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CHAPITRE 2 ANALYSE DES TEXTES À TENDANCE

3.1 Document de Damas (Cairo Damascus ou CD)

3.1.3 Problèmes historiques et apparentés

Avant de passer aux passages messianiques dans CD, il est nécessaire de vérifier le cadre général et le contexte dans lequel fut formulée l’identité communautaire. L’ensemble du texte est très riche en allusions et certaines expressions ambiguës posent toujours des problèmes aux chercheurs. Nous nous limiterons à quelques problèmes essentiels relatifs à notre sujet de recherche.

Données historiques d’après le Document de Damas. Le premier problème concerne les données contextuelles que le Document fournit sur la communauté et son histoire. Au début du Document (CD I 3-11; 4Q266 frag.2 i 8b-15a), il y a des indices chronologiques explicites qui revoient à l’origine d’un groupe de nouvelle alliance. Le texte décrit comment Dieu a sauvé de la destruction un «reste pour Israël» (

̇תיריאש

לארשיל

) et comment Il lui a envoyé un «Maître de justice» (

קדצ̇הרומ

) pour le conduire sur le «chemin de Son cœur». L’origine du groupe est placée, semble-t-il, 390 ans après la destruction de Jérusalem par Nabuchodonosor (CD I 5-6; 4Q266 frag. 2 i 10-13). Pendant 20 ans, les membres de ce «reste» auraient cherché leur voie comme à tâtons, jusqu’au jour où Dieu suscita un Maître de justice pour les guider (CD I 9-10; 4Q266 frag. 2 i 13-15). Ce Maître de justice a exercé une influence décisive sur la constitution du groupe à une époque critique que le Document de Damas, à lui seul, ne permet pas de déterminer. Le détail des origines du groupe et de la période durant laquelle il a été actif est sujet à une multitude d’interprétations et de spéculations. Nous pouvons identifier trois propositions principales14:

1) Théorie pré-maccabéenne. Certains parmi les premiers chercheurs accordaient une valeur exacte à ces chiffres en vue de déterminer la date réelle du début du groupe. Une hypothèse fixe l’arrivée du Maître de justice aux années 170 av. J.-C., et identifie celui-ci au Grand Prêtre Onias III, déposé en -175 par Antiochus IV, puis

14 Ce regroupement ne comprend pas les hypothèses qui excluent complètement le lien entre le texte et l’émergence du groupe, par exemple: Rabinowitz et Ginzberg supportent que le texte fait référence à la destruction de Samarie en 721 av. J.-C., ou à la prise de Jérusalem en 587. I. Rabinowitz, «A Reconsideration of Damascus and 390 Years in the Damascus (Zadokite) Fragments », JBL 73, 1954, p. 11-35; L. Ginzberg, An Unknown Jewish Sect, New York: Jewish Theological Seminary of America, 1972.

assassiné en -170 (ou -172) dans son exil en Syrie à l’instigation de son successeur Ménélas15. Cette reconstruction a recours au calcul à partir de la date que la recherche moderne établit pour la destruction du Premier Temple (587 moins 390 = 197 moins 20 = 177). Mais elle ne correspond pas aux données archéologiques du site de Qumrân (l’occupation du site à la période Ia ne commence que vers le troisième quart du 2e siècle av. J.-C.). De plus, si l’on tient compte des données de la Lettre halakhique ou Miqṣat Ma‘aśe ha-Torah (4Q 394-399), il semble que le groupe se soit séparé, entre autres, à cause d’une dispute concernant le calendrier rituel. Dans ce cas, cette séparation serait postérieure à l’insurrection maccabéenne, car c’est Jonathan qui adopta le calendrier lunaire, après qu’il eut été nommé comme Grand Prêtre en -152 grâce à l’un des prétendants au trône séleucide d’Antioche, Alexandre Balas.

