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Progression démographique du Luxembourg 1875-2019

dans la capitale Luxembourg-ville pour constituer l’un des critères de recrutement les plus fréquents.

La grande plasticité glottopolitique du Luxembourg se manifeste également à l’égard de revendications internes, parallèlement à la tertiarisation et à l’internationalisation de l’économie locale. Le parler germanique vernaculaire, le luxembourgeois, est reconnu en 1984 langue nationale des Luxembourgeois. Institutionnellement, le Luxembourg passe de pays bilingue à pays trilingue dans la sphère socio-politique, et quadrilingue avec l’anglais, dans le domaine du droit commercial. Depuis son intronisation officielle, le luxembourgeois fait l’objet d’une promotion locale qui maintient sa diffusion et sa pratique au point que son statut auprès de l’Atlas UNESCO des langues en danger dans le monde est passé de « en danger » en 1996 (Fehlen, 1998, p. 19) à « vulnérable » en 2010156. Son nombre de locuteurs augmente chaque année notamment parce qu’une connaissance minimum du luxembourgeois est requise pour obtenir la nationalité luxembourgeoise depuis la loi du 23 octobre 2008157 (article 14, alinéa 2) qui dispose obligatoire « d’avoir une connaissance de la langue luxembourgeoise, documentée par le certificat de réussite à l’examen d’évaluation de la langue luxembourgeoise ». Le niveau requis du CECRL pour l’obtention de la nationalité est A2 en expression orale, B1 en compréhension orale158. L’augmentation de la population locale est très largement due à la naturalisation des étrangers vers la nationalité luxembourgeoise puisque le solde naissance/décès de 2016 fait apparaître un gain net de 53 individus pour 307 000 nationaux (Cf. figure III : Taux de natalité et de fécondité au Luxembourg par nationalité). En revanche, dans le même temps, le Grand-Duché a enregistré 7140 nouveaux citoyens naturalisés en 2016, 9030 en 2017 et 11876 en 2018.

156http://www.unesco.org/languages-atlas/index.php?hl=en&page=atlasmap&lid=2742

157http://legilux.public.lu/eli/etat/leg/loi/2017/03/08/a289/jo

XV I. Naturalisations de la natio nalité luxembou rgeoise de 20 10 à 201 8

©STATEC :https://statistiques.public.lu/stat/TableViewer/tableView.aspx?ReportId=12910&IF_Language=fra& MainTheme=2&FldrName=2&RFPath=100

Ce taux élevé de naturalisations explique le maintien d’une croissance démographique, quoique faible, des ressortissants du pays comme il révèle en soi l’attractivité du pays qui attire un flux continu d’étrangers aspirant à s’y stabiliser. La sensibilisation à la langue luxembourgeoise étant une condition sine qua non pour l’obtention de la citoyenneté, la survie théorique de la langue locale est par conséquent assurée. Cependant l’attractivité du pays est d’abord garantie par le multilinguisme local qui permet un accès aux documents administratifs comme au marché de l’emploi, en fonction de ses qualifications, par l’intermédiaire du français, de l’anglais, de l’allemand, voire du portugais. En tant que langue professionnelle, le luxembourgeois est confiné au secteur public et est absent des documents officiels. Enfin, le luxembourgeois n’a pas de statut international. Il n’est reconnu ni par l’Organisation des Nations Unies, ni par l’Union européenne. Son existence n’est assurée que par l’action des autorités locales.

Par conséquent, la politique linguistique luxembourgeoise se tend sur deux axes qui peuvent paraître contradictoires mais qui confèrent au pays sa particularité :

• la promotion de la langue nationale : le luxembourgeois est le symbole de l’identité nationale et de l’affirmation de l’unité culturelle du pays. Depuis sa reconnaissance en 1984, les autorités mettent en œuvre un certain nombre de dispositifs qui encouragent sa circulation ;

• la promotion du multilinguisme national : pour des raisons pragmatiques et socio-économiques, le Luxembourg tient à son multilinguisme institutionnel. Il participe également, pour des raisons historiques, de la construction identitaire du pays. En effet,

les Luxembourgeois natifs se perçoivent très largement comme des locuteurs naturellement trilingues dont ils tirent un certain orgueil vis-à-vis de leurs voisins.

