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Langue officielle / langue nationale

Situation 4 dite des langues séparées

3.4. Aménagements du corpus et du statut des langues

3.4.3. Langue officielle / langue nationale

Les deux notions « officielle » et « nationale » renvoient à deux champs interdépendants :

- le champ des catégories juridiques ;

- le champ de la territorialité ou, plus précisément, des limites territoriales d’application de la loi.

Juridiquement, les catégories « officielle » et « nationale » relèvent de la reconnaissance institutionnelle de la langue concernée. Les deux catégories affirment en outre aux yeux de tous les habitants du territoire la légitimité d’usage de la langue. La différence entre les deux qualifications tient essentiellement à leurs sphères reconnues ou autorisées d’utilisation. On en revient aux prérogatives listées par L.-J. Rousseau : langue d’enseignement, langue de communication institutionnelle, langue de travail, etc.

En termes strictement définitoire, le dictionnaire Larousse donne les acceptions suivantes de l’entrée « officiel / officielle »54 :

« Qui émane du gouvernement, de l’administration, des autorités compétentes. Dont le caractère authentique est publiquement reconnu par une autorité. »

Jacques Leclerc, sur le site de recensement des aménagements linguistiques dans le monde de l’Université de Laval au Québec 55 , recentre sa définition autour de considérations sociolinguistiques :

« Le statut de “ langue officielle ” étant un concept plus ou moins ambigu, il faut comprendre que, dans ce site (site internet recensant les aménagements linguistiques dans le monde, ndlr), une langue officielle est reconnue par la loi (de jure) ou dans les faits (de facto) par un État (souverain ou non souverain), sur l'ensemble du territoire ou une partie de celui-ci. Dans tous les cas, il faut que cet État dispose d'une assemblée, d'un Exécutif et d'une fonction publique, ce qui exclut les langues officielles d'un territoire autochtone (« réserve »), d'une région administrative, d'une commune ou d'une municipalité. Un État peut reconnaître deux, trois ou quatre langues officielles sur son territoire. On parle alors d'État bilingue, trilingue ou quadrilingue. »

Il se limite toutefois dans sa définition aux entités territoriales pleinement souveraines, reconnues politiquement par les organisations internationales telles que l’Organisation des Nations Unies ou l’Union européenne. Il en est pratiquement de même pour Robert Chaudenson et Dorothée Rakotomalata pour qui l’officialité de la langue est « le statut qui lui est accordé par l’État dans la Constitution (de jure) ou dans les faits (de facto) » (Chaudenson et Rakotomalata, 2004, p. 12).

La langue officielle se présente donc en premier lieu comme la langue de communication des institutions. Elle dispose d’une légitimité garantie par la loi écrite ou la loi coutumière. Elle est par ailleurs le support de rédaction et de publication des lois, décrets et règlements émanant des autorités nationales.

La notion de « langue nationale » est plus diffuse car aucune définition légale stricte ne délimite le concept d’un point de vue juridique. La langue nationale peut endosser des fonctions différentes en fonction des cas de figure spécifiques. Chaudenson et Rakotomalata ne tiennent compte de la désignation que « à condition qu’une autre langue ne soit pas désignée comme “ officielle ” » (ibid.). Pour saisir la portée du concept, il est alors nécessaire de l’observer dans ses différentes configurations.

a. Langue officielle. Une langue nationale est également officielle quand les deux notions se confondent. C’est le cas du français en France où la langue nationale est la langue officielle par l’Article 2 de la Constitution56. C’est également le cas de l’allemand en République Fédérale d’Allemagne. Dans ce cas précis, les deux notions sont confondues de facto puisque l’allemand ne fait l’objet d’aucune déclaration institutionnelle ni légale de la part des autorités57. Cependant, l’allemand est au centre des politiques d’intégrations nationales. C’est également le cas de la Belgique qui possède trois langues nationales (le français, le néerlandais et l’allemand), toutes les trois reconnues comme officielles par l’Article 4 de la Constitution58.

b. Langue reconnue mais non officielle. La langue nationale est reconnue comme propre à toute ou partie de la communauté nationale du pays. Dans ce cas, elle fait l’objet d’une mention dans les textes légaux à côté d’autres langues nationales et officielles. Néanmoins, la langue n’est le support d’aucune communication institutionnelle ni juridique. C’est le cas spécifique du luxembourgeois qui, par l’Article 1er de la loi du 24 février 1984, est disposé « langue nationale des Luxembourgeois » à côté du français « langue de législation » par l’Article 259. Cette configuration se retrouve dans de nombreux pays nés de la décolonisation où les langues coloniales ont été maintenues comme langues officielles interethniques mais où les langues des différentes communautés ethnolinguistiques jouissent d’une reconnaissance officielle. Le rapport de R. Chaudenson et D. Rakotomalata fournit une liste très détaillée de ces situations. On y retrouve, par exemple, le Cameroun qui compte deux langues officielles (le français et l’anglais) mais aussi près de 300 langues nationales (ibid., p. 52) ; le Sénégal qui possède une langue officielle, le français, et six langues nationales reconnues, ainsi que « toute autre langue qui sera codifiée » (ibid., p. 196), donc potentielle. De nombreux autres exemples, repris dans le rapport, étayent cette configuration.

c. La langue nationale est co-officielle ou semi-officielle. À titre d’exemple de co-officialité, on peut citer le cas de la République d’Irlande où l’irlandais (gaélique)

56https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006527453&cidTexte=LEGITEXT000006071194&dateTe xte=vig

57http://www.axl.cefan.ulaval.ca/europe/allemagne_pol-lng.htm

58https://docplayer.fr/68468752-La-constitution-belge.html

est langue nationale et co-officielle avec l’anglais60 ; Malte où le maltais est langue nationale et l’anglais et le maltais sont langues officielles61 ; ou encore la Confédération suisse qui reconnait cinq langues nationales : l’allemand, le français, l’italien et le romanche. Mais seules les trois premières ont le statut constitutionnel de langue officielle tandis que le romanche est semi-officiel « pour les rapports que la Confédération entretient avec les personnes de langue romanche »62.

Sur un plan strictement institutionnel, une langue officielle est donc un véhicule soutenu et institué par des dispositions légales. Il n’est pas nécessaire que cette langue entretienne un lien ancestral, endémique ou géographique avec le territoire sur lequel elle est diffusée. Elle est dotée pragmatiquement et juridiquement de pouvoirs de communication faisant autorité sur le pays et les résidents assujettis aux lois en vigueur.

En revanche, la langue nationale revêt une dimension culturelle et indigène qui lui confère sa légitimité par sa relation ethnologique ou historique avec au moins une partie de la communauté autochtone. Elle n’est pas obligatoirement pourvue de prérogatives communicationnelles spécifiques mais sa seule existence locale est collectivement admise et reconnue. Et cette reconnaissance appelle des dispositifs légaux justifiant des aménagements de statuts. Elle est notamment susceptible de faire l’objet de mesures de protection et de conservation.