2) Théorie macabéenne. D’après le Pesher d’Habaquq (1QpHab) et le

Commentaire des Psaumes (4QpPsa=4Q171; 4QpPsb=4Q173), le Maître de justice était

un prêtre (1QpHab II 5-10; V 9-12; VIII 1-3; 4QpPsa frag. 1-10 ii 19 + iii 15; 4QpPsb frag. 1 4 + frag. 2 2). Il fut persécuté par une personnalité qu’on surnomme le «Prêtre impie» (1QpHab IX 9-12; XI 4-8; XII 2-10). G. Vermès, F. M. Cross, H. Stegemann, etc., soutiennent que le Prêtre impie doit être identifié à l’un des premiers monarques asmonéens, Jonathan (161-142 av. J.-C.) ou Simon (142-134 av. J.-C.)16. Selon cette théorie, les persécutions de ce Prêtre impie à l’encontre du Maître de justice seraient dues au fait que ce dernier était le Grand Prêtre de la lignée sadocite avant la prise du pouvoir des Asmonéens, qui l’auraient limogé de ses fonctions afin de s’arroger eux-mêmes le sacerdoce17. Cette hypothèse est également défendue par J. T. Milik et É. Puech, qui pensent que le Maître de justice était Simon III, le Grand Prêtre en exercice depuis -159.

15 A. Michel, Le Maître de justice, d’après les documents de la mer Morte, la littérature apocryphe et

rabbinique, Avignon: Maison Aubanel, 1954; H. H. Rowley, The Zadokite Fragments and the Dead Sea Scrolls, Oxford: Blackwell, 1952; «The Covenanters of Damascus and the Dead Sea Scrolls», BJRL 35,

1952, p. 1-54;

16 G. Vermès, The Dead Sea Scrolls: Qumran in Perspective, Philadelphia: Fortress Press, 1981, p. 151; «The Essenes and History», JJS 32/1, 1981, p. 18-31; F. M. Cross, The Ancient Library of Qumran and

Modern Biblical Studies, 1961, p. 141-152; «Le contexte historique des manuscrits », dans H. Shanks

(éd), L’aventure des manuscrits de la mer Morte, 1996, p. 51-64; H. Stegemman, The Library of Qumran:

On the Essenes, Qumran, John the Baptist, and Jesus, Grand Rapids: Eerdmans, 1998, p. 147-152.

17 L. H. Schiffman, Les manuscrits de la mer Morte et le judaïsme, 2003, p. 130-135; J. C. VanderKam and P. Flint, The Meaning of the Dead Sea Scrolls, San Francisco: HarperCollins, 2002, p. 289-292.

Il fut évincé illégitimement en -152 par Jonathan Maccabée, devenu Grand Prêtre et gouverneur de la Judée (152-142 av. J.-C.)18.

3) Théorie asmonéenne. Cette théorie regroupe un large spectre d’hypothèses qui proposent des dates allant de 130 à 63 av. J.-C. On identifie le «Prêtre impie» avec Jean Hyrcan (135-104 av. J.-C.) ou ses successeurs: Aristobule I (104-103 av. J.-C.), Alexandre Jannée (103-76 av. J.-C.), Hyrcan II (76-67 av. J.-C.) et Aristobule II (67-63 av. J.-C.). Le Maitre de justice aurait été, selon le cas, le Pharisien Éléazar, Juda ben Jédédiah, Onias le Juste, etc.19. Cependant, comme on a retrouvé à Qumrân des pièces de monnaies datant de Jean Hyrcan, d’Aristobule I et d’Alexandre Jannée, l’installation sur le site est vraisemblablement plus ancienne que cette période.

À part quelques exceptions, les chercheurs hésitent à accorder au chiffre 390 une valeur chronologique stricte. Ils estiment plutôt qu’il fait référence à un passage du livre d’Ézéchiel évoquant les 390 années du péché de la maison d’Israël, que le prophète doit porter symboliquement pendant un nombre équivalent de jours (Éz 4,5). Dans le système chronologique juif, l’exil de Babylone date de l’année 3338 depuis la création ; la fin de la dynastie asmonéenne, marquée par l’avènement d’Hérode le Grand, est l’année 372520. La différence ne fait que 387 ans! Cela pourrait être expliqué par les lacunes importantes dans la chronologie de la période perse, ou bien par un calcul reposant sur des informations symboliques. À cause de cela, nous ne pouvons pas donner une valeur chronologique précise au chiffre 390 et dater en conséquence l’année à laquelle il fait référence. Le chiffre de 20, la moitié d’une génération au désert, est aussi symbolique21.

