringe-Tracking Instrument of NIce and TOrino (FINITO),

utilisé pour suivre les franges entre trois télescopes au VLTI dans la bande spectrale H (Bonnet et al. 2006;Le Bouquin et al. 2008) ;

– le suiveur de franges de l’instrument Phase Referenced Imaging and Microarcsecond

Astrometry (PRIMA), utilisé pour suivre les franges entre deux télescopes au VLTI

dans la bande spectrale K (Sahlmann et al. 2009).

– le suiveur de franges CHARA Michigan Phase-tracker (CHAMP), installé sur l’in- terféromètre CHARA pour suivre les franges de six télescopes dans les bandes J, H ou K, opérationnel actuellement avec quatre télescopes (Monnier et al. 2012). Les autres interféromètres sont uniquement pourvus de système permettant de recentrer l’enveloppe des franges, à partir de acquisitions effectuées sur l’objet observé, donc à re- lativement basse fréquence et avec une précision de l’ordre de quelques franges, et ne permettent donc pas de faire des acquisitions à long temps de pose pour faire ressortir le signal interférométrique. On peut également citer le suiveur de frange à deux téles- copes de Palomar Testbed Interferometer (PTI), opérationnel jusqu’au démantèlement de

l’interféromètre en 2008.

1.4.2 Le suiveur de franges de GRAVITY dans ce contexte

Le suiveur de franges de GRAVITY permettra de suivre les franges formées par quatre télescopes au VLTI dans la bande spectrale K. Afin de permettre l’observation du centre de la Galaxie par de longues intégrations, il devra être capable de stabiliser les franges en ob- servant l’étoile de référence la plus brillante dans le champ de vue de 2′′du VLTI, IRS 16 C,

de magnitude K = 9, 7, et permettre l’intégration des images sur la voie scientifique sans perte de contraste significative. L’environnement du centre galactique est présenté à la figure1.14.

Spécifications techniques

En tant que cas scientifique principal de GRAVITY, l’observation de Sgr A* dimen- sionne les performances de son suiveur de franges. Ainsi, suivant les spécifications de GRAVITY, pour les conditions médianes d’observation sur le site de Paranal, sans tenir compte de vibrations instrumentales, et avec des fluctuations d’orientation des faisceaux à l’entrée des fibres inférieures à 15 mas, le suiveur de franges devra stabiliser les différences de marche à moins de 300 nm rms (λ/7) par l’observation d’une étoile de référence de ma- gnitude K = 10 avec les UTs (et de magnitude K = 7 avec les ATs). En supposant que les vibrations instrumentales ajoutent aux différences de marche des fluctuations inférieures à 150 nm rms, le suiveur de franges devra stabiliser les franges à moins de 350 nm rms (λ/6).

Un défi de sensibilité

Le principal défi que devra surmonter le suiveur de franges de GRAVITY pour per- mettre l’observation du centre galactique est de parvenir à stabiliser les franges sur une étoile de référence de magnitude aussi faible. En effet, IRS 16 C est très proche de la limite de sensibilité de l’interféromètre du Keck, le plus sensible au monde (K ∼ 10, 3).

De plus, pour stabiliser correctement les franges, cette étoile de référence devra être observée avec des temps de pose très faibles (de l’ordre de quelques millisecondes) pour pouvoir figer la turbulence à chaque image. La magnitude limite mesurée au Keck est elle obtenue avec des temps de pose légèrement plus élevés, autorisant une légère perte de contraste étalonnée par l’observation additionnelle d’étoiles étalons.

Pour parvenir à cette sensibilité inédite, et contrebalancer la complexité de l’instrument qui va de paire avec une faible transmission, GRAVITY sera également équipé d’une caméra de nouvelle génération SELEX, composée de photodiodes à avalanche infrarouge, à très bas bruit de lecture.

Transposition à d’autres applications

Enfin, il est à noter que le contrôle temps-réel de la phase sur un instrument optique est un problème commun à de nombreuses applications. Ainsi, les techniques développées pour stabiliser les franges sur une source faible pour l’instrument GRAVITY sont transposables à de nombreux systèmes. On peut citer notamment le contrôle de la phase pour des satellites d’observation à haute résolution en vol en formation en orbite autour de la Terre, ou des systèmes de synthèse d’ouverture au sol pour d’autres applications (scientifiques ou militaires).

Figure 1.14 – Image de l’environnement du centre galactique en infrarouge. Le point rouge représente le centre galactique, le cercle rouge représente le champ de vue du VLTI, l’étoile brillante dans ce cercle est IRS 16 C, l’étoile de référence du suiveur de franges, et l’étoile la plus brillante en dehors du cercle est IRS 7, l’étoile de référence des senseurs de front d’onde de GRAVITY.