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L’ ÉMERGENCE DES COMMUNAUTÉS VIRTUELLES

ÉTHIQUE DES DONNÉES

4.2 L’ ÉMERGENCE DES COMMUNAUTÉS VIRTUELLES

Dans ce sous-chapitre, une interrogation principale sera au cœur de notre réflexion : si la CoV est différente des autres formes de regroupements, comment la différencie-t-on ? En d’autres termes, quelles sont les spécificités qui nous permettent d’en définir une ? Nous synthétisons les différentes caractéristiques des CoV que nous avons pu repérer dans différents travaux scientifiques. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que lesdites caractéristiques ne sont pas toutes présentes dans toutes les CoV.

Dejean-Thircuir (op.cit.) dans son étude, concernant une communauté d’apprenants, a pu définir certains indicateurs de constitution d’une CoV comme: le dévoilement de soi, l’humour, la gestion des conflits, le partage des normes et la construction d’un code commun. Marcoccia (2001) quant à lui, en s’appuyant sur des travaux issus de Computer-Mediated

100 d’appartenance, la construction des identités des membres, l’importance de la dimension relationnelle des échanges, l’engagement réciproque des membres, le partage des valeurs et des finalités du groupe, l’émergence d’une histoire commune, la durée des échanges, l’existence de principes de pilotage des comportements des membres et enfin, la réflexivité du groupe. Le chercheur a analysé essentiellement les comportements communicatifs observables dans un forum d’amateurs de vin permettant de dire que ces conditions sont remplies. Ainsi, on peut considérer que les comportements communicatifs sont des indicateurs de la constitution (ou non) des CoV. Dillenbourg et al. (op.cit.), de leur côté décrivent six caractéristiques d’une communauté virtuelle:

Interdépendance et implication : l’implication d’une personne dans une communauté

est relative au temps consacré à y participer, à aider les autres membres et à rendre service à la communauté entière. Concrètement, cela signifie la participation à la construction des connaissances en répondant, par exemple, aux questions posées sur un forum, ou corriger un article sur Wikipédia ou encore raconter une expérience personnelle sur un site de voyage. Les membres d’une communauté sont conscients que certaines difficultés ne peuvent pas être surmontées sans la contribution des autres et l’accumulation des savoirs. Néanmoins, le degré d’engagement n’est pas égal chez tous les membres et certains sont plus impliqués que d’autres. (voir ci-dessous 4.3)

Construction d’une micro-culture: la construction d’une culture commune s’avère

une étape importante. Cette culture se construit au fur à mesure avec le partage de la vie communautaire ou d’une histoire commune, et comme l’expliquent Dolici et Spinelli (2007) « l’interaction devient un élément fondamental pour générer la culture ». Cette culture commune se constitue de valeurs, de pratiques, de codes et de règles . Les règles sont parfois préétablies et annoncées clairement comme une charte de bon usage et les personnes ne respectant pas ces règles risquent l’exclusion du groupe. Par exemple, dans un Groupe Facebook rassemblant des amateurs du crochet on trouve ce texte destiné aux membres :

our group is closed for the privacy of our members, please do not share their photos without their permission. Many members are making gifts for friends and family and do not wish for it to be seen. We want a peaceful environment within the group, be respectful to each other and accepting of others opinions even if they differ from your own. If an artist posts their work, do not criticize unless they are specifically asking for your help or feedback.

101 Dolci et Spinelli (op.cit.) parlent d’idioculture c’est lorsqu’un micro-groupe construit sa propre variante culturelle qui est « une interprétation locale d’une culture plus vaste » (ibid.parag.12) et Wenger (2005) parle de répertoire partagé.

Organisation sociale : l’organisation sociale d’une communauté en ligne présente la

caractéristique d’être peu structurée et peu hiérarchisée. D’ailleurs, l’organisation sociale peut être aussi régulée par les paramètres techniques disponibles dans l’application. Dans un Groupe Facebook, par exemple, le créateur d’un Groupe est désigné comme administrateur qui aura la possibilité technologique, à lui seul, de nommer d’autres personnes en tant que modérateur. Les administrateurs ont le droit de supprimer des publications voire bannir des personnes du Groupe s’ils jugent cela nécessaire à la cohésion du groupe. Cependant, comme cela a été déjà indiqué, l’implication des membres n’est pas homogène. Les personnes les plus investies forment le noyau de la CoV, tandis que l’on en trouve d’autres qui le sont moins, en périphérie. Cette différence au niveau de la participation est loin d'être un désavantage, Wenger, McDermott et Synder (2002), indiquent que c'est l’un des critères d’une communauté de qualité. Pour étudier l’organisation sociale d’une CoV un appel aux méthodes structurales d’analyse des réseaux sociaux pourrait être pertinent ( nous y reviendrons plus loin 6.2).

Sélection spontanée et croissance organique : dans une communauté, la sélection

des membres se base sur le partage d’intérêts et sur la participation volontaire. Cependant, dans certains types de communauté les membres sont présélectionnés et définis en amont comme dans les communautés d’apprenants dont les membres sont des étudiants d’une classe ou d’une école par exemple.