18 J. T. Milik, Ten Years of Discoveries in the Wilderness of Judea, 1959, p. 69-70; É. Puech, La Croyance

des Esséniens en la vie future: immortalité, résurrection, vie éternelle (Études bibliques NS 21-22), Paris:

Éditions Gabalda, 1993; «Les manuscrits de la mer Morte et le Nouveau Testament», Qoumrân et les

manuscrits de la mer Morte, une cinquantenaire, 2000, p. 246-247.

19 A. Dupont-Sommer, Aperçus préliminaires sur les manuscrits de la mer Morte, Paris: Maisonneuve, 1950; A. S. Van der Woude, «Le Maître de justice et les deux messies de la communauté de Qumrân», dans J. Van der Ploeg et al. (éds), La secte de Qumrân (Recherche biblique IV), Paris: Desclée de Brouwer, 1959, p. 121-134; E. M. Laperrousaz, «Cadre chronologique de l’existence à Qoumrân», Qoumrân et les

manuscrits de la mer Morte, une cinquantenaire, 2000, p. 71-97.

20 Revue des études juives, vol. 18-19, Société des études juives (France), École pratique des hautes études (France), 1889, Paris, p. 202.

21 A. Dupont-Sommer, Les écrits esséniens découverts près de la mer Morte (4e édition), 1980, p. 137; É. Cothenet, «Le document de Damas», dans Les Textes de Qumrân..., p. 138-139; A. Dupont-Sommer et M. Philonenko (éds), La Bible. Écrits intertestamentaires, p. 143; P. R. Davies, The Damascus

Il semble assez clair, cependant, que le texte de CD ne situe pas le point de départ de ces 390 années au moment de la destruction du royaume du Nord par l’Assyrie en -722. Il ferait plutôt référence au début de l’exil du royaume du Sud après la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor. Le texte semble inventer une mémoire historique dans laquelle le retour avec Esdras et Néhémie n’a pas eu lieu : le «reste pour Israël» (

תיראש

לארשיל

)duquel va surgir le mouvement se trouve encore dans une situation d’exil, et la période de l’impiété se poursuivra jusqu’à la guerre eschatologique.

Selon André Caquot, on pourrait trouver dans le livre d’Hénoch un indice pour dater les origines du groupe que mentionne le Document de Damas. Dans le second songe d’Hénoch, qu’on appelle «L’Apocalypse au bestiaire» (1Hén LXXXV-XC), les membres du mouvement essénien seraient représentés par des agneaux blancs et clairvoyants qui appellent leurs frères à la conversion (XC, 6 et note)22. Caquot estime que l’époque de leur apparition, la cinquante-neuvième semaine d’années, commence peu après 181 av. J.-C. C’est pendant cette période que se déroulent les événements au cours desquels le groupe aurait pris forme.

Si on tient compte de l’ensemble des données documentaires et archéologiques, il convient de distinguer deux étapes successives à l’origine du groupe. La première est une période de tâtonnement; on peut la mettre en rapport avec le mouvement hassidéen constitué d’hommes tout dévoués à la cause de la Loi. L’arrivée du Maître de justice marquerait le début d’une deuxième phase. Sa mission commença vraisemblablement sous Jonathan (161-142 av. J.-C.) ou Simon (142-134 av. J.-C.). Les disputes dans la Lettre halakhique supposent aussi que la séparation complète est postérieure à l’adoption du calendrier lunaire par Jonathan. Si l’eschaton décrit dans le Document (40 ans après la mort du Maître de justice, CD XX 14; 4Q171 frag.1-10 II 7-10) fait allusion à la conquête de Pompée en -63, qui a transformé la Judée en province romaine, il est raisonnable de situer la mort du Maître de justice sous Jean Hyrcan (135-104 av. J.-C.) ou son successeur Aristobule I (104-103 av. J.-C.).

Convenant. An Interpretation of the Damascus Document (JSOTSup 25), Sheffield: Sheffield Academic

Press, 1982, p. 66. 199; C. Hempel, The Damascus Texts, p. 60-61.

