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surmortalité des jeunes adultes

4.1.5 Données sur les causes de décès

Une des affirmations que nous désirons tester concerne la prédominance des causes de décès liées à la prise de risque et à l’instabilité émotionnelle, suggérée par l’hypothèse endogène. Il est donc important d’avoir accès à des données reflétant les causes de décès historiques. Malheureusement, à l’heure actuelle aucune base de données internationale similaire à la Human Mortality Database incluant les causes de décès existe. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) possède certes une base de données internationale concernant les causes de décès. Elle ne couvre cependant qu’une période limitée dans le temps, ce qui nous empêche de remonter à avant la Seconde Guerre mondiale. De plus, les transitions d’une classification à l’autre ne sont pas renseignées.

Un projet est certes en cours entre l’INED et le Max Planck Institute de Ro-stock6 afin d’intégrer progressivement des séries par causes de décès pour certains pays, dont l’Angleterre et le Pays de Galle (1950-2010), la France (1925-2009) et les Etats-Unis (1959-2008). Ces données seront ajustées pour les transitions entre les classifications internationales des maladies (CIM-6 à CIM-10), et devraient

com-6. Il s’agit des projets MODICOD (Mortality Divergence and Causes of Death) et DIMOCHA (From disparities in mortality trends to future health challenges), respectivement financés par AXA et l’ANR-DFG, dont un des objectifs est de reconstruire des séries de causes de décès conti-nues et cohérentes pour plus d’une quinzaine de pays européens (notamment de l’Est), américains et asiatiques. Les premières séries complètes sont attendues pour 2015. Une collaboration avec la HMD est envisagée pour la mise à disposition gratuite des données.

prendre deux typologies de quelques dizaines de causes de décès. Ce projet est très prometteur et pourrait être étendu à plus de pays et de périodes au cours des années qui viennent. Malheureusement, au moment de l’écriture de cette thèse, ces données n’étaient pas encore disponibles et leur couverture temporelle est de toute manière encore trop faible pour permettre d’analyser la période antérieure à la Seconde Guerre mondiale. Pour cette raison, cette piste a été temporairement écartée, même si dans le futur une exploitation de ces données semble judicieuse.

Données suisses du mouvement de la population

En solution de remplacement, nous avons décidé de nous concentrer unique-ment sur les données helvétiques. Les nombres absolus par causes de décès et par groupe d’âge sont publiées annuellement dans la statistique du mouvement de la population, par l’Office Fédéral de la Statistique (OFS, anciennement Bureau de statistique du département fédéral de l’intérieur). Ces documents ont heureusement été scannés et sont accessibles sur le site internet de l’OFS, ce qui nous a permis de digitaliser manuellement une partie de ces données. Nous avons également pu compter sur des tableaux électroniques mis à disposition par l’OFS pour les années 2001 et 2010.

La couverture géographique, par âge et causes de décès varie en fonction des périodes. En 1877, première année pour laquelle les causes de décès sont publiées, dix classes d’âge sont distinguées par sexe, comprenant un panel de 205 causes de décès, mais uniquement pour 7 des 22 cantons de l’époque, soient ceux pour les-quels au moins 90% des décès sont certifiés médicalement (OFS 1878). Le nombre de cantons couverts augmente ensuite progressivement, passant à 8 en 1878, 9 en 1879, 10 en 1880, 12 en 1882, 15 en 1883 et, enfin, l’ensemble de la Suisse en 1885.

Les données ne sont pas systématiquement exploitables chaque année et, à vrai dire, entre 1886 et 1921 les séries sont trop incomplètes pour être utilisées. En 1923, les publications reprennent7avec des classes d’âge de 5 à 10 ans et 207 causes de décès qui reprennent globalement celles de 1885.

En 1940, pour la première fois, la CIM-5 (150 causes de décès) est utilisée ex-plicitement. Entre 1943 et 1944 les données ne sont pas exploitables en raison des troubles de la guerre, puis reprennent jusqu’en 1952 et disparaissent encore une fois jusqu’en 1955. A ce moment, la CIM-6 est introduite et les classes d’âge sont alors toutes de cinq ans. La CIM-7 est introduite en 1958 et la CIM-8 en 1965 environ8. En 1984, le mouvement de la population cesse de publier les causes de décès pour se concentrer sur leur archivage numérique. A ce moment, l’OFS travaille alors avec la CIM-8.

