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Malte, terre de conquêtes

Situation 4 dite des langues séparées

4.5. Malte : carrefour de la Méditerranée

4.5.1. Malte, terre de conquêtes

L’historiographie antique de l’archipel relève des vagues successives d’occupation qui ont laissé peu de traces à Malte. Les îles semblent avoir été peuplées depuis environ 5200 avant J.C. mais la première période sémitique est marquée par la présence des Phéniciens au VIIIe siècle avant J.C. (Fabri, 2010, p. 795). Ils sont remplacés par les Carthaginois vers 650 avant

J.C. et durant toute cette période, le punique est la langue officielle de l’archipel (ibid., p. 796)131. Martine Vanhove évoque cependant une présence intermédiaire grecque entre les

deux invasions puniques puisque fut découverte dans l’archipel « l’inscription bilingue en grec et en phénicien qui permit de déchiffrer le phénicien » (Vanhove, 2007, p. 31). L’Empire romain supplante Carthage en 218 avant J.C. et reste maître du territoire sous son avatar byzantin jusqu’à l’invasion arabe en 870 de notre ère (Fabri, 2010, p. 796). L’arrivée des Arabes s’accompagne d’un phénomène étrange aux origines encore indéterminées à ce jour : les îles

131 During the Phoenician / Carthaginian period, one can speculate that Punic was the official language of the islands. “The Punic letters and the Punic symbols and figures […] suggest a time when the language and culture of Malta was […] completely Punic”

sont vidées de leur population autochtone à l’exception de « quelques familles rurales éparses vivant sur l’île »132 (Fabri, 2010, p. 797). Peut-être Malte a-t-elle été volontairement dépeuplée par le conquérant (Vanhove, 1994, p. 167) et recolonisée par des musulmans arabes venant du sud de l’Italie et de Sicile accompagnés d’esclaves chrétiens italiens et slaves (Fabri, 2010, p. 797). Ce repeuplement diversifié est fondamental pour la genèse et le développement de la langue maltaise. En effet, le maltais s’apparente, dès son origine, aux « vieux dialectes citadins de Tunisie » (Vanhove, 1994, p. 167). Mais, si ses structures grammaticales sont sémitiques, le maltais a subi d’importantes influences romanes (du sicilien, du toscan et même du catalan) (Vanhove, 2007, p. 31). En effet, l’arabe qui se parle à Malte au XIe siècle est « une variété dialectale maghrébine qui se diffuse, au cours de la même période, en Sicile avec, pour preuve, le nombre important de correspondances entre le maltais et le sicilien, particulièrement au niveau lexical »133 (Mori, 2012, p. 178).

Stratégiquement, Malte est l’objet de toutes les convoitises de par sa position privilégiée entre l’Europe du Sud et l’Afrique du Nord et est « impliquée dans une lutte entre deux blocs culturels et politiques »134(Camilleri Grima, 2013, p. 47). Aussi l’archipel est-il marqué durant tout le Moyen Âge par des vagues consécutives d’invasions qui voient s’installer successivement les Normands en 1090 au nom du retour de la chrétienté, remplacés à leur tour par la dynastie souabe des Hohenstaufen. L’empereur Frédéric II expulse les derniers musulmans du territoire en 1249. Beaucoup se convertissent pour échapper à l’expulsion (Vanhove, 1994, p. 168). Viennent ensuite les Angevins en 1268, les Aragonais en 1284, les Castillans en 1412 qui intègrent les îles dans le royaume des Deux-Siciles (Fabri, 2010, p. 797).

« En raison du contact accru entre Malte et la Sicile durant cette période, spécialement sous la forme d’immigration, le maltais a été profondément influencé par le sicilien, principalement par l’absorption de mots et de lexèmes dans son vocabulaire »135 (ibid.).

Durant toute cette époque de changements de souverainetés, de nombreux Italiens immigrent dans l’archipel. L’autre frange importante de la population est composée d’esclaves musulmans

132 Malta was practically uninhabited, with only a few scattered rural families living on the island.

133 La varietà di arabo che si affermò in quel momento a Malta era quella dialettale del Maghreb, che nello stesso periodo si diffuse anche in Sicilia come evidenzia l’alto numero di corrispondenze tra maltese e siciliano soprattutto a livello lessicale.