Toute la gageure pour les autorités locales réside dans le fait de concilier les aspirations de la population à la promotion du vernaculaire local tout en entretenant officiellement le multilinguisme historique et administratif de la nation. De fait, la vitalité économique du Luxembourg est assurée par la présence des étrangers et des navetteurs frontaliers. Les origines linguistiques des étrangers se sont diversifiées. La question se pose donc de l’intégration de ces populations dans le pays. Intégrer des adultes par l’acquisition obligatoire de trois ou de quatre langues est illusoire. Une des clés choisies par les autorités pour répondre à ce dilemme est d’opter pour la cohabitation bien que cette situation puisse provoquer des tensions au sein de la population totale.

Chapitre 1. Constitution du corpus de terrain

L’étude des politiques linguistiques luxembourgeoises s’est, en partie, basée sur la constitution d’un corpus d’entretiens et la collecte de questionnaires distribués sur une durée de trois ans. Compte tenu de l’objet spécifique de cette étude, il m’a semblé pertinent d’entrer en contact avec des acteurs locaux investis ou impliqués dans les structures nationales, publiques ou privées, d’accueil et d’orientation des étrangers et/ou des personnes en détresse sociale susceptibles d’être confrontés à des difficultés d’ordre linguistique dans leurs projets d’insertion ou d’intégration. Étaient visées pour l’enquête des interlocuteurs travaillant auprès des ministères de l’Éducation nationale et de la Famille, directement en charge de la gestion des politiques d’insertion et d’accueil. Les organismes du milieu associatif œuvrant dans le secteur caritatif et d’aide aux personnes en difficultés ont également été ciblées.

Les prises de contact par courriers électroniques ont commencé dès le dernier trimestre de l’année 2015. Je précisais dans mon courrier l’objet de ma démarche, en expliquant qu’il s’agissait d’un travail scientifique et non polémique, que les personnes interviewées seraient anonymisées, que la transcription des entretiens leur serait soumise avant publication définitive pour qu’elles puissent les commenter, les corriger le cas échéant et les avaliser. Il s’est immédiatement avéré que la réalisation d’entretiens serait ardue. Pour des raisons encore inconnues, la plupart des personnes contactées ont décliné l’invitation à participer à un entretien prétextant le plus souvent le manque de disponibilité. D’autres ont répondu qu’elles n’étaient pas habilitées pour répondre aux questions d’un étudiant. Certaines ont directement invoqué leur devoir de réserve ou le secret professionnel. Les refus étaient largement majoritaires. Mais dix personnes ont accepté de me recevoir, certaines après plus de 12 mois de négociation et en ayant reçu officiellement l’accord de leur hiérarchie, avec la garantie qu’elles pourraient relire et modifier la transcription de l’entretien si elles le souhaitaient. Trois entretiens sur les dix ont effectivement été modifiés, deux d’entre eux presque totalement après relecture des enquêtés. J’ai été placé devant l’obligation de signaler ces interventions à ma directrice de recherche, Mme Ksenija Djordjević Léonard du laboratoire EA 739-Dipralang de l’université Paul Valéry Montpellier III. Nous avons convenu que nous respecterions la volonté des enquêtés et que la version figurant dans cette étude serait celle modifiée par leurs soins.

Les entretiens ont été réalisés sur le mode semi-directif ou interactif tel que défini par Jacques Bres (Bres, 1999, p. 68). J’ai donc préparé une liste préalable de questions que j’ai soumises aux témoins dans mes courriers d’invitation mais en précisant que ces questions pouvaient

donner lieu à des digressions de ma part en fonction de leurs réponses ou de la tournure prise par la conversation. La liste de questions préalable était la suivante :

1. Dans le cadre des projets de réinsertion proposés par XXX, à quels apprentissages de langues les candidats ont-ils accès ?

