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d) Laisser advenir de l’autre et non l’Être ou la désistance du sujet

Il est remarquable de constater combien sont fréquentes les références à la psychanalyse dans l’œuvre de Jacques Derrida, particulièrement lorsqu’il travaille la pensée heideggérienne. Or, ces occurrences se déploient notamment par rapport à la question du sujet. Mais force est de constater que souvent, Derrida aborde les questions ouvertes par la psychanalyse sans les emprunter franchement. Ces renvois sont de deux types : soit pour montrer une continuité de pensée entre Heidegger et Lacan172, soit pour mettre en évidence comment le coup d’envoi freudien permet d’entrevoir la possibilité d’une rupture avec la tradition philosophique. Dans les deux cas, Derrida fait apparaître comment les ouvertures décisives permises par la pensée de Heidegger, ont au final achoppé, ne permettant pas de véritablement interroger la métaphysique, tout comme la fondation du Dasein aurait échoué à véritablement penser les limites du sujet. Certes, Derrida, comme Heidegger, reconnaît l’impossibilité de penser hors du champ strict de la métaphysique : il n’y a pas de dépassement simple, d’Überwindung possible. Néanmoins, Derrida poursuit la tentative de faire un pas de plus, de ne pas demeurer sur le seuil de la question, d’entrer dans le vif du sujet. Pour ce faire, la psychanalyse est requise : emboîter le pas de la psychanalyse, là où Heidegger ne s’est jamais rendu173. Si proche pourtant de saisir ce qui se dérobe à la mainmise, œuvrant à une Destruktion de l’onto-théologie, repérant les illusions à l’œuvre dans la phénoménologie, Heidegger demeure dans une approche où la Jemeinigkeit se comprend dans la constance d’« un

Dasein comme étant chaque fois à moi », y compris dans « la constance dans le n’être-pas-soi-même174. » Sans doute est-ce dans cette dernière formulation : « une constance dans le n’être-pas-soi-même », que se dévoile une nuance subtile, où Derrida entend les résonances heideggériennes à l’endroit de ce que la psychanalyse freudienne ouvrira vraiment. Derrida, reprenant le paragraphe 25 de Sein und Zeit dans Heidegger : la

172 Si nous ne nous approchons pas encore de Lacan dans cette première partie, c’est parce que nous y consacrerons la deuxième partie dans son ensemble. 173 Nous travaillerons plus loin et très spécifiquement cette expression derridienne « se rendre à… ». Elle concentre en effet de nombreux envois vers un au-delà de la pensée logocentrique et est notamment mise en évidence dans ses occurrences, dans l’ouvrage Demeure, Athènes. 174 Martin Heidegger, Sein und Zeit, De l’édition séparée de Sein und Zeit : Max Niemeyer Verlag, Tübingen, 1976. De la Gesamtausgabe : Vittorio Klostermann, Francfort-sur-le-Main, 1977. Éditions Gallimard, Paris, 1986, pour la présente édition, § 25, p. 158.

question de l’Être et l’Histoire (séance du 25 janvier 1965), convoque explicitement la psychanalyse pour la confronter aux apports heideggériens :

Va-t-il donc a priori de soi que l’accès au Dasein doit être une simple réflexion [vernehmende = traduit par ‘’spéculation’’ par Boehm et Waelhens. Cela veut dire une réflexion en théorie, qui regarde ou écoute, ou assiste…] sur le moi comme le moi de ses actes [das Ich von Akten = comme le pôle où l’auteur de ses actes] ? Et si d’aventure ce mode de Selbstgebung [de donné de soi : notion husserlienne] du Dasein était une Verfürung [une séduction, un égarement subornant pour l’analytique existentielle et en vérité une séduction transcendantale], une séduction dont la nature se fonderait elle-même dans l’être du Dasein ? Peut-être le Dasein, dans l’allocution (Aussprechen) la plus immédiate qu’il s’adresse à lui-même, dit-il toujours : je le suis (ich bin es) et finalement peut-être le dit-il le plus bruyamment lorsque précisément il n’est pas cet étant ? Et si d’aventure la structure du Dasein – à savoir qu’il soit mien [sa Jemeinigkeit] – était le fondement de ce que le Dasein ne fût d’abord et le plus souvent lui-même175 ?

