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c) Au-delà d’une histoire linéaire, une pensée de la vie

Le politique se soutient de soutenir l’aporie. C’est là l’un des apports freudiens primordiaux dont hérite Derrida. Freud travaille sur le fait que chaque homme est virtuellement un ennemi de la civilisation, puisqu’existent chez tous les être humains des tendances destructrices, anti-sociales et hostiles à la civilisation, cela dans la mesure où la civilisation est oppressive et elle demande le sacrifice des aspirations narcissiques de l’individu. Le renoncement pulsionnel, donc les sacrifices que réclame la communauté, induit du ressentiment qui engendre de la cruauté. L’interdit fait symptôme. Mais dans le même temps, c’est cela qui produit l’histoire. Il existe un cercle vicieux au sein même de la civilisation : plus le progrès s’établit, plus le renoncement est exigé. La pulsion de mort exécute le travail de sape de la civilisation. Paul-Laurent Assoun le dit ainsi :

Ce que dit l’Unbehagen ou « Malaise », c’est le travail de sape de la pulsion de mort au cœur sombre de la Kultur. S’il n’y a pas en l’homme de « pulsion de perfectionnement » - épine plantée dans la foi humaniste –, il y a bien du progrès. Mais plus cela progresse, plus les effets du refoulement s’accroissent, plus la pulsion de mort s’intériorise. Étrange pulsion, s’étonne Freud, que celle qui travaille à la destruction de sa propre demeure organique… et culturelle, peut-on ajouter. L’homme ne veut pas la mort, il quête des « techniques de bonheur », mais ce qu’il trouve au bout de son chemin, c’est bien la possibilité de déliaison entre Éros et Thanatos251.

Cette déliaison, est ce qui crée le symptôme partout où elle advient, tant au niveau de l’individu que de la société. Selon Freud, il existe deux pulsions fondamentales : l’Éros et

la pulsion de destruction. La pulsion de l’Éros pourvoit à l’intégrité du soi, elle a pour

mission de conserver : c’est la liaison. Ainsi même si au sein de l’Éros des pulsions sont opposées l’une à l’autre, par exemple, conservation de soi et conservation de l’espèce, ou l’opposition entre amour du moi et amour d’objet, il n’empêche qu’elles entrent dans le cadre de ce qui permet « les plus grandes unités », c’est-à-dire la liaison. En revanche, le but de l’autre pulsion, celle de destruction est de « briser les rapports, donc de détruire les choses ». « Il nous est permis de penser de la pulsion de destruction que son but final est de ramener ce qui vit à l’état inorganique et c’est pourquoi nous l’appelons ainsi

pulsion de mort252. » En fait, le mécanisme psychique œuvre la plupart du temps à

251 Assoun Paul-Laurent, « Inconscient anthropologique et anthropologie de l'inconscient. Freud anthropologue », Revue du MAUSS, 2011/1 (n° 37), p. 71-87. DOI : 10.3917/rdm.037.0071. URL :

http://www.cairn.info/revue-du-mauss-2011-1-page-71.htm, p. 43.

équilibrer les pulsions afin de maintenir le lien entre le moi et le monde extérieur. Cet équilibre se signale par des impressions ressenties par le moi, car les pulsions s’accompagnent du couple plaisir-déplaisir aussi bien pour le ça que pour le moi. « Le ça, coupé du monde extérieur, a son propre univers de perception. Il ressent avec une extraordinaire acuité certaines modifications à l’intérieur de lui-même, en particulier les variations de tensions de ses pulsions, variations qui deviennent conscientes en tant qu’impressions de la série plaisir-déplaisir253. » Or, « le ça obéit à l’inexorable principe de plaisir », affirme Freud, quand les autres instances psychiques (moi et sur-moi) modifient ce principe de plaisir afin de se soumettre au principe de réalité. Autrement dit, le moi, lorsqu’il résiste aux pulsions du ça, éprouve un sentiment de satisfaction et de sécurité, tant les exigences du ça sont ressenties par le moi comme désorganisant son unité et son intégrité. Néanmoins les instances psychiques du moi et du sur-moi ne parviennent jamais vraiment à supprimer les exigences du ça. En effet, s’il y a bien une satisfaction ressentie par le moi - momentanément soulagé de l’angoisse lorsqu’il a réussi sa mission de conservation de soi, déjouant ainsi les « tentatives » de désorganisation de la force de la pulsion254 -, advient toutefois et en même temps, intriquée avec cette satisfaction, l’insatisfaction du ça, qui continue d’exiger l’expression de la pulsion. C’est en cela que coexistent, ressentis par le moi, d’un côté le déplaisir-angoisse face aux exigences pulsionnelles du ça et de l’autre le plaisir-satisfaction, lorsqu’il consent à se soumettre aux exigences du sur-moi. Entre les deux, même si l’équilibre se maintient, le moi se sent faible et peureux.

