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Les vibrations longitudinales des télescopes

Une fois l’atmosphère turbulente traversée, l’onde lumineuse de l’étoile collectée par un télescope est généralement à nouveau perturbée avant d’être recombinée avec les sem- blables échantillonnées par les autres télescopes : des vibrations instrumentales sont éga- lement susceptibles de s’ajouter aux fluctuations de son chemin optique. Bien entendu, le trajet optique de l’onde est perturbé de façon bien moins importante par ces vibrations que par la traversée de 10 km d’atmosphère turbulente (du moins si le télescope a été conçu pour un interféromètre), mais elles peuvent malgré tout limiter la stabilité des fi- gures d’interférence si elles sont suffisamment importantes, et si les fluctuations induites par l’atmosphère sont correctement corrigées par le suiveur de franges.

2.2.1 Origine des vibrations

Les vibrations instrumentales sont présentes en particulier lorsque l’étoile de référence est observée avec les UTs. Ils sont en effet beaucoup plus sensibles aux excitations mé- caniques de part leur imposante dimension combinées à la légèreté de leur structure et à la faible épaisseur des miroirs, dont la forme flexible est constamment analysée et corri- gée des aberrations statiques par des actionneurs placés sous sa surface (correction par optique active). En particulier, les trois premiers grands miroirs ont des modes de réso- nance à basses fréquences susceptibles de générer d’amples oscillations s’ils sont excités. Des modes de résonance à 14, 18, 24 et 46 Hz ont été identifiés pour le miroir M3, le plus sensible des trois (Poupar et al. 2010).

De plus, contrairement aux ATs qui ne servent qu’à des observations en mode inter- férométrique, les télescopes de 8 m sont également utilisés individuellement. Chaque UT possède ainsi quatre foyers où différents instruments peuvent être installés : deux foyers

Nasmyth sur l’axe d’élévation de part et d’autre du télescope, un foyer Cassegrain der-

rière le miroir primaire sur l’axe d’observation, et un foyer Coudé dans les fondements souterrains du télescope (voir figure 2.5). Le miroir M3 peut tourner ou être décalé pour guider le faisceau lumineux vers l’un de ces foyers, en fonction de l’instrument utilisé par l’observateur. La courbure du miroir primaire peut être modifiée pour adapter la focale du télescope à l’instrument choisi, grâce à son système d’optique active. Le foyer Coudé, utilisé par le système d’optique adaptative du VLT et pour le mode interférométrique du VLT, est atteint par propagation du faisceau sur l’axe d’élévation (comme pour un foyer Nasmyth) et par un jeu de cinq miroirs supplémentaires.

Ainsi, les trois instruments aux foyers Nasmyth et Cassegrain sont solidaires de la structure même du télescope, et sont entrainés avec lui dans ses mouvements de com- pensation de la rotation de la Terre. Pour cette raison, ces différents instruments sont la principale source d’excitation des vibrations longitudinales : ils sont pour la plupart équipés d’électroniques et pour certains de systèmes de refroidissement cryogéniques qui produisent d’importants mouvements mécaniques et excitent des fréquences de résonance. Ces vibrations sont transmises et amplifiées par la structure même des télescopes. Par exemple, l’instrument NACO au foyer Nasmyth de UT4 excite fortement une fréquence de résonnance en tip-tilt à 18 Hz du miroir primaire du télescope, qui se propage par élasticité en vibration longitudinale du miroir M3. Certains instruments, développés antérieurement à l’utilisation du mode interférométrique du VLTI, ont ainsi été conçus sans spécification particulière pour limiter les sources de vibrations, et contribuent fortement aux perturba- tions longitudinales des faisceaux. SelonPoupar et al.(2010), les principaux contributeurs sont les instruments ISAAC, CRIRES, NACO, HAWK-1 et VISIR (voir la liste dans le tableau 2.1). Il est intéressant de constater que deux d’entre eux seront prochainement décommissionnés et remplacés par de nouveaux instruments qui seront peut être moins bruyants que leurs prédécesseurs.

Enfin, en plus de ces sources constantes d’excitation, d’autres facteurs ont tendance à les amplifier. Ainsi, l’amplitude des vibrations peut être jusqu’à doublée en fonction de l’élévation du télescope, qui varie régulièrement pour compenser le mouvement de l’étoile dans le ciel. D’autre part, le vent a également un impact important sur les fluctuations de chemin optique : elles sont systématiquement amplifiées pour des vitesses supérieures à 10-12 m/s, et sont décuplées dès que le télescope est face au vent. Les fluctuations de chemin optique et les caractéristiques des vibrations sont donc susceptibles de varier avec le temps à cause de ces phénomènes.

Figure 2.5 – Vue schématique d’un UT de profil et de face.

Tiré dehttp ://www.eso.org/sci/facilities/paranal/telescopes/ut/index.html. Foyer

Télescope Nasmyth A Cassegrain Nasmyth B

UT1 (Antu) CRIRES FORS2 KMOS

UT2 (Kueyen) FLAMES XSHOOTER UVES

UT3 (Melipal) ISAAC/SPHERE VISIR VIMOS

UT4 (Yepun) HAWK-1 SINFONI NACO/MUSE

Tableau 2.1 – Liste des instruments aux foyers des UTs. Les noms en italique correspondent à des instruments en cours de développement, qui remplaceront les anciens instruments courant 2013-2014.