Outre les commentaires faits au fil de ce texte de Heidegger, il est fondamental de lire ce que Derrida ajoute immédiatement après ce questionnement, à propos de l’illusion qu’il y aurait à se saisir soi-même dans la sécurité d’un moi, au moment où ce moi m’est donné dans l’évidence de l’immédiateté. En effet, ce questionnement s’effectue par l’appel à la rescousse de la psychanalyse :

Il est bien évident que c’est ici le lieu précis de la question précise que ce que l’on appelle la théorie psychanalytique doit poser au tout de la métaphysique classique en sa forme la plus moderne et la plus éminente, à savoir la phénoménologie transcendantale, si du moins la théorie psychanalytique veut ou doit dialoguer avec la pensée philosophique en soi176.

Cette question est donc celle d’un moi qui se déroberait au moment même où il se croit dans la plus grande sécurité de son égoïté. Derrida affirme ainsi que pour Heidegger « la Jemeinigkeit elle-même, est montrée comme cela même qui rend possible la Verfürhung et que, disant moi où le moi m’est donné dans l’évidence, je vise un non-moi qui ne serait pas une non-égoïté (chose naturelle) mais un autre-moi et que je sois, alors même que je hurle je suis et je suis moi, dans la Selbstverlorenheit177», c’est-à-dire dans la perte de l’ipséité. Or, tout cela se joue bien dans le maillage complexe entre conscience et non-conscience, puisqu’il s’agit pour Heidegger d’une fausse piste, une « ruse » traduit Derrida, dans laquelle le Dasein est joué par son moi, lorsque se percevant lui-même dans l’évidence de l’autodonation, il se croit abusivement au centre

175 Jacques Derrida, Heidegger : la question de l’Être et l’Histoire – Cours de l’ENS-Ulm 1964-1965, Cinquième séance. Le 25 janvier 1965, Éditions Galilée, 2013, p. 182-183.

176 Ibid., p. 183-184.

de toute préoccupation. C’est précisément à cet endroit de la question, lorsqu’il émet des doutes à propos de la conscience, entendue comme centre de rapport à soi et au monde, que Heidegger se sépare de son maître Husserl et ouvre des questions similaires à celles de la psychanalyse. Car, en affirmant que le moi n’est pas un donné stable et substantiel – qu’il n’est pas être-là-devant, séparé du monde quand bien même il est perçu comme une évidence -, Heidegger critique en filigrane les apports de la phénoménologie husserlienne, puisqu’il conteste en effet par là l’idée que « la région conscience » soit le terme ultime de la réduction qu’implique l’exercice rigoureux de la démarche phénoménologique. Ainsi, Heidegger cherche à rectifier les erreurs qui se trament pour « aller à l’encontre de ces pseudo-questions qui, se propageant de génération en génération, viennent souvent prendre leurs aises à titre de ‘’problèmes 178’’. » Il questionne en effet toute la philosophie sur l’illusion qu’il y aurait à se saisir soi-même dans la sécurité d’un moi, au moment où ce moi m’est donné dans l’évidence de l’immédiateté. C’est exactement là que Derrida convoque la psychanalyse, ce que Heidegger refusera toujours de faire, pointant d’emblée les faiblesses philosophiques de la métapsychologie de Freud. Derrida lui, appelle à un dialogue. Puisque maintenant, les acteurs traditionnellement antagonistes de la scène de la pensée (la philosophie et la psychanalyse) sont arrivés l’un en face de l’autre, il s’agit pour Derrida de les faire jouer ensemble, de continuer la pièce, quand bien même l’intrigue aurait été désorientée par la psychanalyse.

