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Vers une approche écologique pour l’analyse du discours numérique

ÉTHIQUE DES DONNÉES

2.2 L ES SCIENCES DU LANGAGE AU SERVICE DE LA CMO

2.2.7 Vers une approche écologique pour l’analyse du discours numérique

• Le modèle de Peraya : en 1993 l’ouvrage Introduction aux théories de la

communication (Meunier et Peraya, 1993) propose un modèle d’analyse des médias scripto-

audio-visuels, dits aussi classiques, tels que les images publicitaires, les magazines ou les films. Avec l’émergence des technologies, Peraya s’est intéressé tout particulièrement à la communication pédagogique médiatisée notamment dans le cadre de la formation à distance. Dix ans plus tard, une nouvelle version de l’ouvrage (Meunier et Peraya, 2004) a été publiée en adaptant le modèle aux nouvelles formes de communication. L’analyse techno- sémiopragmatique des médias est alors développée. Elle se veut un modèle générique et unique qui « devrait permettre d’abolir la distinction entre les médias-classiques- ceux qui relèvent du monde de l’audiovisuel analogique et ceux –numériques- qui se sont développés sur base des technologies digitales et informatiques » (ibid., p.366). Pour Peraya les dispositifs techno-sémiopragmatiques articulent trois instances : sémiotique, technique et social et il les définit comme :

l’ensemble des interactions auxquelles donnent lieu tout média, toute machine à communiquer, toute technologie de l'information et de la communication (TIC) entre les trois univers technique, sémiotique, enfin social ou relationnel. Les TIC se constituent en effet à la frontière de ces trois univers. (Peraya, 2000)

67 En faisant référence à la théorie de Vygotski, Peraya (ibid) considère tout acte de communication comme un acte médiatisé, même la communication en face à face dans la mesure où le langage est un outil cognitif. L’adjectif « médiatisée » utilisé par Peraya dans l’expression « communication médiatisée » ne fait pas référence à son acception réductrice qui pourrait être comprise comme une diffusion de la communication par un média, mais il sous-tend surtout l’idée d’un médium. L’auteur considère les médias en tant que technologie intellectuelle qui forme et organise la pensée :

les formes symboliques doivent être considérées comme des formes d'objectivation du réel, structurant nos connaissances et guidant nos actions » comme l’écriture qui « a déterminé, en effet, l'émergence d'une forme de rationalité, de logique et d'objectivité dont l'effet liste constitue un très bon exemple. (Peraya, 1996)

L’aspect social dans ces dispositifs réside dans le fait que ces derniers constituent un espace social d'interactions dans le sens où tout processus de communication implique un destinateur et un émetteur. L’auteur explique qu’une observation profonde montre bel et bien comment les rituels sociaux se voient modifiés avec les technologies comme les formes et le rythme des interactions, la prise de parole, etc.

• Le modèle de Paveau : les travaux de Paveau portent essentiellement sur le discours et le discours numérique qu’elle définit :

comme une production technolangagière native de l'internet, plus particulièrement du web. Son trait principal est de constituer des formes composites, c'est-à-dire métissées de technique et de langagier. L'analyse du discours numérique a pour objectif de rendre compte du fonctionnement de ces formes dans les écosystèmes connectés. (2011).

Le discours d’Internet serait donc une production qui n’est pas strictement verbale, mais plusieurs éléments font partie constituant ainsi un écosystème. C’est un discours natif produit directement en ligne contrairement aux documents initialement produits sur papier et ensuite numérisés.

La vision que Paveau (2012) développe dans ses travaux sur le langage de manière générale trouve son origine dans la théorie écologique de la perception, appelée aussi théorie des affordances, de Gibson (1979, cité par Parveau, ibid.) élaborée au sein de la psychologie cognitive. En appliquant cette théorie à l’activité langagière, Paveau tente de rendre compte du rôle des objets dans les environnements où se déroule la production de l’énoncé. Le langage serait donc :

considéré comme une activité située et non plus autonome, articulée sur les autres activités humaines et inscrite dans l’environnement humain et non humain, et non plus seulement interindividuelle. Dans

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cette perspective, les objets naturels et artificiels constituent des contributeurs à la production des discours et non plus un simple décor de l’activité de langage (2012, P. 54).

