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déconstruire les problématiques autour du sujet, de quels moyens dispose-t-on pour envisager un au-delà de la pulsion d’ipséité (pour reprendre l’expression de Simone Regazzoni) ? Et surtout en quoi consiste cette pulsion, comment la définir, avec Freud ou après lui, au-delà des apports théoriques de sa pensée, encore ancrés dans la métaphysique selon Derrida ?

2. 2 - Au-delà des principes : la question de la souveraineté et

du pouvoir

a) La pulsion d’ipséité

Si la psychanalyse est convoquée par Derrida pour penser au-delà de Heidegger l’idée d’une désistance du sujet, il n’empêche que dans les États d’âme de la psychanalyse (en 2000) Derrida invective la psychanalyse. « Qu’est-ce qui ne va pas bien au-dedans de la psychanalyse, entre elle et elle, si je puis dire ? Qu’est-ce qui ne va pas bien ? Qu’est-ce qui souffre et se plaint ? Qui souffre de quoi ? Quelle est la doléance de la psychanalyse ? Quels cahiers de deuil ouvre-t-elle ? À signer par qui202 ? » Ces questions de Derrida à la psychanalyse renvoient à celle de la résistance, au concept de résistance, à la psychanalyse qui serait dans une résistance à soi, à son propre principe et qui ferait qu’elle « n’a pas encore entrepris et donc encore moins réussi à penser, à pénétrer et à changer les axiomes de l’éthique, du juridique et du politique, notamment en ces lieux sismiques où tremble le phantasme théologique de la souveraineté et où se produisent les événements géopolitiques les plus traumatiques, disons encore confusément les plus cruels de ce temps203. » Alors même que le geste de la psychanalyse, en ce sens révolutionnaire, aura été de déconstruire l’idée de souveraineté en interrogeant son ancrage onto-théologique « (autonomie et toute puissance du sujet – individuel ou étatique -, liberté, volonté égologique, intentionnalité consciente, le moi, l’idéal du moi et le surmoi etc.) », elle résiste pourtant à elle-même en continuant à ne pas véritablement interroger « la mutation au sujet du sujet et du sujet citoyen, c’est-à-dire des rapports entre la démocratie et la citoyenneté ou la non-citoyenneté, c’est-à-dire l’État et l’au-delà

202 Jacques Derrida, États d’âme de la psychanalyse – Adresse aux états généraux de la psychanalyse, Éditions Galilée, 2000, p. 17.

de l’État204. » Autrement dit, cette souveraineté, le premier geste de la psychanalyse aura été de l’expliquer, mais pour autant elle résiste à ne pas prendre en compte cette mutation. Pourtant, poursuit Derrida, si ce qui s’appelle la psychanalyse, ce qui appelle à la psychanalyse nous a enseigné au moins une chose, c’est à nous méfier de la spontanéité alléguée – de l’autonomie et de la liberté supposée. Le rapport de Derrida à la psychanalyse est au final critique : elle n’est pas advenue à elle-même parce qu’elle se réfugie encore derrière les décisions ou les déclarations performatives de ses organisateurs ou de ses participants. Il faut donc penser la psychanalyse elle-même sans

alibi. Elle devrait être en droit un processus révolutionnaire, la première révolution qui

consiste à entendre jusqu’au bout, c’est-à-dire sans résistance, la mutation du sujet, car la psychanalyse continue de concevoir le sujet comme souverain, lorsque par exemple elle s’institue elle-même dans une parole déjà légitimée qui se prévaut de quelques conventions. Ainsi, elle doit, sans alibi, se penser elle-même au-delà de toutes les conventions, au-delà de la maîtrise, capable de mettre en déroute ce que l’économie d’un acte performatif est censée produire souverainement, c’est-à-dire un au-delà des présomptions d’un « je peux », d’un « ce pouvoir m’appartient », qu’impliquent toujours les actes performatifs. C’est pourquoi, lorsque Derrida s’adresse aux psychanalystes un siècle après ce que l’on pourrait appeler la révolution psychanalytique, il exprime d’emblée une suspicion à l’égard de ce terme « révolution » : « si c’en est une205 », ajoute-t-il. La suspicion à l’encontre de la psychanalyse, ainsi exprimée est assortie d’une nécessité de penser la mutation de la cruauté dans l’histoire « more psychanalytico », soit à la manière de la psychanalyse. Si elle peut être un instrument à l’usage éthique, elle doit néanmoins, sans alibi, se rendre elle-même a-topos, c’est-à-dire déroutante à la fois pour elle-même et pour la pensée.

