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Le Conseil norvégien de la langue (Norsk språkråd)

Situation 4 dite des langues séparées

4.4. La Norvège : cohabitation de deux variétés d’une même langue

4.4.3. Le Conseil norvégien de la langue (Norsk språkråd)

Établi en 1972 pour régler le conflit consécutif à la tentative de réforme et de rapprochement des deux variantes norvégiennes dans les années 1950, le Conseil de la langue existe toujours et assure la mission de codifier les modifications orthographiques et morphologiques dues à l’interpénétration des deux formes écrites et des multiples dialectes du pays (Vikør, 2015, p. 125). En effet, le nynorsk et le bokmål sont avant tout des normes écrites. De fait, la langue norvégienne est vivante sous la forme d’une multitude de dialectes en constante interpénétration sur l’ensemble du territoire (Hanssen, 2014, p. 357). Toutes ces variétés sont mutuellement inter-compréhensibles et empruntent oralement du vocabulaire ou des structures syntaxiques aux deux normes officiellement reconnues, sachant que tous les Norvégiens sont familiarisés avec ces deux normes (Vikør, 2013, p. 114). Cette diversité se retrouve même au parlement norvégien, le Storting, où « les débats se tiennent dans un grand nombre de variétés mais où les intervenants ne seront jamais sujets au ridicule, à la stigmatisation ou à la réprobation127 » (Hanssen, 2014, p. 358).

Le résultat pragmatique de ce foisonnement dialectal est que le nynorsk et le bokmål tendent progressivement à se fondre oralement. La démarcation entre les deux normes devient difficile à tracer, d’autant qu’il est parfois même difficile de reconnaître qu’un dialecte régional procède de l’une ou l’autre128 (Vikør, 2013, p. 114).

« Que parlent en définitive les Norvégiens ? Ni le nynorsk ni le bokmål. Une grande partie parle un dialecte qui varie beaucoup d’une région à une autre, à tel point que peuvent survenir des difficultés de compréhension. Une autre partie utilise le dialecte régional en le mélangeant avec une des deux formes normalisées » (Vignaux, 2001, p. 189).

Le Sameland

La Norvège reconnaît également deux langues autochtones minoritaires : le sâme, ou langue des Lapons, et le kvène de la minorité finnoise du pays. Mais les deux langues ne jouissent pas des mêmes dispositions.

127 Parliament debates take place in a number of language varieties, and speakers will never be subected to ridicule, stigmatisation or contempt.

128 The difference has diminished : Bokmal has accepted many words from the dialects, while Nynorsk has given up its purism in relation to international words of Greco-Latin roots.

Après avoir tenté d’intégrer la communauté lapone de force dans la culture norvégienne, et avoir même interdit sa langue en 1889, la Norvège a changé de position vis-à-vis de cette communauté après la Seconde Guerre mondiale et ratifié les conventions de l’ONU sur les populations autochtones (Guissart, 2007, p. 200). Aussi, depuis 1991 les Lapons de Norvège se sont vu reconnaître un certain nombre de droits dont :

• la création d’un parlement lapon, le Samting, régi par la Loi Sâme (Samelov) pour lequel des représentants sont élus démocratiquement au sein de la communauté. Il est

compétent en matière de culture, de langue, de drapeau, de gestion des 13 circonscriptions et des 7 communes sâmes reconnues par l’État central dans la

province du Finnmark à l’extrême nord, et des relations avec le gouvernement central et le Storting (ibid., p. 201) ;

• la reconnaissance de la langue sâme, d’égale valeur au nynorsk et au bokmål. Tous les documents et toutes les communications publiques dans les communes sâmes doivent être obligatoirement traduits en lapon. La scolarisation peut être en bilingue sâme-norvégien (bokmål ou nynorsk) sur demande des parents dans la région lapone. Si les parents n’habitent pas cette région, il est obligatoire de fournir un enseignement en sâme si au moins trois enfants le demandent (ibid.) ;

• l’agriculture et l’élevage. Seuls les Sâmes ont le droit d’être éleveurs de rennes en Norvège. La langue de communication de l’administration de ce métier est le lapon (ibid., p. 203).

La communauté kvène / finnoise

Voisine des Lapons, elle se concentre principalement au nord du pays. Les droits de cette communauté ne sont pas aussi étendus que ceux des Sâmes mais l’enseignement du finnois en tant que deuxième langue de scolarisation est protégé par la loi et est obtenu si au moins 3 élèves dans une des écoles du Finnmark ou de Tromsø en font la demande. Et les élèves qui poursuivent leur scolarisation secondaire en étudiant le finnois en deuxième langue sont dispensés de l’examen final en nynorsk. Enfin, le bureau régional de la Société norvégienne de radiotélévision (NRK) diffuse à partir de Tromsø, une émission hebdomadaire de douze minutes en kvène129.

4.4.4. Conclusion

Par le Nynorsk, la Norvège a concrétisé le désir de reconstituer un patrimoine national ancestral occulté par quatre siècles de domination étrangère. Cette démarche politiquement militante et hautement symbolique s’est concrétisée par une reconnaissance institutionnelle de la variété historique exhumée et réactualisée par les efforts soutenus d’un linguiste militant, Ivar Aasen, et soutenue par des groupes engagés dans la perpétuation de la « nouvelle ancienne » langue. Mais l’entreprise ne doit sa viabilité qu’à l’action volontaire des institutions et du parlement car elle est confrontée à plusieurs écueils qui compromettent, à plus ou moins long terme, la pertinence, et donc la viabilité, du maintien de deux normes scripturales distinctes dans le royaume :

• la diversité dialectale du pays qui rend oralement difficile la distinction nette entre le nynorsk et le bokmål et, partant, son maintien superflu ;

• le confort que procure la grande proximité des langues germano-scandinaves continentales en matière de consommation de biens et services économiques et culturels. Cette proximité a permis la création du Conseil nordique en 1987 en vertu duquel les ressortissants de Suède, de Norvège, du Danemark, de l’Islande et de la Finlande (qui abrite une importante communauté suédophone) peuvent communiquer avec les autorités des quatre autres pays dans leur langue maternelle sans assumer les frais de traduction ou d’interprétation130 ;

• la présence grandissante de l’anglais. Les films anglophones à la télévision ou au cinéma ne sont ni doublés, ni sous-titrés ; les livres anglais ne sont pas traduits ; certains cursus universitaires sont dispensés en anglais (Vignaux, 2001, p. 193). Cette attitude autorise de substantielles économies de traduction dans un pays de 5 millions d’habitants, a

fortiori s’il faut réaliser des traductions dans les deux normes écrites officielles, ainsi que le sâme éventuellement.

Le norvégien est une langue vivante que ses variantes enrichissent mais qui suit également le mouvement consensuel d’arrangement propre à la société et à la culture norvégienne. Pragmatiquement, les différences entre les deux norvégiens s’érodent progressivement et leur interpénétration grandissante, dans une sorte d’alternance codique entre les variétés officielles

et les dialectes régionaux, interroge sur l’éventualité de destinées séparées du nynorsk et du bokmål. Symboliquement, les deux variantes ont chacune le même statut de langue nationale mais aussi de langue endémique. Aucune n’est dépositaire du marquage de l’appartenance à la communauté nationale ou à la nationalité. Un « bokmålien » est tout aussi norvégien qu’un « nynorskien ». La fusion progressive des deux normes est donc d’autant plus réaliste que les événements auxquels leur émergence est ancrée dans la mémoire collective nationale s’éloignent dans le temps et perdent de leur substance.