Afin de limiter le temps nécessaire à la saisie manuelle des données, nous avons choisi de nous contenter de sondages périodiques en fonction de la disponibilité des

7. En réalité les données de 1921 ne sont publiées qu’en 1923, en même temps que celles de 1922.

8. Dans certaines publications, plusieurs typologies coexistent rendant parfois le choix de la nomenclature utilisée quelque peu ambigu.

TABLEAU 4.1 – Définition des causes de décès retenues dans le mouvement de la population

Groupes 1855 1921 1940 1948 1955 1970 1982

20012010

Suicides 4-12 10-19 suicides suicides AE148 AE147 AE147

Homicides 13 20 homicides suicides AE149 AE148 AE148

Tuberculose

données et en dégageant des moments historiques pertinents. Ainsi, les données ont été extraites pour les années suivantes : 1885, 1921, 1940, 1948, 1955, 1970, 1982, 2001 et 2010. Entre la première année disponible, 1885, et la seconde, 1921, s’écoule l’intervalle le plus long, soit 36 années. Ensuite, les sondages se rapprochent à une cadence d’une quinzaine d’années, sauf pour 1948 qui a été ajouté afin d’étudier l’effet de l’arrivée des antibiotiques après la guerre.

Ça et là, quelques données particulières sont publiées concernant certaines causes de décès spécifiques. Par exemple, avant 1885, les suicides et les accidents sont détaillés par âge et sexe. En 1948, une désagrégation limitée à la tuberculose est proposée en comparaison avec les chiffres de 1901/2, 1941/43 et 1954 à 1949.

Ces tableaux n’ont toutefois pas été saisis en raison de leur format différent mais pourraient servir de base de travail intéressante pour l’étude de certaines causes de décès en particulier.

Afin de répondre à la question posée, soit l’importance des causes de décès liées aux accidents et aux suicides chez les jeunes adultes, tout en limitant le temps de saisie des données, seules quelques causes ont été retenues. Il s’agit des acci-dents de circulation, autres acciacci-dents, suicides, homicides, tuberculose pulmonaire, fièvres puerpérales (infections lors de l’accouchement) et autres causes de décès.

Dans chaque classification, elles correspondent à des codes différents. Le tableau 4.1 résume les regroupements effectués9.

9. Les codes du document d’époque sont mentionnés lorsqu’ils existent. Pour 1940 et 1948, aucun code n’apparait à côté du nom de la cause de décès. Dans le tableau 4.1, les intitulés de ces causes sont donc directement reportés pour ces deux années, à la place des codes correspondants.

Données digitalisées de l’OFS

En raison de l’arrêt de la publication des causes de décès dans la statistique du mouvement de la population au début des années 1980, il a été nécessaire de faire appel à d’autres sources de données pour la période postérieure. Grâce à la coopération de la section santé de l’OFS, en particulier de Monsieur Wüest, il a été possible d’obtenir des effectifs de décès par classes d’âge de 5 ans et par sexe, pour 31 causes de décès pour 2001 et 2010.

La précision limitée de la classification n’a heureusement pas prétérité la sélec-tion opérée auparavant, puisque les six causes retenues jusqu’en 1982 sont aisément identifiables dans la classification à 31 codes. En effet, les accidents de circulation, la tuberculose pulmonaire et les suicides possèdent leurs propres codes. De plus, les autres accidents sont facilement déduits du total des accidents, en soustrayant les accidents de circulation. Seuls les homicides, qui sont de toute manière très peu nombreux, ne sont pas distingués des autres causes de décès violentes (ils appa-raissent donc avec les autres accidents pour 2001 et 2010). Enfin, la fièvre puerpérale a effectivement disparu des statistiques après 1982 et est probablement incluse dans la catégorie des maladies infectieuses. Etant donné le très faible nombre de décès par infection durant l’accouchement dans les années 2000, cela ne semble pas poser de problème important.