Or, parfois, les variations de tensions aboutissent au déséquilibre, il y a alors déliaison. Le moi est débordé, ce qui s’exprime par la menace d’une destruction d’autrui (agressivité) ou d’une destruction de soi-même (culpabilité). Par exemple, à l’époque où s’instaure le sur-moi, si des charges considérables de la pulsion d’agression se fixent à l’intérieur du moi, elles vont y agir sur le mode auto-destructeur. Freud met ainsi en évidence le paradoxe de toute civilisation : plus la régulation des pulsions est drastique, par la mise en place des exigences morales, plus se délient les pulsions donc plus s’accroissent les phénomènes d’agressivité. C’est pour cela que Freud affirme :

253 Sigmund Freud, Abrégé de psychanalyse, 1949, Éditions Presses Universitaires de France, 1949, p. 73.

254 L’angoisse est selon Freud le signal ressenti par le moi lorsqu’il doit résister aux forces de la pulsion, y résister produit un soulagement de l’angoisse : « le moi se sert des sensations d’angoisse comme d’un signal d’alarme qui lui annonce tout danger menaçant son intégrité.» (Ibid., p. 74.)

« Réfréner son agressivité, en effet, est en général malsain et pathogène255. » Ce sont bien les effets de la civilisation, qui rompent l’alliance, lorsque la pulsion de mort qui agissait intérieurement jusque là et de façon muette, se délie. Si la destruction s’extériorise et s’exprime par la violence, il faut alors la réprimer afin que les tenants de la civilisation puissent perdurer : la raison opère en maître souverain alors même que le moi n’est plus maître mais morcelé, divisé, débordé. La répression est contre productive : elle produit les névroses, sans que jamais ne soit anéanties les pulsions qui tentent sans cesse de resurgir. Le mouvement fait compulsion, il est répétition. Ainsi, lorsque l’homme se targue de vouloir la paix et le bonheur pour l’humanité, il déploie en fait et à son insu ce qu’il en est de la relance incessante des pulsions.

Derrida, dans l’article intitulé Le souverain bien – ou l'Europe en mal de

souveraineté256, renvoie à la distinction freudienne entre l’homme et l’animal du point de vue d’une relance des pulsions. Selon Freud, si l’homme est historique c’est parce qu’il s’inscrit dans une dynamique incessante entre la libido et la pulsion de destruction. Pour l’animal, en revanche, il y a un équilibre relatif entre le monde environnant et ses pulsions. C’est pourquoi, l’animal est lui, arrêté dans son histoire, dans laquelle il ne peut s’inscrire. Derrida affirme :