134 Because of Malta’s position in between southern Europe and northern Africa, for many centuries it has been “involved in the wrestle between the two political and cultural blocks” at any period of time, namely “Phoenician vs Roman, Arabic vs Norman, Islamic vs Christian”

135 Due to growing contact between Malta with Sicily during this period, especially in the form of immigration, Maltese was markedly influenced by Sicilian, mainly by the absorption of Sicilian words and word forms in its vocabulary.

et arabophones capturés par les pirates maltais et chrétiens (Vanhove, 2007, p. 31). Cette présence servile consolide toutefois l’ancrage sémitique de la langue maltaise, toute en la faisant cohabiter avec l’italien des sujets libres du pays. Malte est alors marquée linguistiquement par une « bipolarisation » entre, d’une part, le latin et le sicilien vus comme variétés hautes et, d’autre part, le maltais comme variété basse dédiée à l’oralité136 (Mori, 2012, p. 179).

Une forte impulsion est donnée à la consolidation de l’italien dans l’île en 1530, lorsque l’empereur Charles Quint offre l’archipel à l’ordre guerrier et hospitalier des chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem. Pour leurs besoins militaires et administratifs, les chevaliers – majoritairement français, espagnols et italiens – font venir à Malte de nombreux travailleurs de la Sicile voisine (Vanhove, 2007, p. 31). Mais la langue véhiculaire interethnique à l’intérieur de l’Ordre est le toscan qui devient la langue officielle de rédaction de tous les documents137 (Mori, 2012, p. 179). Jusqu’à la fin du XVIIIesiècle l’italien règne sur l’archipel sous la férule des Hospitaliers. Il est la langue des intellectuels et des clercs ainsi que de la littérature et des journaux locaux. Il est surtout la langue de l’Église catholique à laquelle la population locale est très attachée :

« La religion n'était pas la seule force de l'italien : les exilés du Risorgimento attiraient en fait les sympathies de plusieurs Maltais ; certains d'entre eux, pendant leur séjour à Malte, ont non seulement écrit des journaux ou collaboré, mais ils ont également travaillé à la promotion de l'étude de la littérature italienne en fondant des écoles privées, des académies et des cabinets de lecture, et du reste, on comprend comment, dans la littérature maltaise, les influences de la langue, de la culture et de la littérature italiennes étaient évidentes, en particulier aux XVIIe et XVIIIe siècles, et toujours à la fin du 19e siècle138 » (Mazzon, 1990, p. 100).

La langue maltaise se maintient néanmoins comme variété vernaculaire, influencée par l’arabe bien présent sur les îles de l’archipel à cause de la présence soutenue des esclaves d’Afrique du

136 Da un punto di vista linguistico i secoli XIV-XVI, sotto il controllo da parte del Regno delle due Sicilie, sono segnati dalla polarità latino e siciliano come varietà alte e le varietà autoctone come idiomi ristretti all’oralità.

137 Nel XVI secolo un dato importante è rappresentato dall’estensione d’uso del volgare toscano, assunto come la lingua ufficiale dell’Ordine: dalla metà del secolo in poi, i documenti ufficiali cominciarono ad essere redatti in italiano (Cassola, 1993), codice che veniva utilizzato come lingua veicolare per la comunicazione interetnica all’interno dell’Ordine.

138 Non era comunque quello della religione l'unico punto di forza dell'italiano : gli esuli del Risorgimento attiravano infatti le simpatie di parecchi maitesi; alcuni di essi, durante il loro soggiorno a Malta, non solo dires-sero giornali o vi collaborarono, ma operarono anche Per la promozione dello studio della letteratura itaIiana fondando scuole private, accademie e gabinetti di lettura, e del resto si capisce come nella letteratura maltese le influenze della lingua, della cultura e della letteratura italiana fossero cospicue, soprattutto nel '600 e nel '700, ma ancora nel tardo '800.

Nord et de l’enseignement de l’arabe classique dans les ordres religieux présents à Malte à des fins prosélytes (Vanhove, 2007, p. 31). Le maltais fait même l’objet d’une première codification en 1788 avec la publication du premier alphabet maltais (Alfabeto Maltese) par le grammairien et lexicographe Mikiel Anton Vassalli, qu’il fait suivre d’un second intitulé L’Alphabet maltais

expliqué aux Maltais et aux Italiens (l-Alfabet Malti Mfisser bil-Malti u bit-Taljan). Enfin, en

1797, il achève le premier dictionnaire de la langue maltaise comprenant 18000 entrées (Fabri, 2010, p. 798). Il relève à l’occasion « la nette influence de l’arabe à cause, peut-être, du trop grand nombre de prisonniers musulmans » (Vanhove, 1994, p. 168).

