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a) Une mimétologie inavouée chez Heidegger

pas. La responsabilité consiste d’abord à déconstruire la certitude d’être à la tête de soi-même afin d’en assumer les conséquences politiques.

2. 1 – Processus d’identifications et risques éthiques

a) Une mimétologie inavouée chez Heidegger

Sans doute est-ce dans cette convocation de l’errance du sujet appelée au-delà de ce que la raison commande, au plus près de la déraison que se situe le pas de plus effectué par Derrida, le pas au-delà de Heidegger, et là que se lit sans doute aussi son inclination vers la psychanalyse. En effet, la ruse et l’illusion sont entendues, grâce aux apports de Freud, comme un processus du sujet par rapport à son désir, intriqué profondément à des aspirations narcissiques. Ne pas désirer voir, demeurer dans l’insu a une fonction économique pour Freud. L’illusion n’a pas à ses yeux le même statut que l’erreur. Elle n’est pas de l’ordre du jugement erroné, ou de la faute du raisonnement, mais elle participe, par un processus d’économie psychique, à l’accomplissement de désirs. Ces désirs selon Freud sont « les plus anciens, les plus forts, les plus urgents de l’humanité ; le secret de leur force est la force de ces désirs ». L’un de ces désirs les plus archaïques, est de combler, compenser « l’effrayante impression de désarroi chez l’enfant127 ». L’illusion selon Freud est une réponse à l’angoisse originaire. Ce qui se révèle avec le père de la psychanalyse, c’est le noyau infantile de la demande de bonheur de l’être humain. Or, fuir ce désarroi se fait souvent dans l’attente d’une réponse collective qui invite à résoudre le malaise dans l’illusion et le désir pour le sujet ainsi angoissé, d’une disparition de soi s’évanouissant derrière une identification adressée, soit à la transcendance d’un Être tout-puissant, soit à un « chef » admiré. Or, pour Freud, il ne faut pas vouloir se rassurer de la sorte. Il faut, au contraire, endurer le sentiment de déréliction afin de ne pas risquer les effets, parfois vertigineux, de dissolution de la responsabilité du sujet dans des attentes de reconnaissance de soi par autrui. Clotilde Leguil le dit ainsi dans sa présentation de L’avenir d’une illusion : « Le sujet est aussi susceptible de se confronter à ce qui lui manque afin de saisir comment son propre désir peut devenir le lieu même d’une expérience éthique. Freud croit en la possibilité d’affronter le désarroi pour accéder à une liberté responsable, celle de l’être humain

doué de logos128. » Cela implique une éthique de la responsabilité pour le sujet. Entendre les errances, les désirs incohérents, les fantasmes à l’œuvre et ne pas vouloir les résoudre, serait alors ce qui permettrait d’endurer les contradictions à l’œuvre dans le psychisme à notre insu et de « répondre de », sans en appeler à la sévérité de la conscience (du Surmoi), qui lui, répond de façon unilatérale en convoquant seulement la raison contre la pulsion. Or, la déraison se camoufle là, tant les mécanismes contradictoires, mais existants en même temps, - ensemble, sans opposition -, se trouvent intriqués et difficilement repérables, entre un narcissisme conçu comme affirmation par le sujet d’un moi fort et puissant et un désir que le moi disparaisse derrière des processus identificatoires, ceux-ci renforçant davantage encore le narcissisme (disparition contre élection). Freud dans Psychologie collective et analyse du

moi, tente de mettre à jour « la formule de la constitution libidinale d’une foule

primaire » : « La foule primaire se présente comme une réunion d’individus ayant tous remplacé leur idéal du moi par le même objet, ce qui a eu pour conséquence l’identification de leur propre moi129. » Tout comme dans l’état amoureux, ce mécanisme ressort d’une idéalisation de l’objet détenant une force identificatoire, hypnotique : il s’agit en somme d’aimer l’objet pour les perfections qu’on souhaite à son propre moi et on cherche par ce détour à satisfaire son propre narcissisme130.