Ce que Derrida pense grâce à la psychanalyse et au-delà de Heidegger, c’est l’idée de la désistance du sujet. Même si Freud reste encore selon Derrida, lui aussi, enfermé dans les concepts de la métaphysique, et qu’il garde pour cela, vis à vis de la psychanalyse, une distance vigilante, il lui sait gré d’obliger à penser la multiplicité ou la divisibilité de ce que l’on appelle le « moi », le « sujet », la « personne ». Derrida reprenant cette capacité de l’errance, propose d’ouvrir encore plus largement les voies de la pensée, afin de les exposer au risque d’une désistance du sujet. Ce terme derridien désigne l’idée selon laquelle :

Quelque chose a commencé avant moi qui en fais l’expérience. […] Si j’insiste pour en rester le sujet, ce serait en tant que sujet prescrit, pré-inscrit, d’avance marqué par l’empreinte de l’inéluctable qui le constitue sans lui appartenir. Il ne peut se l’approprier alors qu’elle paraît être son propre. On voit se profiler ce que nous analyserons plus loin, une certaine désistance constitutive du sujet. […] Avant toute décision, avant toute

178 Martin Heidegger, Sein und Zeit, Traduction Emmanuel Martineau, Édition numérique hors commerce, § 7, p.42.

désistion, dirait-on aussi en anglais pour désigner a cessation of being, le sujet est désisté sans être passif, il désiste sans se désister, avant même d’être sujet d’une réflexion, d’une décision, d’une action ou d’une passion. Dira-t-on alors que la subjectivité consiste en une telle désistance ? Justement non, et c’est de l’impossibilité de consister qu’il s’agit ici, d’une singulière impossibilité : tout autre chose qu’une inconsistance. Plutôt une ‘’(dé)-constitution179’’.

René Major affirme que depuis Derrida, il fait de ce terme derridien « désistance », un concept central de la psychanalyse. René Major rend compte de la définition de la

désistance par Derrida comme ce qui, selon la formulation du psychanalyste, double ou

désinstalle tout ce qui assure la raison. Même si un certain type de raison est désinstallée par Derrida, ajoute René Major, il ne s’agit pas pour autant de « sombrer dans la déraison ‘’contre laquelle se stabilise l’onto-idéologie platonicienne, voire son interprétation par Heidegger180 ’’ ». Ce que Derrida veut envisager c’est une autre raison que celle fondée sur la tradition philosophique : il souhaite penser une raison psychanalytique. Or, cela ne suppose pas que le sujet soit supprimé. Au contraire, Derrida ne cesse de convoquer la question du sujet dans sa dimension éthique en vue d’élargir les champs de sa responsabilité. En revanche, avec Heidegger le sujet est sacrifié, neutralisé pour qu’il y ait avant toute représentation de soi-même, un laisser-être du Dasein, seul susceptible d’entendre l’appel de l’être. Cela peut s’entendre au point que le sujet puisse se dissoudre dans l’unité du peuple et de la langue allemande. Or, l’unité ou l’Un sont ce que Derrida récuse avec force. Il réclame le Plus d’une langue,

Plus d’une raison, Plus d’une philosophie, mais aussi Plus d’un moi au sein du sujet. Une

pensée du supplément constitue l’engagement éthique et politique de Derrida : « Il serait injuste et simplificateur de dire que Heidegger violente la différence, la dislocation, la dissémination : on pourrait avoir une lecture de Heidegger montrant qu’il y a chez lui une pensée de la dislocation. Mais il y a une force qui prévaut du côté du rassemblement, de l’être près de soi181. » Contre cette force, Derrida oppose la faiblesse que provoque la dissociation ou l’altérité infinie. « Penser une certaine justice, suppose la dysharmonie, la dissonance absolue, l’altérité, la singularité absolue – quelque chose qui ne se laisse 179 Jacques Derrida Psyché –Désistance », Éditions Galilée, 1987, p. 598 et 601. 180 René Major Derrida, lecteur de Freud et de Lacan, article paru dans la revue Études françaises, 38, 1-2, 2002, p. 171. 181 Dominique Janicaud, Heidegger en France – II. Entretiens du 1erjuillet et du 22 novembre 1999, Éditions Albin Michel, 2001, p. 116 – 117.

pas rassembler182. » Avec Derrida doivent exister ensemble, sans opposition, l’altérité et la singularité absolue.

