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surmortalité des jeunes adultes

4.3 Le long XIXe siècle

4.3.1 La question de la mortalité maternelle

La période allant du milieu du XIXe siècle jusqu’à la Première Guerre mondiale voit la proportion de pays sans bosse de surmortalité pour les femmes stagner entre 10 et 20%. Cette proportion n’est pas due à un seul pays mais reflète au contraire une alternance de pays ne connaissant pas de surmortalité, à savoir la Suède dans les années 1850, le Danemark entre 1870 et 1900, la Finlande dans les années 1880 et l’Italie dans les années 1870. Une inspection plus précise de ces quatre cas force toutefois à relativiser l’absence de surmortalité des jeunes femmes dans certains de ces pays (figure 4.14).

En ce qui concerne l’Italie des années 1870, de même d’ailleurs que la Suède avant 1800 ou l’Espagne pendant l’entre-deux-guerres, le résultat concluant en l’ab-sence de surmortalité est principalement un artéfact statistique dû à la mauvaise qualité des données. Prenons l’exemple de l’Italie en 1873 où l’on discerne claire-ment des "trous" dans le risque de décès autour de 50, 60 et 70 ans. Ces décro-chages par rapport au trend général sont probablement dus au fait que dans les recensements utilisés pour estimer la population soumise au risque, une fraction considérable des individus arrondissent leur âge à la dizaine la plus proche. Il s’agit d’un phénomène bien connu d’attraction des âges ronds (age heaping), identifié d’ailleurs par l’équipe de la HMD (Glei 2012).

En ajoutant de la variabilité non-expliquée, cet artefact des données diminue la capacité du test de Fisher à discerner la supériorité d’un modèle avec bosse d’un modèle sans. De plus, les vagues créées ainsi dans l’estimation du risque de décès brouillent l’algorithme de calcul de la surmortalité, qui ne peut plus distinguer ces vagues artificielles de la bosse de surmortalité des jeunes adultes. C’est ce qui ex-plique que la surmortalité des jeunes Italiennes soit si basse par rapport aux autres pays. Ce phénomène d’attraction pour les âges ronds disparait progressivement à la fin des années 1880 et dès lors l’espérance de vie perdue atteint des sommets (figure 4.15).

Concernant les trois autres pays cités, soient la Suède, le Danemark et la Fin-lande, il est par contre légitime d’affirmer que la bosse n’est pas statistiquement significative. Du moins, tant que l’on se base sur des modèles paramétriques.

Pre-Figure 4.14 – Quatre cas de surmortalité non-significative chez les femmes avant

nons la Suède en 1855, le Danemark en 1870 et la Finlande en 1880. Dans les trois cas, le test de Fisher indique que les données ne permettent pas de supporter l’exis-tance d’une bosse de surmortalité. Les p-valeur sont en effet toutes supérieures à 1%, indiquant respectivement une probabilité de 21%, 5.4% et 1.1% de chance que la "bosse" ait été générée par hasard.

Pourtant, le calcul de l’espérance de vie perdue indique des valeurs situées entre 0.7 et 0.8 années perdues. Comment expliquer des valeurs aussi élevées alors que le teste de Fisher indique que la bosse n’est pas significative ? Premièrement, la dif-férence relative entre la force de mortalité observée et hypothétique est faible mais prolongée (dans les trois cas entre environ 15 et 50 ans). Deuxièmement, le niveau absolu de la mortalité étant élevé, même une faible différence relative engendre une perte d’espérance de vie importante.

En conclusion sur ces trois pays, il semble faux d’affirmer qu’ils ne connaissaient pas de surmortalité des jeunes femmes. Toutefois, en comparaison avec les autres contrées, il ne fait aucun doute qu’ils étaient touchés par une surmortalité plus faible que leurs voisins durant l’essentiel du XIXe siècle. Ces trois pays occupent tour à tour la position de pays avec la plus faible bosse de surmortalité (figure 4.15). Ainsi, la Suède est le pays le moins affecté dans les années 1850 et 1880, position occupée par le Danemark dans les années 1870, puis conjointement avec la Finlande entre 1890 et 1900. Après 1900, ce sont les Pays-Bas qui sortent clai-rement vainqueurs de la comparaison européenne.