Ce sont ces processus identificatoires, dont les oppositions co-existent, que veut travailler Derrida. Ces processus seraient des enjeux présents partout selon lui, y compris dans les tentations de penser et de demeurer entre-soi, dans « les airs de famille », la plupart du temps à l’insu ou de façon inavouée pour chacun. Il faut se méfier des tentations d’assimilation ou de projection spéculaire qui existent aussi entre les penseurs, éviter de tomber dans les pièges de la mimétologie. Il faut installer la singularité de l’expérience des pensées de chacun qui restent absolument différentes les unes des autres. En effet, chaque penseur est séparé de l’autre dit Derrida grâce à « la fatale impureté du secret de l’idiome, le secret c’est-à-dire en premier lieu la séparation, le sans rapport, l’interruption131 ». Cette séparation doit être revendiquée afin d’éviter 128 Clotilde Leguil, Désir et désarroi, la religion au miroir de la psychanalyse – Présentation à l’ouvrage de Freud L’avenir d’une illusion, Éditions Points, mars 2011, sous la direction de Jean-Pierre Lefebvre, p. 31. 129 Sigmund Freud, Essais de psychanalyse – Deuxième partie : Psychologie collective et analyse du moi – Chapitre 8 – États amoureux et hypnose, Éditions Petite Bibliothèque Payot, p. 140-141. 130 Ibid., p. 136. 131 Jacques Derrida Psyché – « Désistance », Éditions Galilée, 1987, p. 603.

les assimilations ou les mimétologies. Il le dit ainsi dans le texte Désistance, en citant Lacoue-Labarthe :

Le plus urgent, j’essayerai de m’y employer, ce serait de rompre ici les airs de famille, d’éviter les tentations généalogiques, les projections, assimilations ou identifications. Et ce n’est pas parce qu’elles sont impossibles que la tentation devient plus évitable. Au contraire. L’assimilation ou la projection spéculaire, voilà ce contre quoi Lacoue-Labarthe nous met sans cesse en garde. Il en décèle la fatalité, le piège politique jusque dans la mimétologie « inavouée » et « fondamentale » de Heidegger132.

Cette idée d’une mimétologie fondamentale chez Heidegger est précisée de façon encore plus explicite par Derrida lorsqu’il cite à nouveau Philippe Lacoue-Labarthe exposant comment l’ek-sistence, déterminée de façon encore onto-typologique dans le Discours du

rectorat, témoignent d’une « mimétologie inavouée ». Cette « mimétologie inavouée »,

« surdéterminerait politiquement la pensée de Heidegger, un certain double-bind dans l’identification nationale (imitation et refus de l’imitation), etc. » Dès lors, Derrida reprend la question suivante que nous voulons faire ici nôtre : « quand les enjeux s’appellent l’institution psychanalytique ou l’identification en général, ils sont évidemment et immédiatement politiques. ‘’Le problème de l’identification ne serait-il pas, en général, le problème lui-même du politique133’’ ? »

Avec Heidegger, l’angoisse ouvre à l’authenticité de l’être, mais in fine, il s’agit de retrouver le confort d’un habiter ou d’une réassurance dans le rassemblement du legein. Il contredit en quelque sorte la mise en éveil de tout ce que l’angoisse déploie. Il le fait certes dans une démarche philosophique, mais à trop vouloir une réassurance de la pensée et de son authenticité, il rate l’errance du délaissement. Seule compte pour lui la destination, à savoir la résolution devançante. Tandis que chez Freud, le soll ich werden s’inscrit dans la perspective de fortifier le moi en le désincarcérant de ses illusions narcissiques, résistant par là aux sirènes des identifications, avec Heidegger l’on pourrait affirmer : là où le je disparaît, advient la possibilité de l’analytique existentiale. Ainsi, la destitution de l’ego chez Heidegger vise seulement la possibilité d’une pensée érigée en puissance. Il s’agit de penser dans la joie d’un vouloir-avoir-conscience où se perd le pouvoir par soi de la maîtrise et de la mainmise sur le monde, mais où se rejouent néanmoins les enjeux d’un surcroît de puissance grâce à la possibilité d’une pensée vraie, vigoureuse, ouvrant à une compréhension dégrisée du monde (« sobre »,

