• Aucun résultat trouvé

Q U ’ EST CE QU ’ UNE COMMUNAUTÉ VIRTUELLE ?

ÉTHIQUE DES DONNÉES

4.1 Q U ’ EST CE QU ’ UNE COMMUNAUTÉ VIRTUELLE ?

Linguistiquement parlant, le terme communauté est un dérivé de l’adjectif « commun » et la première définition affichée dans le dictionnaire Larousse pour cette entrée est « état, caractère de ce qui commun à plusieurs personnes ». D’un point de vue sociologique, le concept de communauté désigne « un groupe social plus ou moins circonscrit partageant une caractéristique unique, très souvent matérialisé par des liens institutionnels » (Schrecker, 2006, p. 11). À partir de ces deux définitions, un premier élément important dans la constitution des communautés surgit : le rassemblement d’un groupe de personnes autour d’un centre d’intérêt commun. Ce concept, très développé dans le monde anglo-saxon, trouve son origine dans les travaux de Tönnies (1887 cité par Schrecker, ibid.), un sociologue allemand, qui l’oppose à la société. Selon cet auteur, les comportements des membres d’une communauté sont régis par une volonté organique. Autrement dit, l’attachement et l’affection que l’individu éprouve envers sa famille ou son village sont principalement guidés par des liens du sang. Tandis que les comportements des individus dans la société sont fondés sur une volonté réfléchie et sur des décisions plus libres (ibid).

Quoi qu’il en soit, la définition de la CoV évolue au fil du temps et diffère selon l’appartenance scientifique des chercheurs. Dans une perspective anthropologique par exemple, l’existence d’une communauté est considérée aussi naturelle que l’existence de l’Homme même. Suivant ce point de vue, nous appartenons simultanément dans la vie réelle à plusieurs communautés et cela parfois sans même en être conscients. À l’encontre de cette idée, selon laquelle une communauté est une réalité et non pas un idéal à atteindre, Dillenbourg et al. pensent que « le terme communauté est en quelque sorte un label de qualité relatif au fonctionnement des groupes, en particulier à l’intensité des interactions qui s’y déroulent » (op.cit., 2003, p.28).

Avec l’essor de la technologie, l’adjectif virtuel vient s’ajouter pour attribuer une dimension supplémentaire au concept de communauté, mais aussi pour susciter un débat autour de la question de la virtualité comme opposition, ou non, à la réalité. Si les

97 communautés en ligne15 sont virtuelles, sont-elles irréelles ? Weinreich (1997), oppose l’adjectif virtuel à sensuel dans la mesure où le cyberespace n’est pas moins réel que la vie hors ligne, mais un élément important y manque : les interactions en face-à-face ou le contact physique et tout ce que cela implique de paraverbal et non- verbal. Flichy (2001, p. 163) interprète le virtuel en deux sens. La première acception qu’il lui donne désigne une projection dans le réel en faisant référence aux informaticiens qui créent des logiciels de simulation pour mener des expérimentations ou des entrainements comme les simulateurs de vols. Dans une deuxième acception, le virtuel ne désigne pas une reconstitution du monde réel, mais consiste à en créer de nouveaux pour s’en échapper. Dilenbourg et al. (op.cit.) mettent provisoirement un terme à ce débat, en précisant que l’adjectif dans l’appellation communauté virtuelle ne caractérise guère la communauté en elle-même, mais le mode de communication adoptée.

Revenons à l’interrogation principale : qu’est-ce qu’une communauté virtuelle ? La définition la plus citée dans les recherches à ce propos est celle de Rheingold (1993) qui la définit comme :

des regroupements socioculturels qui émergent du réseau quand un nombre suffisant d’individus participent à ces discussions publiques pendant assez de temps en y mettant suffisamment de cœur pour que des réseaux de relations humaines se tissent au sein du cyberspace. (traduction par Marcoccia, 2001, p. 180).

Cette définition ne met pas seulement en avant les traits spécifiques d’une CoV, mais surtout une condition principale pour le passage du réseau en communauté, à savoir la dimension relationnelle qui est considérée comme la pierre angulaire de la constitution des communautés. Toutefois, selon Marcoccia (ibid.), cette définition entraine des ambigüités, notamment due aux expressions comme « nombre suffisant d’individus », « assez de temps » et « suffisamment de cœur» qui sont très floues.

Dans son ouvrage The Virtual community, Rheingold (op.cit.) raconte sa propre expérience en tant que membre d’un groupe de discussion Well. Dans cet ouvrage, qu’on pourrait qualifier de récit ethnographique, l’auteur explique comment des liens forts se sont

15

98 noués au sein de la communauté et comment les membres se confiaient et racontaient les péripéties de leurs vies quotidiennes. Il rapporte un des messages envoyés dans la communauté par l’une des membres dont la fille était malade :

before this time, my computer screen had never been a place to go for solace. Far from it. But there it was. Those nights sitting up late with my daughter, I'd go to my computer, dial up the WELL, and ramble. I wrote about what was happening that night or that year. I didn't know anyone I was "talking" to. I had never laid eyes on them. At 3:00 a.m. my "real" friends were asleep, so I turned to this foreign, invisible community for support. The WELL was always awake. (chap.1, section The heart of the Well).

Weinreich adopte une position radicalement opposée puisqu’il avance qu’une communauté ne peut pas être formée exclusivement sur Internet, surtout que souvent les personnes d’une communauté cherchent à se rencontrer hors ligne une fois qu’elles se sont rencontrées en ligne:

you may get to know other people through CMC, the Net will provide the means to maintain contact and interconnections between people and organizations. But they won't constitute communities because CMC cannot substitute for the sensual experience of meeting one another face-to-face. Trust, cooperation, friendship and community are based on contacts in the sensual world. You communicate through networks but you don't live in them (op.cit.,section There's no living in the nodes).

Herring va dans le même sens lorsqu’elle souligne que « text-based computer-mediated communication is impersonal and distancing, making it useful for the transfer of information but unsuitable for personal relationships » (1996, p. 4). De leur côté, Preece et Maloney- Krichmar confirment que construire une relation en ligne est difficile, mais non impossible « developing shared understanding (i.e, establishing common ground) a sense of social presence, empathy, and trust is therfore usually harder, which in turn makes developing relationships slower and more difficult » (op.cit., p.9).

Même si certains chercheurs utilisent les termes groupe et communauté indifféremment (Henri et Lundgren-Cayrol, 2001) une distinction, est tout de même, mise en avant dans la littérature entre ladite communauté et les autres organisations sociales, comme les réseaux (Daele et Charlier, 2006). D’après Dillenbourg, et al. (op.cit.) la communauté se distingue des groupes d’amis et des groupes formels tout en présentant quelques caractéristiques communes (voir la figure ci-dessous). La flèche du continuum est la partie originale du schéma, à laquelle nous avons ajouté la partie inférieure afin d’illustrer les différences ainsi que les similitudes entre les trois organisations sociales telles qu’elles sont vues par les chercheurs

99

Figure5 : différences et similitudes entre la communauté et les autres organisations sociales selon Dillenbourg, et al.(2003)

Pour ces auteurs, la communauté se trouve au centre d’un continuum dont les deux pôles sont le groupe d’amis et le groupe formel. Le groupe d’amis est un ensemble qui se fonde principalement sur l’affinité mutuelle entre ses membres ne partageant pas forcément des points d’intérêt communs. À contrario, un groupe formel se fonde, lui, sur la complémentarité entre les membres de point de vue des compétences et des besoins stipulés afin d’atteindre un objectif précis.