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Linéarité des estimateurs de phase

Dans cette partie, je vais présenter une difficulté rencontrée au cours de l’élaboration du démonstrateur de suiveur de franges, non modélisée lors des simulations présentées dans le chapitre4, mais qui est susceptible de dégrader les performances du contrôleur en fonction de la qualité optique du spectromètre du suiveur de franges de GRAVITY. Cette difficulté est engendrée par des différences de longueur d’onde effective entre les quatre voies A, B, C et D échantillonnant les franges sur une même base.

5.3.1 Explication du problème

J’ai montré dans le chapitre3que les cohérences complexes Ct

b sont estimées à chaque

itération t et pour chaque base b à partir des intensités mesurées sur les quatre sorties ABCD correspondantes du recombinateur par inversion de la matrice de passage V2PM (équation3.9). De la phase de cette cohérence complexe, on déduit la différence de marche

δt

b entre les deux télescopes considérés, connaissant la longueur d’onde effective λ0 (ou λl

pour estimer le retard de groupe).

Cependant, une difficulté se pose si la réponse spectrale et les longueurs d’onde ef- fectives λi

0 des voies A, B, C et D sont différentes. Les interférences se font alors à des

longueurs d’onde différentes sur ces voies. La cohérence complexe est alors estimée, via la matrice P2VM, par des opérations linéaires entre des états d’interférence à des longueurs d’onde différentes, ce qui introduit une non-linéarité dans l’estimation de la phase et des différences de marche (alors estimée à la longueur d’onde moyenne entre les quatre voies), phénomène typique d’un battement entre deux modulations de fréquences différentes.

Ce phénomène, observé par le suiveur de franges de PRIMA (Sahlmann et al. 2009,

2010), a été également rencontré avec le démonstrateur du suiveur de franges de GRA- VITY. La conséquence de cet effet sur l’efficacité du suivi de franges est que plus la différence de marche est grande, plus son estimation est biaisée. La correction appliquée à l’actionneur sera alors erronée. L’efficacité de suivi ne sera pas fondamentalement dé- gradée tant que la non-linéarité des estimateurs de différence de marche reste inférieure à la longueur d’onde moyenne. La pire situation correspond au cas où la non-linéarité est suffisamment importante pour estimer une différence de marche nulle pour plusieurs valeurs de différence de marche effectives entre les télescopes. Dans cette situation en effet, les franges sont susceptibles d’être stabilisées à une valeur non nulle de la différence de marche, réduisant le contraste des franges et diminuant ainsi la précision sur l’estimation

des visibilités. De plus, une telle situation est instable puisque le contrôleur risque de se stabiliser en différentes valeurs de la différence de marche au cours d’une pose de la voie scientifique, et ainsi en diminuer le contraste des franges. Enfin, une estimation biaisée de la différence de marche ajoute également un biais important sur les mesures astromé- triques, calculées par la différence de phase entre la voie scientifique et la voie du suiveur de franges.

Figure 5.5 – Illustration de la non-linéarité de l’estimateur de retard de groupe liée à des lon- gueurs d’onde disparates sur une même base. Une rampe de différence de marche est appliquée par l’actionneur du télescope 3, le retard de groupe est estimé pour la base formée entre les télescopes 1 et 3.

5.3.2 Caractérisation de la perte de linéarité

Pour simplifier les notations et indexations, considérons uniquement des interférences formées sur une seule base pour une différence de marche δ, échantillonnées sur quatre sorties i ∈ [ABCD] en quadrature de phase de nombres d’onde effectifs σi, dont on mesure

les intensités Ii, sur un unique canal spectral pour le moment. En supposant les caractéris-

tiques instrumentales parfaitement étalonnées, la cohérence complexe C estimée à partir de ces intensités (via la matrice V2PM par exemple) correspond à l’opération linéaire suivante :

C = (IA− IC) + i(IB− ID). (5.31)

En supposant les déphasages des voies en opposition de phase parfaitement égaux à 180◦(hypothèse tout à fait raisonnable), le rapport des parties imaginaire et réelle de

la cohérence complexe, qui permet d’en déduire la phase ψ, correspond à :

ℑ[C]

ℜ[C] = tan(ψ) (5.32)

= cos(2πδσB+ ψB) + cos(2πδσD + ψB) cos(2πδσA) + cos(2πδσC)

où ψB est le déphasage de la voie B par rapport à A. En supposant ce déphasage parfai-

tement égal à 90◦, cette expression s’écrit sous la forme :

tan(ψ) = sin(2πδ¯σBD) cos(2πδ∆σBD) cos(2πδ¯σAC) cos(2πδ∆σAC)

, (5.34)

avec ¯σAC et ¯σBD les nombres d’onde moyens entre les voies A et C et les voies B et D

respectivement : ¯ σAC = σA+ σC 2 (5.35) ¯ σBD = σB+ σD 2 , (5.36)

et ∆σAC et ∆σBD la dispersion des nombres d’onde par rapport à ces moyennes :

∆σAC =

σA− σC

2 (5.37)

∆σBD = σB− σD

2 . (5.38)

On voit que l’expression littérale du biais introduit par les différences de nombre d’onde n’est pas triviale. Dans la suite, je donnerai des ordres de grandeur de l’erreur d’estimation de la différence de marche, que je comparerai ensuite à l’erreur obtenue par une simulation numérique.