Pour l'homme, il est possible qu'un excès ou une relance de la libido ait provoqué une nouvelle rébellion de la pulsion de destruction, un nouveau déchaînement de la pulsion de mort et de la cruauté et donc une relance (finie ou infinie) de l'histoire. C’est l’histoire même, semble suggérer Freud, c’est la possibilité et la nécessité de l’avenir dont sont privés les animaux et auquel l’homme ne renonce pas. La recherche de la souveraineté, sous la forme du souverain bien, l'être en mal de souveraineté, serait hélas indissociable de la possibilité du mal même de la pulsion de pouvoir (Bemächtigungtrieb) et de la pulsion de destruction, voire de la pulsion de mort. Nous savons que l’effet de souveraineté – celle-ci fut-elle niée, partagée, divisée -, je ne dis pas la souveraineté elle-même, mais l’effet de souveraineté, est politiquement irréductible257. En effet, la politique n’a pas les moyens de s’opposer au fait, mis en évidence par Freud, que l’homme n’est pas un être doux mais qu’« il peut se targuer de compter au nombre de ses dons instinctifs une grosse part d’agressivité258 ». D’autant plus que se jouent en lui et sans cesse ces relances pulsionnelles. Freud déjà en 1930 dans Le malaise dans la civilisation aboutit à ce constat « pessimiste » : 255 Sigmund Freud, Op.cit., p. 9-10.

256 Jacques Derrida : Le souverain bien – ou l'Europe en mal de souveraineté Conférence de Strasbourg 8 juin 2004 in Revue Cités P.U.F. 2007/2 – numéro 30 p. 103 à 140

257 Ibid., p. 139-140.

[La civilisation] est un processus au service de l’éros, qui veut rassembler des individus humains isolés, puis des familles, puis des ethnies, des peuples, des nations en une grande unité, l’humanité. Pourquoi cela doit nécessairement se passer, nous l’ignorons ; admettons justement que c’est l’œuvre de l’éros. Ces ensembles d’êtres humains sont destinés à être liés par la libido ; la nécessité seule, les avantages de la communauté ne les maintiendront pas réunis. Mais à ce programme de la civilisation s’oppose l’agressivité naturelle des êtres humains, l’hostilité de l’un envers l’autre et de tous envers lui. Cette pulsion agressive est la descendante et la principale représentante de la pulsion de mort que nous avons trouvée à côté de l’éros, qui se partage avec lui la domination du monde. Dès lors, il me semble que le sens de l’évolution de la civilisation n’est pas obscur. Elle doit nécessairement nous montrer le combat entre éros et mort, pulsion de vie et pulsion destructrice, tel qu’il se livre à travers l’espèce humaine259.

Dire que le sens de la civilisation n’est pas obscur, sous-entend qu’il ne sert à rien de vouloir résorber cet antagonisme des pulsions. Néanmoins, Freud termine Le malaise

dans la civilisation en évoquant des propositions de thérapies pour les névroses

collectives. Il espère que « quelqu’un entreprendra un jour l’aventure d’une pathologie des communautés de civilisation », c’est-à-dire l’étude des symptômes, point d’appui pour les névroses individuelles, mais qui sont encore peu repérables au niveau des « masses ». Même si Freud reste dans la plus grande prudence quant à l’analogie entre les mécanismes de la névrose individuelle et ceux des pathologies des communautés civilisées, il n’empêche qu’il participe là aussi de l’illusion que le savoir pourrait résorber les effets délétères de l’antagonisme des pulsions. Cela est d’autant plus urgent, poursuit Freud, que nous sommes arrivés aux temps où la pulsion de destruction puisse déjà faire que les hommes parvinssent à s’exterminer les uns après les autres jusqu’aux derniers. Or, Derrida, refuse cette voie freudienne d’une éviction possible des antagonismes pulsionnels par le progrès du savoir et de la raison. Il soutient plutôt l’aporie, c’est-à-dire l’impossible du politique. Il affirme au contraire de Freud, que le psychanalyste doit se rendre, lui aussi « à la chance ou au risque de la décision responsable, au-delà de tout savoir concernant le possible260 ». Pour Derrida, il s’agit là comme ailleurs, de soutenir l’absence de solution, ce qui fait partie, à part entière, du processus spéculatif requis pour penser un au-delà de la pulsion. Il relève pour déjouer le processus spéculatif de la raison logique, le concept d’indirection et le spécifie ainsi à partir de la lettre à Einstein Pourquoi la guerre ? :

Bien que Freud ne le dise pas, et surtout pas de cette façon, ce concept de l’indirection me paraît prendre en compte, dans la médiation du détour, une discontinuité radicale, une hétérogénéité, un saut dans l’éthique (donc aussi dans le juridique et le politique)