132 Jacques Derrida Psyché – « Désistance », Éditions Galilée, 1987, p. 603.

selon la traduction de Vezin). Il n’ y a qu’à lire le paragraphe 62 de Sein und Zeit pour l’entendre :

La résolution devançante n’est nullement un expédient, forgé pour ‘’surmonter’’ la mort, elle est ce comprendre-consécutif à l’appel de la conscience – qui libère pour la mort la possibilité de s’emparer de l’existence [Traduction de François Vezin : offrant à la mort la possibilité d’avoir l’existence du Dasein en sa puissance] et de dissiper radicalement tout auto-recouvrement fugace. Le vouloir-avoir-conscience déterminé comme être-pour-la-mort ne signifie pas davantage une sécession qui fuirait le monde, mais il transporte, sans illusions, dans la résolution de l’’’agir’’. La résolution devançante, enfin, ne provient pas non plus d’un ‘’idéalisme’’ qui survolerait l’existence de ses possibilités, mais elle jaillit de la compréhension dégrisée de possibilités fondamentales factices du Dasein. Avec l’angoisse dégrisée qui transporte devant le pouvoir-être isolé, s’accorde la joie vigoureuse de cette possibilité134.

Dans cette citation de Heidegger, il est important d’entendre tout d’abord la lecture de l’ego cogito cartésien, le solipsisme de la pensée aboutissant à un sum moribundus. En effet, l’angoisse dégrisée transporte devant le pouvoir-être isolé, elle renvoie ainsi dans cet esseulement à la possibilité la plus propre, insubstituable, absolue du Dasein. Son mourir, tout Dasein doit nécessairement à chaque fois le prendre lui-même sur soi dans cet esseulement qui le singularise. Alors la mort ou plutôt le mourir authentique comme possibilité toujours mienne, est au fond le véritable principe d’individuation. En ce sens, l’être-pour-la-mort est ce qui ouvre à la possibilité de la pensée vigoureuse, joyeuse de sa puissance ainsi érigée, supposant le principe d’individuation comme rassemblement en unité. C’est à cet endroit que le sentiment de déréliction que, selon Freud, l’homme doit endurer, pourrait être entendu comme ce que dit Heidegger ici de l’angoisse : une angoisse qui ouvre à la responsabilité. Sauf que sont ici pensées deux sortes de responsabilité : celle de Heidegger est celle du Dasein qui, se confrontant à l’angoisse et à l’esseulement d’un « mourir », ordonne d’entendre l’appel de l’être, tandis que celle de Freud est celle d’un sujet responsable de ne pas se laisser leurrer par les illusions présentes dans ses intentions ou désirs conscients et cela pour être averti de ses incessantes tentations pulsionnelles, risquant toujours d’œuvrer à son insu au dépens de l’autre. Certes, l’angoisse pour Heidegger est aussi inquiétante étrangeté, tout comme

134 Nous préférons pour cette citation essentielle, la traduction d’Emmanuel Martineau, parue en 1985, hors-commerce, mais disponible en version numérique, sur http://t.m.p.free.fr. Cette citation du § 62 se trouve à la page 236 de cette version. Toutefois, nous ajoutons entre crochets une partie de la traduction de François Vezin, qui nous paraît plus probante, concernant l’idée que nous travaillons ici, à savoir, celle d’un ego destitué de la tradition cartésienne, mais renforcé en puissance de pensée, plus vigoureuse, qui alors paradoxalement suppose un principe d’individuation et de propriation, s’opposant à la destitution de l’ego qu’entendent Freud et à sa suite Derrida lorsqu’il travaille les questions de la psychanalyse autour de la cruauté dans les États d’âme de la psychanalyse.

pourrait l’être chez Freud la confrontation avec cette étrange familiarité lointaine d’une image de soi. Freud décrit l’expérience d’apercevoir son propre reflet sur la vitre, de ne pas se reconnaitre et de se prendre lui-même pour un intrus, un importun135. L’image de soi cause dans ce cas un trouble car elle est vécue comme double. Le moi se dédouble et se présente à soi-même dans une image. Lorsque l’image devient tout à coup étrange,