Longévité : l’identité d’une CoV n’émerge pas d’un jour à l’autre. La durée des

échanges fait surgir la micro-culture et l’histoire commune de la communauté. Autrement dit, plus les membres passent du temps ensemble plus ils apprennent à se connaitre et à partager plus de choses. En général, les communautés sont construites dans le but de durer, mais leur durée est souvent imprévisible et dépend largement de l’engagement de ses membres. Par contre, certaines communautés comme les communautés d’apprenants ou les communautés d’intérêt finalisé (voir infra) durent juste le temps de la réalisation d’une tâche. Malgré cela, ces collectifs pourraient perdurer même après avoir accompli la mission stipulée en se

102 transformant en d’autres types de CoV. Par exemple, les membres d'une communauté d’apprenants peuvent émigrer de l’espace virtuel institutionnel géré par l'enseignant vers un autre espace plus informel pour continuer à échanger même après que le délai officiel de leur communauté soit fini, mais cette fois-ci d’une manière spontanée et libre (Lamy, 2011 ; Liaw et English, 2013)

L’espace : les communautés en ligne s’organisent autour d'espaces virtuels qui

permettent les échanges malgré la distance physique qui sépare les membres. Dillenbourg et

al. (op.cit.) attribuent deux fonctions à l’espace. Premièrement, il permet de délimiter les

frontières de la communauté, donc de distinguer « ceux qui sont dehors et ceux qui sont dedans ». Deuxièmement, il permet de fournir un contexte communicationnel dans la mesure où chaque espace virtuel est souvent lié à des pratiques sociales conventionnelles. Selon Marcoccia (2001) la délimitation de l’espace contribue ainsi à l’émergence du sentiment d'appartenance. Dans le tableau suivant, nous présentons les indicateurs définis par différents auteurs que nous avons pu repérés dans les recherches scientifiques :

Auteur(s) Caractéristiques/Indicateurs de la constitution d’une CoV Dejean-Thircuir

(2008)

Dévoilement de soi (l'univers, les émotions, l'humour),

Gestion des conflits, partage de normes et construction d'un code commun (attachement aux rituels d'interaction, traces de la construction d'un langage et d'un code communs)

Dillenbourg et al. (2003)

Interdépendance et implication ; micro-culture (valeurs, codes, rites, règles conversationnelles, pratique) ; organisation sociale ; sélection spontanée et croissance organique ; espace ; longévité.

Marcoccia (2001)

sentiment d'appartenance des membres, possibilité pour les membres de construire leurs identités dans la communauté, importance de la dimension relationnelle des échanges, engagement réciproque des membres, partage des valeurs et des finalités du groupe,émergence d'une histoire commune, durée des échanges, existence de principes de pilotage des comportements des membres du groupe et de mécanismes de résolution de conflit dans le groupe, réflexivité du groupe.

Wenger et al. (2002) Engagement mutuel, entreprise commune, un répertoire partagé.

Tableau 14 : Récapitulatif des indicateurs de la constitution d’une communauté virtuelle.

Bien que ces différentes caractéristiques offrent un cadre afin d’étudier la constitution des communautés, Parks (2011) pense que certaines de ces spécificités sont difficiles à repérer directement. Il propose, donc, une approche alternative basée sur l’étude des affordances sociales rendant possible la constitution d’une communauté virtuelle. Par affordances sociales

103 l’auteur entend : «the possibilities for action that are called forth by a social technology or environment. Thus, pencils "call forth" writting ; telephones call forth talking ; and photocopier stations in offices call forth informal interaction among the employees who gather around them » (p.109). L’auteur définit trois types d’affordances sociales disponibles sur MySpace : affordances d’adhésion ; affordances d’expression personnelle et affordances de connexion. Les affordances d’adhésion concernent le type du profil de la personne public/ semi- public et la date de sa dernière connexion. Les affordances d’expression personnelle concernent la personnalisation du profil à travers des thèmes disponibles sur le réseau socionumérique et la présence, ou non, d’une photo personnelle. Quant aux affordances de connexion, elles concernent le nombre d’amis et le nombre de commentaires reçus. Selon cet auteur, la présence de ces différentes catégories d’affordances sociales favoriserait le sentiment d’appartenance communautaire. Dans cette même étude, Parks a défini deux degrés d’engagement vers une communauté : faible et fort. Le fort degré d’engagement implique : une dernière connexion de moins de 7 jours, avoir au moins 10 amis, avoir reçu au moins 10 commentaires et avoir une photo personnelle sur le profil. Tandis que le faible degré d’engagement implique : une dernière connexion de moins de trois mois, avoir au moins deux amis, avoir reçu au moins deux commentaires, et avoir une photo personnelle. Parmi l’échantillon de son étude (1500 profils) 16,5% des personnes manifestent un faible degré d’engagement et seulement 13.5% répondent aux critères de fort degré d’engagement.