259 Sigmund Freud, Le malaise dans la civilisation, Éditions Points, janvier 2010, p.135.

260 Jacques Derrida, États d’âme de la psychanalyse – Adresse aux états généraux de la psychanalyse, Éditions Galilée, 2000, p. 77.

qu’aucun savoir psychanalytique en tant que tel ne aurait propulser ou autoriser. Au sujet de la polarité amour/haine (qu’il compare politiquement pour Einstein à la polarité attraction/répulsion), Freud dit clairement en effet que, comme la polarité conservation/destruction cruelle, elle ne doit pas être hâtivement livrée à des jugements éthiques évaluant ‘’le bien et le mal261’’.

C’est dire que « le psychanalyste n’a pas à évaluer ou à dévaluer, à discréditer la cruauté ou la souveraineté d’un point de vue éthique262 ». Parce qu’il sait, et nous venons de le montrer avec Freud, « qu’il n’y a pas de vie sans la concurrence des deux forces pulsionnelles antagonistes263 ». Cela signifie aussi qu’en plus de la décision passive à laquelle il faut avoir la force d’aller, il faut de surcroît supporter une hétérogénéité, c’est-à-dire une discontinuité, un saut dans l’indécidable.

Derrida ouvre alors la question de l’histoire, au-delà de Heidegger et au-delà aussi de Freud. En effet, l’histoire selon Derrida doit se comprendre en discontinuité, en hétérogénéité, dans des sauts biffant la possibilité de la penser dans une maturation de la rationalité. Il n’y a pas de commencement de l’histoire, pas plus que l’on ne peut résorber la cruauté avec une solution historiquement envisagée par un retour qui permettrait de retrouver des origines plus authentiques, ce que propose Heidegger. Cela suppose également, au-delà de Freud de rompre avec une stratégie du possible ou de l’histoire qui se penserait selon des mutations performatives, autrement dit dans des processus de progrès c’est-à-dire dans la réalisation d’une rationalité ultérieure, ce à quoi Freud souscrit lui-même par l’idée d’une économie du possible grâce aux effets de la sublimation par exemple. À ces processus, Derrida oppose d’envisager l’histoire selon des sauts, des hiatus, là où le progrès n’est jamais possible dans la mesure où l’histoire ne peut être performative, c’est-à-dire ne peut maîtriser, neutraliser l’événement, l’arrivance de l’altérité.

René Major, dans …entre Derrida et Freud, article de 2015 consacré à la question du politique chez Derrida, affirme que selon le philosophe, il n’y a pas d’histoire linéaire mais une histoire faite d’interruptions et de reprises dans le temps. « La diachronie et la synchronie ne s’opposent pas purement et simplement, mais sont imbriqués dans un processus d’altération réciproque264. » Major affirme qu’avec Derrida : 261 Jacques Derrida, États d’âme de la psychanalyse – Adresse aux états généraux de la psychanalyse, Éditions Galilée, 2000, p. 76. 262 Ibid. 263 Ibid. 264 René Major, …entre Derrida et Freud, Revue Lignes, numéro 47 : Derrida politique, Éditions Lignes wwweditions-lignes.com, mai 2015, p. 163.

Ce qui est mis en question n’est rien moins que la façon de penser l’histoire en la périodisant alors qu’aucune ligne indivisible n’en marque les frontières : de l’âge classique ‘’les effets sont encore perceptibles’’, de l’antiquité grecque ‘’les concepts sont

plus vivants et survivants que jamais’’ etc. La singularité de l’événement est ‘’d’autant plus irréductible et déroutante qu’on renonce à cette histoire linéaire’’. Derrida se situe depuis

longtemps, depuis ‘’Freud et la scène de l’écriture’’ le plus explicitement dans le sillage de la voie tracée par une pensée qu’il n’y a pas de pur présent, de pure présence, que le présent porte toujours des traces du passé, d’un passé lointain ou proche, quel que soit l’avenir que ce présent tente de dessiner265.