Dans l’entretien réalisé en mars 2004 avec Michal Ben-Naftali, consigné dans La

mélancolie d’Abraham, Derrida travaille sur cette idée selon laquelle les formations que

sont le moi, le sujet, l’individu sont des effets d’indivisibilité, provisoires, fragiles, relatifs, précaires, mais que cela n’empêche nullement la possibilité de se penser responsable. Il affirme : « au fond, je ne suis pas toujours moi-même. Je suis divisé. Je suis

plusieurs. Je suis à la place de plusieurs, je suis à la place de l’autre. Et il y a des autres en

moi - Je ne suis pas le même d’un instant à l’autre183. » Derrida, loin de déplorer cette divisibilité, la revendique. Pour cela, il en appelle aux apports de la psychanalyse, qui « nous oblige à penser la multiplicité ou la divisibilité de ce que l’on appelle le ‘’moi’’, le ‘’sujet’’, la ‘’personne184’’. » Derrida précise : « Ce que j’apprends de la psychanalyse, c’est que je suis toujours déjà divisible. C’est qu’il y a en moi plusieurs lieux, plusieurs instances, plusieurs images, plusieurs imago185. » Néanmoins, ajoute-t-il, s’il y a en effet

des autres en moi, cela n’empêche pas d’essayer « d’être le même quand on essaye par exemple, d’être fidèle. On essaie d’être le même que celui qui a prêté serment. Mais il n’y aurait pas eu de serment, il n’y aurait pas eu de désir d’être le même, si celui-ci n’était pas incessamment menacé par la divisibilité. Si je jure que demain j’aimerais encore quelqu’un, c’est parce que je sais qu’il est possible que ce ne soit pas le cas. Il est possible que cela change. Autrement, je ne prêterais pas serment et ne jurerais jamais186. » Cela la psychanalyse nous l’explique affirme Derrida : [la psychanalyse] explicite comment se forme un sujet apparemment indivisible, avec un nom propre, un rapport au père, à la mère : là il y a le moi. Et c’est une formation qui a une histoire. Justement le fait qu’il y a une individuation formée prouve qu’on n’est pas indivisible. Certes on se protège car sinon on tomberait en poussière. On se protège en formant de l’individuation, mais ce n’est toujours qu’un processus inachevé où l’on tente de consolider sa subjectivité, son individualité, son moi ; or, ces efforts qui sont des efforts sociaux, des efforts de constitution, de stabilisation, de statut prouvent qu’au fond il n’y a pas d’individu et qu’il y a toujours déjà de la divisibilité. […] Par conséquent, on

182 Dominique Janicaud, Heidegger en France – II. Entretiens du 1erjuillet et du 22 novembre 1999, Éditions

Albin Michel, 2001, p. 116 – 117.

183 « La déconstruction et l’autre », Les Temps Modernes. Derrida, l’événement déconstruction, 67e année, Juillet/octobre 2012, N° 669/670. Entretien avec Jacques Derrida réalisé par Michal Ben-Naftali à Ris-Orangis, en mars 2004, intitulé « La mélancolie d’Abraham », p. 44-45.

184 Ibid., p. 44.

185 Ibid.

crée l’indivisible, on produit des effets d’individuation qu’on appelle individu, le sujet, le moi, l’État, le droit, la nation187… Derrida ajoute que ce qui domine pour le sujet, c’est qu’il n’y a pas d’indivisibilité, qu’il n’y a rien qui soit indivisible. C’est en cela que l’errance ne suppose jamais un retour à destination, autrement dit que le voyage est sans retour vers le même ou le soi-même, que le processus de stabilisation du moi est à jamais inachevé.

Ainsi, selon Derrida le sujet ne se désiste pas et ne désiste jamais, mais au contraire par cette fragilité le sujet se constitue. Si en effet pour Derrida, la désistance est constitutive ou essentielle, c’est parce qu’elle éloigne d’elle toute constitution et toute essence. Cela dans la mesure où je ne suis que parce qu’« il faut que cela commence une fois, un jour, selon la nécessité de ce qui sera annoncé au futur. Moi qui le dis, je précède et anticipe ainsi l’événement de ce qui m’arrive, ce qui arrive à moi ou auquel j’arrive. Je suis alors comme le sujet (libre) ou l’accident (aléatoire) de l’inéluctable. Celui-ci ne me constitue pas. Je suis constitué sans lui188. » Même si je ne me constitue pas par ma seule volonté libre, et que je suis seulement comme un sujet (libre), il n’empêche que je suis constitué sans l’inéluctable, ce qui suppose que je doive entendre que je suis désisté de moi-même par l’inéluctable, cet inéluctable étant alors une pré-impression et la marque de la désistance du sujet. Comme si j’étais un sujet libre, je dois dès lors endosser ce qui m’arrive. Ainsi, Derrida n’a pas pour but de détruire l’idée du sujet, mais d’en déconstruire les certitudes et les formations, toujours issues d’une illusion de maîtrise de soi, et cela tout comme Freud l’avait fait avant lui. Pour Derrida, c’est dans cette idée d’une désistance du sujet que le sujet se constitue tout en se (dé)constituant, en parvenant notamment à s’envisager en-dehors des rets de la raison et des héritages métaphysiques. Il ne s’agit jamais de remettre en cause l’idée même d’un lien du sujet avec lui-même et le monde, puisque Derrida affirme, dès 1967 dans Violence et

