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Estimation de la différence de marche à corriger

3.2 Le senseur de phase

3.2.5 Estimation de la différence de marche à corriger

Discussion des deux estimateurs

Par les calculs précédents, j’ai donc décris deux estimateurs de différence de marche différents : pour chaque base b, le senseur de phase estime à la fois le retard de phase δP t

b

par l’équation 3.26, et le retard de groupe δG t

b par l’équation3.33. Ces deux estimateurs

sont complémentaires :

– le retard de phase permet une estimation quasi-instantanée des différences de marche (représentatives des résidus présents pendant l’intégration précédente) et permet donc de les corriger de façon très réactive. Cependant, cette estimation n’est valide que sur une plage de 2,2 µm, et cet estimateur seul ne permet pas de savoir si les franges sont stabilisées à la différence de marche nulle, ou bien sur une frange brillante d’ordre supérieur ;

Figure 3.7 – Écart-type des résidus de différence de marche en fonction de la proportion de temps utilisant l’estimateur de retard de groupe, avec l’algorithme utilisant la transformée de Fourier discrète en noir, et le produit spectral croisé en rouge. Une séquence de perturbation en différence de marche de 140 s est utilisée, représentative de la turbulence comme décrite dans le chapitre2, sans vibrations instrumentales, avec des fluctuations de tip-tilt telles que décrites dans le chapitre2 également.

– le retard de groupe, à l’inverse, permet d’estimer des valeurs de différence de marche valides sur une large course de 48 µm. Cependant, pour les estimer avec un rapport signal-sur-bruit équivalent aux estimations du retard de phase, les intensités disper- sées sont sommées sur les cinq dernières images. Le retard de groupe est ainsi évalué avec 2 trames de retard par rapport au retard de phase.

Comment combiner au mieux ces deux estimateurs pour stabiliser les franges à la différence de marche nulle ?

Pour déterminer la meilleure correction à apporter, il faut rappeler les objectifs du suiveur de franges :

– les franges doivent rester stabilisées à une phase fixée pendant une intégration sur la voie scientifique. En effet, si la phase fluctue au cours d’une pose, ou pire, si la différence de marche varie lentement de plusieurs franges, le contraste des franges sur la voie scientifique (qui utilise de longues intégrations de l’ordre de 100 s) sera drastiquement réduit par ces variations ;

– les différences de marche doivent être stabilisées sur la frange centrale du paquet de franges, qui correspond au contraste maximal.

Le contrôle optimal est donc d’utiliser systématiquement le retard de phase pour stabiliser les interférences sur une frange brillante. Comme cet estimateur est précis et réactif, c’est le plus approprié pour limiter les fluctuations de phase à l’intérieur d’une frange et limiter les pertes de contraste dans la voie scientifique.

Analyse du phénomène de dispersion

Il y a cependant plusieurs facteurs qui peuvent provoquer des « sauts de franges », c’est- à-dire des variations de différence de marche supérieures à λ0 qui ne sont pas identifiées

de provoquer d’importantes variations de différence de marche, qui peuvent dépasser λ0

de temps en temps, selon l’importance du seeing et de la fréquence de boucle du suiveur de franges.

Le second paramètre à prendre en compte susceptible de provoquer des sauts de franges est le phénomène de dispersion. En effet, jusqu’à présent j’ai supposé la différence de marche entre les pupilles constante quelle que soit la longueur d’onde (voir partie précé- dente). Cette hypothèse serait vérifiée si les différences de marche liées à la trajectoire de l’étoile par rapport aux lignes de bases étaient compensées par des lignes à retard sous vide (voir figure 3.8), ce qui n’est pas le cas au VLTI : les lignes à retard sont à l’air libre. Or l’indice de l’air dépend de la longueur d’onde, et donc en vertu de l’équation2.10

du chapitre 2, le chemin optique également. Les corrections appliquées par les lignes à retard ne sont donc valables que pour une longueur d’onde donnée, mais pas sur tout le spectre. De plus, une fraction de ce chemin optique est également compensée dans des lignes à retard fibrées pour les fonctions astrométriques de GRAVITY. De la même façon, la dispersion de l’indice du verre fluoré de ces fibres ajoute également une dépendance de la différence de marche à la longueur d’onde.

Figure 3.8 – Illustration du phénomène de dispersion : la différence de marche δ0 dans le vide

liée à la direction de l’étoile est compensée par un chemin géométrique L par les lignes à retard dans l’air, dont l’indice varie avec la longueur d’onde (contrairement à l’indice du vide).