L’aporie du politique ne peut donc que demeurer, parce qu’il ne peut y avoir réalisation d’un devoir-être dans l’histoire et au niveau collectif. Toutefois, il peut y avoir une pensée qui se décentre du politique et de l’histoire, en les envisageant à partir d’un autre rapport. Cette pensée qui laisse une chance de penser le décentrement, c’est celle de la psychanalyse. Certes, Freud ne propose aucune nouvelle conception du monde, pas plus que Derrida. Mais, ils envisagent l’un à la suite de l’autre (Derrida tentant de penser aussi un changement de rapport à Freud), de laisser place à un espace. Major le dit ainsi : laisser un espace « – où se loge l’idée de Dieu, de ce qu’on appelle de ce nom ou d’un autre nom comme le grand autre - la place d’un autre rapport à tout autre, à soi et au monde, un rapport qui ne soit pas entièrement pris dans les effets de la pulsion de pouvoir, de domination et de souveraineté, c’est-à-dire dans l’arraisonnement à son service du zoè et du bios, de tous les registres pulsionnels de l’agressivité et de la sexualité. La psychanalyse est en ce sens politique266 », mais en aucun cas une politique performative et linéaire. Car, le changement de rapport s’envisage à partir d’une hétérogénéité à tous les niveaux : entre soi et l’autre, au sein de soi-même et dans l’histoire.

Derrida ne fait alors qu’affirmer ou plus exactement il ne peut que proposer de ne pas pouvoir car il se situe dans un au-delà du performatif, cela dans la mesure où il tente de penser une déconstruction de tous les processus du pouvoir en lesquels est toujours susceptible de se cacher la cruauté. Autrement dit, plutôt que d’affirmer qu’il peut y avoir quelque référence à l’inconditionnel - à l’inconditionnel sans souveraineté et donc sans cruauté ce qui reviendrait au pouvoir du « je peux » (I can, may) -, Derrida avance une affirmation. Tout comme l’on avance un pion sur l’échiquier du jeu de l’adversaire, jamais certain que la stratégie soit opératoire et peu importe, car Derrida s’avance sans

265 René Major, …entre Derrida et Freud, Revue Lignes, numéro 47 : Derrida politique, Éditions Lignes wwweditions-lignes.com, mai 2015, p. 168.

s’avancer, sans proposer de réponse c’est-à-dire sans envisager la moindre performance de l’affirmation :

Cette affirmation que j’avance, elle s’avance elle-même, d’avance, déjà, sans moi, sans alibi, comme l’affirmation originaire depuis laquelle, et donc au-delà de laquelle les pulsions de mort et de pouvoir, la cruauté et la souveraineté se déterminent ‘’au-delà’’ des principes. L’affirmation originaire, qui d’avance ainsi s’avance, elle se prête plutôt qu’elle ne se donne. Ce n’est pas un principe, un principat, une souveraineté. Elle vient donc de l’au-delà, et donc de l’au-delà de l’économie du possible. Elle tient à une vie certes, mais à une vie autre que celle de l’économie du possible, une vie im-possible sans doute, une sur-vie, et non symbolisable, mais la seule qui vaille d’être vécue, sans alibi, une fois pour toutes, la seule à partir de laquelle (je dis bien à partir de laquelle) une pensée de la vie devient possible267.

Cette pensée de la vie, même si elle est pensée comme impossible, s’entend de façon vibrante chez Derrida dans cet appel de 2004 :

Mais comment faire pour que cet être en mal de souveraineté légitime et inconditionnelle ne devienne pas une maladie mortifère ? C’est l’impossible même. La politique, le droit, l’éthique sont peut-être autant de tractations avec cet impossible-là268.

Penser un changement de rapport pour une vie sans alibi, ce pourrait être ainsi se penser soi-même dans la résistance, le combat, le seul qui vaille, celui qui se joue entre soi et soi-même, celui où « le sujet, dans son irréductible singularité » peut se soustraire « aux rhétoriques et stratégies de soumission et d’assujettissement269 » aux lois de la souveraineté. Là où par un jeu de tractations entre la pulsion d’Éros et la pulsion de mort, pourrait s’envisager un au-delà de ce qui en elles produisent parfois la destruction,