Par contre, il aurait été incomplet de ne pas considérer les décès liés au HIV, dont l’apparition en Suisse date du début des années 1980, les premiers tests ayant été effectués en 1985 (OFSP 2013, 364). Le pic de l’épidémie a été atteint au mi-lieu des années 1990, avant de reculer progressivement, avec comme conséquence le fait que les cohortes nées au début des années 1960 ont été les principales victimes (Valdes 2011). Cette concentration s’explique par l’apparition brutale du virus dans les années 1980, l’introduction des multithérapies dès le milieu des années 1990 (qui ont permis à la fois de diminuer l’entrée dans le sida des personnes séropositives et de retarder le décès des personnes déjà touchées par le sida), ainsi qu’un effet d’âge marqué par un pic de décès entre 26 et 44 ans (Valdes 2011). De plus, en Suisse comme dans passablement d’autres pays européens, les hommes ont été plus touchés que les femmes.

Il existe en outre une sous-déclaration des décès liés au VIH malgré l’obligation de déclaration, ceci pour plusieurs raisons. Premièrement, la cause ultime de décès est dans l’immense majorité des cas une maladie opportuniste telle une atteinte pulmonaire, digestive, neurologique, dermatologique ou occulaire. Il y a donc

sou-10. Chute de cheval, chute de voiture, écrasement par des chars et voitures, écrasement sur la voie ferrée.

11. Chute de cheval, accidents causés par des véhicules, de traineau, de ski, de patinage, de bi-cyclette, d’automobile, de motobi-cyclette, d’aviation, de tramway, de chemin de fer, de funiculaires, de chemins de fer suspendus et d’ascenseur.

12. Accidents de véhicules attelés, bicyclettes, véhicules à moteur, tramways et chemin de fer.

13. Accidents de véhicules attelés, bicyclettes, véhicules à moteur, tramways, chemin de fer, aviation, ski, luge et patinage.

14. Accidents, sauf accidents de circulation mentionnés ci-dessus.

15. Accidents, sauf accidents de circulation mentionnés ci-dessus.

vent une ambiguité dans la cause de décès, qui ne peut être levée qu’en observant les causes concomitantes. Deuxièmement, étant donné le tabou persistant autour de cette maladie, associée dans l’opinion publique avec les milieux homosexuels et toxicomanes, on peut faire l’hypothèse d’une sous-déclaration volontaire sous la pression des proches. En comparant l’évolution de la mortalité toutes causes confondues et par sida sur les hommes suisses par classe d’âge, Valdes a mis en évidence une augmentation significative de la mortalité générale de 25 à 44 ans entre 1987 et 1996 qui ne peut être expliquée que par un sous-enregistrement des décès liés au VIH (Valdes 2011).

Nonobstant ces difficultés, il semble nécessaire de prendre en compte dans notre sélection de causes de décès ceux qui sont liés au VIH et déclarés comme tels dans la classification officielle de l’OFS. Il serait démesuré ici de tenter une reclassification des décès dus au VIH sur la base des causes de décès concommitantes, bien qu’un tel travail serait souhaitable d’un point de vue scientifique.

Calcul des taux de mortalité par âge, sexe et cause de décès

Au total, les sept causes retenues, soit les accidents de circulation, autres ac-cidents, suicides, homicides, tuberculoses pulmonaires, fièvres puerpérales et VIH, couvrent globalement entre 50% et 75% des décès entre 20 et 30 ans sur l’ensemble de la période allant de 1855 à 2010 (tableau 4.2).

M F

1885 58.00 53.00 1921 58.00 58.00 1940 56.00 46.00 1955 68.00 35.00 1970 74.00 44.00 1982 75.00 57.00 2001 66.00 38.00 2010 67.00 44.00

TABLEAU 4.2 – Pourcentage des décès couverts par les six causes retenues Afin de conserver une cohérence entre les données du mouvement de la popu-lation et celles de la HMD, seuls les nombres absolus de décès ont été relevés et convertis en proportions de l’ensemble des décès par classe d’âge. Puis ces propor-tions ont été désagrégées et lissées de manière à éviter une progression en escalier du risque de décès par cause (figure 4.9). Ce lissage a été réalisé par une méthode de régression polynomiale locale (loess) contrainte sur des valeurs positives. Enfin, ces proportions ont été appliquées aux taux de mortalité toutes causes confondues de la HMD pour obtenir des taux de mortalité par cause de décès. Ainsi, la somme de toutes les causes de mortalité pour chaque année correspond toujours entre les données du mouvement de la population et celles de la HMD. Algébriquement,

