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TECHNODISCURSIF DE F ACEBOOK )

7.3 DISSCUSSION DES RÉSULTATS

Les résultats ont montré que la langue française est la langue la plus présente. Malgré le fait qu’aucun contrôle de la part d’un enseignant n’est exercé, les participants font des efforts et ont visiblement la volonté de communiquer en français. Ce résultat vient confirmer l’objectif du Groupe qui est la pratique du français. Le français est donc une langue partagée entre les participants, ce qui constitue un code commun (voir 8.1.1). La langue arabe est utilisée également, mais à un moindre degré. Le recours à la langue maternelle n’est pas surprenant dans la mesure où les apprenants d’une langue étrangère compensent souvent le manque de savoirs linguistiques par le recours à une langue qu’ils maitrisent mieux. Lam (2004) dans une étude de cas déjà évoquée dans l’introduction de la thèse, montre comment des participants Chinois anglophones (migrants ou non) construisent leur identité via l’utilisation de l’alternance codique à travers le clavardage et comment ils ont recours à des procédés d’alternance de manière consciente et sélective parfois pour des raisons humoristiques. Vu l’étendue de la littérature sur le phénomène de l’alternance codique, nous n’allons pas entrer dans les détails, mais cela n’empêche pas de présenter quelques exemples d’utilisation de la langue maternelle dans le Groupe. Dans l’exemple suivant, l’arabe est utilisé pour assurer la compréhension. Après plusieurs échanges de commentaires avec son interlocuteur, « Salha » lui a demandé « tu vois ce que je veux dire », « Salem » n’a toujours pas compris et a répondu « non wallah 31» (qui est aussi un exemple d’utilisation de la langue arabe), alors Participant 2 a recours à l’arabe pour mieux expliquer ce qu’elle voulait dire :

31

Wallah veut dire « je te jure ». Littéralement cette expression est composée de la préposition « et » et le mot « Dieu ».

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Figure 38: une participante a recours à l’arabe pour mieux expliquer ce qu'elle voulait dire

L’utilisation de l’alternance codique pour des raisons humoristiques a été aussi relevée. Dans l’extrait suivant, un des participants a remplacé un mot dans une expression libyenne par son équivalant français. La traduction littérale de l’expression est « que Dieu te donne un point ». C’est une expression utilisée entre amis pour remplacer des souhaits négatifs comme « que Dieu te donne du mal » en la rendant ainsi neutre et cette expression est utilisée pour se taquiner.

Figure 39: une participante a eu recours au français pour des raisons humoristiques

Dans l’exemple suivant, un participant emploie le mot arabe « zarda » qui signifie : inviter ses amis et ses proches à un repas pour célébrer un évènement (toucher son premier salaire, acheter une nouvelle voiture, avoir son permis de conduire, etc.). Dans ce cas, le recours au mot arabe « zarda » peut prêter à deux interprétations différentes. Première interprétation, le recours à ce mot remplirait une lacune lexicale. Quant à la deuxième interprétation, il est possible que les participants perçoivent ce mot comme étant culturellement chargé et si ancré dans une culture partagée, qu’ils préfèrent le dire en arabe,

188 tout comme des expressions comme alhamd Allah32 ou salam alaykoum33que nous avons trouvées dans le corpus.

Figure 40: un participant emploie un terme arabe pour compenser peut-être une lacune lexicale

Nous avons montré que les analyses révèlent que la fonction la plus présente est la fonction poétique. On observe des publications d’écriture « poétique » ou des essais rédigés par les particiapants mêmes. L’exemple suivant est un petit texte écrit par un des participants qui serait inspirée peut-être de l’émission Bref34 :

32 Traduction : Dieu merci. 33

Traduction : formule de salutation qui veut dire que la paix soit sur vous.