Ainsi, ce à quoi convoque Derrida c’est à un au-delà…Un au-delà de Freud, tant « la spécificité du combat mené par Freud reste à aiguiser206 ». Le sans alibi auquel convoque Derrida concerne d’abord la capacité à se défaire de tout ce qui incline vers la souveraineté, y compris la souveraineté de la psychanalyse elle-même. « J’ai toujours été frappé par l’extraordinaire souci de hiérarchie statutaire dans les institutions psychanalytiques. Celles que je connais sont au moins aussi soucieuses de statut et de

204 Jacques Derrida, États d’âme de la psychanalyse – Adresse aux états généraux de la psychanalyse, Éditions Galilée, 2000, p. 22.

205Ibid., p. 70.

206 Élisabeth Roudinesco, Jacques Derrida, De quoi demain, Éloge de la psychanalyse, Éditions Flammarion, 2001, p. 283

hiérarchie que l’université la plus traditionnelle. Elles ressemblent aux corporations médicales, où l’on voit des patrons régner en maîtres sur des assistants soumis207. » C’est pourquoi si la psychanalyse représente pour Derrida un ressort pour penser les questions politiques et éthiques, elle ne peut prendre la pleine mesure de cette mission qu’en œuvrant à penser une politique qui, certes, ne pourra éradiquer la pulsion de pouvoir ou la pulsion de cruauté, parce qu’elles sont irréductibles, mais au moins qui commencera elle-même à penser une politique « courageusement désabusée, résolument dégrisée de Freud – et à l’égard de la souveraineté et à l’égard de la cruauté208 ». Pour cela elle doit advenir à elle-même, c’est-à-dire penser une révolution qui ne soit pas frontale, performative, s’éclairant d’une rationalité performante, mais qui passe par la ruse du détour, par des voies indirectes. La puissance de la psychanalyse, affirme Derrida, « tient toujours à la réaffirmation d’une raison ‘’sans alibi’’ théologique ou métaphysique ». Il ajoute : « cette puissance peut donner à penser au-delà même du ‘’pouvoir’’ et de la ‘’pulsion de pouvoir’’, identifiée par Freud, donc dans la pulsion de souveraineté209. » René Major déclare :

Et lorsque, encore récemment, Derrida s'interrogeait sur la cruauté, sur cette chose irréductible dans la vie de l'être vivant, dans l'âme, dans la psyché, il ne voyait aucun autre discours - théologique, métaphysique, génétique, physicaliste, cognitiviste, etc. - que celui de la psychanalyse qui puisse s'ouvrir à cette hypothèse, en explorer les fondements sans leur surimposer un sens. Il voyait bien qu'il n'y a chez Freud, comme chez Nietzsche, aucune illusion d'éradication des pulsions de cruauté, de pouvoir ou de souveraineté, mais que des voies indirectes qui peuvent, dans des différences de modalité, de qualité, d'intensité, soumettre ces pulsions à une ‘’dictature de la raison210’’.

La raison qu’évoque René Major est celle dont parle Derrida mais à la suite de Freud, au-delà de ce que Freud appelle « raison ». Dans sa correspondance avec Einstein, Freud pour éradiquer la guerre et la violence retournée contre autrui, envisage la proposition suivante : « L’état idéal serait naturellement une communauté d’hommes, qui auraient soumis leur vie pulsionnelle à la dictature de la raison211. » Derrida dans Les états d’âme

de la psychanalyse modifie la proposition freudienne et déclare à son tour la possibilité

207 Élisabeth Roudinesco, Jacques Derrida, De quoi demain, Éloge de la psychanalyse, Éditions Flammarion, 2001, 295-296.

208 Jacques Derrida, États d’âme de la psychanalyse – Adresse aux états généraux de la psychanalyse, Éditions Galilée, 2000, p. 37.