La phase ψi de la cohérence complexe de la figure d’interférence échantillonnée sur la

voie i s’exprime par :

ψi = 2πδ(σ0+ ˆσi) (5.39) = 2πσ0 ( δ + δσˆ i σ0 ) (5.40)

avec σ0 le nombre d’onde moyen sur les quatre voies, et ˆσi la différence sur la voie i :

σi= σ0+ ˆσi. (5.41)

La différence de marche ˆδ, estimée à la longueur d’onde moyenne, peut s’approximer par l’expression suivante, à partir de l’écart-type ∆σ0 de la dispersion des nombres d’onde sur

les quatre voies ABCD :

ˆ

δ ∼ δ + δ∆σ0 σ0

. (5.42)

Cette estimation présente une erreur ǫ proportionnelle à la différence de marche, de l’ordre de :

ǫ ∼ δ∆σσ 0

0

. (5.43)

L’estimateur de retard de phase étant utilisé uniquement pour estimer la différence de marche autour de la frange centrale, l’erreur maximale ǫP

max sur cette estimation sera donc

de l’ordre de : ǫPmax λ0 2 ∆σ0 σ0 (5.44) ∼ ∆λ20, (5.45)

où ∆λ0est la dispersion des longueurs d’onde sur les quatre voies ABCD concernées. Ainsi,

une dispersion de 5 % dans ces longueurs d’onde (soit une disparité de 110 nm pour une longueur d’onde moyenne de 2,2 µm) induit une erreur maximale de l’ordre de 50 nm sur l’estimation du retard de phase.

Dans le cas de l’estimateur de retard de groupe, on peut évaluer l’ordre de grandeur de l’erreur de façon similaire, en décomposant la phase χi

l,l+1 du produit spectral croisé

sur la voie i entre deux canaux spectraux l et l + 1 de nombres d’onde σi

l et σil+1 : χil,l+1= 2πδ(σli− σl+1i ) (5.46) = 2πδ( 1 Λl,l+1 + ˆσil− ˆσil+1) (5.47) = Λl,l+1 ( δ + δΛl,l+1σil− ˆσil+1) ) , (5.48)

où Λl,l+1 est la longueur d’onde de battement définie au chapitre3à partir de la moyenne

σl et σl+1 des nombres d’onde sur les quatre voies ABCD pour chaque canal spectral :

Λl,l+1=

1

σl− σl+1

. (5.49)

On peut donc estimer l’ordre de grandeur de la différence de marche mesurée par l’esti- mateur de retard de groupe :

ˆ

δG∼ δ + δ Λl,l+1

∆σ2

l − ∆σ2l+1, (5.50)

soit avec une erreur ǫG proportionnelle à la différence de marche :

ǫG= δ Λl,l+1

∆σ2

l − ∆σl+12 . (5.51)

La figure5.6illustre la non-linéarité de l’estimation de la différence de marche obtenue en simulant une disparité de longueur d’onde sur quatre voies en quadrature de phase, avec l’estimateur de retard de phase à gauche, et l’estimateur de retard de groupe à droite. Elle montre une bonne concordance entre les erreurs estimées à l’équation 5.43 et 5.51 (en pointillés sur les graphes inférieurs de la figure) et la véritable erreur d’estimation.

5.3.3 Conséquence sur le suiveur de franges de GRAVITY

À partir des performances attendues pour le spectromètre du suiveur de franges de GRAVITY, on peut estimer la perte de linéarité dans les estimateurs suite aux disparités en longueur d’onde entre les 24 sorties du recombinateur de faisceaux. La figure5.7présente les décalages de longueur d’onde de chaque sortie par rapport à la sortie centrale, pour chaque canal spectral. Avec le schéma optique actuel de ce spectromètre, on s’attend donc à une disparité en longueur d’onde maximale de 1,1 nm.

À partir des tables de longueur d’onde attendues pour chaque sortie et chaque canal spectral du suiveur de franges de GRAVITY, transmises par Christian Straubmeier (Uni- versité de Cologne, responsable des spectromètres de GRAVITY), j’ai simulé la linéarité de l’estimation de la différence de marche attendue pour l’estimateur de retard de phase et de retard de groupe, présentées pour chaque base à la figure5.8. Avec une telle disparité de longueurs d’onde, l’erreur d’estimation de la différence de marche devrait être inférieure à 50 nm sur une plage de 14 µm. Cette erreur est tout à fait acceptable. En effet, une erreur d’estimation de la différence de marche est équivalente à une modification du gain du contrôleur. L’impact d’une erreur de moins de 1 % sur la différence de marche aura un impact faible sur la bande passante du contrôleur.

Figure 5.6 – Haut : simulation de l’estimation de la différence de marche à partir de quatre intensités en quadrature de phase de longueurs d’onde différentes, pour l’estimateur de retard de phase (à gauche) et de retard de groupe (à droite). Bas : erreur d’estimation sur la différence de marche, pour les deux estimateurs. Les traits en pointillés représentent l’estimation de l’erreur par les équations 5.43 et 5.51. (λ1

A = 2, 2 µm, λ 1 C = 2, 2 µm, λ 1 B = 2, 25 µm, λ 1 D = 2, 3 µm ; λ2 A= 2, 3 µm, λ 2 C= 2, 3 µm, λ 2 B= 2, 35 µm, λ 2 D= 2, 4 µm).