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5.5 Résumé et perspectives

6.1.3 Présentation de Vela X-1

Dans ce contexte, j’ai pu obtenir une série d’observations au VLTI du système Vela X- 1, candidat particulièrement intéressant à bien des points de vue : parmi les plus brillantes aux longueurs d’onde optiques, parmi les plus lumineuses dans le domaine des rayons X, certainement la plus connue et la plus observée des binaires X. Intéressons-nous donc à cet exemplaire bien particulier.

Découverte de la binaire X

La « faible » source X Vela X-11 fut découverte le 20 Septembre 1966 à l’occasion d’un tir de fusée2 par Chodil et al. (1967), lancée à 168 km d’altitude dans le but de caractériser l’intensité de sources X déjà connues. Cette découverte fut ensuite confirmée par d’autres tirs de fusée (Gursky et al. 1968), puis par le satellite Uhuru (Giacconi et al. 1971), premier satellite entièrement consacré à l’observation de sources cosmiques dans le domaine des rayons X.

1. Aussi appelée Vel XR-1, ou GX 263+3, ou 4U 0900-40

2. L’atmosphère terrestre étant complètement opaque dans cette bande spectrale, les observations dans le domaine des rayons X ont tout d’abord été conduites par des tirs de fusée, puis par l’utilisation de satellites.

Les observations qui suivirent mirent en évidence une variabilité de la source, qui fut attribuée à des éclipses dues à la présence d’un compagnon. La supergéante HD 77 581 (aussi nommée GP Vel) fut associée à la source X Vela X-1 parBrucato & Kristian(1972). Ainsi fut découverte la binaire X à éclipse Vela X-1–HD 77 581. Dans la suite, pour distinguer en toute rigueur le système binaire Vela X-1 de l’objet compact Vela X-1, on privilégiera les noms 4U 0900-40 pour désigner l’étoile à neutron et HD 77 581 pour le compagnon visible, et on gardera la dénomination Vela X-1 uniquement pour désigner l’ensemble du système binaire.

Caractéristiques des deux composants

La source X 4U 0900-40 est un pulsar de période 283 s (McClintock et al. 1976). Sa masse, dernièrement estimée à MX = 1, 77 M⊙ par Rawls et al. (2011), est encore de

nos jours extrêmement discutée, et est responsable en partie de la célébrité de Vela X-1. Sa valeur très élevée (l’une des plus élevées connues) et déterminée de façon très précise en combinant mesures de vitesses radiales et mesures de durée d’éclipse, permet en effet d’exclure certains modèles de structure interne des étoiles à neutron. La structure de la matière soumise à des conditions extrêmes dans ces corps stellaires est en effet de nos jours encore mal connue. Elle est décrite par une équation d’état de la matière qui dépend de la masse et de la taille du résidu stellaire, et de laquelle découle une limite maximale pour la masse de toute étoile à neutron. Il existe plusieurs théories et plusieurs équations d’état qui conduisent à diverses masses limites, allant de 1,5 à 3 M⊙. La détermination précise de la masse de 4U 0900-40 est donc d’un intérêt très particulier pour comprendre l’état de la matière soumise à de hautes densités.

Le compagnon visible HD 77 581 est une supergéante de type spectral B0.5Ib. Sa masse est évaluée à MO = 24 M⊙ et son rayon à RO = 32 R⊙. Elle émet un fort vent

stellaire de vitesse terminale V = 1 105 km/s, et subit une perte de masse estimée à ˙

M0 ∼ 2 × 10−6 M⊙/an.

Les deux corps sont sur une orbite très serrée, avec une séparation de axsin i = 49 R⊙.

Le pulsar n’est donc qu’à ∼ 1, 5 rayon stellaire, bien ancré dans le vent de la supergéante. Leur période orbitale est de 9 jours, ce qui est relativement court pour une binaire X à forte masse.

Les principales grandeurs caractéristiques de Vela X-1 sont regroupées dans le ta- bleau 6.1. Les tailles angulaires correspondantes sont présentées dans le tableau 6.2. La résolution des deux corps du système est donc bien au-delà des capacités des interfé- romètres optiques actuels. Par contre, la caractérisation de l’environnement à quelques rayons stellaires leur est accessible et est susceptible d’apporter des compléments d’infor- mations inédits sur ce système.

Caractéristiques de l’environnement du système

L’environnement de Vela X-1 a été sondé à plusieurs reprises en analysant l’activité de l’étoile à neutron dans le domaine des rayons X par le satellite INTEGRAL (Winkler et al. 2003). En plus d’un fort niveau moyen d’activité dû à la proximité entre les deux corps, l’intensité lumineuse du système est très variable en rayons X, présentant en effet d’intenses sursauts lumineux (jusqu’à 20 fois sa luminosité moyenne) et de soudaines extinctions en- deçà de la sensibilité limite des instruments, variant sur des échelles de temps irrégulières de plusieurs jours, heures, ou même quelques minutes.

