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Globalisation et déstandardisation des parcours de vie

surmortalité des jeunes adultes

4.5 Des Trente Glorieuses à l’ère de la globalisa- globalisa-tionglobalisa-tion

4.5.2 Globalisation et déstandardisation des parcours de vie

Les dernières décennies du XXe siècle sont marquées par une hétérogénéité marquée dans l’évolution de la surmortalité des jeunes adultes. L’évolution défa-vorable entamée au début des années 1950 dans un nombre restreint de pays, puis généralisée dès les années 1960 s’interrompt dès le début des années 1980 dans un petits nombre de régions "pionnières" (figure 4.32). Il s’agit essentiellement de pays d’Europe de l’Ouest : France, les deux Allemagnes, les Pays-Bas et le Danemark.

L’Autriche fait également partie de ce groupe, mais conserve un niveau particuliè-rement élevé.

Ce premier groupe est suivi par un second qui souffre toutefois d’une hausse encore marquée jusqu’au début des années 1990. Ici, il s’agit de pays du Sud de l’Europe (Espagne, Portugal, Italie), d’Océanie (Australie et Nouvelle-Zélande), d’extrême orient (Japon et Taiwan), ainsi que la Suisse. Dans ces pays, la baisse entammée autour de 1990 est aussi spectaculaire que la hausse enregistrée jusqu’ici.

On y note également un resserement des égarts vers des valeurs inférieures à une demi-année d’espérance de vie.

Un troisième ensemble de pays regroupant les îles britanniques (Royaume-Uni et Irlande), la Belgique, la Norvège et la Russie poursuit cette hausse jusqu’à la fin du siècle avant de connaitre une baisse dans les années 2000. Une réserve doit ce-pendant être mentionnée concernant la Russie, comme nous allons le voir ensuite.

Notons que même si la baisse semble être engagée dans ces pays, l’Irlande et la Norvège connaissent encore des niveaux élevés en comparaison internationale.

Enfin, un certain nombre de pays connaissent une hausse de la surmortalité des jeunes hommes. Dans certains cas il s’agit d’une prolongation de la tendance imprimée depuis les années 1960 (Estonie, Letonnie), mais pour la majorité c’est une tendance plus récente, sur les 15-20 dernières années. Le pays le plus durement touché est les Etats-Unis, qui malgré une acalmie pendant les années 1980, connait une augmentation alarmante de la surmortalité des jeunes hommes depuis lors (la tendance à la baisse observée ces dernières années demande à être confirmée car elle ne repose que sur deux observations). Son voisin du nord, le Canada, connait une évolution proche bien que moins marquée. Il semble donc y avoir une évolution particulière à l’Amérique du Nord.

L’évolution observée depuis la fin des années 1980 montre donc une profonde divergence entre, d’une part l’Europe du Nord et de l’Est et les USA, et d’autre

part l’Europe de l’Ouest et du Sud. Alors que le premier groupe de pays connait une augmentation de la bosse de surmortalité, le second enregistre des progrès no-tables. Cette évolution inverse interpelle notamment en raison de la présence dans le premier groupe de pays apparemment très différents, telles les républiques de l’ex-URSS qui ont connu une crise économique, politique et sanitaire, les sociales démocraties scandinaves reconnues pour leurs politiques de redistribution et les Etats-Unis qui ont enregistré à la fois une croissance économique et une augmenta-tion des inégalités sociales. Il est donc particulièrement important de se demander si les mêmes causes de décès sont à la source de leur évolution divergente par rap-port aux pays d’Europe de l’Ouest et du Sud. Nous ne pourrons pas ici répondre à cette question, mais il s’agit d’une piste importante à explorer.

En effet, selon la définition deBlossfeld et al.(2005), l’évolution macro-économique qu’ont connu les pays du Nord ces dernières décennies reflète une internationali-sation dont l’effet se concentre sur les jeunes adultes, identifiés comme les "grands perdants" de la globalisation. Le fait qu’un pays comme les Etats-Unis, connu pour offrir une sécurité professionnelle particulièrement faible, de fortes inégalités sala-riales et une part importante de contrats instables, sorte du lot est un signe qui pourrait suggérer que cette vulnérabilisation socioéconomique se matérialise dans une augmentation de la surmortalité des jeunes adultes.

Chez les femmes, des évolutions similaires ont lieu à un niveau plus bas. Comme pour les hommes, un groupe de pays connait une baisse quasiment régulière depuis le début des années 1980. Il est cette fois un peu plus large avec l’addition de l’Ir-lande et la Suède, mais on y retrouve sinon les mêmes pays que pour les hommes, essentiellement d’Europe de l’Ouest.