étrangère à soi, alors le vacillement de l’être peut s’entendre dans la plus profonde

intimité d’un questionnement qui ouvre à l’altérité jusqu’en soi-même mais surtout à une confrontation soudaine, même si très transitoire, avec la disparition de sa propre identité. Pourtant, là aussi se trouve une différence entre ce que nous soulevons de la question de la responsabilité entre Heidegger et Freud. Selon Heidegger, le Dasein est le « lieutenant du rien », non pas comme ce qui monte la garde devant la « place » mais bien davantage, celui qui fait de la place et maintient celle-ci libre, vacante, ouverte, là où peut se penser l’accueil de l’être, là où il peut le laisser apparaître. En revanche, il s’agit pour Freud de penser non pas la responsabilité de la pensée, mais celle du sujet lorsqu’il se sent délaissé, sans l’arrimage rassurant de son identité, confronté au désarroi de son angoisse. Autrement dit, si l’angoisse est chez Heidegger ce qui permet la percée du rien, là seulement où peut s’entendre l’appel de l’être, chez Freud l’angoisse et le désarroi qui en résultent, sont bien plutôt ce qui permet de s’ouvrir à une possibilité de penser la responsabilité éthique d’une « dé-narcissisation ». Selon Freud, le narcissisme est une phase nécessaire de l’évolution de la libido avant que le sujet se tourne vers un objet sexuel extérieur. Toutefois toute la difficulté consiste dans le fait que livré au monde le sujet n’aborde celui-ci qu’en essayant d’y retrouver des ressemblances rassurantes qui résulteraient de la projection d’un modèle idéal ou d’une représentation nostalgique. Ce processus projectif permet au sujet d’éviter la confrontation avec la différence radicale de l’autre et de s’en protéger. Il faut donc que le sujet se déprenne de cette recherche de satisfaction autarcique, qu’il se dé-narcissise, c’est-à-dire qu’il abandonne l’omnipotence narcissique sous la contrainte de la réalité que représente l’altérité. Or cela ne s’effectue pas sans souffrance. Alors même que cette dé-narcissisation constitue la tâche que Freud assigne à l’humanité afin que le sujet soit incité à investir un monde qui l’obligera à respecter des contraintes et des limites, surgissent les obstacles à ce principe de réalité sous la forme de pulsions régressives de la pulsion narcissique infantile : identifications, mimétisme sous forme d’un attachement excessif à une figure considérée comme un

autre-soi. Se confronter à l’angoisse de la solitude et de la déréliction, endurer la souffrance de l’abandon de l’omnipotence narcissique, sont ainsi pour Freud ce qui permet d’éviter ces pièges. Avec Heidegger, l’être dans l’authenticité de sa pensée originaire telle qu’elle est requise et convoquée, n’a pas cette finalité psychique (ni éthique) d’une ouverture à l’autre, mais consiste à retrouver la vigueur ou la puissance de la pensée. Seule compte la pensée en sa vérité pour Heidegger, ce qui peut même laisser supposer qu’à cette vigueur de la pensée puisse être sacrifiée la vie. Cette responsabilité-là ne prémunirait donc assurément pas contre le risque de tout sacrifier à l’authenticité de cette pensée. Ainsi, si le sujet a pour finalité de disparaître afin que s’érige une pensée de la puissance, alors ce serait là chez Heidegger que peuvent s’immiscer les risques d’une identification en forme de « mimétologie ».

Selon Jean-Luc Nancy, Heidegger met en œuvre dès 1927 une stratégie retorse, celle de propulser le Dasein hors de sa solitude existentiale en l'inscrivant dans la mission spirituelle historiale du peuple allemand, et cela jusqu’à la possible mort sacrificielle pour le peuple. Dans le Dialogue entre Jacques Derrida, Philippe

Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy, qui rend compte quelques mois avant la mort de Jacques