22 A. Caquot, «1 Hénoch», dans La Bible, Écrits intertestamentaires (Bibliothèque de la Pléiade 337), sous la direction d’André Dupont-Sommer et Marc Philonenko, Paris: Gallimard, 1987, p. 590-591.

Damas et Qumrân. Un autre problème particulièrement épineux est celui de la signification de la mention de Damas dans le Document de Damas. Dans le «Midrash du puits», on fait référence aux convertis d’Israël qui sont sortis «du pays de Juda» et se sont exilés «au pays de Damas» (CD VI 3-11; 4Q266 frag. 3 ii 11-12; 4Q267 frag. 2 9-12). Dans un autre passage exégétique qui interprète Am 5,26-27, il est mentionné qu’un «Interprète de la Loi» viendra à Damas (CD VII 17-21; 4Q266 frag. 3 iii 17-22). Le même thème revient plus loin lorsque le texte décrit des membres qui ont cessé de vivre à la manière de la secte sous «l’alliance nouvelle au pays de Damas» (CD XIX 33b-34; XX 11-12).

Mais qu’est-ce au juste que Damas? Avant les découvertes de Qumrân, il n’y avait guère de doute qu’il fallait interpréter la référence «pays de Damas» littéralement comme la désignation de Damas en Syrie23. Mais depuis, cette question est l’objet d’un débat encore ouvert. On peut distinguer au moins trois types d’hypothèses. La première solution est proposée par Milik et suivie par Fitzmyer24. Elle suppose qu’il y avait des Esséniens dans les camps de la région de Damas et que le Document s’appliquait à ces communautés apparentées à celle de Qumrân. Un deuxième point de vue est que la communauté installée à Qumrân a été l’objet d’attaques de la part des Asmonéens et qu’elle s’est exilée «au pays de Damas» pendant un certain temps25. Malgré leurs divergences, ces deux interprétations consistent à comprendre le terme Damas au sens littéral dans ce document.

I. Rabinowitz est le premier qui ait suggéré une interprétation métaphorique, selon laquelle Damas se réfère à la captivité de juifs à l’époque de Nabuchodonosor 26. Cette opinion est partagée par les chercheurs comme A. Jaubert, J. Murphy-O’Connor, P.

23 Un aperçu historique sur les commentaires du Document de la période pré-qumranienne, voir P. R. Davies, The Damascus Covenant: an Interpretation of the Damascus Document, p. 3-14.

24 J. T. Milik, Ten Years of Discoveries in the Wilderness of Judea, p. 87-93; J. A. Fitzmyer, «Prolegomenon», in S. Schechter (ed), Documents of Jewish Sectaries I, New York: Ktav Publishing House, 1970, p. 16.

25 A. Dupont-Sommer, Les écrits esséniens découverts près de la mer Morte (4e édition), p. 134-135; E. M. Laperrousaz, «Cadre chronologique de l’existence à Qoumrân», Une cinquantenaire, p. 71-97.

26 I. Rabinowitz, «A Reconsideration of “Damascus” and “390 Years” in the Damascus (Zadokite) Fragments», JBL 73, 1954, p. 11-35.

R. Davies. Ils ont suggéré de comprendre Damas comme un pseudonyme de Babylone27. Par contre, D. Barthélemy, R. North, T. H. Gaster, F. M. Cross, G. Vermès et d’autres ont proposé d’identifier Damas avec Qumrân: ils font l’hypothèse que Qumrân aurait fait partie de la même toparchie que Damas, et aurait pu, par conséquent, porter son nom28.

Le Document de Damas utilise souvent des mots codés. Nous y trouvons en effet toutes sortes de pseudonymes pour des personnages réels, mais presque jamais un nom propre qui permettrait une identification précise. À notre avis, il est donc plus vraisemblable de mettre en relation l’exode au pays de Damas avec Qumrân. Il s’agit probablement d’un nom «prophétique» ou symbolique pour désigner le désert de Juda dans lequel le Maître de justice et le groupe s’étaient retirés. L’idée que le Temple eschatologique déserte Jérusalem et réside à Damas, la terre où devra se jouer le drame messianique, se rattacherait à l’interprétation de Zacharie 9,1a dans la Septante et dans le Targoum:

MT: ותחו קשמדו̇ךרדח̇ץראב̇הוהי̇רבד̇אשמנמ

Oracle. La parole de Yahvé (est) au pays de Hadrak, et à Damas (sera) Son séjour. LXX : λῆμμα λόγου κυρίου ἐν γῇ Σεδραχ καὶ Δαμασκοῦ θυσία αὐτοῦ

Oracle. La parole du Seigneur (est) au pays de Hadrak, et à Damas (sera) Son sacrifice. Targ: היתנכש̇תיב̇עראמ̇יוהמל̇בותת̇קשמדו̇אמורד̇אעראב̇ייד̇אמגתפ̇לטמ

27 La thèse babylonienne préfère situer l’origine du mouvement essénien dans la diaspora après la déportation des juifs à Babylone, qui suivit la destruction de Jérusalem en 587 av. J.-C. Les défenseurs de la thèse croient qu’une bonne partie des arguments en faveur de l’hypothèse provient du Document de Damas, qui est supposé avoir été originellement rédigé par des juifs de la diaspora en exil, et que «Damas» est un nom symbolique désignant Babylone. Un groupe des Juifs déportés de leur patrie, qui s’engageaient à une parfaite observance de la loi, revînt en Palestine au moment qui dut leur sembler propice, celui du soulèvement maccabéen et du renouveau d’un état juif indépendant. Mais une fois sur place, ils furent déçus par les formes hellénisées du judaïsme palestinien, et se retirèrent à l’écart. A. Jaubert, «Le pays de Damas», RB 65, 1958, p. 214-248; J. Murphy-O’Connor, «The Essenes and their History», RB 81, 1974, p. 215-244; «The Damascus Document Revised», RB 92, 1985, p. 223-246; P. R. Davies, The Damascus

Covenant: an Interpretation of the Damascus Document, 1983. Récemment T. R. Blanton défend la thèse

d’une interprétation littérale dans son Constructing a New Covenant: Discursive Strategies in the

Damascus Document and Second Corinthians, Tübingen: Morh Siebeck, 2007, p. 79-90.

28 D. Barthélemy, «Zadokite Fragments and the Dead Sea Scrolls», RB 60, 1953, p. 420-423; R. North, «The Damascus of Qumran Geography», PEQ 87, 1955, p. 34-48; T. H. Gaster, The Scriptures of the Dead

Sea Sect in English Translation, London: Seeker and Warburg, 1957, p. 14; F. M. Cross, The Ancient Library of Qumran…, p. 81; M. A. Knibb, «The Dead Sea Scrolls: Reflections on some Recent

Publications», ExpTim 90, 1979, p. 294-300; «Exile in the Damascus Document», JSOT 25, 1983, p. 99-117; H. Stegemman, The Library of Qumran: On the Essenes, Qumran, John the Baptist, and Jesus, Grand Rapids: Eerdmans, 1998, p. 147-152.

Oracle. La parole de Yahvé (est) sur la terre qui se lèvera, et Damas reviendra pour être de la terre de la maison de Sa présence.

La LXX lit

ה ָח ְנ ִׁמ

(«sacrifice») au lieu de

ה ָחוּנ ְמ

(«lieu de repos»). Dans le Targ. ce terme est interprété comme la présence de la Shekhinah dans la demeure de Dieu, particulièrement au Temple de Jérusalem. Dans le TM, Za 9,1 fait allusion à une marche guerrière et annonce le châtiment des pays de Hadrak, Damas et Hamat, c’est-à-dire la Syrie. Dans la LXX et le Targ., comme l’observe G. Vermès,

ותחונ

מ revêt une connotation cultuelle: la terre de Damas sera dans le futur un lieu pour le sanctuaire de Dieu. On trouve dans la tradition midrashique des interprétations en ce sens, selon lesquelles la prophétie de Za 9,1 se réalisera à la fin de jours quand la gloire du Temple de Jérusalem s’étendra jusqu’à Damas29.