Analysons ce phénomène de façon quantitative, sur une unique base formée de deux télescopes. Soit δ0 la différence de marche dans le vide due à l’orientation de l’étoile par

rapport à la base. Soit L le chemin géométrique ajouté par une ligne à retard dans l’air. La différence de chemin optique δ à une longueur d’onde λ au niveau du recombinateur est alors :

δ(λ) = δ0− n(λ)L. (3.34)

Selon Daigne & Lestrade (1999), aux conditions de température et de pression dans les lignes à retard du VLTI telles que T = 289 K et P = 743 hPa (Lévêque et al. 1996), l’indice de l’air à la longueur d’onde λ s’exprime par :

n(λ) = 1 + α + β λ2 +

γ

avec α = 199, 329 10−6, β = 1, 129 10−6 µm2, et γ = 0, 009 10−6 µm4. Supposons que la

ligne à retard annule exactement la différence de marche à la longueur d’onde λ0 :

L = δ0 n(λ0)

. (3.36)

À une longueur d’onde λ1 6= λ0, il reste donc une différence de marche résiduelle entre les

télescopes de : δ(λ1) = δ0 ( 1 −n(λn(λ1) 0) ) . (3.37)

Typiquement, pour une différence de marche compensée dans l’air à λ0 = 2, 2 µm équiva-

lente à 10 m dans l’air, il y a une différence de marche résiduelle de 1 µm à λ1= 2, 45 µm.

Ainsi, même si la différence de marche est compensée à une longueur d’onde, le contraste des franges non dispersées ne sera pas maximal à cause de la différence de marche rési- duelle aux autres longueurs d’onde. Ce phénomène est représenté en figure3.9. De plus, à cause de la rotation de la Terre, la différence de marche dans le vide δ0 varie avec le

temps, et provoque donc un déplacement régulier de l’enveloppe des franges.

Figure 3.9 – Illustration de la dispersion : franges dispersées sur chaque canal spectral, pour des valeurs de différence de marche dans l’air équivalentes à 5 m (gauche) et 10 m (droite) dans le vide, correspondant respectivement à une source d’angle zénithal de 3 et 6◦ observée avec une base de

100 m. La différence de marche est compensée à la longueur d’onde moyenne (courbe jaune) dans l’air. Il en résulte que l’enveloppe des franges en bande large est décalée par rapport à la différence de marche nulle.

L’estimateur de retard de groupe mesure justement la position du maximum de l’en- veloppe de cohérence des franges, puisqu’il se calcule à partir du déphase entre les franges deux longueurs d’onde : le maximum de l’enveloppe de cohérence correspond à la diffé- rence de marche où tous les canaux spectraux sont en phase. Cet estimateur permet par conséquent de mesurer ce décalage progressif du paquet de franges, et d’être ainsi sûr que la frange suivie corresponde bien à celle de contraste maximal. Un exemple de décalage progressif de l’enveloppe des franges à cause de la dispersion dans les lignes à retard est donné par Le Bouquin et al. (2008) (Figure 4), et montre une dérive de ∼ 500 nm de l’enveloppe sur une échelle de temps de 30 s.

Enfin, pour les fonctions astrométriques de GRAVITY, une partie du chemin optique des différents faisceaux sera parcourue dans des lignes à retard différentielles : les faisceaux se propageront dans des fibres optiques en verre fluoré, qui seront plus ou moins étirées en fonction de la position relative de l’étoile de référence du suiveur de franges par rapport

à la cible scientifique, de façon à corriger les différences de marche différentielles entre les deux objets. Le même phénomène se produit donc pour des différences de marche plus faibles (séparations de l’ordre de 2′′, soit ∼ 1, 4 mm de différence de marche différentielle

pour une base de 140 m) corrigées dans un milieu de dispersion plus élevée. Pour une différence de marche dans la fibre équivalente à 1,4 mm dans le vide compensée à 2,2 µm, on s’attend à une différence de marche résiduelle de 300 nm à 2,4 µm (Perrin et al. 2009). Ainsi, ces deux effets vont contribuer à faire bouger les franges d’interférence dans leur enveloppe de cohérence, de façon continue au cours de longues intégrations de 100 s.

Différence de marche à corriger

En conclusion, les franges seront stabilisées systématiquement grâce à l’estimation du retard de phase sauf si le retard de groupe permet de constater que la frange suivie ne correspond pas à la frange de contraste maximal. Ainsi, je définie la différence de marche à corriger sur la base b par la relation suivante :

δtb = { δP tb si −λ0 2 ≤ δbG tλ 0 2 δG tb sinon . (3.38)

Par cette méthode, les franges sont constamment stabilisées sur la frange brillante de contraste maximal, sauf lorsqu’un saut de frange est détecté, le temps de recentrer les franges au maximum de l’enveloppe de cohérence.

Cette stratégie est différente de celle adoptée par le suiveur de franges de PRIMA, qui asservi la position des franges à une différence de marche variable de façon à maintenir le retard de groupe nul, et la différence de marche au maximum de cohérence (Sahlmann et al. 2009). En effet, en stabilisant les franges avec cette méthode, les franges resteront asservies à leur maximum de cohérence, mais défileront lentement à l’intérieur de l’enveloppe. Les interférences mesurées par de longues poses sur la voie scientifique auront alors un faible contraste. La stratégie de correction des différences de marche que j’ai adopté est par contre similaire à celle utilisée par le suiveur de franges de l’interféromètre du Keck en mode « référence de phase », principalement utilisé en parallèle de leur instrument nulleur (Colavita et al. 2010).