métaphysique, que « rien ne peut apparaître hors de l’appartenance à ‘’mon monde’’

pour un ‘’Je suis189’’ ». C’est le fait primitif auquel doit faire face le philosophe (tout philosophe) et c’est même là, selon Derrida, que se trouve « la seule possibilité pour faire échec à un totalitarisme du neutre, à une ‘’Logique absolue’’ sans personne, à une

187 Les Temps Modernes. Derrida, l’événement déconstruction, 67e année Juillet/octobre 2012, N° 669/670. Entretien avec Jacques Derrida réalisé par Michal Ben-Naftali à Ris-Orangis, en mars 2004, intitulé « La mélancolie d’Abraham », p. 44-45.

188 Jacques Derrida Psyché –Désistance », Éditions Galilée, 1987, p. 598.

189 Jacques Derrida, L’écriture et la différence « Violence et métaphysique », Éditions du seuil, 1967, p. 193-194.

eschatologie sans dialogue et à tout ce qui se range sous le titre conventionnel, très conventionnel du hégélianisme190. » Toutefois, cette ipséité radicale et incontournable ne se constitue pas sans violence, tel est le problème que ne cesse de soulever Derrida. Car elle suppose l’appropriation du discours, d’un discours qui se constitue par le logos afin de résister à la (dé)constitution de l’errance dans la pensée. Le présent vivant étant travaillé par la mort, par l’effacement de soi, il y a nécessairement une résistance à cette dissolution, à travers les discours de la raison et du vouloir-dire-intentionnel crispés dans le souci de la question de l’identité à soi et tentant toujours de résorber les oppositions et l’altérité. C’est contre cette violence que Derrida précisera à Jean-Luc Nancy dans l’entretien intitulé « ‘’Il faut bien manger’’ ou le calcul du sujet », à quel point il est essentiel du point de vue éthique de déconstruire de façon rigoureuse les discours traditionnels sur le sujet, tant ils sont traversés par ces dynamiques la plupart du temps inconscientes :

On ne pourra refondre, sinon refonder de façon rigoureuse un discours sur le ‘’sujet’’ sur ce qui tiendra la place (ou remplacera la place) du sujet (du droit, de la morale, de la politique, autant de catégories soumises à la même turbulence) qu’à travers l’expérience dune déconstruction dont il faut rappeler une fois de plus à ceux qui ne veulent pas lire qu’elle n’est ni négative, ni nihiliste, pas même d’un nihilisme pieux, comme j’ai entendu dire. Un concept (c’est-à-dire aussi une expérience) de la responsabilité est à ce prix. Nous n’avons pas fini de le payer. Je parle d’une responsabilité qui ne soit pas sourde aux injonctions de la pensée. Comme tu l’as dit un jour, il y a du devoir dans la déconstruction. Cela doit être ainsi, s’il y en a, du devoir. S’il doit y en avoir. Le sujet, s’il doit y en avoir, vient après191.

De ce sujet qui vient après, la psychanalyse sait particulièrement repérer les processus, dans la mesure où elle s’inaugure de l’idée d’une conscience dépossédée de ses privilèges. La psychanalyse renverse en effet le schéma classique selon lequel la conscience est le fondement de l'acte et elle met à la place l'idée d'une conscience comme état final. La conscience est considérée comme l’aboutissement d’un déterminisme psychique, inscrit dans une chaine causale, dont le sujet ne maîtrise pas les mécanismes. Si René Major fait de la désistance « derridienne » un terme central de