Figure4.15 – Espérance de vie perdue pour les jeunes femmes avant 1914

1840 1860 1880 1900 1920

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1840 1860 1880 1900 1920

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Cette particularité de quelques pays du nord de l’Europe interpelle. S’agissant des jeunes femmes, il est naturel de s’interroger sur le rôle joué par la morta-lité maternelle dans ces pays. Il s’avère en effet que les pays du nord de l’Europe sont connus comme des régions pionnières dans la lutte contre la mortalité liée à l’accouchement, et ceci depuis au moins le XIXe siècle. En Suède, le ratio de mortalité maternelle est divisé par trois entre 1870 et 1900 (De Brouwere et al.

1998), et atteint rapidement un plateau d’environ 200 décès pour 100’000 nais-sances, soit moitié moins qu’en Angleterre et au Pays de Galles, et même trois fois moins qu’aux USA à la même époque (Loudon 2000). Cette avance concerne le Danemark, la Norvège et les Pays-Bas, et dans une moindre mesure la Finlande (Loudon 1992). Ces succès sont partiellement reflétés dans nos mesures de la sur-mortalité des jeunes adultes, puisque les Pays-Bas connaissent une forte baisse de la surmortalité féminine au XIXe siècle, alors que la Suède, le Danemark et surtout la Norvège partent de valeurs basses mais enregistrent une hausse spectaculaire qui contredit ce supposé avantage des pays du Nord (figure 4.15).

La principale raison avancée pour expliquer ce succès des pays du Nord de l’Eu-rope concerne le rôle central joué par les sage-femmes lors des accouchements. En

Suède, tout au long des XVIIIe et XIXe siècles, plusieurs règlementations ont peu à peu imposé une professionnalisation des sage-femmes, qui remplacent progressi-vement l’assistance traditionnelle et les membres de la famille pendant l’accouche-ment (Högberg 2004). La proportion de naissances assistées par des sage-femmes formées atteignait déjà 80% dans les années 1890, tout en maintenant la propor-tion d’accouchements en hôpital en dessous de 10%, avec comme effet de limiter les infections nosocomiales, très courantes avant la découverte des agents infectieux.

De plus, à partir des années 1880, l’introduction de mesures antiseptiques permit une nouvelle diminution notable de l’incidence des fièvres puerpérales (infections liées à l’accouchement). Ces deux facteurs semblent avoir contribué chacun pour moitié à la baisse de la mortalité maternelle en Suède (Högberg 2004, 1318). Les mêmes recettes semblent être également à l’origine des taux de mortalité mater-nelle faibles enregistrés aux Pays-Bas, en Norvège et au Danemark dès la seconde moitié du XIXe siècle (Loudon 1992;De Brouwere et al. 1998).

Le cas de la Norvège est intriguant puisque dans nos calculs, ce pays enregistre une surmortalité féminine plutôt modérée et en baisse jusqu’aux années 1870. Elle connait pourtant une explosion de la surmortalité des jeunes femmes pendant les dernières décennies du XIXe siècle, lors desuelles elle devient le pays d’Europe où la surmortalité des jeunes femmes est la plus élevée avec l’Italie et la France. Au début du XXe siècle, près de 1.5 années d’espérance de vie y sont perdues à cause de la surmortalité des jeunes femmes, sur une espérance de vie à la naissance totale d’à peine 50 ans.

Cette trajectoire singulière de la Norvège n’est pas la seule évolution surpre-nante. Dans plusieurs pays (Pays-Bas, France, Belgique, Danemark) une augmenta-tion temporaire de la surmortalité des jeunes femmes apparait clairement pendant les années 1870, parfois plus largement de 1860 à 1890 sous la forme d’oscillations répétées. Encore plus frappant, des pays qui apparaissaient comme de bons élèves comme la Suède, le Danemark, la Finlande (voire l’Italie avec les réserves mention-nées plus haut) connaissent une forte augmentation dans les vingt dernières anmention-nées du siècle, alors que d’autres comme les Pays-Bas, la Belgique, voire la France dans une moindre mesure, connaissent une baisse sensible dans les dernières décennies du XIXe siècle. L’ensemble de ces évolutions laissent à penser que d’autres forces que la mortalité maternelle jouent un rôle dans les variations de la surmortalité des jeunes femmes. En l’état actuel, sur les données de mortalité toutes causes confon-dues, il est difficile d’apporter des réponses précises. Il est certes possible de penser que ces variations aient à voir avec, entre autres, l’augmentation des naissances en hôpital liée à l’urbanisation ou le déclenchement de pandémies de grippe comme celles de 1847-51, 1857-58, 1873-75, 1889-93 ou 1898 (Oxford 2000; Morens and Fauci 2007). Cependant, le facteur le plus important est probablement l’incidence de la tuberculose, comme nous allons le voir dans le cas des hommes.