Les armées révolutionnaires françaises débarquent à Malte en 1798 et en chassent l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Mais en 1800, les Maltais appellent les Britanniques à l’aide pour les libérer des Français. L’archipel devient de fait une colonie britannique (Fabri, 2010, p. 799). Les Anglais sont immédiatement confrontés à deux obstacles sérieux dans leurs entreprises de communication avec les habitants : la langue et la religion (ibid.). L’italien est parfaitement implanté et les Maltais sont catholiques. Le colonisateur est anglophone et protestant. Dans la deuxième partie du XIXe siècle, « la question linguistique » (ibid.) fait rage sur l’île entre, d’une part, le colonisateur anglais qui veut imposer sa langue et, d’autre part, la classe dirigeante locale qui reste attachée à l’italien.

« Il est certain que l’influence de l’Italie voisine et des réfugiés du Risorgimento a continué d’agir pendant longtemps sur le comportement linguistique des insulaires et que les mécanismes d’identification ont renforcé le lien avec l’Italie ou même suscité des sentiments de fierté nationale et linguistique autonome139 » (Mazzon, 1990, p. 102).

Pour contrecarrer la diffusion de l’italien, les Anglais encouragent l’usage et l’enseignement du maltais et élèvent les standards requis de connaissance de la langue anglaise pour travailler dans les services publics (ibid.140). Ils flattent ainsi les revendications des partisans du maltais comme langue nationale et compromettent les ambitions de la bourgeoisie locale « très italophile » (Vanhove, 2007, p. 31).

139 E comunque certo che l'influsso della vicina Italia e dei profughi del Risorgimento abbia continuato ad agire a lungo sui comportamento linguistico degli isolani, e che i meccanismi di identificazione abbiano rafforzato il legame con l'Italia o anche creato sentimenti d'orgoglio nazionale e linguistico autonomo

140 Ne1 1877 i1 governatore Straubenzee elevò gli standards di conoscenza dell'inglese richiesti negli esami per entrare nel public service, e stabilì che "all letters addressed to Her Majesty or the Secretary of State, if not written in English, were to be accompanied by an English translation, except in case of poverty, and gave a licence to the Revd.J. Jones, the Provincial of the English Province of theSociety of Jesus, to open a boarding school in Malta entirely under the management of the English Jesuits".

En 1921 est adoptée une nouvelle constitution maltaise où l’anglais et l’italien figurent comme les deux langues officielles. L’anglais est la langue de l’administration (avec l’italien comme deuxième langue) et de la correspondance avec la Couronne britannique, l’italien est la langue de la Cour de Malte. Les deux langues conservent un statut égal en matière d’éducation et de culture. Toutefois, le maltais était « censé profiter de tous les aménagements nécessaires pour satisfaire les besoins raisonnables de ceux qui étaient trop faibles en anglais ou en italien141 » (Fabri, 2010, p. 799). Le maltais fait l’objet d’une attention locale soutenue par les intellectuels locaux qui conduit en 1934 à l’adoption du système orthographique maltais de l’Union des écrivains maltais (l-Għaqda tal-Kittieba tal-Malti) fondée en 1920 (ibid.). Cette mesure est

suivie en 1936 de la substitution de l’italien dans la constitution par la langue maltaise, décision radicale prise par Londres pour contrer la montée des idées fascistes dans l’archipel et la « résurgence des revendications italiennes sur Malte, soutenues par une partie des Maltais antibritanniques » (Vanhove, 2007, p. 31).

Lorsque l’archipel accède à l’indépendance le 21 septembre 1964, le maltais devient, avec l’anglais, la langue officielle de la jeune république ayant pour capitale La Valette. Mais seule la langue maltaise acquiert le statut de langue nationale. Le 1ermai 2004, avec l’entrée de Malte dans l’Union européenne, le maltais est également reconnu comme l’une des langues officielles de l’Union (ibid.).

141 In contrast, Maltese was meant to “enjoy all such facilities as are necessary to satisfy the reasonable needs of those who are not sufficiently conversant with the English or Italian language”.

IX. L’archipel maltais et sa situation géographique en Méditerranée

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