Comme chez Peraya, Paveau emprunte la notion de technologie intellectuelle pour développer celle de technologie discursive « pour désigner des techniques, artefacts ou objets qui configurent, formatent, et informent les prédiscours10 en vue de l’élaboration des

discours » (2007, paragr. 8).

L’approche défendue par Paveau dans ses recherches est donc une approche écologique dont les références théoriques sont résumées ainsi :

J’aborde les discours natifs en ligne avec les outils de la théorie du discours ouverte sur la cognition distribuée (Paveau 2012d et e), et ceux de l’analyse du discours numérique centrée sur la notion de technologie discursive. Je me situe dans le cadre épistémologique de ce que j’appelle la linguistique symétrique, qui souhaite discuter les conceptions logocentrées de la linguistique TDI mainstream (Paveau 2009). (2013c, p. 140).

Même si d’autres courants de la linguistique, comme l’approche interactionniste ou l’analyse conversationnelle, proposent d’étudier le discours dans son contexte aussi bien linguistique qu’extralinguistique, pour Paveau l’environnement matériel dans ces approches reste réduit au corps et aux gestes non-verbaux. Avec le modèle proposé par Paveau, on assisterait à un déplacement de paradigme puisqu’elle ne considère pas les éléments extralinguistiques comme complètement exogènes, mais plutôt endogènes au discours constituant ainsi un tout inséparable. Dans ses analyses Paveau (2013c) considère, par exemple, Twitter comme un écosystème présentant des traits technodiscursifs particuliers. Un tweet serait une production métisse qui pourrait combiner des formes langagières et technolangagières. Ces dernières sont des mots cliquables comme l’URL, des consignes cliquables ou des technomots comme le hashtag. Afin de rendre compte de la complexité d’un tel dispositif, elle privilège l’emploi du terme environnement qui remplacerait celui de

contexte, utilisé dans l’analyse du discours, qui est centré essentiellement sur les facteurs

sociaux, historiques et politiques. Le terme « environnement » serait plus adapté et plus englobant de tous les éléments extralinguistiques constituants le discours numérique.

10 Le prédiscours est un concept développé par Paveau dans son ouvrage Les prédiscours (2006) par lequel elle

entend les données antérieures au discours et qu’elle le définit comme « un ensemble de cadres prédiscursifs

collectifs (savoirs, croyances, pratiques) qui donnent des instructions pour la production et l'interprétation du sens en discours »(P.14)

69 2.2.8 Les apports de l’approche écologique à notre étude

Nous rappelons que dans le cadre de notre travail, nous analyserons des échanges d’apprenants libyens sur FB. Le schéma ci-dessous présente l’environnement où se déroulaient les échanges. Cet environnement est constitué de plusieurs éléments entrant en jeu dans l’analyse et qui s’imbriquent d’où notre choix de l’image de l’engrenage. Nous étudierons trois dimensions principales : langagière, sociale et technologique. En effet, il est difficile de parler de pur aspect langagier des échanges lorsqu’il s’agit d’échanges se déroulant dans un environnement numérique, tout comme nous ne pouvons pas seulement prendre en compte l’aspect technologique, ce qui serait une vision technocentrée.

Figure 2: les éléments entrant en jeu dans notre analyse.

Nous mettrons donc en évidence la dimension langagière grâce aux outils d’analyse du discours et la dimension sociale à travers l’étude de la construction d’une communauté virtuelle et le sens que les apprenants donnent à leurs activités sur le Groupe (perceptions vis- à-vis de FB). Quant à la dimension technologique, nous l’étudierons à travers les formes technolangagières propres à l’espace numérique FB comme le « j’aime » et son usage dans la mesure où « la technique n’est pas un simple "support", mais bien un composant structurel des discours » (Paveau, 2013a). Toutes ces dimensions s’inscrivent dans un contexte

70 sociopolitique et culturel particulier que nous prenons en compte, à un moindre degré certes, mais qui nous fournira des éléments d’interprétation de certains phénomènes.