209 Elisabeth Roudinesco, Jacques Derrida, Op.cit., p. 280.

210 René Major, citation d’un article publié dans le journal L’Humanité, daté du 30 novembre 2004.

211 Sigmund Freud, Pourquoi la guerre ? Résultats, idées, problèmes II, Éditions Presses Universitaires de France, p. 213.

d’un au-delà de la pulsion de mort grâce cette fois à la « raison psychanalytique212 ». Il ne s’agit pas de la raison telle qu’elle est conçue dans la tradition philosophique - c’est-à-dire logocentrique -, il s’agit d’une « raison psychanalytique ». René Major précise que cette raison d’un autre type suppose que : « Il [Derrida] conviera la psychanalyse à une inconditionnalité qui échappe à la maîtrise de l'événement qu'elle produit, à un inconditionnel sans souveraineté, à un ‘’sans alibi’’ qui serait son autre nom213. » C’est dans cette exigence de penser la morale autrement, c’est-à-dire en ne partant plus seulement des processus d’une maîtrise de l’événement par le discours rationnel, que Derrida « convoque » la psychanalyse à advenir à elle-même. Il rappelle, dans un Éloge

de la psychanalyse que si la psychanalyse est une ressource, elle se produit d’abord à

propos des registres primordiaux de la responsabilité, du répondre-de… envisagé sans la volonté souveraine d’un sujet disposant de son libre-arbitre. Autrement dit, si la psychanalyse est selon Derrida un élan ou un coup d’envoi révolutionnaire, c’est davantage lorsqu’elle interroge la source du questionnement éthique à partir d’un sujet démis de son intentionnalité égologique, que lorsqu’elle « bricole » des outils rhétoriques qui ne sont que des armes provisoires contre une philosophie de la conscience. Derrida demeure circonspect face à cet appareil conceptuel de la métapsychologie freudienne. Il précise :

Ce ne sont pas les thèses freudiennes qui comptent le plus à mes yeux, mais plutôt la manière dont Freud nous a aidés à mettre en question un grand nombre de choses concernant la loi, le droit, la religion, l’autorité patriarcale, etc. Grâce à l’élan du coup d’envoi freudien, on peut par exemple relancer la question de la responsabilité : au lieu d’un sujet conscient de lui-même, répondant souverainement de lui-même devant la loi, on peut mettre en place l’idée d’un ’’sujet’’ divisé, différencié, qui ne soit pas réduit à une intentionnalité égologique. Et d’un sujet installant progressivement, laborieusement, toujours imparfaitement, les conditions stabilisées – c’est-à-dire non naturelles, essentiellement et à jamais instables – de son autonomie : sur le fond inépuisable et invincible d’une hétéronomie. Freud nous aide à mettre en question les tranquilles assurances de la responsabilité. […] J’essaye de voir ce que peuvent vouloir dire les termes comme ‘’répondre devant’’, ‘’répondre à‘’, ‘’répondre de’’, ‘’répondre de soi’’, dès lors qu’on les regarde du point de vue de ce que l’on appelle encore l’inconscient214.

Réaffirmer une raison sans alibi, une raison psychanalytique est ce qui peut permettre de poursuivre, au-delà de Freud et de la question du sujet divisé, les interrogations autour de la responsabilité sans intention égologique. À cette démarche, s’ajoute la nécessité de penser un au-delà de la cruauté mais par des voies indirectes, celles où l’on

212 Jacques Derrida, États d’âme de la psychanalyse, Éditions Galilée, 2000, p. 83.

213 René Major, citation d’un article publié dans le journal L’Humanité, daté du 30 novembre 2004.

214Elisabeth Roudinesco, Jacques Derrida De quoi demain…Fayard/Galilée 2001, « Eloge de la psychanalyse », p.277.

n’espère plus affronter la pulsion de cruauté et de pouvoir en l’éradiquant. Derrida parle de stratégie, de transaction différentielle. À l’illusion, il substitue la ruse du détour :

Ce qu’il faut cultiver (car il faut qu’un ‘’il faut’’ s’annonce, et donc le lien d’une obligation éthique, juridique, politique), c’est une transaction différentielle, une économie du détour et de la différance, la stratégie, on peut même dire la méthode (car il s’agit ici de voie, de frayage, et de route) du cheminement indirect : une voie indirecte, toujours indirecte, de combattre la pulsion de cruauté. Le mot indirect s’articule comme la charnière de ce progressisme sans illusion. Freud pense, comme le Nietzsche de la Généalogie de la morale que la cruauté n’a pas de contraire, qu’elle est liée à l’essence de la vie et de la volonté de puissance215.

