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Aménagements linguistiques communautarisés

Situation 4 dite des langues séparées

4.2. La Belgique plurilingue

4.2.3. Aménagements linguistiques communautarisés

Au 1er janvier 2018, la Belgique comptait 11 322 088 habitants86, répartis comme suit dans les quatre régions autonomes qui structurent les 3 communautés linguistiques nationales :

- Région Bruxelles-Capitale : 1 191 604 habitants, soit 11 % de la population totale ; - Région flamande : 6 516 011 habitants, soit 57,55 % de la population ;

- Région wallonne : 3 614 473 habitants, soit 32 % de la population ;

- Communauté germanophone : 76 920 habitants recensés, soit 0,68 % de la population.

Il est impossible de déterminer la part exacte de francophones et de néerlandophones dans l’agglomération bruxelloise mais les chiffres révèlent que la Belgique est peuplée par une majorité de néerlandophones. Cette démographie justifie la surreprésentation des élus flamands

au Sénat fédéral (41 Flamands, 29 francophones, 1 germanophone)87, ainsi qu’à la Chambre des députés (87 néerlandophones, 63 francophones, 0 germanophone)88. Mais cette distribution ne présage pas de la communauté d’origine du chef du gouvernement fédéral qui peut appartenir à n’importe laquelle.

En ce qui concerne les politiques linguistique, l’enseignement, et en particulier celui des langues, est du ressort des autorités communautaires. La Région Bruxelles-Capitale, région bilingue, abrite les politiques communautaires à la fois flamande et française en matière administrative et scolaire. Une partie des écoles appartient donc au réseau francophone, l’autre partie au réseau flamand qui règlementent chacun l’apprentissage des langues dans leur système. La règle, en matière linguistique, y est identique à celle en vigueur sur tout le territoire belge : la langue d’enseignement est la langue de la Communauté dont dépend l’école. Toutefois, concernant les écoles de l’agglomération bruxelloise, elles doivent toutes offrir un apprentissage de la langue communautaire voisine dès la troisième année primaire, le français dans les écoles néerlandophones et le néerlandais dans les écoles francophones89. Par ailleurs, s’il n’y a pas d’enseignement bilingue généralisé en Belgique, certaines écoles sont libres de proposer des cursus primaires et secondaires en « immersion90 » où une partie des matières enseignées peut être transmise en langue cible mais celle-ci peut aussi bien être au choix l’anglais, le néerlandais ou l’allemand.

L’enseignement du français, comme langue étrangère, est également très répandu en Flandre pour les deux dernières années de l’école primaire (qui en compte 6 en Belgique) même si l’enseignement d’une seconde langue n’est pas obligatoire dans l’enseignement fondamental91. Cependant, le choix des langues étrangères dès le secondaire est libre et se répartit au choix parmi les deux autres langues nationales et l’anglais. Par conséquent, il est possible d’être scolarisé en Belgique francophone ou néerlandophone sans avoir été sensibilisé à la langue de l’autre grande communauté du pays.

L’emploi des langues dans la fonction publique suit les mêmes dispositions, prévues par la loi du 18 juillet 1966 sur l’emploi des langues en matières administratives (dites LLC)92 : « Les

87http://www.histoire-des-belges.be/au-fil-du-temps/epoque-contemporaine/rouages-du-federalisme/les-institutions 88http://www.lachambre.be/kvvcr/index.cfm 89https://expatsinbrussels.be/fr/education/le-systeme-scolaire-en-belgique 90http://www.enseignement.be/index.php?page=27015&navi=3594&rank_page=27015 91https://www.lalibre.be/actu/belgique/flandre-francais-oblige-et-neglige-51b87c47e4b0de6db9a81de4 92http://vct-cpcl.be/sites/default/files/syllabus_2016.pdf Chapitre 1

services locaux établis dans la région homogène de langue française /néerlandaise, établissent les avis, communications et formulaires qu'ils adressent au public uniquement dans la langue de la Région (le français ou le néerlandais) »93. Suivant cette règle, il est nécessaire de maîtriser la langue de la Région pour intégrer sa fonction publique. L’agglomération de Bruxelles-Capitale étant bilingue français/néerlandais, ses agents publics doivent l’être également. Il en va de même de toutes les communications : « Les avis, communications et formulaires sont rédigés en français et en néerlandais. Dès lors, les plaques de rue, les avis dans des maisons communales, les bulletins diffusés toutes-boîtes, les conditions d'adjudication d'une construction communale etc., doivent être bilingues »94. Une exception est prévue pour les publications concernant l’état-civil qui dépendent du choix de l’administré.