34

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Figure 41: exemple de production des participants 2

D’autres essais rédigés par les apprenants sont très peu compréhensibles. Nous pensons que ces derniers se sont servi d’outils de traduction automatique de l’arabe vers le français pour rédiger leurs textes :

Figure 42: exemple d’un essai d'écriture « poétique »

Ces publications « poétiques » présentant des caractéristiques très proches de la twittérature. La communauté Institut de Twittérature Comparée35 regroupant des personnes autour de ce phénomène définit la twittérature comme « utilisation de la plate-forme de micro-bloguage Twitter à des fins de création littéraire », elle explique également que :

ce détournement de Twitter et son usurpation par les passionnés du discours bref définit la twittérature. La twittérature produit des textes exempts des signes cabalistiques pourtant familiers des utilisateurs de Twitter ; les @, les #, les http, sont rarement utilisés par les twittérateurs. Tout l'espace est occupé par un texte littéraire de petit format, par ses métaphores, ses allitérations, ses jeux de mots.

Paveau étudie de son côté la twittérature et explique que :

sur le plan technodiscursif, la twittérature est non technologique et c’est là que réside le paradoxe. Alors que la twittécriture est une techno-écriture par définition (usage des hashtags et des pseudos comme technomots clicables liens hypertextuels, etc.), la twittérature est linéaire, c’est-à dire non technique et non réticulaire (2013b, p.20).

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190 Nous nous demandons si la culture d’origine a une influence quelconque sur la prédominance de cette fonction. De manière générale, la littérature a toujours occupé une place importante dans la culture arabe depuis les Mu’allaqât36. Les Arabes archivaient le

moindre évènement historique, règles complexes comme celles d’héritage en islam ou de versification, par la poésie afin de faciliter la mémorisation et la transmission. D’ailleurs, chaque lettre de l’alphabet arabe correspond à une valeur numérique. Par exemple la lettre [ra] correspond au chiffre 200. Afin d’archiver des dates importantes, les Arabes créaient de petites phrases rythmiques faciles à retenir dont il suffit par la suite d’additionner les valeurs de chaque lettre pour obtenir la date. Cette culture n’aurait-elle pas une influence sur les échanges ? En tout état de cause, nous pensons qu’il est difficile de répondre de manière catégorique à cette interrogation, mais, il est évident que les échanges des apprenants sont imprégnés, comme toute communication, de la culture d’origine.

Un autre élément qui pourrait influencer cette prédominance de la fonction poétique est la culture d’usage telle que nous l’avons déjà abordée précédemment. Atifi et Marcoccia (op.cit) l’abordent en tant que norme située. Paveau (2013b), Pour sa part, aborde la notion de « technoculturel » concernant Twitter :

J’appelle pratiques technoculturelles un ensemble de pratiques nées au sein de la communauté des twittos, et qui n’étaient pas inscrites dans le programme de départ du service en 2006. Ce sont en effet les usagers qui ont inventé par exemple le « followfriday », siglé en #FF et doté du croisillon : tous les vendredis, les usagers peuvent indiquer à leurs abonnés des comptes à suivre en faisant précéder ou suivre leur message de ce hashtag. De même, le jeudi est traditionnellement le jour de la #jeudiconfession, où il est de coutume de formuler un tweet qui soit ou ressemble à ou prétend être une confession, sur le mode ludique ou sérieux. À l’origine, le service Twitter n’a fourni que les possibilités techniques, que le techno- de technodiscours ; ce sont les usagers qui, s’appropriant l’espace de communication, les formes d’écriture et la technologie, ont contribué à créer ce que j’appelle des formes technolangagières. On a donc là quelque chose qui ressemble à une communauté discursive, si on la définit comme un ensemble de locuteurs qui partagent des usages (et non des formes) et des rapports au langage et au discours. (p.17).

Notre analyse montre que les deux autres fonctions les plus répandues sont les fonctions phatique et conative. Nous pouvons donc déduire que les échanges dans le Groupe observé ont comme objectif premier la socialisation plutôt que la transimission d’information (la fonction référentielle est parmi les fonctions les moins présentes) contrairement à l’étude de

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Mu’allquât (ou les suspendus en français) sont les sept poèmes médiévaux jugés exemplaires et ont été brodées en lettres d'or puis suspendues à la Ka'ba à La Mecque et cela à l’époque préislamique.

191 Ciussi (2009) qui montre que la dimension de transmission d’information est la dimension la plus présente dans les échanges entre étudiants