2.2.2 Contrôle et limitation des vibrations

Depuis la compréhension de l’impact des vibrations sur la qualité des données interfé- rométriques, l’ESO a fait beaucoup d’efforts pour les contrôler et les limiter (Haguenauer et al. 2010;Poupar et al. 2010).

Ainsi, chaque télescope est maintenant équipé du système Manhattan 2, qui consiste à installer sept accéléromètres sur les trois premiers miroirs (quatre sur M1, un sur M2, et deux sur M3) pour mesurer et compenser en temps-réel les vibrations qui y sont excitées, en agissant directement sur les lignes à retard du VLTI. Ce système permet de réduire les fluctuations de 100 nm rms environ par rapport au niveau initial (Di Lieto et al. 2007;

Bonnet et al. 2006).

tation des modes de résonance des vibrations ont été identifiés. Ces sources sont maintenant éteintes ou amorties lorsque l’opération est possible, et la distribution des instruments aux foyers des quatre UTs a été modifiée pour optimiser la réduction des vibrations.

Enfin, pour compenser les vibrations longitudinales excitées au-delà des trois premiers miroirs des télescopes, un algorithme dédié à leur compensation est ajouté au contrôleur du suiveur de franges. L’algorithme VTK – Vibration TracKing – permet de déterminer l’état de vibrations de fréquences propres connues à partir des différences de marche mesurées par le suiveur de frange (Di Lieto et al. 2008). Cependant, bien que son efficacité ait été démontrée (réduisant les fluctuations de différence de marche de 100 nm rms également,

Bonnet et al. (2006)), cet algorithme n’est pas utilisé de façon routinière pour compenser les vibrations. Son fonctionnement n’est en effet pas trivial, et une mauvaise utilisation est susceptible de dégrader la stabilisation des différences de marche plutôt que de l’améliorer.

2.2.3 Modèle des vibrations

Pour analyser le comportement du suiveur de franges de GRAVITY face à ces vi- brations instrumentales, j’ai utilisé un modèle de vibrations amorties pour simuler des fluctuations réalistes (sauf pour quelques cas mentionnés explicitement dans le texte). L’évolution temporelle p d’une vibration longitudinale de fréquence propre f0 excitée par

un bruit blanc gaussien e d’écart-type σeet de coefficient d’amortissement k obéit à l’équa-

tion différentielle de l’oscillateur harmonique suivante : d2p dt2 + 2ω0k dp dt + ω 2 0p(t) = e(t) τ2 e , (2.38)

avec ω0 = 2πf0 la pulsation propre de la vibration et τe un temps caractéristique de

l’excitation. La densité spectrale de puissance moyenne ωvib de la vibration discrétisée à

un pas d’échantillonnage T suit alors la loi suivante :

ωvib(f ) = σ2 e/(16π4T3) f4+ 2f2 0f2(2k2− 1) + f04 . (2.39)

Plus le coefficient k est grand, plus l’oscillation est amortie. Une valeur nulle correspond à une pure sinusoïde, et une valeur supérieure à 1 correspond à un régime sans vibration. La figure 2.6 présente l’allure du spectre d’une vibration en fonction de son coefficient d’amortissement. Il est à noter également que l’énergie totale de la vibration (et donc l’écart-type de ses fluctuations) est proportionnelle à celle de l’excitation σ2

e, mais n’y est

pas égale : elle dépend également de sa fréquence propre f0 et de son amortissement k.

Pour chaque télescope, j’ai simulé une série de vibrations amorties de fréquences com- prises entre 5 et 110 Hz, dont les paramètres (présentés dans le tableau2.3) sont inspirés de Poupar et al. (2010) et Di Lieto et al. (2008). L’écart-type cumulé des modèles de fluctuations de chemin optique dues aux vibrations simulées est présenté en figure 2.7 (à gauche) pour chaque télescope. Les spectres simulés des fluctuations de chemin optique propre à la turbulence atmosphérique et propre aux vibrations sont présentés sur la même figure (à droite) pour le télescope UT1. À titre de comparaison, l’écart-type cumulés des vibrations sur le miroir M3 mesuré en 2009 parPoupar et al.(2010) ainsi qu’un spectre de différence de marche mesuré par Sahlmann et al. (2009) sont présentés en figure2.8. Les spectres que je simule présentent une bonne similitude avec ceux mesurés au VLTI, dans la mesure où ces spectres évoluent en fonction du vent et de la direction d’observation. Le tableau 2.2 présente le niveau total de vibration utilisé pour simuler les conditions d’observation actuelles au VLTI.

Figure 2.6 – Illustration de la résonance d’une vibration en fonction de son coefficient d’amortis- sement k. Densité spectrale de puissance décrite par l’équation2.39, normalisée par sa valeur à la fréquence nulle, et fréquence normalisée par la fréquence propre de la vibration.

UT1 UT2 UT3 UT4 Fluctuations (nm rms) 180 160 230 300

Tableau 2.2 – Écart-type des fluctuations de chemin optique dues aux vibrations simulées pour chaque télescope. Tiré dePoupar et al.(2010).

Figure 2.7 – Gauche : écart-type cumulé des vibrations en fonction de la fréquence, pour chaque télescope. Droite : spectre du piston atmosphérique et des vibrations simulées pour le télescope UT1 (spectre de von Kármán, L0= 100 m, écart-type de 10/

√ 2 µm).