Concernant le point épineux des communes à « facilités linguistiques » situées le long de la frontière linguistique, la loi dispose que ces communes appartiennent tout-de-même à des régions unilingues et que, dès lors c’est la langue régionale qui prévaut95, ainsi les lois qui autorisent l’emploi d’une autre langue « ne peuvent avoir pour effet qu’il soit porté atteinte à la primauté » de la langue de la région.

La communauté germanophone étant institutionnellement plus récente, plus restreinte, intégrée dans la Fédération Wallonie-Bruxelles et beaucoup moins peuplée, les communications publiques sont maintenues en allemand et en français dans tous les cas de figure96. Cependant, les services adressés directement aux particuliers le sont en allemand. Ces derniers peuvent les obtenir librement en français auprès des administrations locales97.

Enfin, concernant les langues employées pour les services qui s’appliquent à tout le territoire national, tels que l’armée, et les services consulaires à l’étranger, le plurilinguisme est théoriquement obligatoire puisque c’est la langue du requérant qui détermine celle de ses communications avec le service public98. Selon ces dispositions, le français et le néerlandais sont obligatoires. L’allemand est facultatif mais peut être utilisé en fonction des besoins locaux.

93http://vct-cpcl.be/sites/default/files/syllabus_2016.pdf Chapitre 3, section 1, paragraphe 2, article A

94 Idem Chapitre 3, section 2, paragraphe 2, article B

95 Idem Chapitre 3 section 3, paragraphe 1, article D

96 Idem Chapitre 3, section 4, paragraphe 1, article B

97 Idem Chapitre 3, section 4, paragraphe 1, article C

4.2.4. Conclusion

Les dissensions linguistiques en Belgique sont à ce point aigues qu’elles ont conditionné et façonné toute l’architecture institutionnelle et politique du pays en direction d’une structure confédérale de nations culturo-linguistiques autonomes associées consensuellement au sein d’un gouvernement fédéral pour les questions régaliennes et diplomatiques. Toutes les compétences administratives qui touchent le quotidien des citoyens relèvent de la subsidiarité des entités régionales fédérées. C’est la raison pour laquelle la crise politique qui a affecté le pays entre le 13 juin 2010 et le 6 décembre 201199, soit 541 jours sans gouvernement fédéral, n’a pas eu d’impact sur le fonctionnement des administrations publiques belges, celles-ci relevant de prérogatives fédéralisées.

En 1830, la Belgique catholique, majoritairement francophone, s’émancipe des Pays-Bas protestants, néerlandophones : « Les deux nations (Belges et Hollandais, avant 1814, se connaissent mal et s’aiment peu ; réunies contre leur gré, s’aimèrent moins encore » (Stengers, 2000, p. 170). Presque deux siècles après la révolution fondatrice, la Belgique ne rassemble plus un peuple mais trois nations dans lesquelles une identité belge s’est dissoute (Beyen & Destatte, 2009, p. 331). Elles ont le pouvoir de gérer leurs destins sans le recours aux deux autres, considérées désormais comme des voisins nationaux, pas comme des régions peuplées de concitoyens. Entre la Wallonie et la Flandre, les contacts linguistiques, et donc politiques, sont rompus. Les uns n’apprennent pas la langue des autres. La Communauté germanophone fait figure d’anomalie géopolitique mais sa faible taille ne lui confère aucune crédibilité sur la scène nationale, et elle apparait plus comme une attraction culturelle à préserver plutôt que comme une force à ménager. Seule la capitale Bruxelles subsiste comme lieu de croisement des différentes langues du pays. Mais loin de lui conférer le statut de territoire neutre et multilingue, elle constitue au contraire l’enjeu des plus vives confrontations pour sa réappropriation linguistique et politique (Sinardet, 2008, p. 144). Par la séparation de ses communautés linguistiques, la Belgique offre une parfaite illustration de la différence entre État et Nation. La Belgique est un État politiquement souverain et indépendant. La Belgique n’abrite pas une, mais trois nations.