Parce que la cruauté n’a pas de contraire, il faut composer avec elle. La cruauté est en effet irréductible dans la mesure où on ne peut déraciner les pulsions d’agression cruelle, il faut plutôt les détourner, les différer, par exemple, faire jouer la force antagoniste de la pulsion d’Éros, « l’amour de la vie, contre la pulsion de mort », plutôt que de faire jouer la raison contre la pulsion. Si la cruauté doit être envisagée de façon dégrisée, c’est-à-dire en comprenant qu’elle ne peut être déracinée, de même, il convient aussi de comprendre où se situe la question de la souveraineté.

Penser la souveraineté c’est l’envisager dans sa nature fantasmée. Simone Regazzoni affirme : « La souveraineté serait donc un ‘’principe-phantasme-archaïque’’ […] Un principe toujours lié à la logique de l’arché c’est-à-dire au fantasme du principe de pouvoir, du lieu du commandement et de la force, de l’origine absolue d’où tout vient, de la cause première rassemblée en soi, auprès de soi, dans le rêve d’une jouissance pleine et pure de soi-même comme jouissance vitale216. » Ce fantasme de l’origine se trouve dans l’arché, c’est-à-dire dans ce qui nomme à la fois le commencement, là où est l’origine et ce qui suscite le désir de savoir. Mais c’est aussi commandement, là où s’exerce l’autorité détenue par les archontes de l’arkheion grec qui détiennent les documents officiels et sont les seuls à pouvoir les interpréter. Or, si le commencement se pervertit (aux origines de la philosophie par exemple) l’arché peut toutefois être retrouvée dans un recommencement vers ce qui aurait été oublié. C’est ce que considère Heidegger. Or, selon Nancy cette idée heideggérienne du recommencement participe de la définition de la banalité du mal :

La banalité du mal c’est avant tout le fait qu’un motif de rejet et d’épuration – donc conjointement un motif de régénération, de recommencement ou de métamorphose –

215 Jacques Derrida, États d’âme de la psychanalyse – Adresse aux états généraux de la psychanalyse, Éditions Galilée, 2000, p. 72.

216 Simone Regazzoni, Au-delà de la pulsion de pouvoir – Derrida et la déconstruction de la souveraineté, Revue Lignes 47, mai 2015 « Derrida politique », Éditions Lignes, 2015, p.77.

vienne flotter comme un oripeau idéologique offert à tous les regards et à ‘’l’étrange conviction qu’un changement de cœurs doit nécessairement suivre la chute de toutes les institutions humaines existantes’’ – ce qui est une façon de caractériser l’une des allures possibles de la conviction révolutionnaire217. À cette chute, doit succéder l’érection d’une nouvelle force, ce qui suppose le sacrifice de ceux qui détenaient les anciennes. Simone Regazzoni précise : Derrida greffe l’analyse « de la souveraineté sur celle du phallique et de son phantasme élaboré dans les pages de

Foi et savoir ». Elle affirme : « On pourrait dire que le principe-fantasme de la

souveraineté est un fantasme d’érection phallique et puissance vitale-mortelle absolues, un fantasme ou le fantasme phallogo-centrique de l’érection d’un pouvoir qui dépasse tous les autres218. » Or, le principe du phallique, de l’effet de phallus, dit Derrida dans Foi

et savoir, est qu’il peut se détacher de sa pure et propre présence et devenir le double de

soi, là où se situe l’automaticité colossale de l’érection : le maximum de vie à garder indemne, indemnisée, immune et sauve, sacro-sainte219. Simone Regazzoni ajoute : « Le pouvoir souverain s’élève et s’érige, se gonfle de toute sa puissance vitale-mortelle à partir de ce détachement de soi, de cette césure ou castration : il s’érige pour se défendre et se protéger de cette césure qui est à la fois ressource et menace de sa propre érection – menace de castration et de mort. La castration, comme la mort, est en jeu depuis l’origine comme jeu et césure dans la possibilité ou dans la puissance du présent et du présent vivant220. » Dans cette duplication de soi, en dehors de soi, comme fétiche possédé, érigé par soi, se situeraient les mêmes processus identificatoires que ceux décrit par Freud dans l’attache érotique liée à la crainte produisant la soumission volontaire au chef qui domine la foule. Il s’agit dans cette attache érotique d’un mouvement de sa propre auto-position, comme auto-appropriation de soi. C’est à cette même place que se situent les fantasmes de mort par l’élimination du chef, tant son charisme ne peut fonder à lui seul une source apaisée de l’autorité, la pulsion de