Objet Paramètre Valeur Référence d (kpc) 1, 9 ± 0, 2 1 axsin i (R⊙) 49, 10 ± 0.06a 2 Vela X-1 P (d) 8, 964368 ± 0, 000040 2 e 0, 0898 ± 0, 0012 2 i (deg) 78, 8 ± 1, 2 3 4U 0900-40 LX (erg/s) 3, 5 × 1036 4 MX (M⊙) 1, 770 ± 0, 083 3 MO (M⊙) 24, 00 ± 0, 37 3 RO (R⊙) 31, 82 ± 0, 28 3 HD 77 581 M˙0 (M⊙/an) 1, 5 − 2 × 10−6 4 V (km/s) 1105 ± 100 5

a. 113, 98 ± 0.13 secondes-lumière dans l’article donné en référence.

Références : (1) Sadakane et al. (1985) ; (2) Bildsten et al. (1997) ; (3) (Rawls et al. 2011) ; (4)

Watanabe et al.(2006) ; (5)Prinja et al.(1990).

Tableau 6.1 – Carte d’identité de Vela X-1. Paramètre Valeur (mas)

axsin i 0, 12 ± 0, 01

RO 0, 078 ± 0, 008

Tableau 6.2 – Tailles angulaires caractéristiques de Vela X-1, en supposant une distance de 1,9 kpc à la Terre.

Ces variations sont globalement attribuées à des inhomogénéités du vent de la super- géante parKreykenbohm et al. (2008) et Fürst et al.(2010) :

– les sursauts seraient dus à l’accrétion de grumeaux denses de matière stellaire, et/ou à la formation temporaire de petits disques d’accrétion instables autour de l’étoile à neutron. La matière y étant stockée se ferait soudainement accréter au moment de la destruction de ces disques, générant des sursauts lumineux à de hautes énergies ; – les brusques extinctions seraient dues soit au passage de grumeaux denses sur la ligne de visée, soit à des chutes d’activité de l’étoile à neutron liées à son passage dans des vides du vent stellaire, déclenchant des effets d’« hélice » (Lamb et al. 1973;

Illarionov & Sunyaev 1975) : la taille de la magnétosphère du pulsar (qui dépend de l’intensité du champ magnétique et du taux d’accrétion) augmente au-delà de son rayon de co-rotation, et la force centrifuge empêche alors la matière d’entrer dans la magnétosphère et de se faire accréter par l’étoile à neutron. Ce phénomène complexe a en effet été identifié parCui(1997) sur deux pulsars, et pourrait être également la cause des extinctions de la luminosité de Vela X-1 aux rayons X.

L’observation précise de ces extinctions par l’instrument Suzaku, plus sensible (Kunieda & Suzaku Team 2005), a montré qu’elles étaient très prononcées (d’un facteur 20 en-deçà de sa luminosité moyenne), mais non totales, et que l’étoile à neutron continuait de pulser faiblement pendant ces bas régimes (Doroshenko et al. 2011). Ce flux résiduel est attribué à des fuites de matière à travers la magnétosphère de l’étoile à neutron par des instabilités de Kelvin-Helmholz (Burnard et al. 1983).

De plus, sur une échelle plus grande, la présence d’une traînée de matière en aval de l’étoile à neutron a été évoquée à plusieurs reprises lors de mesures spectroscopiques (Sada-

kane et al. 1985;Watanabe et al. 2006), telles que simulées parHadrava & Čechura(2012). L’observation directe de telles structures par interférométrie serait donc particulièrement intéressante.

Achevons cet état de connaissance de Vela X-1 par une belle image : sur une échelle beaucoup plus grande que ces structures du vent stellaire façonnées par l’étoile à neutron, et encore plus grande que les structures locales sondées aux hautes énergies par l’activité de l’objet compact, une onde de choc parabolique a été imagée par Kaper et al.(1997), à 54′′

au Nord du système (soit 0,49 pc). Ce bel arc, reproduit en figure6.2, prouve que le système se déplace à très grande vitesse dans le milieu interstellaire vers le Nord. Ces observations confirment l’hypothèse que Vela X-1 appartiendrait à l’origine à l’association d’étoiles OB Vel OB1, située à 1 820 pc au Sud de Vela X-1 (direction parfaitement opposée à l’onde de choc), qu’elle a fuie il y a 2,5 millions d’années à une vitesse de 90 km/s, au moment de l’explosion de la supernova qui a créé l’étoile à neutron 4U 0900-40.Ce phénomène, prédit par Blaauw (1961) pour toutes les binaires X à forte masse, serait provoqué après une phase de transfert de masse rapide de l’étoile primaire à son compagnon, jusqu’à ce que le rapport de masse s’inverse et que la primaire devienne une étoile à hélium, puis qu’elle explose en supernova. La détente provoquée par l’éjection de l’enveloppe de gaz de la supernova donne une vitesse supérieure à 10 km/s au système, qui reste lié si la masse du compagnon est suffisamment élevée.

Figure 6.2 – Image de l’onde de choc au Nord de Vela X-1. Extrait deKaper et al.(1997). Vela X-1 est donc une binaire intéressante à bien des points de vue. Je vais maintenant décrire ce que j’ai observé et analysé grâce aux instruments AMBER et PIONIER du VLTI, et voir comment nos mesures peuvent compléter ce panorama.