Le texte d’Amos 5,16-27, tel qu’il est lu en CD VII 14-15 permet de comprendre que l’exode des membres est l’œuvre de Dieu et revêt une signification de salut. C’est la communauté elle-même qui constitue le vrai Temple de Dieu, comme l’explique G. Vermès : «[…] the journey to the land of Damascus was not a devine punishment, but an act of mercy and deliverance»30. L’identification de Qumrân avec le lieu de l’exode se fonde aussi sur le fait que cette localité est celle qui correspondrait le mieux à ce qui est évoqué dans le commentaire d’Isaïe contenu dans la Règle (1QS VIII 12-13):

Quand de tels hommes se formeront en Israël, respectant ces doctrines, ils se sépareront des pervers pour aller dans le désert afin d’y préparer la voie du Seigneur.

En effet, l’image du désert où l’on se retire pour frayer la voie du Seigneur prendrait une signification concrète dans le contexte de l’établissement à Qumrân. Dans ce sens, nous devons plutôt supposer que le terme «Damas» comporte une désignation métaphorique liée au transfert du Temple eschatologique. Il fait allusion de prime abord à l’établissement à Qumrân des fidèles du mouvement qui se sont séparés du culte du Temple de Jérusalem; c’est à cet endroit dans le désert que le groupe a aménagé, à peu près au moment où le Maître de justice en prit la tête.

29 G. Vermès, Scripture and Tradition in Judaism: Haggadic Studies, Leiden: Brill, 1973, p. 45. L’auteur fait référence à L. Finkelstein (ed), Sifre on Deuteronomy §1, New York: Ktav Pub Inc, 1969, p. 7-8, et L. H. Stark, Introduction to the Talmud et Midrash, Philadelphia: Jewish Publication Society of America, 1945, p. 114.

Rapports du Document de Damas avec la Règle de la Communauté. Les copies du Document de Damas trouvées à Qumrân confirment que ce texte est avant tout une règle précédée d’une exhortation. Le Document et la Règle présentent de nombreuses différences (les règles initiatiques, l’organisation et le fonctionnement de la communauté, la gestion des biens; la participation au culte du Temple à Jérusalem, etc.). Théoriquement, ces différences peuvent s’expliquer de plusieurs façons31. Selon une théorie courante basée sur une comparaison entre 1QS et les MS A et B du Document de Damas, il se pourrait que la Règle légifère pour le centre de Qumrân en particulier, tandis que le Document s’adresserait aux convertis du même mouvement dispersés dans des «camps» (

תונחמ

) un peu partout en Israël32.

Les copies de la Règle et du Document trouvées dans les grottes 4 à 6 de Qumrân nous révèlent d’autres recensions de ces deux textes, avec de changements sensibles dans la législation et dans la pratique religieuse. On a également identifié d’autres écrits qui offrent un mélange de ces deux textes (par exemple 4Q265=4QRègles diverses). À la lumière de ces données, les chercheurs ont réévalué les rapports entre les communautés auxquelles chacun des documents peut s’adresser33. L’intérêt de la recherche s’est orienté vers la critique des sources et de la rédaction, plutôt que vers la reconstruction de l’histoire des communautés qui ont produit, utilisé ou remanié ces textes et qui s’y reflètent.

Dans notre perspective, les points communs entre 1QS et CD, au plan du vocabulaire, des prescriptions juridico-religieuses, de certains aspects d’organisation, excluent qu’ils proviennent de deux mouvements juifs complètement distincts. Le Document de Damas et la Règle de la communauté, tout en ayant des éléments communs,

31 Pour ce sujet, voir J. M. Baumgarten, «La loi religieuse de Qoumrân», AHSS 5, 1996. p. 1005-1025; H. Stegemann, The Library of Qumran: On the Essenes, Qumran, John the Baptist, and Jesus, p. 104-117; E. Regev, Sectarianism in Qumran: A Cross-Cultural Perspective, 2007, 171-196.

32 P. S. Alexander, Rules..., p. 799-803 (surtout p. 802).

33 C. Hempel distingue une «strate halakhique» du Document. Cette strate halakhique, qui contient probablement un corpus de traditions juridiques du judaïsme commun, aurait été adoptée et incorporée dans une strate de législation communautaire de la Règle. Donc le Document était la constitution d’un groupe qui a évolué, au fil du temps, celui qui a produit la Règle. Pour P. R. Davies, le Document se rapporte à un mouvement historique, mais la Règle constitue des copies à caractère utopique d’une communauté idéale.