L’intérêt du modèle développé par Paveau par rapport à celui de Peraya, réside dans le fait qu’il considère le contexte de production verbale dans un sens très large et fédérateur qui combine des aspects humains et non humains qui ne sont pas forcément liés directement à l’espace numérique même :

les observables ne sont plus seulement des matières purement langagières, mais des matières composites, métissées d’autre chose que du langagier, c’est-à-dire du social, du culturel, de l’historique, du politique, mais aussi de l’objectal, du matériel, et donc du technologique. Il faut alors repenser le contexte dit « extralinguistique » comme un écosystème où s’élabore le discours et non comme un arrière-plan du discours, ce qui maintiendrait son extériorité.(Paveau, 2013c, p. 141).

En revanche, les trois aspects que Peraya met en évidence dans l’étude des dispositifs de CMO, la technique, la sémiotique et le social, restent des dimensions intrinsèques des dispositifs. Quand il parle du social, par exemple, il entend les relations tissées au sein des dispositifs mêmes et non pas dans un sens large qui comprend aussi des comportements relatifs à la société. C’est tout naturellement donc que nous nous dirigeons vers l’approche écologique d’analyse du discours numérique proposée par Paveau qui nous semble offrir un cadre pertinent et cohérent pour encadrer notre analyse.

2.3 S

YNTHÈSE

Nous avons présenté dans ce chapitre les principaux fondements théoriques auxquels nous nous référons dans le cadre de ce travail. Nous avons discuté la question du formel et de l’informel et nous avons argumenté en faveur d’une continuité entre ces deux situations d’appropriation comme nous allons le voir dans le chapitre suivant concernant les pratiques d’appropriation de langue en utilisant FB. Au travers de la littérature sur les outils de la communication médiée par ordinateur, nous avons noté des différences fondamentales au niveau de la production verbale non seulement selon l’outil utilisé, mais également selon que les échanges ont lieu dans une une situation formelle on informelle. Cette réflexion nous aidera à intrépréter nos résultats concernant les caractéristiques des échanges (voir 7.5)

Nous avons présenté les outils empruntés, entre autres, à l’analyse du discours et à l’analyse conversationnelle. Plusieurs modèles relatifs à l’analyse de la communication médiée par ordinateur ont été discutés : un modèle américain proposé par Herring (op.cit.) et deux autres francophones proposés respectivement par Peraya (op.cit.) et Paveau (op.cit).

71 Nous avons procédé par élimination et avons déduit que le modèle le plus pertinent pour notre travail serait celui de Paveau.

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3 ÉTAT DE LART

SUR LES RÉSEAUX SOCIONUMÉRIQUES

Il est inutile de rappeler qu’Internet fait à présent une partie intégrante de la vie quotidienne des jeunes (Hulme, 2009). Plusieurs travaux portant sur l’usage d’Internet soulignent que la consultation des réseaux sociounumériques constitue l’activité principale des utilisateurs (Madden et Zickuhr, 2011 ; Salem, Mourtada, et Alshaer, 2014). Cependant, lors de la phase de documentation, la littérature traitant des applications du Web 2.0 nous a paru dense et parfois même difficile à s’approprier. Tantôt on parle du Web 2.0, tantôt du Web participatif ou encore des sites de réseaux sociaux. Ces termes utilisés parfois à tort comme des synonymes renvoient, en effet, à des réalités différentes (Zourou, 2012). L’objectif de ce chapitre donc est d’apporter un certain éclairage à ce propos afin de justifier nos choix terminologiques. Nous essaierons également, dans un deuxième temps, de dresser un bilan des travaux existants sur les réseaux socionumériques de manière générale. Par ailleurs, nous jugeons important de porter une attention particulière aux études antérieures faites au sujet de Facebook (FB) et l’appropriation des langues pour positionner d’une manière adéquate notre recherche et identifier ses apports éventuels. Pour ce faire, nous réaliserons une méta- analyse qualitative de 38 publications portant sur FB et l'usage qu’en font des étudiants dans des contextes divers. Ce chapitre nous permettra ainsi de confronter nos résultats à ceux des études précédentes.