Un second groupe de "suiveurs" recoupe les mêmes régions que pour les hommes : Océanie et Europe du Sud. Le Japon et le Portugal, eux, connaissent une légère augmentation de la surmortalité des jeunes femmes contrairement à ce qui appa-raissait pour les hommes.

A ce propos, même si les niveaux restent relativement bas, un certain nombre de pays connaissent une augmentation significative de la surmortalité des jeunes femmes. On retrouve là-aussi beaucoup de pays qui sont dans la même situation pour les hommes : Etat-Unis, Canada, République tchèque, Estonie, Hongrie. Alors que chez les hommes, la Suède se plaçait dans ce groupe, c’est ici le cas de la Nor-vège.

Enfin, quelques pays de l’Est ont subi une brusque hausse de la surmortalité des jeunes femmes au moment de la dissolution de l’URSS. La Russie est le cas le plus évident, mais elle n’est pas seule. On peut y ajouter également l’Estonie et l’Ukraine que nous avons placées cependant dans le groupe précédent en raison de leur évolution négative dans les dernières années. Il faut toutefois faire preuve de beaucoup de retenue dans l’interprétation des séries des pays d’Europe de l’Est à partir des années 1990.

Figure4.32 – Evolution de la surmortalité des jeunes hommes entre 1970 et 2010

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Le cas des pays de l’Europe de l’Est, qui présentent des évolutions contrastées, est trompeur, à l’image de la Russie où la surmortalité disparait alors qu’elle est en hausse dans d’autres pays. Cette apparente divergence n’est en réalité qu’un artéfact statistique dû au fait que la nature de la bosse de surmortalité devient de plus en plus éloignée de ce pour quoi nos outils de mesure ont été conçus. En effet, dans ces pays la courbure de la force de mortalité ne se limite plus aux jeunes adultes mais s’étend largement au-delà. La mortalité ne dévie plus momentanément de sa trajectoire exponentielle ; elle ne fait que ralentir et retrouver une pente moins forte mais à un niveau général très élevé. Le modèle de Heligman et Pollard, ainsi que nos mesures non-paramétriques sont par conséquent dépassés. En laissant le modèle d’Heligman et Pollard totalement libre dans les valeurs de ses paramètres, nous observons d’ailleurs que ces derniers sont utilisés à des fins complètement dif-férentes de celles pour lesquelles ils avaient été définis. Ainsi, par exemple dans le cas de l’Ukraine en 2005, le paramètre F indique une bosse de surmortalité centrée

Figure4.33 – Evolution de la surmortalité des jeunes femmes entre 1970 et 2010

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à 770 ans ( !) qui permet d’utilise cette bosse comme une correction à l’évolution du rythme de sénescence qui connait une courbure entre 10 et 40 ans (figure 4.34).

En raison de cette forme particulière du risque de décès par âge, il devient impos-sible d’identifier un point auquel la déviation de la force de mortalité s’arrête puis-qu’elle se prolonge pour ainsi dire indéfiniment dans la phase de sénescence. Cela explique que la méthode de détection non-paramétrique utilisée jusqu’ici conclue soit à l’absence de bosse de surmortalité des jeunes adultes, soit à l’existence d’une bosse totalement disproportionnée. Les résultats obtenus pour la majorité des pays de l’Europe de l’Est dès le début des années 1990 doivent dont être écartés car relevant d’une question de recherche totalement différente de celle qui nous occupe.

En effet, ces résultats démontrent que la bosse de surmortalité des jeunes adultes ne peut plus être considérée de la même manière pour les pays de l’ex-URSS et

Figure4.34 – Force de mortalité des hommes ukrainiens en 2005

0 20 40 60 80

−8

−7

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−5

−4

−3

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âge

ln(q)

paramètres estimés A = 0.00142 B = 0.035 C = 0.113 D = 0.378 E = 0.421 F = 770 G = 1.94e−05 H = 1.11 obs

HP 2e terme

anciennement communistes après la chute du régime soviétique. Cette évolution particulière est due à la crise sanitaire qu’ils connaissent dès le début des années 1990. Cependant, "the obvious assumption that the increase in mortality was di-rectly caused by mass absolute deprivation and the degradation of the health system cannot be accepted on the basis of the existing evidence" (Shkolnikov et al. 1998, 1995). Au contraire, la crise semble être liée à l’abandon des politiques de restric-tion de la consommarestric-tion d’alcool, comme le suggèrent les récents succès enregistrés par la réintroduction de telles mesures de santé publique (Jasilionis et al. 2014).

Nous l’avons déjà souligné, le manque de connaissances des causes de décès par pays limite l’interprétation de ces courbes. Nous pouvons toutefois lancer quelques pistes d’interprétation. De manière générale, dans les dernières décennies, la stag-nation, voire la hausse de la surmortalité des jeunes adultes est toujours alimentée par une proportion élevée d’accidents de circulation. Cependant, cette cause de