217 Jean-Luc Nancy, La banalité de Heidegger, Éditions Galilée, 2015, p. 84-85.

218 Simone Regazzoni, Op.cit., p.78.

Afin d’illustrer chez Heidegger ce qui pourrait correspondre à ce fantasme de l’érection d’un pouvoir, nous renvoyons à cette citation de Heidegger dans Nietzsche I, dans laquelle il définit ce qu’est « le penser » : « Le penser constructeur et éliminateur est du même coup anéantissant. Il écarte ce qui auparavant et jusqu’alors assurait la consistance de la vie. Cette façon d’écarter débarrasse la voie de toutes fixations susceptibles de gêner l’érection d’une hauteur. Le penser constructeur et éliminateur peut et doit nécessairement effectuer ce déblayage, parce que, en tant qu’érection, il fixe déjà la consistance d’une possibilité plus haute. » Nietzsche I – La volonté de puissance en tant que connaissance, Éditions Günther Neske Verlag, 1961, Gallimard, 1971, pour la traduction française, p. 497.

219 Jacques Derrida, Foi et savoir, Éditions du Seuil, 2001, p. 73.

souveraineté, couplée à celle de l’érection de soi, ne pouvant jamais être résorbée par les règles de la civilisation. La souveraineté se fonde ainsi sur le principe de l’auto-détermination de soi, sur la prise de possession de soi-même, sur le lien entre identité et pouvoir, partout où s’érige « le fantasme de la puissance souveraine ». Au-delà de la souveraineté comme principe de pouvoir, Derrida nous indique une pulsion d’ipséité. Voici le cœur de la question : […] il y aurait donc le concept de pulsion de pouvoir – c’est-à-dire de l’habilitation, du ‘’je peux’’, I can ou I may, en particulier du pouvoir performatif […]. Cette pulsion de pouvoir annonce sans doute, avant et au-delà de tout principe, avant et au-delà même de tout pouvoir (le principe étant le pouvoir, la souveraineté du pouvoir), l’un des lieux de l’articulation du discours psychanalytique freudien avec les questions juridiques et politiques en général, avec tout ce qui concerne les données inédites, aujourd’hui, de cette double problématique de le souveraineté et de la cruauté221. » Au-delà de tout principe, avant même tout pouvoir, s’annonce cette pulsion de pouvoir sous la forme d’une pulsion d’ipséité. Cette question de l’ipséité est passée au crible de l’étymologie dans Voyous. Derrida annonce : Chaque fois que je dirai ipse, metipse, ou « ipésité » […] me fondant à la fois sur le sens reçu en latin, dans le code philosophique et sur l’étymologie, j’entendrai aussi bien le soi, le soi-même, l’être proprement soi-même. J’entendrai donc aussi bien le soi-même, le ‘’même’’ du ‘’soi’’ (c’est-à-dire le même, meisme, qui vient de metipse) que le pouvoir, la puissance, la souveraineté, le possible impliqué dans tout ‘’je peux’’, le pse de ipse (ispsissimus) renvoyant toujours, Benvéniste le montre bien, à travers des relais compliqués, à la possession, à la propriété, au pouvoir, à l’autorité du seigneur, du souverain et le plus souvent de l’hôte (hospites), du maître de céans, du mari222.

C’est avant toute souveraineté de l’État, de l’État-nation, du monarque ou du peuple en démocratie que se trouve impliquée, posée, supposée, imposée aussi dans la position même, dans l’auto-position de l’ipséité même, la raison du plus fort comme droit accordé à la force ou la force accordée au droit. La raison du plus fort, à l’inverse de ce que serait une raison psychanalytique, consiste à rendre raison, rendre compte - logon didonai -, selon une logique de la puissance ou du pouvoir de rendre compte, du calculable -, de ce