2. Une langue est-elle privilégiée dans ce cursus par rapport à d’autres et, si oui, laquelle et pourquoi ?

3. Quels sont les volumes horaires des différentes langues ? 4. Le trilinguisme est-il un objectif à atteindre ?

5. Une langue, ou une double compétence linguistique (par ex. français-luxembourgeois/français-allemand/etc…) est-elle privilégiée dans vos conseils aux personnes ?

6. Conseillez-vous une langue en particulier ? Si oui, laquelle et pourquoi ?

7. Les populations que vous accueillez ambitionnent-elles déjà l’apprentissage d’une langue en particulier quand elles arrivent au Luxembourg ?

8. Percevez-vous une évolution des pratiques ou des comportements linguistiques depuis ces 10 dernières années ?

9. Les autorités luxembourgeoises ont-elles développé ou encouragé des politiques linguistiques spécifiques ?

Les questions étaient à même d’être modifiées au cours des entretiens en fonction des réponses apportées par les témoins. Toutes les transcriptions définitives sont reportées en annexe. Les enquêtés appartiennent aux organismes suivants :

- la Croix-Rouge de Luxembourg159, active notamment dans l’accueil des réfugiés au Luxembourg. L’informatrice est luxembourgeoise ;

- l’association ATD Quart-monde160, intervenant dans le domaine de l’aide aux personnes en détresse. L’informatrice est luxembourgeoise ;

- la ligue luxembourgeoise d’hygiène mentale161, en charge des personnes en souffrance psychologique. L’informatrice est belge francophone ;

159http://www.croix-rouge.lu/

160https://www.atdquartmonde.lu/

- le SCRIPT162 (Service de Coordination de la Recherche et de l’Innovation pédagogiques et technologiques), entité du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse (MENJE) et notamment chargé, pour le Luxembourg, de piloter un projet transfrontalier d’insertion dans le monde du travail de jeune en échec scolaire, le projet Training Without Borders (TWB). L’informatrice et l’informateur sont Français ; - le ministère de l’Éducation nationale de l’Enfance et de la Jeunesse163, au sein duquel

deux enseignants ont accepté l’invitation à un entretien. L’informatrice et l’informateur sont luxembourgeois ;

- le service Enseignement et Formation du centre pénitentiaire de Givenich164, chargé de la réinsertion des détenus en fin de peine ou purgeant des peines de courte durée. L’informateur est luxembourgeois ;

- le Centre de Formation Lucien Huss (CFLH)165, centre de formations linguistiques agréé par le gouvernement et dispensant des cours aux migrants et aux réfugiés. L’informatrice est belge francophone ;

- l’association Initiativ Rëm Schaffen (Retour au travail)166, agréée par le gouvernement pour aider à l’intégration des personnes sur le marché de l’emploi en coordination avec l’Agence pour le Développement de l’Emploi (ADEM), administration publique en charge du chômage et du retour à l’emploi. L’informatrice est luxembourgeoise.

Face au nombre trop faible d’entretiens réalisables, la décision a été prise de concevoir un questionnaire sur les choix, comportements et stratégies linguistiques adoptés par les personnes étrangères installées au Luxembourg. Le questionnaire a été distribué à 95 personnes non luxembourgeoises fréquentant les cours de Français Langue Étrangère que je dispense en ma qualité professionnelle de formateur FLE pour le compte du consortium Alliance Europe Multilingue-CIEP-Prolingua167, en charge des formations linguistiques auprès des institutions européennes sises au Luxembourg, ainsi que dans le cadre de cours de langue dispensés au sein de l’école Prolingua168 pour des apprenants en cours collectifs ou individuels s’y inscrivant à titre privé. Les questionnaires ont été distribués en trois langues au choix, le français, l’anglais,

162https://www.script.lu/ 163http://www.men.public.lu/fr 164https://ap.gouvernement.lu/fr/administration/centre-penitentiaire-givenich.html 165http://www.cflh.lu/index.php/fr/cflh 166https://www.remschaffen.lu/ 167https://www.ciep.fr/actualites/2018/02/08/developpement-competences-linguistiques-personnel-institutions-europeennes 168https://www.prolingua.lu/