Derrida, d’un ultime questionnement sur l’approche derridienne de la mort, Jean-Luc Nancy demande : « Sentant que s’il en restait au Dasein isolé dans cet être-pour-la-mort, toute la dimension de l’histoire, du collectif et donc du Geschehen, du Geshcick s’évaporerait, Heidegger pris en quelque sorte par son propre chemin de pensée aurait été amené à penser la seule possibilité capable de propulser le Dasein hors de sa solitude existentiale, c’est-à-dire pour le Heidegger de 1927, la mort sacrificielle pour le

peuple136. » Le questionnement de Jean-Luc Nancy à l’adresse de Derrida consiste alors à se demander, là où Derrida affirme qu’on ne peut et ne doit ramener la mort à un destin collectif, mais de considérer la mort comme ce dont on ne doit rien dire, dont on ne se sait rien dire, s’il ne conviendrait tout de même pas, « de penser l’impensable, de penser là précisément où on ne peut même pas penser, à savoir qu’il se joue quelque chose qu’il faudrait distinguer d’une relève dialectique. […] Et qu’il faudrait aussi distinguer de la possibilité tragique, qui est quand même la possibilité d’encore dire quelque chose à partir de…, d’encore en faire quelque chose…[…] ». Jean-Luc Nancy exhortant Derrida à répondre, lui demande : « Mais alors, Jacques, à cet endroit-là, y a t-il quelque chose

136 Dialogue entre Jacques Derrida, Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy, Revue Rue Descartes, 2006/2 (n°52), Éditions Collège internationale de philosophie, p. 86 – 99.

pour toi, une possibilité ou bien, rien ? » Or, à ce questionnement, Derrida ne répond pas ou plutôt, il répond qu’il ne sait pas, qu’il ne comprend pas ce qu’est la mort chez Heidegger, pour le Mitsein, sans même encore parler de Volk137.

Pourtant, la question se pose de façon cruciale. Et n’est-ce pas tenter d’en dire quelque chose que d’essayer de comprendre comment peuvent se jouer ces mécanismes qui amènent Heidegger à une adhésion au nazisme, alors même que cette adhésion au regard de Sein und Zeit apparaît comme le comble de l’inauthenticité ? Ce que Jacob Rogozinski répond à cette question qu’il pose dans l’ouvrage Le moi et la chair, c’est qu’en s’engageant dans le nazisme Heidegger s’est renié lui-même, mais que son reniement a été favorisé par une ambiguïté initiale de sa pensée. Il le dit ainsi :

Sans doute [Heidegger] n’aurait-il pas cédé si facilement à l’appel du Führer s’il était resté fidèle à son propre appel, s’il s’en était tenu à sa thèse initiale, au caractère absolument singulier du Dasein, à son être toujours mien. Car le concept de Dasein est foncièrement équivoque – à la fois mien et autre que le moi – et Heidegger tend de plus en plus à jouer sa neutralité contre son être-(à)-moi, pour l’identifier finalement à un Soi anonyme. Du coup, le Dasein perd sa singularité la plus propre, celle qui lui interdisait de s’aliéner totalement à un autre138.

Nous retrouvons dans cette idée d’une aliénation totale à un autre, celle des fonctionnements psychiques évoqués par Freud, ces aliénations à un chef qui provoquent l’abandon d’une singularité qui serait seule à l’inverse, capable de résister aux pressions narcissiques d’un désir d’élection, présentes dans les appels à se sacrifier par la mort et la mort des autres, au service d’un peuple ou d’un guide. Rogozinski poursuit en affirmant que « dès que l’on renonce à la liberté de l’ego, qu’on lui dénie le pouvoir de s’appeler lui-même, la tentation est grande de se courber devant une figure du destin, Dieu ou héros, Fürher, ou Être139. » On peut entendre alors, dans la nécessaire

137 Pour éclairer encore davantage cette difficulté de Derrida à penser le Mitsein et évidemment le Volk, nous renvoyons à l’article de Evelyne Grossman, intitulé Appartenir, selon Derrida, dans lequel elle propose une hypothèse selon laquelle toute la réflexion de Jacques Derrida serait une ré-élaboration de l’idée même de communauté et d’appartenance. Il ne s’agit plus d’un « être ensemble » de la communauté comme chez Nancy ou Blanchot, mais d’un « être avec », c‘est-à-dire non plus appartenir mais s’entretenir avec les fantômes, leur rendre la parole, les spectres n’appartenant à aucun lieu, mais les hantant tous,