1.πxj= ddxjx ⇒ P

jπx,j = 1∀x 2.mxj =πxj·mx ⇒ P

jmxj =mx∀x

πxjreprésente la proportion de décès dus à la cause j à l’âge x, etmxjest le taux de mortalité dû à la cause j à l’âge x. La transformation du taux en quotient s’effectue avec la relation habituelleqx= 2+m2mxx.

Figure 4.9 – Proportion de décès par accidents de circulation pour les hommes suisses en 1955

0 20 40 60 80

0.00 0.05 0.10 0.15 0.20 0.25 0.30 0.35

âge πAccCirc

originale lissée

Décomposition des gains d’espérance de vie

Une fois les taux de mortalité par âge, sexe et causes de décès obtenus, ils peuvent être utilisés et interprétés directement en étudiant la forme de la force de mortalité par cause. Toutefois, afin d’en tirer parti au maximum, il est indis-pensable de disposer d’un moyen de comparaison entre deux périodes. Dans ces cas-là, l’outil de la décomposition des différences d’espérance de vie sera privilégié puisqu’il est déjà largement utilisé.

En effet, la question de la décomposition des gains d’espérance de vie a reçu plusieurs solutions indépendantes au cours des années 1980 (Arriaga 1984;Pollard 1982; Andreev 1982; Pressat 1985). Celle d’Arriaga est souvent retenue (Preston et al. 2000), malgré certaines critiques (Shkolnikov et al. 2001). Les quatre méthodes aboutissent à des résultats sensiblement identiques (Ponnapalli 2005; Valkovics 2002). Nous avons dès lors utilisé ici la méthode d’Arriaga, qui exprime le gain d’espérance de vie ∆e0 entre les périodes 1 et 2, par la somme des contributions de chaque âge nx, selon la formule suivante,

e0=e20e10=X

x

nx=X

x

lx1 l20 · nL2x

lx2nL1x

l1x +Tx+n2 l01 · l1x

l2xlx+n1 lx+n2

Afin de décomposer ces gains encore par cause de décès il est possible de dis-tribuer chaque valeur de nx proportionnellement au changement observé dans chaque taux de mortalité par cause j (Arriaga et al. 1989; Preston et al. 2000).

Algébriquement,

nx=X

j j

nx=X

j nx·

j

nm2xjnm1x

nm2xnm1x

La valeur jnxexprime le nombre d’années gagnées ou perdues sur l’espérance de vie à la naissance par âge (x) et par causes de décès (j). Par exemple, entre 1940 et 1955, l’espérance de vie à la naissance des hommes suisses a augmenté de 61.36 à 67.69 ans, soit une progression de 6.33 ans. Ces gains sont concentrés sur les premières années de vie (43% avant l’âge de 5 ans), mais il est néanmoins possible d’observer une distribution non-uniforme sur le reste des âges (figure 4.10). Dans cet exemple, on observe que les gains d’espérance de vie situés entre 15 et 30 ans sont liés positivement avec le recul de la tuberculose, les suicides et les accidents généraux, et négativement avec les accidents de transport. Ces derniers ont causé une perte d’espérance de vie égale à 0.2 ans entre 15 et 30 ans, c’est-à-dire que sans l’augmentation de la mortalité liée aux accidents de circulation dans ce groupe d’âge, l’espérance de vie aurait augmenté de 2.4 mois supplémentaires.

Figure4.10 – Décomposition des gains d’espérance de vie chez les hommes suisses entre 1940 et 1955, par âge et cause de décès

−0.02 0.00 0.02 0.04 0.06 0.08 0.10

0 10 20 30 40 50 60 70 80

xi

Acc Circ Acc Autres Suicides Homicides TB Autres

4.2 Existence de la surmortalité des jeunes adultes